mardi 28 octobre 2008

Devoirs de vacances, 3

Aujourd'hui, j'ai le plaisir de vous laisser en compagnie d'Andrés Trapiello et de son excellent Los amigos del crimen perfecto.

« Se trataba de un piso destarlatado y decrépito, frente a Galerías Preciados, alquilado por Espeja el muerto a su dueño en 1929, y mantenido por su heredero con la misma renta y una falta de higiene que no hacía sino ir en aumento, en pro de la solera. Doce balcones a la calle, suelos de madera gastados por los remordimientos generales, un olor difuso a lejía y a vinagre, más de diecisiete habitaciones y aposentos ocupados en su totalidad por mesas en las que ya no se sentaba nadie y estanterías en las que dormían unos miles de ejemplares, algunos de hacía cuarenta años, llenos de polvo, testigos cabales de la historia de la empresa familiar y de la decadencia de la raza española. Lo peor de lo peor para los prestigios sólidos y modernos : casticismo puro. […]
Una mujer, igualmente de la cosecha de 1929 y con un traje negro de cuello blanco, les abrió la puerta.
Lo hizo como si les franquease la entrada al capítulo primero de una novela gótica. Lo normal es que, con el aspecto de la recepcionista, nos salieran vivos de allí. Alguien les asesinaría y vendería sus despojos al criado de un médico maniático y sin escrúpulos.
Eran las cuatro de la tarde, pero se habría dicho que la oficina contaba con todos sus efectivos : secretaria, contable, tesorero, el viejo mozo para todo y el propio señor Espeja el viejo, aferrado a su escritorio de roble como el capitán al timón del buque. Buena imagen.
— Van a tener que esperar. El señor Espeja está en este momento ocupado con doña Carmen. Voy a avisarle que estás aquí, Paco.
— Vaya usted, Clementina.
La vieja secretaria entró en un despacho antiguo. Era una mujer alta, caballuna, con una joroba apenas disimulada y desviada hacia el hombro derecho, y andares atentados y sigilosos. El detalla el cuello blanco, con rizos de huevo frito, y las puntillas blancas en los puños almidonados, le daban un aspecto aún más siniestro.
El señor Espeja el viejo, como era habitual, gritaba de una manera poco considerada. Cuando se vieron solos, el propio Paco Cortés susuró a Modesto Ortega que aquella doña Carmen era Carmen Bezoya, responsable de la línea rosa editorial desde los mismos orígenes de la novela rosa en el mundo. Se decía, o se había dicho, para ser más exactos, que aquella mujer había sido la amante de Espeja el muerto.
— Es sólo un minuto.
Clementina, de vuelta, fue a sentarse en su sitio. Sobre la mesa, junto al teléfono, modelo de baquelita, que tampoco había sido sustituido desde 1929, había en un platito una maceta de tamaño yogur. Entre chinatos negros nacía un cactus como un acerico erizado de alfileres y coronado por una diminuta flor color Brasil. Parecía haberse pinchado con los alfileres la yema del dedo. Modesto Ortega se quedó mirando a la vieja secretaria, que ni siquiera se tomó la moldestia de sonreírle. Entre el cactus y ella se diría que había un vago parentesco. »

Andrés Trapiello, Los Amigos del Crimen Perfecto,
p.31-33.

Brgitte nous propose sa traduction d'un texte qui, dit-elle, lui a donné bien du fil à retordre. Elle attend donc un coup de main de ses collègues apprentis traducteurs pour l'aider à améliorer son travail :

C’était un appartement délabré et décrépi, en face des Galeries Preciados, loué par le défunt Espeja à son propriétaire en 1929. Son héritier l’entretenait avec sa rente, au mépris d’une hygiène qui ne faisait qu’empirer et au profit de la tradition. Douze balcons avec vue sur la rue, des planchers rongés par les remords généraux, une odeur diffuse d’eau de javel et de vinaigre, plus de dix-sept pièces et chambres totalement occupées par des tables où plus personne ne s’asseyait, et des étagères où dormaient des milliers d’ouvrages couverts de poussière - certains vieux de plus de quarante ans - témoins accomplis de l’histoire de l’entreprise familiale et de la décadence de la race espagnole. Le pire de tout pour les esprits solides et modernes : du traditionalisme à l’état pur …
Une femme, également du cru 1929, avec un tailleur à col blanc, leur ouvrit la porte, comme si elle les accueillait au premier chapitre d’un roman noir/ aimable comme une porte de prison. En toute logique, à en juger par l’aspect de la réceptionniste, ils ne devaient pas en réchapper/ ils ne sortiraient pas vivants d’ici. Ils seraient assassinés et on vendrait leur peau au domestique d’un charlatan névrosé et sans scrupules.
Il était quatre heures de l’après-midi, mais il avait du penser que le bureau comptait ses effectifs au complet : secrétaire, comptable, trésorier, le plus très jeune homme à tout faire et Monsieur Espeja Père en personne, accroché à son bureau de chêne, tel le capitaine au gouvernail de son navire. Belle image.
- Vous allez devoir patienter. Monsieur Espeja est actuellement occupé avec Doña Carmen. Je vais le prévenir que tu es là, Paco.
- Je vous en prie, faites-donc, Clementina.
La vieille secrétaire pénétra dans un bureau vétuste. C’était une femme grande à l’allure chevaline, avec une bosse à peine cachée qui déviait vers l’épaule droite, et une démarche silencieuse et discrète. Il nota le détail de son col blanc avec des frisures, comme au bord d’un œuf au plat, et la fine dentelle blanche de ses manchettes amidonnées, qui lui donnaient un aspect encore plus inquiétant.
Monsieur Espeja Père, comme à son habitude, criait d’une façon inconsidérée. Quand ils se retrouvèrent seuls, Paco Cortés lui-même susurra à l’oreille de Modesto Ortega que cette Doña Carmen n’était autre que Carmen Bezoyan, responsable de la collection rose de la maison d’édition depuis les origines du roman d’amour dans le monde. On disait - ou plutôt on avait dit - pour être plus précis, que cette femme avait été la maîtresse de feu Espeja.
- Juste une petite minute.
De retour, Clementina, alla s’asseoir à sa place. Sur le bureau, près du téléphone, modèle en bakélite également inchangé depuis 1929, il y avait un pot de fleur de la taille d’un pot de yaourt, posé sur une soucoupe. Parmi de petits cailloux noirs, comme une pelote hérissée d’épingles et couronnée d’une minuscule fleur vert Brésil, poussait un cactus. Apparemment, elle s’était piqué le bout du doigt avec les épines. Modesto Ortega regarda la vieille secrétaire qui ne prit même pas la peine de lui sourire. On aurait dit qu’entre elle et le cactus il y avait comme un petit air de famille.

Après prise en compte des commentaires, Brigitte a fait travailler ses petites cellules grises et soumet les deux premières lignes à une nouvelle évaluation :

C’était un appartement mal fichu et vieillot, face aux Galerías Preciados, que le défunt Espeja avait loué à son propriétaire en 1929 et que son héritier avait conservé pour le même loyer, au mépris d’une hygiène qui ne faisait qu’empirer avec les années.

***

Olivier, qui lui aussi à bien souffert sur Los Amigos del Crimen perfecto, nous propose sa traduction :

« C’était un logement délabré et décrépi, en face des Galeries Preciados, qu’Espeja le défunt avait loué à son propriétaire en 1929 et que son héritier louait toujours, au même prix, et avec ce manque d’hygiène qui ne faisait que s’aggraver et, en même temps, le rendait si typique. Douze balcons côté rue, des planchers usés par les remords de tous, une odeur diffuse de vinaigre et d’eau de javel, plus de dix-sept chambres et autres appartements, tous occupés par des tables autour desquelles plus personne ne s’asseyait, et par des étagères sur lesquelles dormaient quelques milliers d’exemplaires, certains datant de quarante ans, couverts de poussière, témoins fidèles de l’histoire de l’entreprise familiale et de la décadence de la race espagnole. Ce qu’on peut imaginer de pire au regard du prestige solide et moderne : l’essence de la pureté. (...)
Une femme, elle aussi cuvée 1929, vêtue d’un ensemble noir avec un col blanc, leur ouvrit la porte.
Elle le fit comme si son geste ouvrait en grand sur le chapitre premier d’un roman gothique. Le normal, vu l’aspect de la réceptionniste, c’est que personne ne ressorte vivant de là-dedans. Ils allaient se faire assassiner et leurs dépouilles seraient vendues au larbin d’un médecin maniaque et sans scrupules.
Il était quatre heures de l’après-midi, mais l’équipe du bureau semblait au grand complet : secrétaire, comptable, trésorier, le vieux bon-à-tout-faire, et monsieur Espeja l’ancien en personne, ancré à son bureau en chêne tel le capitaine au gouvernail de sa nef. Image exemplaire.
— Vous jallez devoir ajendre. Monsieur Espeja est en ce moment avec Madame Carmen. Je vais lui jire que tu es là, Paco.
— Faites donc, Clementina.
La vieille secrétaire entra dans un vieux bureau. C’était une femme grande, aux traits chevalins, avec une bosse à peine cachée qui bombait plutôt son épaule droite, à la démarche prudente et discrète. Lui, il examine en détail le col blanc, avec ses frisures comme des coulures de blanc d’oeuf, et le picot de ses poignets amidonnés, qui lui donnaient un air encore plus sinistre.
Monsieur Espeja l’ancien, comme à son habitude, criait sans beaucoup de considération. Une fois tous les deux, c’est le propre Paco Cortés qui glissa à l’oreille de Modesto Ortega que cette fameuse Madame Carmen n’était autre que Carmen Bezoya, la responsable éditoriale de la collection rose, depuis les origines mêmes du roman rose dans le monde. Le bruit courait, ou, plus exactement, avait couru, que cette femme avait été la maîtresse d’Espeja le défunt.
- J’en ai pour une minute.
Une fois de retour, Clementina alla reprendre sa place. Sur la table, près du téléphone, un modèle bakélite qui, lui non plus, n’avait pas été remplacé depuis 1929, il y avait un pot de fleurs de la taille d’ un yaourt posé sur une soucoupe. Un cactus qui ressemblait à une pelote d’épingles, couronné par une minuscule fleur aux couleurs du Brésil, poussait au milieu de petis graviers noirs. Elle donnait l’impression de s’être piqué le doigt avec les épingles. Modesto Ortega regarda longuement la vieille secrétaire, qui ne prit même pas la peine de lui sourire. Il y avait comme un vague air de famille entre elle et le cactus.

***

Au tour de Laure G. de nous proposer sa traduction :

« L’immeuble était situé en face des galeries Preciados. Il était décrépit et tombait en ruines. Feu Espeja l’avait loué à son propriétaire en 1929, puis son héritier en avait pris la suite, avec le même loyer et le même manque d’hygiène qui n’allait qu’en empirant : toute une tradition ! Il comptait douze balcons donnant sur la rue, ses planchers étaient usés par de vagues remords auxquels se mêlaient une odeur diffuse de lessive et de vinaigre. C’était un immeuble de plus de dix-sept pièces et chambres, dont l’unique mobilier se composait de tables auxquelles plus personne ne s’attablait et d’étagères sur lesquelles dormaient quelque mille exemplaires, dont certains avaient quarante ans et étaient recouverts de poussière, témoins accomplis de l’histoire de l’entreprise familiale et de la décadence de la race espagnole : du pur traditionalisme, le pire qui puisse exister selon les modernes, forts de leur prestige. [...]
Une femme, du même millésime, vêtue d’un costume noir au col blanc, leur ouvrit la porte.
Ce geste ressemblait à une invitation à pénétrer dans le premier chapitre d’un roman gothique. Vu l’aspect de leur hôtesse, il y avait de fortes chances pour qu’ils n’en sortent pas vivants. Ils seraient probablement assassinés par quelqu’un qui allait ensuite vendre leurs dépouilles à l’employé d’un médecin maniaque et sans scrupules.
Il était seize heures, mais on aurait dit que l’effectif était au complet : secrétaire, comptable, trésorier, le vieux domestique bon à tout faire, et le vieux Espeja lui-même, accroché à son bureau en chêne tel un capitaine à la barre de son bateau. Quel beau tableau.
-— Vous allez devoir patienter. Monsieur Espeja est actuellement occupé avec madame Carmen. Je vais le prévenir de ta visite, Paco.
— Faites, Clementina.
La vieille secrétaire entra dans un bureau ancien. C’était une femme élancée, chevaline, avec une bosse à peine dissimulée et orientée vers l’épaule droite, à la démarche discrète et silencieuse. Le détail du col blanc dont les arrondis ressemblaient à des œufs aux plats, ainsi que le bout blanc des manches amidonnées lui donnaient un air plus sinistre encore.
Le vieux Espeja, comme à l’accoutumée, poussait des cris inconsidérés. Lorsqu’ils se retrouvèrent seuls, Paco Cortés lui-même chuchota à Modesto Ortega que cette madame Carme, était Carmen Bezoya, responsable éditoriale des romans à l’eau de rose, depuis leurs toutes premières parutions dans le monde. On racontait, ou plutôt on avait raconté, pour être plus précis, que cette femme avait été l’amante de feu Espeja.
— Il en a pour une minute.
Clementina, à son retour, se rassit à sa place. Sur sa table, près du téléphone modèle bakélite qu’on n’avait pas non plus remplacé depuis 1929, était posé un petit pot de fleurs de la taille d’un pot de yoghourt. Dans une terre bien noire naissait un cactus comme une pelote plantée d’épingles couronné d’une petite fleur couleur Brésil. Elle semblait s’être piqué le bout du doigt sur les piques. Modesto Ortega resta à regarder la vieille secrétaire, qui ne prit même pas la peine de lui sourire. On aurait dit qu’il y avait un vague lien de parenté entre le cactus et elle.


3 commentaires:

Tradabordo a dit…

Question 1 : pourquoi avoir traduit le "Galerías" de la première ligne ? Dans la mesure où c'est le nom complet du magazin, je pense qu'il convient de le laisser en espagnol.

Tradabordo a dit…

La deuxième phrase de la version française doit être relue attentivement, car j'y décèle deux CS. Nous verrons la suite quand ce point sera réglé.

Tradabordo a dit…

Le "mal fichu" de la deuxième version de Brigitte me semble très bien… si je peux me permettre une distribution de bons points (j'avoue que c'est ce que j'avais fait moi-même ; comme on pourra le vérifier si l'éditeur daigne exhumer le manuscrit rendu il y a plus d'un an et rangé depuis sur une étagère). Cela permet en effet de résoudre l'ennuyeux problème de la redondance des deux adjectifs. Bien joué !