vendredi 31 octobre 2008

Devoirs de vacances, 6

À propos de Juan Aparicio Belmonte, on dit qu'il s'agit d'un nouveau Eduardo Mendoza… En effet, il y a une filiation évidente. Une chose est sûre : c'est très drôle et fort bien construit. Voici, pour un vendredi qui remonte la pente vers quelques maigres rayons de soleil, un extrait de López López, un clin d'œil amical à Olivier. En adaptant les propos de ce cher Lolo Letaud, « ancien prof de latin et de grec, jusqu'à ce que, il y a cinq ans environ… » (vous verrez, à force de traduire, on finit par connaître des passages par cœur ; commencez à vous inquiétez quand vous vous apercevrez que votre discours n'est plus qu'un collage de phrases issues de vos traductions… Personnellement, allez savoir pourquoi, j'ai la maladie du « avec amour et abjection »), il y a toujours un traducteur pour vous griller la politesse sur la route impitoyable vers les bons auteurs… Imaginez quelque chose comme le célèbre dessin animé "Les fous du volant" (mais peut-être s'agit-il d'une référence culturelle française qui n'a pas passé le cap générationnel).

http://www.juanapariciobelmonte.com/Novelas.htm

Nunca debí desembalar aquel cuadro.
« Qué tomadura de pelo », pensé.
Lo coloqué en el sillón azul y me tumbé en el sofá a fumar un cigarrillo mientras intentaba escudriñar el valor real de aquello ; entender que demonios aportaba a la pintura.
A veces uno se sorprende del vigor que tienen algunos cuadros vistos al natural : obras que en revistas o catálogos parecen vulgares desprenden una poderosa energía cuando se contemplan de cerca ; pero aquella, más que desprender, parecía necesitar energía.
El cigarro se me apagó dos veces.
Me asombraba que un tío dedicara su vida a pintar cuadros monocromáticos con espirales y traté de entender esa vocación, pero por más que meditaba, me resultaba imposible encontrar su sentido artístico. Qué satisfacción podía reportarle a ningún artista esa tarea tan poco creativa, repetida día a día, semana a semana, desde hacía más de cincuenta años.
Sí lograba en cambio sentir cierta admiración por El Pintor en tanto farsante, porque había que reconocer su capacidad para el timo : era un estafador brillantísimo que había vivido toda su vida del cuento, sin dar un palo al agua, permitiéndose no sólo la utilización de ese seudónimo tan – como si toda la pintura se resumiera en él –, sino también una actitud despectiva con pintores a todas luces muchísimo más dotados y honrados que él.
Pero no era lo mismo estafar a sabiendas que hacerlo sin ser consciente de ello. No era lo mismo timar a todas las administraciones públicas, cajas de ahorros, patronatos de cultura…, con la conciencia de hacerlo, que ser un iluminado. No era lo mismo reírse del mundo que ser uno más del mundo, un enfermo más, por mucho que la enfermedad le beneficiara. Y El Pintor concedía unas entrevistas en las que posaba lleno de soberbia, encantado de haberse conocido, y en las que siempre se hacía evidente ese ego suyo, tan grande y obsceno. Daba la impresión de que su nombre artístico no había sido una elección irónica, sino una elección hecha a conciencia, que resumía la magnífica y endiosada imagen que el tío tenía de sí mismo. El Pintor era un triunfador, pero también el primer estafado por su estafa ; y esto lo alejaba de mi admiración. No era un verdadero farsante. ¿ O sí ?
No lo sé, pero gracias a él y a ese maldito lienzo, hoy estoy como estoy.
El cuadro medía ochenta por sesenta. Lo toqué. La superficie era muy lisa. Para colmo, el tío gastaba muy poco en pintura.
— Serás tacaño…
La aurora verde había costado trescientos sesenta mil euros. Increíble. Encendí otro cigarrillo.
Agarré el cuadro y, bien arropado entre mis brazos, me puse a bailar con él, igual que hacía de niño con esas amantes tan cariñosas de mi padre. La sensación de bailar con tantas euros no era para nada desagradable. La radio expulsaba la canción más adecuada : Quiero bailar un slowly tonight, y La aurora verde se dejaba llevar muy bien. No había peligro de que me pisara. Jamás tropezaría. Era una bailarina perfecta, no como aquellas amantes de mi padre, siempre brorrachas, siempre risueñas y torpes.
Fui hasta la terraza grande y saqué el cuadro por encima de las macetas, saboreando esa sensación de jugar con fuego, de que si el cuadro se me caía desde aquel séptimo mi vida se complicaría muchísimo. Expuse el cuadro al vacío varias veces para revivir esa sensación, y en una ocasión el viento sopló tan inesperado y fuerte que casi me arranca el lienzo de las manos y lo lanza hacia los árboles de la calle Alfonso XII.
Volví al salón con esa satisfacción que proporciona la adrenalina.

Juan Aparicio Belmonte, Madrid, Ediciones Lengua de Trapo,
« Nueva Biblioteca », 2004, p. 11-13.

L'inusable Brigitte nous propose sa traduction :

Je n’aurais jamais du déballer cette toile.
« C’est vraiment se moquer du monde » pensai-je.
Je posai le tableau sur le fauteuil bleu et je m’allongeai sur le canapé en fumant une cigarette pour tenter de sonder sa vraie valeur, de comprendre ce que ça pouvait donc bien apporter à la peinture.
On est parfois surpris par la force de certains tableaux qu’on voit en vrai : des œuvres qui, dans des revues ou des catalogues, semblent banales, dégagent une puissante énergie quand on les contemple de près.
Mais, plutôt que dégager de l’énergie, cette œuvre-là en manquait.
Ma cigarette s’éteignit à deux reprises.
Ca me sidérait qu’un type puisse consacrer sa vie à peindre des tableaux monochromes avec des spirales et j’essayai de comprendre cette vocation, mais j’avais beau réfléchir, il m’était impossible de trouver son sens artistique. Quelle satisfaction pouvait bien procurer à un artiste ce travail aussi peu créatif, répété de jour en jour, de semaine en semaine, depuis plus de cinquante ans.
Pour Le Peintre, un tantinet comédien, ça oui, j’arrivais pourtant à éprouver une certaine admiration, car il fallait reconnaitre sa grande capacité à l’escroquerie : c’était un voleur brillantissime qui avait vécu toute sa vie de boniments, sans jamais lever le petit doigt.
Non seulement il s’autorisait l’utilisation de ce pseudonyme aussi * – comme si la peinture toute entière se résumait en son nom - mais en plus, il avait une attitude méprisante envers des peintres qui, de toute évidence, étaient beaucoup plus doués et plus honnêtes que lui.
Mais escroquer en toute connaissance de cause et le faire inconsciemment, ce n’était pas pareil.
Rouler dans la farine toutes les administrations publiques, les caisses d’épargne, les fondations culturelles, en toute conscience et être visionnaire, ce n’était pas pareil.
Se moquer des gens et être un de plus au monde, un malade de plus, du moment que la maladie lui profitait, ce n’était pas pareil.
Et Le Peintre accordait des interviews où il prenait la pause, plein de sa superbe, enchanté de se connaître, et qui rendait toujours criant d’évidence cet égo si démesuré et obscène qu’il avait.
On avait l’impression que le choix de son nom d’artiste n’avait pas été fait par ironie, mais en toute conscience, pour résumer l’image magnifique et déifiée que ce type avait de lui-même. Le Peintre était un gagneur, mais aussi le premier dupé par sa propre duperie ; et pour ça, il était redescendu dans mon estime. Ce n’était pas un véritable comédien. Ou si ?
Je ne sais pas, mais c’est grâce à lui et à cette maudite toile que j’en suis là aujourd’hui.
Le tableau mesurait quatre-vingt sur soixante. Je le touchai. La surface était très lisse. Par-dessus-le marché, le type utilisait très peu de peinture.
- Qu’est-ce que tu peux être radin…
L’Aurore verte avait coûté la bagatelle de trois cent soixante mille euros. Incroyable. J’allumai une autre cigarette.
Je saisis le tableau et, le serrant bien entre mes bras, je me mis à danser avec lui, comme je le faisais quand j’étais enfant avec les maîtresses si câlines de mon père. La sensation de danser avec tant d’euros n’avait rien de désagréable. La radio passait une chanson on ne plus appropriée : je veux danser un slowly tonight et l’Aurore verte se laissait guider à merveille. Aucun danger qu’elle me marche sur les pieds. Jamais elle ne ferait un faux pas. C’était la partenaire idéale, contrairement aux maîtresses de mon père, toujours éméchées, toujours souriantes et maladroites.
Je sortis sur la grande terrasse et passai le tableau par-dessus les balconnières, avec cette sensation savoureuse de jouer avec le feu et avec l’impression que si le tableau m’échappait, du haut de ce septième étage, ma vie allait sérieusement se compliquer.
A plusieurs reprises, j’exposai le tableau dans le vide pour revivre cette sensation et, à un moment, un coup de vent si fort et inattendu faillit m’arracher la toile des mains et la projeter vers les arbres de la rue Alphonse XIII.
Je rentrai au salon avec cette satisfaction que provoque la montée d’adrénaline.

* manque-t-il un adjectif ou est-ce ainsi dans le texte ?

***

Odile nous propose sa traduction :

Je n'aurais jamais dû déballer ce tableau.
« Quelle blague », pensai-je.
Je le posai sur le fauteuil bleu et m'allongeai sur le canapé pour fumer une cigarette, me creusant la tête pour en percer sa réelle valeur ; comprendre ce qu'il pouvait bien appporter à la peinture. On est parfois surpris par la force de certaines oeuvres vues au naturel : sur des magazines ou des catalogues, elle paraissent insignifiantes mais dégagent une formidable énergie lorsqu'on les regarde de près ; mais celle-là en manquait plutôt.
Ma cigarette s'éteignit deux fois.
Qu'un type consacre sa vie à peindre des tableaux monochromes avec des spirales me déconcertait et j'essayai de comprendre cette vocation, mais j'avais beau réfléchir, je n'arrivais pas à lui trouver un quelconque sens artistique. Quelle satisfaction pouvait bien apporter à un artiste ce travail si peu créatif, répété jour après jour, semaine après semaine, depuis plus de cinquante ans. Pour Le Peintre en tant qu'imposteur, oui, j'arrivais à éprouver une certaine admiration car, il fallait bien le bien reconnaître, il était doué pour l'escroquerie : c'était un charlatan brillantissime qui toute sa vie avait vécu de boniments, se la coulant douce, s'autorisant non seulement l'utilisation de ce pseudonyme si ?(mot manquant?), - comme si toute la peinture se résumait en lui - mais s'autorisant aussi une attitude méprisante vis-à-vis de peintres manifestement beaucoup plus doués et plus honnêtes que lui.
Mais escroquer consciemment et le faire inconsciemment, c'était différent. Gruger toutes les administrations publiques, les caisses d'épargnes, les fondations culturelles en toute lucidité et être un illuminé, c' était différent. Se moquer des autres et être un de plus au monde, un malade de plus, même si la maladie lui rapportait, c'était différent. Et Le Peintre accordait des interviews dans lesquelles il prenait la pose, plein d'orgueil, satisfait de lui-même, manifestant cet ego si demesuré et si obscène qui était le sien. On sentait bien qu'il n'y avait pas d' ironie dans le choix de son nom d'artiste, que ce choix avait été fait sciemment et qu'il résumait l'image déifiée et magnifique que le type avait de lui-même. Le Peintre était un gagneur, mais aussi le premier dupé par sa propre duperie ; et cela lui enlevait un peu de mon admiration. Il n'était pas un vrai imposteur. Ou peut-être que si.
Je n'en sais rien, mais grâce à lui et à cette maudite toile, j'en suis là aujourd'hui.
Le tableau mesurait quatre-vingt centimètres par soixante. Je le touchai. La surface était très lisse.
Et par dessus-le marché, le type ne dépensait rien en peinture.
- Qu'est-ce que tu peux être radin....
L'Aurore verte avait coûté trois cent soixante-milles euros. Incroyable. J'allumai une autre cigarette. Je saisis le tableau et, le tenant bien serré dans mes bras, je me mis à danser avec lui, comme je le faisais quand j'étais petit avec ces maîtresses si câlines de mon père. La sensation de danser avec tant d'euros ne m'était pas désagréable. La radio crachait la chanson la plus adéquate : Je veux danser un slowly tonight et l'Aurore verte se laissait très bien guider. Pas de risque qu'elle ne m' écrase un pied.
Elle ne ferait jamais un faux pas. Elle était une danseuse parfaite, le contraire des maîtresses de mon père, toujours ivres, toujours gaies et maladroites.
Je sortis sur la grande terrasse et passai le tableau par-dessus les jardinières, savourant cette sensation de jouer avec le feu : s'il tombait du haut de ce septième étage, ma vie se compliquerait énormément. J' exposai le tableau dans le vide à plusieurs reprises pour revivre cette sensation, et à un certain moment, le vent souffla de manière si inattendue et si forte qu'il faillit m'arracher la toile des mains et l'envoyer sur les arbres de la calle Alfonso XII.
Je rentrai au salon avec cette satisfaction que procure une poussée d'adrénaline.

1 commentaire:

Tradabordo a dit…

Effectivement, il manque un adjectif : "vanidoso". Désolée…