dimanche 26 octobre 2008

Pas de repos pour les braves : devoirs de vacances, 1

Les vacances, dites-vous? Allons, allons… Pensiez-vous raisonnablement que nos apprentis traducteurs auraient une semaine complète de vraie liberté? Qu'ils seraient privés de leur ration quotidienne de pages à traduire? Afin que leurs claviers ne refroidissent pas une seconde (por si las moscas…), voici des devoirs de vacances… sous forme d'une petite version à faire tous les matins, au saut du lit. Saine thérapie, non?
Pour commencer : un extrait de El laberinto de las aceitunas, du très grand Eduardo Mendoza, dont l'œuvre nous offrira toujours les plus fines et stimulantes versions.
Travaillez bien!

— Señores pasajeros, en nombre del comandante Flippo, que, por cierto, se reincorpora hoy al servicio tras su reciente operación de cataratas, les damos la bienvenida a bordo del vuelo 404 con destino Madrid y les deseamos un feliz viaje. La duración aproximada del vuelo será de cincuenta minutos y volaremos a una altitud etcétera, etcétera.
Más avezados que yo, los pasajeros que a esa hora hacían uso del Puente Aéreo se abrocharon los cinturones de seguridad y se guardaron detrás de la oreja las colillas de los pitillos que acababan de extinguir. Retumbaron los motores y el avión empezó a caminar con un inquietante bamboleo que me hizo pensar que si así se movía en tierra, qué no haría por los aires de España. Miré a través de la ventanilla para ver si por un milagro del cielo ya estábamos en Madrid, pero sólo distinguí la figura borrosa de la terminal del Prat que reculaba en la oscuridad y no pude por menos de preguntarme lo que tal vez algún ávido lector se esté preguntando ya, esto es, que hacía un perdulario como yo en el Puente Aéreo, qué razones me llevaban a la capital del reino y por qué describo tan circunstanciadamente este gólgota al que a diario se someten miles de españoles. Y a ello responderé diciendo que precisamente en Madrid dio comienzo una de las aventuras más peligrosas, enrevesadas y, para quien de este relato sepa extraer provecho, edificantes de mi azarosa vida. Aunque decir que todo empezó en un avión sería faltar a la verdad, pues los acontecimientos habían empezado a discurrir la noche anterior, fecha a la que, por mor del rigor cronológico, debo remontar el inicio de mis desasosiegos.

Eduardo Mendoza, El laberinto de las aceitunas [1982], Barcelona, Editorial Seix Barral,
« Biblioteca de Bolsillo », 1993, p. 7-8.


La traduction « officielle », Le labyrinthe aux olives, réalisée par Françoise Rosset, pour les éditions du Seuil, 1985, p. 7-8 :

— Messieurs les passagers, le commandant Flippo – qui reprend aujourd’hui même son service après une récente opération de la cataracte – et son équipage sont heureux de vous accueillir à bord du vol 404 à destination de Madrid et vous souhaitent un bon voyage. La durée approximative du vol sera de cinquante minutes et nous volerons à une altitude, etc.
Plus habitués que moi, les rares passagers qui utilisaient alors le pont aérien de Barcelone à Madrid attachèrent leur ceinture de sécurité et se calèrent derrière l’oreille le cigare qu’ils venaient d’éteindre. Les moteurs ronronnèrent et l’avion se mit à avancer pris d’une inquiétante oscillation et je me dis que, s’il se comportait ainsi sur terre, que n’allait-il pas faire dans le ciel espagnol ! Je regardai par le hublot pour voir si par miracle nous n’étions pas déjà arrivés à Madrid, mais je n’aperçus que l’image floue de l’aéroport du Prat qui s’éloignait dans l’obscurité et je ne pus m’empêcher de me demander ce que peut-être quelque avide lecteur se demande déjà, à savoir : que faisait un paumé tel que moi sur ce pont aérien, quelles raisons l’amenaient à la capitale du royaume et pourquoi il décrit avec une telle minutie ce calvaire auquel se soumettent journellement des milliers d’Espagnols ? Je répondrai à cela que c’est à Madrid, précisément, qu’avait commencé une des aventures les plus dangereuses, les plus embrouillées et, pour celui qui saura tirer profit de ce récit, les plus édifiantes de mon existence mouvementée. Mais dire que tout commença dans un avion serait manquer à la vérité, car les événements avaient commencé à se dérouler en réalité la nuit précédente, date à laquelle, au nom de la rigueur chronologique, je dois faire remonter le début de mes tracas.

***

Brigitte nous propose sa traduction :

— Mesdames et Messieurs les passagers, au nom du commandant Filippo qui, bien sûr, reprend aujourd’hui du service après sa récente opération de la cataracte, nous vous souhaitons la bienvenue à bord du vol 404 à destination de Madrid et un excellent voyage. La durée approximative du vol sera de cinquante minutes et nous volerons à une altitude de…etc…etc…
Plus accoutumés que moi, les usagers qui prenaient à cette heure-ci le Pont Aérien, bouclèrent leur ceinture de sécurité et gardèrent sur l’oreille le mégot de la cigarette qu’ils venaient d’éteindre. Les moteurs vrombirent et l’avion se mit à avancer en bringuebalant de façon inquiétante, ce qui mit penser que s’il gigotait ainsi sur terre, que n’allait-il donc pas faire dans le ciel de l’Espagne. Je regardai à travers le hublot pour voir si, par miracle, nous n’étions pas déjà à Madrid, mais je ne distinguai que la silhouette floue du terminal Del Prat qui reculait dans l’obscurité. Je ne pus alors m’empêcher de me demander ce qu’un lecteur avide s‘était peut-être déjà demandé, à savoir : que faisait donc un pauvre diable comme moi dans le Pont Aérien, quelles raisons me conduisaient vers la capitale du royaume et pourquoi je décris de façon tellement circonstanciée ce calvaire auquel se soumettent quotidiennement des milliers d’espagnols.
Et à cela je répondrai en disant que c’est précisément à Madrid que débuta l’une des aventures les plus périlleuses, les plus embrouillées et, pour qui saura tirer profit de ce récit, les plus édifiantes de ma triste vie. Mais prétendre que tout avait commencé dans un avion serait faire outrage à la vérité, car les tout premiers évènements s’étaient déroulés la nuit précédente, date à laquelle, par pur souci de rigueur chronologique, je dois faire remonter le début de mes déboires.

Nathalie nous propose sa traduction :

Version - Eduardo Mendoza

— Mesdames et messieurs, au nom du commandant Flippo qui reprend son service aujourd'hui après, il est vrai, une récente opération de la cataracte, nous vous souhaitons la bienvenue à bord du vol 404, à destination de Madrid, ainsi qu'un agréable voyage. La durée approximative du vol sera de cinquante minutes et nous volerons à une altitude de blablabla, blablabla.
Mieux entraînés que moi, les passagers, qui utilisaient le Pont Aérien à cette heure-là, attachèrent leur ceinture de sécurité et glissèrent derrière l'oreille les mégots de cigarettes qu'ils venaient d'éteindre. Les moteurs vrombirent et l'avion se mit à avancer en se balançant de façon inquiétante, ce qui m'amena à penser que s'il se déplaçait ainsi sur terre, que ne ferait-il pas dans les airs de notre belle Espagne. Je regardai à travers le hublot pour voir si, par un divin miracle, nous nous trouvions déjà à Madrid mais je ne pus distinguer que la forme plutôt vague du terminal de El Prat qui reculait dans l'obscurité; c'est alors que je me demandai ce que, peut-être, tout lecteur impatient se demande déjà, à savoir, que faisait un mauvais sujet/pèlerin comme moi sur le Pont Aérien, pour quelles raisons je me rendais dans la capitale du royaume et pourquoi je décris de manière aussi circonstanciée le calvaire auquel se soumettent quotidiennement des milliers d'Espagnols. Ce à quoi je répondrai que c'est précisément à Madrid qu'a débuté l'une des aventures les plus dangereuses, les plus embrouillées et, pour qui saura tirer profit de ce récit, les plus édifiantes de ma triste vie. Quoique, dire que tout a commencé dans un avion serait une entorse à la vérité, car les évènements avaient commencé à s'accélérer la nuit précédente, date à laquelle, par respect pour la rigueur chronologique, je dois faire remonter le début de mes mésaventures/tribulations.

Brigitte nous propose une deuxième version de sa traduction :

— Mesdames et Messieurs les passagers, au nom du commandant Filippo qui, pour tout vous dire, reprend aujourd’hui du service après sa récente opération de la cataracte, nous vous souhaitons la bienvenue à bord du vol 404, à destination de Madrid ainsi qu’un excellent voyage. La durée approximative du vol sera de cinquante minutes et nous volerons à une altitude de… Et patati et patata…
Plus aguerris que moi, les usagers qui prenaient le Barcelone-Madrid à cette heure-ci, bouclèrent leur ceinture de sécurité et gardèrent sur l’oreille le mégot de leur cigarette tout juste éteinte. Les moteurs vrombirent et l’avion se mit à avancer en bringuebalant de façon inquiétante. Cela m’amena à penser que s’il gigotait ainsi sur terre, que n’allait donc pas faire dans le ciel de l’Espagne. Je regardai à travers le hublot pour voir si, par miracle, nous n’étions pas déjà à Madrid, mais je ne distinguai que la silhouette floue du terminal Del Prat qui reculait dans l’obscurité. Je ne pus alors m’empêcher de me poser les questions que tout avide lecteur s’est peut-être déjà posées, à savoir : que fichait donc un pauvre type comme moi/ de mon acabit sur cette ligne, quelles raisons me conduisaient vers la capitale du royaume et pourquoi je décris de manière aussi circonstanciée le calvaire auquel se soumettent quotidiennement des milliers d’espagnol.
Et à cela je répondrai en disant que c’est précisément à Madrid que débuta l’une des aventures les plus périlleuses, les plus embrouillées et, pour qui saura tirer profit de ce récit, les plus édifiantes de ma triste vie. Mais prétendre que tout avait commencé dans un avion serait faire outrage/offense à la vérité, car les tout premiers évènements s’étaient produits la nuit précédente, date à laquelle, par pur souci de la rigueur chronologique, je dois faire remonter le début de mes déboires.

***

Jacqueline nous propose sa traduction :

— Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, au nom du commandant Filipo qui, soit dit en passant, reprend son service aujourd’hui, après avoir subi récemment une opération de la cataracte, nous vous souhaitons la bienvenue à bord du vol 404 à destination de Madrid, ainsi qu’un agréable voyage. La durée approximative du vol sera de cinquante minutes et nous volerons à une altitude… and so and so.
Ayant plus d’expérience que moi, les passagers qui prenaient à cette heure-là le Pont Aérien, bouclèrent leur ceinture de sécurité et fixèrent derrière l’oreille les bouts des cigarettes qu’ils venaient d’éteindre. Les moteurs vrombirent et l’avion se mit en branle avec des oscillations inquiétantes qui me donnèrent à penser que s’il se déplaçait de cette façon-là sur terre, ce serait bien pire dans les cieux d’Espagne. Je regardai par le hublot pour voir si par quelque céleste miracle, nous n’étions pas déjà à Madrid, mais je ne distinguai que la silhouette floue du terminal Del Prat qui reculait dans l’obscurité ; alors je ne pus m’empêcher de me demander ce que tout lecteur insatiable s’est peut-être déjà demandé : mais que faisait donc un pauvre diable tel que moi dans le Pont Aérien, quelles étaient les raisons qui me conduisaient alors vers la capitale du royaume et pourquoi suis-je en train de décrire maintenant avec un tel luxe de détails un calvaire que subissent chaque jour des milliers d’Espagnols. J’y répondrai ceci : c’est précisément à Madrid qu’a débuté l’une des aventures les plus dangereuses, les plus embrouillées et, s’il est possible à quelqu’un de tirer profit de ce récit, les plus édifiantes d’une vie très exposée. Quoique dire que tout a commencé dans un avion serait manquer à la vérité, car les péripéties remontent à la nuit précédente, point de départ, si je veux respecter la rigueur chronologique, des premières manifestations de mon désarroi.

***

Odile nous propose sa traduction :

Mesdames et messieurs les passagers, le commandant Flippo – qui reprend aujourd' hui son service après sa récente opération de la cataracte – et son équipage vous souhaitent la bienvenue à bord du vol 404 à destination de Madrid et vous souhaitent un agréable voyage. La durée approximative du vol sera de cinquante minutes et nous volerons à une altitude, etc.
Plus habitués que moi, les passagers qui à cette heure empruntaient le pont aérien attachèrent leur ceinture de sécurité et se calèrent derrière l'oreille le mégot de la cigarette qu'il venaient d'éteindre. Les moteurs ronronnèrent et l'avion se mit à avancer tout en oscillant de façon inquiétante et je me dis, que s'il bougeait ainsi au sol, on pouvait s'attendre à tout dans le ciel espagnol. Je regardai par le hublot pour voir si, par miracle, nous n'étions pas déjà arrivés à Madrid, mais je ne distinguai que l'image floue du terminal de l'aéroport du Prat qui s'éloignait dans l'obscurité et je ne pus m'empêcher de me demander ce que peut-être un lecteur avide se demande déjà, c'est à dire : que pouvait bien faire un paumé tel que moi sur ce pont aérien, quelles raisons m'amenaient à la capitale du royaume et pourquoi je décris avec tant de détails ce calvaire auxquel se soumettent quotidiennement des milliers d' Espagnols. À cela je répondrai que c'est à Madrid, précisément, qu'avait commencé une des aventures les plus dangereuses, les plus embrouillées et, pour qui saura tirer profit de ce récit, les plus édifiantes de mon existence cahotique. Cependant, dire que tout a commencé dans l'avion serait manquer à la vérité, car les premiers évènements s'étaient déroulés la nuit précédente, date à laquelle, au nom de la rigueur chronologique, je dois faire remonter le début de mes ennuis.

9 commentaires:

Tradabordo a dit…

Est-ce qu'il ne faudrait pas travailler davantage le "por cierto" ?

Tradabordo a dit…

Etc. suivi de points de suspension ou répété est un pléonasme.

Tradabordo a dit…

"ce qui me fit penser" / pour éviter les trois "que", "qui" successifs, préférer une forme plus neutre (coordination, par exemple):
et je me dis qu'à le voir se mouvoir ainsi/de la sorte sur terre, on pouvait s'interroger sur ce qu'il allait bien pouvoir faire dans le ciel d'Espagne.

Tradabordo a dit…

"Je ne pus alors m’empêcher de me demander ce qu’un lecteur avide s‘était peut-être déjà demandé".
N'y a-t-il pas dans la phrase ci-dessus une erreur de temps?

Tradabordo a dit…

ce calvaire / LE calvaire (il est défini après)

Tradabordo a dit…

Puente aereo pose un problème :
En français, nous n'avons que l'idée militaire du pont aérien. La particularité espagnole regarde les liaisons intérieures très fréquentées, et en tout premier lieu la ligne Madrid-Barcelone.
Que faire?
Garder en espagnol ? Traduire par "ligne intérieure" ? Par "pont aérien" (en tout état de cause, ne pas garder les majuscules !)? Par "pont aérien Barcelone-Madrid"?

Tradabordo a dit…

Après lecture de la traduction de Brigitte et Nathalie, j'insiste sur la nécessité de travailler le "por cierto" du début…

Tradabordo a dit…

Après lecture de la deuxième version de la traduction de Brigitte, je pense qu'il y a du mieux pour "por cierto"… mais, ne pouvez-vous trouver quelque chose qui traduirait davantage l'humour ?

Tradabordo a dit…

Après concertation, nous avons tranché sur la question "por cierto" : "soit dit en passant".
Voilà au moins un problème réglé !