mercredi 15 octobre 2008

Oui, mais… et la littérature ?

Miroir, mon beau miroir de Bordeaux… dis-moi que je suis le plus beau des traducteurs…

Sur les rayons de cette future grande bibliothèque de traducteur qui envahira bientôt votre domicile, on ne peut se contenter de ranger exclusivement des traités savants et des essais de haut vol… sous peine de finir par s'ennuyer à périr ou de laisser croire à ces auteurs, éditeurs et lecteurs peu curieux de notre labeur, ou même franchement de mauvaise foi (car il y en a, évidemment) qu'en effet, le traducteur n'est qu'une machine, dont la mécanique est plus ou moins bien huilée et performante… justement grâce à une simple et bien tangible boîte à outils. D'ailleurs, une boîte à outils aussi complète et précieuse soit-elle suffit-elle à faire un bon artisan?!?
Donc, pour diversifier le catalogue, voici un peu de littérature… et beaucoup d'égocentrisme, voire de narcissisme (mais est-ce que nous ne sommes pas là pour cela ?), puisque les deux références que je vous donne maintenant sont un roman et une nouvelle sur la traduction et le traducteur.

1- Jacques Gélat, Le traducteur, José Corti, Paris, 2006.
Un bref résumé (de l'éditeur) : Le narrateur très consciencieux remplace un point-virgule par une virgule, s'aperçoit de son erreur mais ne la corrige pas. Le voici sur une pente qui va le mener très loin. Dans les traductions suivantes, il change quelques détails (couleur des yeux, etc.) ; l'éditeur n'y voit que du feu. Il glisse alors une phrase de son cru, plus plusieurs, apportant de nouvelles nuances aux œuvres traduites. Ce qui le conduit à désirer – quel traducteur n'en a pas rêvé ? – écrire son propre roman.

Quelques commentaires dans la presse (pris sur le site de l'éditeur) :
(...) Plus largement, c’est bien la place de cet homme dans son existence et ses doutes sur ce qu’il est véritablement qui l’entraînent dans une spirale où ses certitudes s’effondrent. Qu’il soit traducteur est comme le point de départ nécessaire de cette remise en question : être la voix d’un autre, un autre que l’on ne choisit pas, n’est pas l’idéal quand on veut affirmer ce que l’on est ; encore faut-il arriver à déterminer qui on est et ce que l’écriture va nous permettre de dire : « J’en attendais un autre aboutissement, une autre vérité que je cherchais à travers ce qui pousse un homme à écrire : narcissisme exacerbé, expulsion de l’insoutenable, mise au clair du réel, désir d’exprimer des idées, de séduire, et bien d’autres raisons encore, toutes aussi valables mais bien inutiles à connaître dans cette période ».
Expérience troublante de l’écriture mais ô combien fascinante.
Martine Convers, Page, janvier 2006

Le personnage de Gélat n'est pas très sympathique, mais il a une forme ultime d'honnêteté : son respect pour l'écriture. Ce qui permet à l'écrivain de piéger son personnage au cœur d'une intrigue subtile, dont l'enjeu n'est autre que la littérature elle-même, la possibilité ou non de devenir écrivain. Le traducteur, troisième ouvrage du scénariste Jacques Gélat, est un roman brillant.
Jean-Claude Perrier, Livres Hebdo, février 2006

Après Le Tableau, qui témoignait d'une belle maîtrise classique du genre, et La Couleur inconnue, roman onirique et poétique profondément inspiré, Jacques Gélat publie son troisième roman. L'argument singulier, met en scène un traducteur poussé par une force mystérieuse à modifier de plus en plus les textes qu'il traduit, jusqu'à devenir lui-même écrivain. De la fidélité à la trahison, de l'expérience inspirée de la lecture à la l'écriture inspirée puis mécanique, cherchant à retrouver l'intense plaisir de cette inspiration primitive est décisive, c'est toute la gamme des états d'âme de l'écrivain que traduit ici Gélat. Au terme de l'aventure, portée par un sentiment de nostalgie et d'inquiétude, la question reste entière : comment retrouver en soi cet autre dont la voix un jour s'est imposée et semblait frayer d'elle-même sa voie singulière ? Et comment ne pas se laisser prendre au piège du métier et du succès sans trahir, en soi, cet autre ? Après deux ou trois livres, faire illusion est aisé, et d'autant plus vive la tentation que les lecteurs, eux, vous y encouragent. Mais l'écrivain, lui, sait bien ce qu'il fait ; il sait si l'aventure créative se poursuit ou s'il se contente de se répéter.
Et c'est toujours confronté à ce savoir intime et douloureux, difficilement partageable, qu'il retourne à sa table de travail.
Au-delà de la métaphore anecdotique, moins légère qu'il y paraît de prime abord, Le Traducteur apparaît comme un roman de solitude et d'angoisse existentielle, traduisant avec finesse et sensibilité une question qui, plus que jamais, dans un monde dominé par des logiques commerciales auxquelles la littérature a bien du mal à échapper, se pose aux écrivains talentueux et doués de quelques savoir-faire. Faut-il, pour continuer à plaire, se trahir soi-même au risque de se perdre et de se vivre, secrètement, comme un imposteur ? Ou faut-il poursuivre cette quête intime, au risque de se taire, dans l'espoir que l'autre, un jour imprévisible, fera retour ?
L.L.Lambrich, Vien de paraître, juin 2006


2- Dezsö Kosztolányi, Le Traducteur cleptomane (traduction du hongrois par Péter Adám / Maurice Regnaut), Viviane Hamy, Paris, 2000.
Je vous conseille très vivement de lire l'article écrit par Marie Vrinat-Nikolov sur ce roman; matière d'une réflexion riche sur les questions générales de la traduction.
Voir l'adresse suivante :

http://liternet.bg/publish1/mvrinat/cleptomane.htm

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