lundi 17 novembre 2008

Compte rendu du cours de références culturelles de l'Espagne, séance du 17 novembre

La totalité de la séance a été consacrée à la traduction du texte de Marcelino Menéndez y Pelayo qui a fait récemment l’objet d’un post (Cf mercredi 12 novembre pour la version originale).

ESSAI n°1

Un des traits de l’orthodoxie espagnole à toutes les époques qui attire le plus fortement l’attention est son manque d’originalité et cette pauvreté d’esprit personnel augmente chez nos contemporains et leurs prédécesseurs immédiats. Si Servet et Miguel de Molinos, trouvèrent quelques éléments relativement nouveaux, même si elle est relative, et encore seulement en ce qui relève de la forme du système, pour ce qui est de nos dissidents du passé et du siècle présent, on peut clairement affirmer, sans pêcher par injustice ou parti pris, qu’ils se sont contentés du très modeste rôle de traducteurs et d’exposants, en général mauvais et en retard, de ce qui était en vogue à l’extérieur. Étant donné donc que l’hétérodoxie espagnole n’est qu’une pauvre et tristissime séquelle de doctrines et d’élans étrangers, il faut bien donner une idée des origines de l’impiété moderne, de la même façon que nous avons exposé les antécédents de la Réforme avant de parler des protestants espagnols du XVI ème siècle. La négation de la divinité du Christ est la grande hérésie capitale des temps modernes : application logique du libre examen, proclamé par quelques- uns des coryphées de la Réforme, bien qu’aucun d’eux n’ait calculé sa portée ni ses conséquences, ni ne se soit risqué à nier l’autorité de la révélation. Les hérésies partielles, isolées, sur tel ou tel point du dogme, les subtilités dialectiques, les controverses d’école, ne sont pas les fruits de notre époque. Celui qui, aux premiers temps du christianisme, s’écartait de la doctrine de l’Eglise en matière de Trinité, ou de l’Incarnation, ou de justification, ne contredisait pas pour autant le point de vue orthodoxe, pas plus qu’il ne niait le caractère divin de l’Église elle-même et de son Fondateur. Au contraire, l’hérésie moderne est une hérésie complètement hérétique seulement lorsqu’elle naît de la Chrétienté : apostasie, dès lors que ses partisans renient tous les dogmes chrétiens, quand ce ne sont pas les principes mêmes de la religion naturelle et des vérités que l’entendement humain peut atteindre par lui-même. Là réside l’impiété moderne dans ses diverses nuances de l’athéisme, du déisme, du naturalisme, de l’idéalisme, etc. La filiation de ces sectes remonte bien au-delà du Christianisme, et à côté du christianisme, elles ont toujours vécu, plus ou moins dans l’ombre, et ne refaisant surface que rarement, avant le XVII ème siècle. Toutes les erreurs de la philosophie païenne, toutes les aberrations et les délires de l’esprit humain, livré à ses propres forces, attiédies et affaiblies par la passion et la concupiscence, ont eu quelques sectateurs, quoique rarissimes, même aux siècles les plus obscurs du Moyen-Age. Que sont-elles, les théories de Roscelin et des autres nominalistes du Moyen-Age, moins audacieux que leur maître, si ce n’est les indices et comme les premières lueurs du positivisme- ou de l’empirisme moderne ? Le rationalisme théologique ne pointe-t-il pas chez Abélard ? Et cela avant même l’introduction des textes orientaux, et avant l’influence des arabes et des juifs, qui ont inspiré le panthéisme d’Amaury de Chartres et David de Dinant, qui ont réduit la haute doctrine émanatiste de la Source de Vie, d’Avicébron, à des formules d’ontologie abruptes et précises, en tirant d’elles jusqu’à des conséquences sociales, et en donnant à leur philosophie un caractère populaire, ce qui en fit un auxiliaire très efficace pour la rébellion albigeoise. Mais entre tous les penseurs de race sémite importés dans les écoles chrétiennes, aucun n’eut autant d’influence ni si désastreuse qu’Averroès, non seulement par se propres doctrines, de l’intellect unique ou de la raison impersonnelle, et de l’éternité du monde, mais aussi par l’appui que son nom vint à donner à l’impiété grossière et matérialiste de la cour de Frédéric II et des derniers Hohenstaufen. La formule de cette école, premier vagissement de l’impiété moderne, est le titre de cet apochryphe De tribus impostoribus, ou le conte des trois anneaux de Boccace. Cette impiété avérroiste, qui en Espagne, n’eut qu’un adepte et très peu connu, et qui fut extirpée de l’université de Paris, en même temps que l’avérroisme métaphysique et sérieux, par les glorieux efforts de Saint Thomas et de toute l’école des Dominicains, s’épanouit, librement et avec hardiesse en Italie, rongeant les entrailles de cette société beaucoup plus que le si vanté paganisme de la Renaissance. L’illustre Pétrarque, maître des humanistes, détesta et maudit la barbarie d’Averroès : les artistes chrétiens se complurent à le peindre opprimé et foulé aux pieds par Angel de las Escuelas : mais, même ainsi, le commentateur régna triomphant, non pas dans les amphithéâtres de Florence, illuminés par la lumière de Platon que rallumaient Marsile Ficin et les commensaux de Laurent le Magnifique, mais à Bologne et Padoue, foyer des études juridiques et dans la Venise marchande et quelque peu positiviste.
En même temps que contre la Réforme, l’Église dut lutter au XVI les efforts, encore désordonnés et impuissants, de ces hétérodoxies les plus radicales, qui, pour l’être à un aussi haut point, ne jouissaient pas de prestige dans le cœur des foules, et ne nourrissaient que des penseurs très peu nombreux et isolés, également haïs par les catholiques et les protestants. En dehors de l’avérroisme, qui dans les universités précédemment citées, eut des chaires jusqu’à la moitié du XVII ème, et à Venise des imprimeurs dévoués à sa cause, malgré la longueur et le fatras de ses commentaires et la faible estime qui allait en croissant dans laquelle le style et les formes du Moyen-Age étaient en train de tomber, pour ce qui est des autres impiétés, on ne découvre aucune trace d’école ni de tradition. Pomponace a nié l’immortalité de l’âme, parce qu’il ne la trouvait pas chez Aristote, selon sa façon de le comprendre, et encore moins chez son commentateur Alexandre d’Aphrodise. Le Concile de Latran de 1512 condamna ses idées ; Augustin Nifo et beaucoup d’autres les combattirent et à vrai dire elles furent peu suivies, tombant plus tard dans l’oubli, à tel point que seules quelques propositions matérialistes très timides et voilées et encore chez des auteurs très peu connus, peuvent être tirées de la littérature italienne des XVI et XVII èmes siècles.

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