mercredi 29 octobre 2008

Devoirs de vacances, 4

Pour ceux qui ne la connaissent pas encore, voici une bonne occasion de suivre les premiers pas de Petra Delicado (la célèbre héroïne d'Alicia Giménez Bartlett), une enquêtrice presque aussi hard-boiled que les personnages imaginés il y a près d'un siècle par les pères fondateurs du roman noir "made in U.S.A.", Raymond Chandler et Dashiell Hammett en tête.

« Aquel invierno nevó. Un motivo para recordarlo, en Barcelona es raro que ocurra. Sin embargo, fue tal la avalancha de acontecimientos de aquel invierno que por cualquiera de ellos lo hubiera retenido en la mente sin necesidad de ver cubierto de blanco mi recién plantado jardín. Un año lleno de acontecimientos. Estrené la nueva casa, una vida independiente y las circunstancias, más que el destino, hicieron que me fuera encomendado mi primer caso y que, consecuentemente, entre nieves y bienes, conociera al subinspector Garzón. Por supuesto, la impresión idílica inicial que experimenté con la vivienda pronto se vio desvanecida. Las cañerías se helaron y comprobé que tener un hábitat aislado no es siempre el colmo del placer. El pequeño patio que había logrado sacar a flote no se libró de una zozobra total. Los geranios se secaron y la tierra presentaba un aspecto apelmazado y duro, su superficie cubierta de escarcha. Imágenes tristes. Me sentaba tiritando frente a la insuficiente chimenea e intentaba concentrarme en un volumen sobre Nueva tecnología policial. Acababan de traducirlo al español desde un lejano inglés de Chicago. La mayoría de los ejemplos a los que el texto aludía no tenían parangón en nuestra sufrida policía nacional, tan ajena al FBI. De memoria sabía que aquellos complejos artefactos tecnológicos tardarían siglos en llegar a aplicarse en España. Pero el saber no ocupa lugar, si bien tampoco consigue que nadie se haga un lugar gracias a él. De hecho, pese a mi brillante formación como abogada y mis estudios policiales en la Academía, nunca se me habían encargado casos de relumbrón. Estaba considerada "una intelectual" ; además era mujer y sólo me faltaba la etnia negra o gitana para completar el cuadro de marginalidad. Desde el principio fui destinada al Departamento de Documentación, donde me ocupé de temas generales ; archivos, publicaciones y biblioteca, lo cual acabó por fijarme un estatus meramente teórico en la consideración de los compañeros. Reclamé participar en el servicio activo alguna vez y se me concedió. Intervine en algunos casos de robos aislados para los que ni siquiera hizo falta investigar. No había entrado en la policía inspirada por las películas de acción ni por las novelas del género negro : persecuciones, peleas, mucho whisky, ademanes resabiados… Sin embargo, mantenerme siempre en los estadios especulativos y librescos me producía un sentimiento inevitable de frustración. Era como un entomólogo encerrado en un laboratorio sin cuaderno de campo, condenado a observar siempre los insectos bajo el microscopio, eternamente muertos. Tampoco ese desengaño me había abandonado durante mis salidas al exterior : cajeros automáticos violentados, redacción de informes sobre "tirones". Una vez tuve que interrogar a unos jóvenes rateros que se cachondeaban de mí y me llamaban "muñeca", cuando cualquier acercamiento primario al género indica que hubiera tenido que ser justo al revés. A pesar de todo, no me desesperaba ni acudía ante mis superiores a implorar. Pensaba que, pasase lo que pasase, alguna vez se producirían al mismo tiempo mi entrada en el servicio activo y mi prestigio, por un destino inevitable. De cualquier manera también sería que una mujer no puede dedicarse a lloriquear en su puesto de trabajo sin provocar una reacción fatal. Esperaba en silencio mi ocasión, y cuando otro inspector se cruzaba conmigo en el pasillo y preguntaba : "¿ Cómo está nuestra intelectual ?", yo por dentro siempre pensaba : "Algún día se verá quién soy" », y por fuera le daba un par de masticaciones irónicas al chicle en señal de saludo y me limitaba a sonreír. »

Alicia Giménez Bartlett, Ritos de muerte [1996], Barcelona,
Editorial Planeta, « Booket », 2008, p. 9-10.

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La traduction « officielle », réalisée par Marianne Millon, pour les éditions Rivages & Payot, 2000 :

Cet hiver-là, il neigea. Une bonne raison de s’en souvenir est que ça n’arrive pas souvent à Barcelone. Mais l’avalanche d’événements de cet hiver fut telle que n’importe lequel d’entre eux me l’aurait fait garder en mémoire sans avoir besoin de voir recouvert de blanc mon jardin dans leque je venais de planter des fleurs. Une année riche en événements. J’étrennai ma nouvelle maison, une vie indépendante, et, davantage que le destin, les circonstances voulurent qu’on le confie ma première affaire et que, entre neige et biens, je fasse la connaissance de l’inspecteur adjoint Garzón par la même occasion. Bien sûr, ma première impression idyllique sur mon logement ne tarda pas à se dissiper. Les canalisation gelèrent et je constatai que posséder une maison isolée n’est pas toujours le comble du bonheur. Le petit patio que j’avais réussi à aménager n'échappa pas au naufrage total. Les géraniums séchèrent ; la terre présentait un aspect compact et dur, couverte de givre en surface. Tristes images. Je m'assis en frissonnan devant le maigre feu de la cheminée et j’tentai de me concentrer sur un volume traitant de la « Nouvelles technologie policière ». Il venait d’être traduit et il y avait loin entre l’anglais de Chicago et l’espagnol. La majorité des exemples auxquels le texte faisait allusion n’avait pas d’équivalent dans notre malheureuse police nationale, si éloignée du FBI. Je ne savais que trop qu’il faudrait des siècles avant d’appliquer le dernier cri de la technologie en Espagne. Mais le savoir ne prend pas de place, même s’il ne permet pas non plus de s’en faire une. Effectivement, malgré ma brillante formation d’avocate et les études à l’Académie de police, on ne m’avait jamais confié d’affaire importante. On me considérait comme “une intellectuelle”, et puis j’étais une femme et il ne me manquait que d’être noire ou gitane pour parachever le tableau de la marginalité. Depuis le début, on m’avait affectée au service de documentation, où je m’étais occupée de questions générales : archives, publications et bibliothèque, ce qui finit par me valoir un statut purement théorique aux yeux de mes collègues. Je demandai à participer de temps en temps au service actif et cela me fut accordé. J'intervins dans quelques affaires de vols isolées equi ne nécessitèrent même pas d'enquête. Je n’étais pas entrée dans la police inspirée par les films d’action ou par les romans noirs : poursuites, bagarres, des litres de whisky, gestes éculés… Mais me retrouver cantonnée au plan spéculatif et livresque me procurait un sentiment de frustration inévitable. J’étais comme un antomologiste enfermé dans un laboratoire, sans contact avec le terrain, condamné à observer éternellement les insectes au microscope, toujours morts. Cette déception ne m‘avait pas non plus quittée au cours de mes sorties à l’extérieur : braquages de distributeurs automatiques, rapports sur les vols à la tire. Une fois, j’avais dû interroger de jeunes délinquents qui se moquaient de moi et m’appelaient « poupée », alors que toute approche primaire du métier voudrait que ce soit précisément le contraire. Malgré tout, je ne désespérais pas et je n’allais pas implorer mes supérieurs. Je pensais que, quoi qu’il arrive, sous l’effet d’un destin incontournable, un jour verrait coïncider mon entrée dans le service actif et le prestige qui va avec. De toute façon, je considérais également qu’une femme ne peut pleurnicher à son poste sans provoquer une réaction fatale. J’attendais mon heure en silence, et lorsque je croisais un collègue dans les couloirs et qu’il me demandait : « Comment elle va notre intelluelle ? », je pensais toujours en for intérieur : « Un jour, on verra qui je suis », et à l'extérieur je mâchais deux fois mon chewing-gum avec ironie en guise de bonjour et me bornais à sourire.

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Olivier nous propose sa traduction :

« Il neigea cet hiver-là. C’est assez rare à Barcelone pour qu’on s’en souvienne. Cependant, l’avalanche d’événements fut telle, qu’un seul d’entre-eux aurait suffi à marquer cet hiver d’une pierre blanche, sans qu’il faille pour cela que mon jardin juste semé se couvre d’un blanc manteau. Une année riche en événements. La pendaison de crémaillère de ma nouvelle maison, une vie indépendante et les circonstances, plus que le destin, ont fait que je me suis vu confier ma première affaire qui, de fil en aiguille, m’a amenée à faire la connaissance de l’inspecteur-adjoint Garzòn. Bien entendu, l’impression idyllique ressentie les premiers temps entre mes nouveaux murs s’est vite estompée. Les canalisations ont gelé et je me suis vite rendu compte que vivre isolée n’est pas toujours des plus réjouissant. La petite cour que j’avais réussi à sauver, bon an mal an, n’a pas échappé au naufrage total. Les géraniums ont séché sur pied, et la terre avait un aspect dur et compact, couverte de givre en surface. Un triste spectacle. Je m’asseyais, grelottante, au coin d’un feu maigrichon et j’essayais de me concentrer sur un livre consacré à la nouvelle technologie policière. Il venait d’être traduit en espagnol à partir d’un lointain anglais de Chicago. La plupart des exemples auxquels le texte se référait n’avaient pas d’équivalents dans notre police nationale résignée, à des années-lumière du FBI. L’expérience me disait qu’on mettrait des siècles à se servir en Espagne de ces appareils à la technologie compliquée. Mais on n’en sait jamais trop, même si jamais personne ne s’est fait une place au soleil grâce à ça. Et je sais de quoi je parle, moi, avec ma brillante formation d’avocate et mes études à l’Ecole de police, à qui on n’avait jamais confier la moindre affaire un tant soit peu reluisante. On me considérait comme « une intellectuelle » ; en plus, j’étais une femme, et si j’avais été de race noire ou gitane, j’aurais apporté la touche finale à l’image d’Epinal de la marginalité. Dès le début, j’ai été affectée au Service de Documentation, où je me suis occupée de sujets généraux ; archives, publications et bibliothèque, plus qu’il n’en fallait pour que mes collègues me collent l’étiquette d’une gratte-papier. J’ai quelquefois demandé, et obtenu, mon incorporation au service actif. Je suis intervenue, de temps en temps, sur des affaires de vol pour lesquelles on n’a même pas eu besoin d’enquêter. Je n’étais pas entrée dans la police influencée par les fims d’action ou les romans de série noire : poursuites, bagarres, whisky à gogo, les mêmes gestes vus et revus... Néanmoins, passer mon temps dans les limbes spéculatives et livresques, produisait chez moi un inévitable sentiment de frustration. Je me sentais tel un entomologiste, prisonnier dans son laboratoire, sans conact avec le terrain, condamné pour toujours à n’observer les insectes qu’au seul microscope, éternellement morts. Et je n’arrivais pas non plus à oublier cette désillusion quand je mettais le nez dehors : distributeurs automatiques violentés, rapports tapés sur des vols à la tire. Une fois, j’ai dû interroger des petites frappes qui se fichaient de moi et m’appelaient « poupée », alors que le premier amateur du genre venu pourrait vous dire que c’est justement le contraire qui aurait dû se passer. Malgré tout, je ne désepérais pas et je n’allais pas pleurer dans les jupes de mes supérieurs. Je pensais, que quoi qu’il puisse arriver, un destin inévitable me réservait une entrée prestigieuse dans le service actif. De toute façon, c’est bien connu, une femme ne peut pas passer son temps à pleurnicher derrière son bureau sans provoquer une réaction fatale. J’attendais mon heure en silence, et quand je croisais un autre inspecteur dans les couloirs et qu’il me lançait : « Comment elle va notre intelo ?», je pensais toujours en moi-même : « Un jour, tu verras de quel bois j’me chauffe », et, pour la galerie, je mâchouillais ironiquement mon chewing en guise de salut, et me limitais à sourire.

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Odile nous propose sa traduction :

Il neigea cet hiver-là. Une bonne raison de s'en souvenir car cela se produit rarement à Barcelone Cependant, l'avalanche d'événements fut telle cet hiver-là que n'importe lequel d'entre eux aurait suffi pour le graver dans ma mémoire sans qu'il soit nécessaire pour cela de voir recouvertes de blanc les toutes récentes plantations de mon jardin. Une année riche en événements. Je m'installai dans ma maison neuve, démarrai une vie indépendante et les circonstances, davantage que le destin, voulurent que l'on me confie ma première affaire et que par la suite, entre neige et biens, je sois amenée à connaître l'inspecteur-adjoint Garzón. Bien sûr, l'impression idyllique que j' éprouvais les premiers jours dans mon logement s'évanouit bientôt. Les tuyauteries gelèrent et je pus constater que posséder une maison isolée n'est pas toujours le comble du plaisir. La petite cour que j'avais réussi à sauver n'échappa pas à un naufrage total. Les géramiums dépérirent et la terre présentait un aspect compact et dur, couverte de givre en surface. Tristes images. Je m'asseyai, grelottante, devant un maigre feu de cheminée et je tentai de me concentrer sur un volume de « La nouvelle technologie policière » qui venait d' être traduit en espagnol à partir d' un lointain anglais de Chicago. La plupart des exemples cités dans le texte n'avaient pas d'équivalent dans notre malheureuse police nationale, si éloignée du FBI. Je ne savais que trop qu'il faudrait des siècles avant d'appliquer ces complexes innovations technologiques en Espagne. Mais le savoir ne prend pas de place, même s'il ne permet pas non plus de s'en faire une. En effet, malgré ma brillante formation d'avocate et les études à l'Académie de police, on ne m'avait jamais confié d'affaire importante. On me considérait comme une « intellectuelle » ; et puis j'étais une femme et il ne me manquait que d'être noire ou gitane pour compléter le tableau de la marginalité. Depuis le début, on m'avait affectée au Service de Documentation, où je m'occupai de sujets généraux : archives, publications et bibliothèque, ce qui finit par me conférer un statut purement théorique dans l'esprit de mes collègues. Je demandai à participer de temps en temps au service actif et on me l'accorda. J'intervins dans quelques cas de vols isolés qui ne nécessitèrent même pas une enquête. Je n'avais pas intégré la police inspirée par les films d'action ni par les romans noirs : poursuites, bagarres, whisky à gogo, gestes vus et revus....Cependant, demeurer reléguée au plan spéculatif et livresque provoquait chez moi un inévitable sentiment de frustration. J'étais comme un entomologiste enfermé dans un laboratoire, sans carnet de terrain, condamné à toujours observer les insectes sous le microscope, éternellement morts. Cette déception ne m' avait pas non plus quittée pendant mes sorties en opérations : distributeurs automatiques fracturés, rédactions de rapports sur des vols à la tire. Un fois, j'avais dû interroger des jeunes délinquants que se moquaient de moi et m'appelaient « poupée », alors que toute approche primaire du métier voudrait que ce soit exactement le contraire qui se produise. Malgré tout, je ne désespérais pas et n'allais pas implorer mes supérieurs. Je pensais que, quoi qu'il arrive, par un destin inéluctable, un jour viendrait qui signerait à la fois mon entrée dans le service actif et mon prestige. De toutes les façons, je considérais qu'une femme qui pleurniche à son travail ne peut pas manquer de provoquer une réaction fatale. J'attendais mon heure en silence,et quand je croisais un autre inspecteur dans le couloir et qu'il demandait : « Comment va notre intellectuelle? », dans mon for intérieur, je pensais toujours : « Un jour, on verra qui je suis » et face à lui je mâchais deux fois mon chewing-gum, avec une moue ironique, et me bornais à sourire.

1 commentaire:

Tradabordo a dit…

"C'est assez rare" ou c'est "suffisamment rare" ? Je penche pour la deuxième solution.