vendredi 5 décembre 2008

Des apprentis traducteurs allemands…


Du côté de nos voisins, les apprentis traducteurs allemands, par Jacqueline

L’article ci-dessous – qui date un peu, mais des lectures plus récentes semblent montrer qu’il est toujours d’actualité – est de Fritz Nies, professeur à l’université de Düsseldorf, spécialiste du plurilinguisme, auteur notamment de : "Les enjeux scientifiques de la traduction, échanges franco-allemands en sciences humaines et sociales". Cet article a été publié dans la revue semestrielle Trans littérature – n° 10 décembre 1995 - dans une traduction de l’allemand faite par Michèle Creff ; il fait allusion à Elmar Tophoven, remarquable traducteur de Samuel Beckett et enseignant à l’ENS à Paris, qui a fondé en Allemagne en 1978 le 1er Collège de traducteurs littéraires européen (qui servira de modèle au CITL, dix ans plus tard).
On peut remarquer à la lecture de ce qui suit le degré d’exigence de nos voisins quant au recrutement et au contenu du cursus. On peut constater également que nous n’avons pas à rougir de notre propre formation, tout aussi riche et diversifiée.

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« L’idée germa à Paris au cours d’une longue conversation que j’eus avec Elmar Tophoven au café Le Bonaparte, place Saint-Sulpice : il fallait améliorer la formation des traducteurs littéraires et, par ce biais, à plus ou moins longue échéance, leur statut, en établissant une coopération systématique entre l’université et les praticiens. C’est ainsi que naquit, en 1987, à l’université Heinrich-Heine de Düsseldorf, non loin de Staelen, un cursus complet d’études de traduction littéraire, le premier du genre en Europe.

Depuis, trente-sept diplômes y ont été délivrés et, actuellement, environ deux cent vingt-cinq étudiants et étudiantes (celles-ci sont majoritaires) suivent cette filière. Ils ont, au préalable, satisfait aux conditions d’inscription : avoir obtenu, à l’équivalent du baccalauréat, au moins une mention « bien » dans les deux langues étrangères choisies, ainsi qu’en allemand, la langue-cible. A défaut, il leur a fallu passer un examen d’admission comportant une épreuve écrite de quatre heures, afin de prouver qu’ils possédaient le niveau requis.

Cette filière s’assigne pour but de donner aux traducteurs littéraires une formation répondant aux exigences de leur futur métier, mais aussi d’élargir le réservoir des professionnels du livre, du théâtre, de la critique littéraire, capables d’élaborer des programmes d’édition ou de représentation et d’émettre des jugements fiables sur la qualité des traductions. Les études, d’une durée de quatre ans, portent sur deux langues étrangères, dont l’une est matière principale et l’autre matière secondaire, ce qui correspond aux compétences courantes d’un traducteur littéraire professionnel dans le monde germaphone. L’étudiant a le choix entre l’anglais, le français (l’une au moins de ces deux langues étant obligatoire), l’italien, l’espagnol, autrement dit, les langues les plus présentes sur le marché allemand de la traduction.

Le cursus allie judicieusement théorie et pratique. Sont abordés des domaines bien précis de la linguistique et de la littérature (histoire de la littérature moderne, étude des genres, grammaire contrastive, lexicologie, idiomatique, stylistique), l’accent étant mis, comte tenu des points forts du marché, sur la langue et la littérature contemporaines. A cela s’ajoute un faisceau d’options (histoire et théorie de la traduction, traduction comparative, situation de la profession, pratique de l’écriture, analyse stylistique, traduction des principaux genres de textes -prose narrative, textes parlés, etc …), options dont l’étudiant doit obligatoirement choisir un certain nombre.

Quant aux liens avec la pratique professionnelle, ils sont assurés par un ensemble de conférences, débats et rencontres, ainsi que par l’intervention, dans le programme régulier d’enseignement, de traducteurs chevronnés et de spécialistes du monde de l’édition et des médias. Est-il bien nécessaire de préciser que, dès le début, Elmar Tophoven, puis Erika Tophoven ont compté parmi les experts ? A plusieurs reprises, nous avons organisé des manifestations spéciales présentant, à côté d’auteurs français, leurs traducteurs allemands. Enfin, le cursus comprend également des stages pratiques au Collège européen des traducteurs de Staelen, fondé par Elmar Tophoven, ainsi que dans l’édition, le théâtre ou la presse.

Les perspectives d’emploi de nos jeunes diplômés sont incontestablement bonnes. Comme on sait, les pays germaphones sont ceux où l’on traduit le plus : en une trentaine d’années, sur le seul marché du livre de l’ancienne République fédérale, le nombre des traductions a presque quintuplé et, pour ce qui concerne les langues étudiées à Düsseldorf, les livres traduits sont passé de cinq mille en 1985 à neuf mille au début des années 1990. Les besoins du marché en traducteurs littéraires sont donc plus élevés que jamais et que partout ailleurs, les prévisions d’avenir allant encore dans le sens d’une nette augmentation. Aussi nos diplômés ont-ils pratiquement tous réussi leur entrée dans la vie professionnelle, comme traducteurs, mais aussi parfois comme collaborateurs de maisons d’édition. Il arrive même que des étudiants à un stade avancé de leurs études se voient proposer des contrats de traduction ou des postes par les éditeurs. On ne s’étonnera donc pas que depuis quelques années, spécialistes et délégations viennent des quatre coins du monde à Düsseldorf pour y observer notre expérience. »

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