dimanche 28 décembre 2008

Devoirs de vacances (Noël), 7

En photo : Roberto Bolaño par 13 point program to…

À faire en 2h30, sans dictionnaire

Antes de abandonar la galería, más que cabizbajos, pensativos, el propietario y único empleado de ésta les contó que pronto el establecimiento cerraría sus puertas. Con un vestido de lamé colgando del brazo, les dijo que la casa, de la que la galería formaba parte, había sido de su abuela, una señora muy digna y avanzada. Al morir la abuela la casa fue heredada por sus tres nietos, en teoría a partes iguales. Pero por entonces él, que era uno de los nietos, vivía en el Caribe, en donde además de aprender a hacer cócteles Margarita se dedicaba a labores de información y espionaje. A todos los efectos era una especie de desaparecido. Un espía hippie de costumbres más bien viciosas, fueron sus palabras. Cuando volvió a Inglaterra se encontró con que sus primos habían ocupado toda la casa. A partir de ese momento empezó a pleitear con ellos. Pero los abogados costaban caro y finalmente se tuvo que conformar con tres habitaciones, en donde puso su galería de arte. Pero el negocio no funcionaba: ni vendía cuadros, ni vendía ropa usada, y pocas personas iban a degustar sus cócteles. Este barrio es demasiado chic para mis clientes, dijo, ahora las galerías están en viejos barrios obreros remodelados, los bares en el tradicional circuito de bares y la gente de por aquí no compra ropa usada. Cuando Norton, Pelletier y Espinoza ya se habían levantado y se disponían a bajar la escalerilla de metal que conducía a la calle, el propietario de la galería les comunicó que, para colmo, en los últimos tiempos había empezado a aparecérsele el fantasma de su abuela. Esta confesión suscitó el interés de Norton y sus acompañantes.
¿La ha visto?, preguntaron. La he visto, dijo el propietario de la galería, al principio sólo oía ruidos desconocidos, como de agua y de burbujas de agua. Unos ruidos que nunca antes había escuchado en esta casa, si bien, al subdividirla para vender los pisos y, por lo tanto, al instalar nuevos servicios sanitarios, alguna razón lógica tal vez explicara los ruidos, aunque él nunca antes los hubiera oído. Pero después de los ruidos vinieron los gemidos, unos ayes que no eran precisamente de dolor sino más bien de extrañeza y frustración, como si el fantasma de su abuela recorriera su antigua casa y no la reconociera, reconvertida como estaba en varias casas más pequeñas, con paredes que ella no recordaba y muebles modernos que a ella le debían de parecer vulgares y espejos donde nunca antes hubo ningún espejo.
A veces el propietario, de tan deprimido que estaba, se quedaba a dormir en la tienda. No estaba deprimido, por supuesto, por los ruidos o gemidos del fantasma, sino por cómo le iba el negocio, al borde de la ruina. En esas noches podía oír los pasos con total claridad, los gemidos de su abuela, que se paseaba por el piso de arriba como si no entendiera nada del mundo de los muertos y del mundo de los vivos. Una noche, antes de cerrar la galería, la vio reflejada en el único espejo que había, en un rincón, un viejo espejo victoriano de cuerpo entero que estaba allí para que las clientas se probaran los vestidos.
Su abuela miraba uno de los cuadros colgados en la pared y luego trasladaba la vista a la ropa que colgaba de los percheros y también miraba, como si aquello ya fuera el colmo, las dos únicas mesas del establecimiento.
Su gesto era de horror, dijo el propietario. Aquélla había sido la primera y la última vez que la había visto, aunque de tanto en tanto volvía a escucharla pasear por los pisos superiores, en donde seguramente se movía a través de las paredes que antes no existían. Cuando Espinoza le preguntó por la naturaleza de su antiguo trabajo en el Caribe, el propietario sonrió tristemente y les aseguró que no estaba loco, como cualquiera hubiera podido creer. Había sido espía, les dijo, de la misma forma en que otros trabajan en el censo o en algún departamento de estadística. Las palabras del propietario de la galería, sin que ellos pudieran precisar el porqué, los entristecieron muchísimo.

Roberto Bolaño, 2666

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Voici la traduction « officielle » par Robert Amutio (que l'on peut admirativement saluer au passage pour un travail qui représentait pas moins de 1012 pages !), publiée aux Éditions Bourgois, en 2008 :

«Avant que tous trois n'abandonnent la galerie, plus que songeurs, pensifs, le propriétaire et unique employé de celle-ci leur dit que l'établissement allait bientôt fermer ses portes. Une robe en lamé posée sur son bras, il leur dit que la maison, dont la galerie faisait partie, avait appartenu à sa grand-mère, une dame très digne et moderne. À la mort de la grand-mère, les trois petits-fils avaient hérité de la maison, en théorie en parts égales. Mais à l'époque, lui, qui était l'un des petits-fils, vivait dans les Caraïbes, où non seulement il apprenait à confectionner des margaritas, mais se consacrait à des activités de renseignement et d'espionnage. Quoi qu'il en soit, c'était une sorte de disparu. Un espion hippie aux habitudes plutôt tordues, ce furent ses mots. À son retour en Angleterre, il se trouva confronté au fait que ses cousins avaient occupé toute la maison. À patir de ce moment, il commença à être en procès avec eux. Les avocats coûtaient cher et en fin de compte il avait dû se contenter de trois pièces, où il avait installé la galerie d'art. Malheureusement l'affaire ne marchait pas : il ne vendait ni toiles ni fripes, et peu de gens venaient goûter ses cocktails.
— Ce quartier est trop chic pour les clients, dit-il, à présent les galeries se trouvent dans de vieux quartiers ouvriers retapés, les bars dans le circuit traditionnel des bars, et les gens du coin n'achètent pas la fripe.
Alors que Norton, Pelletier et Espinoza s'étaient déjà mis debout et s'apprêtaient à descendre par le petit escalier métallique qui menait à la rue, le propriétaire de la galerie leur apprit que, cerise sur le gâteau, ces derniers temps le fantôme de sa grand-mère avait commencé à lui apparaître. Cet aveu suscita l'intérêt de Norton et de ses accompagnateurs.
— Vous l'avez vue ? demandèrent-ils.
— Je l'ai vue, dit le propriétaire de la galerie, au début je n'entendais que des bruits inconnus, on aurait dit de l'eau et des bouillonnements liquides.
Des bruits qu'il n'avait jamais entendus auparavant dans cette maison, même si, avec la partage pour la vente par appartements et, par conséquent, l'installation de nouveaux sanitaires, quelque raison logique pouvait expliquer ces bruits.
Mais aux bruits avaient succédé les gémissements, des exclamations non pas de douleur précisément mais bien plutôt de surprise et de frustration, comme si le fantôme de sa grand-mère parcourait son ancienne demeure et ne la reconnaissait pas, reconvertie comme elle l'était en plusieurs logements plus petits, avec des murs dont elle n'avait pas le souvenir, des meubles modernes qu'elle devait trouver vulgaires et des miroirs là où jamais auparavant il n'y en avait eu.
Parfois le propriétaire était si déprimé qu'il restait dormir dans la galerie. Ce n'était pas les bruits ou les gémissements du fantôme qui le déprimaient, évidemment, mais l'état de son affaire, au bord de la faillite. Au cours de ces nuits, il pouvait très nettement entendre les pas, les plaintes de sa grand-mère qui déambulait dans l'appartement de l'étage, comme si elle ne comprenait rien ni au monde des morts ni au monde des vivants. Un soir, avant de fermer la galerie, il la vit refletée dans la seule glace qu'il y avait, dans un coin, une vieille glace victorienne en pied qui était là pour que les clientes essayent les vêtements. Sa grand-mère regardait l'une des toiles accrochées au mur et ensuite faisait glisser son regard sur le vêtements qui pendaient des cintres et regardait aussi, comme si cela dépassait son imagination, les deux seules tables de l'établissement.
Ses traits exprimaient l'horreur, dit le propriétaire. Ça avait été la première et dernière fois qu'il l'avait vue, même si de temps à autre, il l'entendait de nouveau déambuler dans les étages du dessus, où elle se déplaçait certainement à travers les murs qui auparavant n'existaient pas. Lorsque Espinoza l'interrogea sur la nature de son ancien travail dans les Caraïbes, le propriétaire sourit tristement et les assura qu'il n'était pas fou, comme n'importe qui aurait pu le croire. Il avait été espion, leur dit-il, de la même façon que d'autres travaillent au recensement ou dans quelque département de statistiques. Les mots du propriétaire de la galerie, sans qu'ils puissent préciser pourquoi, les plongèrent dans une énorme tristesse. »


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Aurélie Breuil (précision indispensable car il y a plusieurs Aurélie dans le groupe et deux Aurélie B.) nous propose sa traduction :

Avant d’abandonner la galerie, plus que tête basse ils étaient pensifs, le propriétaire et unique employé de celle-ci leur raconta que l’établissement fermerait ses portes sous peu. Avec un habit en tissu lamé suspendu au bras, il leur dit que la maison dont la galerie faisait partie, avait appartenue à sa grand-mère, une dame très digne et très en avance sur son temps. Quand la grand-mère décéda, la maison fut héritée par les trois petits-fils, en théorie à parts égales. Et donc lui, qui était l’un des petits enfants, il vivait aux Caraïbes, ou en plus d’apprendre à faire des cocktails Margarita, il s’adonnait à des taches d’information et d’espionnage.
Aux yeux de tous il était une sorte de disparu. Un espion hippie aux habitudes plutôt vicieuses, selon ses propres mots. Quand il revint en Angleterre, il se retrouva confronté à ses cousins qui avaient occupé toute la maison. A partir de ce moment-là, il engagea des poursuites judiciaires contre eux. Mais les avocats coûtent chers et finalement il fut contraint de se contenter de trois chambres ou il installa sa galerie d’art. Mais les affaires allaient mal : il ne vendait pas de tableaux ni de fripes, et peu de personnes venaient déguster ses cocktails. « Ce quartier est trop chic pour ma clientèle, dit-il, de nos jours les galeries d’art sont dans de vieux quartiers ouvriers remodelés, les bars dans le traditionnel circuit des bars et les gens d’ici n’achètent pas de fripes. » Quand Norton, Pelletier et Espinoza, déjà levés et prêts à descendre le petit escalier en métal qui conduisait à la rue, le propriétaire de la galerie, leur communiqua que, comble de l’histoire, ces derniers temps, le fantôme de sa grand-mère avait commencé à lui apparaître. Cette confession suscita l’intérêt de Norton et de ses accompagnateurs.
« Vous l’avez vue ? , demandèrent-ils.
_Je l’ai vue, dit le propriétaire de la galerie, au début j’entendais seulement des bruits inconnus, comme de l’eau et des bulles d’eau. C’étaient des bruits que je n’avais jamais entendus avant, même quand on avait sous diviser la maison pour vendre les appartements, et que par conséquent on avait installer de nouveaux sanitaires. » Cela aurait été peut être une raison logique expliquant ces bruits bien qu’il ne les avait jamais entendus auparavant. Mais après les bruits, il y eut des gémissements, des ‘aïs’ qui n’étaient pas précisément de douleur mais plutôt d’étrangeté et de frustration, comme si le fantôme de sa grand-mère parcourait son ancienne demeure, et ne la reconnaissait pas, reconvertie en de nombreuses maisons plus petites, avec des murs dont elle se souvenait pas et des meubles modernes qui devaient lui sembler vulgaires et des miroirs ou il n’y avait jamais eu avant aucun miroir.
Parfois le propriétaire était si déprimé, qu’il restait dormir dans sa boutique. Il n’était pas déprimé, naturellement, par les bruits et par les gémissements du fantôme, mais à cause du tournant que prenaient les affaires, au bord de la ruine. Ces nuits-là, il pouvait entendre les pas dans une clarté totale, les gémissements de sa grand-mère qui se promenait dans l’appartement d’au-dessus comme si elle ne comprenait rien au monde des morts ni au monde des vivants.
Une nuit, avant de fermer la galerie, il la vit reflétée dans l’unique miroir qu’il y avait, dans un coin, un vieux miroir victorien, ou l’on se voyait de pied qui était là pour que les clientes essaient les vêtements.
Sa grand-mère regardait un des tableaux accrochés au mur et ensuite promenait son regard sur les vêtements accrochés aux cintres, et elle regardait aussi, comme si cela avait été le comble, les deux seules tables de l’établissement.
« Son geste était d’horreur, » dit le propriétaire.
Cette fois-ci avait été la première et la dernière fois qu’il l’avait vue, bien que parfois il l’entendît à nouveau se promener dans les appartements au-dessus, ou sûrement elle se déplaçait à travers les murs qui avant n’existaient pas.
Quand Espinoza lui demanda quant à la nature de son ancien travail dans les Caraïbes, le propriétaire leur sourit tristement et leur assura qu’il n’était pas fou, comme quiconque aurait pu le croire. Il avait été espion, leur dit il, de la même manière que d’autres travaillaient dans le recensement ou dans un département de statistiques. Les mots du propriétaire de la galerie, sans qu’ils pussent préciser le pourquoi, les attristèrent beaucoup.

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À 19h00, je reçois la proposition de traduction d'Aurélie Bianchi – oui, oui, l'une des fondatrices de tradabordo… qui prépare actuellement le CAPES. Quand je vous disais qu'il y a plusieurs Aurélie B. et qu'il faut préciser pour ne pas se tromper. Dorénavant, ce sera Aurélie Bre. et Aurélie Bia.

Aurélie Bia. nous propose sa traduction :
Avant d’abandonner la galerie, plus pensifs que têtes basses, le propriétaire et unique employé de celle-ci leur expliqua que l’établissement fermerait bientôt ses portes. Une robe en lamé en écharpe sur son bras, il leur dit que la maison, dont la galerie faisait partie, avait appartenue à sa grand-mère, une dame très digne et d’un âge avancé. Quand sa grand-mère mourut, ses trois petits-fils héritèrent de la maison, théoriquement en parts égales. Mais à cette époque-là, lui, qui était un de ces petits-fils, vivait dans les Caraïbes où, en plus d’apprendre à faire des cocktails de margarita, il se vouait à des travaux d’information et d’espionnage. Il en résulta qu’il était une sorte de disparu. Un espion hippie aux coutumes plutôt vicieuses, ce furent ses propres mots. Quand il rentra en Angleterre, il se heurta au fait que ses cousins avaient occupé toute la maison. A partir de ce moment-là, il commença à les poursuivre en justice. Mais les avocats coûtaient cher et, finalement, il dut se contenter de trois chambres où il établit sa galerie d’art. Mais son commerce ne marcha pas : il ne vendait pas de tableaux, pas plus qu’il ne vendait de vêtements, et peu de gens venaient déguster ses cocktails. Ce quartier est trop chic pour mes clients, ajouta-t-il, aujourd’hui les galeries se trouvent dans de vieux quartiers ouvriers remodelés, les bars dans les traditionnels circuits de bars et les gens d’ici n’achètent pas de vêtements usés. Alors que Norton, Pelletier et Espinoza s’étaient déjà levés et s’apprêtaient à descendre le petit escalier en métal qui menait à la rue, le propriétaire de la galerie leur communiqua que, le comble, c’était que ces derniers temps le fantôme de sa grand-mère commençait à lui apparaître. Cette confession suscita l’intérêt de Norton et de ses compagnons.
Vous l’avez vue ? demandèrent-ils. Je l’ai vue, répondit le propriétaire de la galerie. Au début il n’entendait que des bruits inconnus, comme de l’eau ou des bulles d’eau. Des bruits que jamais auparavant il n’avait entendus dans cette maison, quoique, en la subdivisant pour vendre les appartements et, par conséquent, en installant les nouveaux sanitaires, il y aurait sans doute eu une raison logique aux bruits, même si lui ne les avait jamais entendus. Mais après les bruits vinrent les gémissements, des aies qui n’étaient pas vraiment dus à la douleur mais plutôt à la surprise et à la frustration, comme si le fantôme de sa grand-mère parcourait son ancienne maison et ne la reconnaissait pas, transformée comme elle était en plusieurs maisons plus petites, avec des murs dont elle ne se rappelait pas, et des meubles modernes qui devait lui sembler vulgaires, et des miroirs là où il n’y avait jamais eu aucun miroir avant.
Parfois le propriétaire, tout déprimé qu’il était, restait dormir dans la boutique. Il n‘était pas déprimé, bien sûr, à cause des bruits et des gémissements du fantôme, mais à cause de l’état de son commerce, au bord de la ruine. Ces nuits-là, il pouvait entendre les pas très nettement, les gémissements de sa grand-mère, qui se promenait l’étage au-dessus comme si elle ne comprenait rien au monde des morts et au monde des vivants. Un soir, avant de fermer la galerie, il la vit se refléter dans l’unique miroir qu’il y avait, dans un coin, un vieux miroir victorien en pied qui était là pour que les clientes essayent les robes.
Sa grand-mère regardait un des cadres suspendus au mur et ensuite dirigeait son regard vers les vêtements qui pendaient sur les tringles et elle regardait aussi, comme si cela était à présent le comble, les deux seules tables de l’établissement.
Son geste était un geste d’horreur, dit le propriétaire. Cette fois-là avait été la première et dernière fois qu’il l’avait vue, bien que de temps en temps il la réentendait se promener aux étages supérieurs, où elle marchait sûrement à travers les murs qui avant n’existaient pas. Lorsqu’Espinoza lui posa des questions à propos de son ancien travail dans les Caraïbes, le propriétaire sourit tristement et leur assura qu’il n’était pas fou, comme quiconque aurait pu le croire. Il avait été un espion, leur répéta-t-il, de la même façon que d’autres travaillent dans les recensements ou dans n’importe quel bureau de statistique. Les paroles du propriétaire de la galerie, sans qu’eux ne puissent dire pourquoi, les attristèrent énormément.

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Brigitte nous propose sa traduction :

Avant de quitter la galerie, plus pensifs qu’abattus, le propriétaire et unique employé du lieu, leur annonça que l’établissement fermerait bientôt ses portes.
Un vêtement en lamé sur le bras, il leur dit que la maison, dont la galerie faisait partie intégrante, avait appartenu à sa grand-mère, une dame très digne et très en avance sur son temps. A sa mort, ses trois petits-fils avaient hérité de la maison de l’aïeule, théoriquement à parts égales. Mais à ce moment-là, lui, qui était l’un des trois petits-fils, vivait aux Caraïbes, où en plus d’apprendre à préparer des cocktails Margarita, il se consacrait à des activités de renseignement et d’espionnage. A tous points de vue, il était une sorte de porté disparu. Un espion hippie aux mœurs plutôt dépravées, selon ses propres mots.
De retour en Angleterre, il trouva la maison entière investie par ses cousins. C’est à partir de ce jour qu’il entra en procès contre eux. Mais les avocats coûtaient cher et il dut finalement se contenter de trois pièces où il avait installé sa galerie d’art. Et les affaires ne marchaient pas fort. Il ne vendait pas de tableaux, ne vendait pas non plus de fripes et peu de gens venaient déguster ses cocktails. Ce quartier est trop chic pour mes clients, se dit-il, maintenant, les galeries sont dans les anciens quartiers ouvriers réhabilités, les bars dans le traditionnel circuit des bars et les gens du coin n’achètent pas de vêtements de deuxième main. Alors que Norton, Pelletier et Espinoza s’étaient déjà levés et s’apprêtaient à descendre l’escalier métallique menant à la rue, le propriétaire de la galerie leur signala qu’en plus, ces derniers temps, le fantôme de sa grand-mère avait commencé à réapparaître. Cette confidence éveilla l’intérêt de Norton et de ses acolytes.
Vous l’avez vue ?, lui demandèrent-ils. Je l’ai vue, dit le propriétaire de la galerie, au début je n’entendais que des bruits inconnus, comme de l’eau ou des bulles*. Des bruits que je n’avais jamais entendus auparavant dans cette maison, et pourtant, en la divisant pour vendre les appartements et, en installant de nouveaux sanitaires, il y avait bien une raison logique qui explique peut-être ces bruits, même si lui n’avait jamais entendu ces bruits-là auparavant.
Mais après les bruits, ce furent des gémissements, des plaintes qui n’étaient pas exactement de douleur mais plutôt d’étonnement et de frustration, comme si le fantôme de sa grand-mère avait parcouru son ancienne demeure et qu’elle ne l’avait pas reconnue, réhabilitée comme elle l’était en plusieurs appartements plus petits, avec des murs qu’elle ne reconnaissait pas et des meubles modernes qui devaient lui sembler bien ordinaires et des miroirs qui n’avaient jamais renvoyé aucun reflet auparavant.
Le propriétaire était tellement déprimé que, parfois, il restait dormir au magasin. Ce n’était pas les bruits ou les gémissements du fantôme qui le déprimaient, naturellement, mais la façon dont allait son commerce : au bord de la faillite.
Au cours de ces nuits-là, il pouvait entendre distinctement les pas, les gémissements de sa grand-mère qui déambulait à travers l’appartement du dessus comme si elle ne comprenait rien ni au monde des morts ni au monde des vivants.
Un soir, avant de fermer la galerie, il vit son reflet dans l’unique miroir qu’il y avait, dans un coin, un vieux miroir de l’époque victorienne, pour que les clientes puissent se voir en pied lors lorsqu’elles essayaient les robes.
Sa grand-mère regardait un des tableaux accrochés au mur et elle déplaçait son regard sur les vêtements suspendus aux portants et elle regardait aussi, comme si c’était le comble, les deux uniques tables du magasin.
Son expression était celle de l’horreur, dit le propriétaire. C’était la première et la dernière fois qu’il l’avait vue, même si de temps à autre il l’entendait encore se promener aux étages supérieurs où elle devait sans doute se déplacer à travers les cloisons qui n’existaient pas avant.
Quand Espinoza l’interrogea sur la nature de son ancien emploi aux Caraïbes, le propriétaire sourit tristement et il lui assura qu’il n’était pas fou, comme quiconque aurait pu le croire.
Il avait été espion, leur dit-il, comme d’autres travaillent au recensement ou dans un quelconque département de statistiques.
Les paroles du propriétaire de la galerie, sans savoir trop bien dire pourquoi, les attristèrent beaucoup.

* glou glou

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Odile nous propose sa traduction :

Avant d'abandonner la galerie, plus que songeurs, pensifs, son propriétaire et unique employé leur raconta que l'établissement fermerait bientôt ses portes. Une robe en lamé posée sur son bras, il leur dit que la maison, dont la galerie faisait partie, avait appartenu à sa grand-mère, une dame très digne et moderne. Lorsque la grand-mère mourut, la maison échut en héritage à ses trois petits-enfants, théoriquement à parts égales. Mais à l'épque, lui, qui était un des petits-enfants, vivait aux Caraïbes où non seulement il apprenait à confectionner des cocktails Margarita, mais se consacrait à des activités de renseignement et d'espionnage. Quoiqu'il en soit, il était une sorte de disparu.Un espion hippie aux coutumes plutôt bizarres, ce furent ses mots. Lorsqu'il revint en Angleterre, ses cousins s'étaient installés dans toute la maison. A partir de ce moment, il avait commencé à être en procès avec eux. Mais les avocats coûtaient cher et finalement il dut se contenter de trois pièces dans lesquelles il installa la galerie d'art. Mais les affaires ne marchaient pas: il ne vendait ni toiles, ni fripes et rares étaient ceux qui venaient déguster ses cocktails. Ce quartier est trop chic pour mes clients, dit-il, maintenant les galeries se trouvent dans des vieux quartiers ouvriers rénovés, les bars dans le traditionnel circuit de bars et les gens d'ici n'achètent pas de fripes. Alors que Norton, Pelletier et Espinoza étaient déjà debout et s'apprêtaient à descendre l'escalier métallique qui menait à la rue, le propriétaire de la galerie leur apprit que, par dessus le marché, dernièrement le fantôme de sa grand-mère lui était apparu. Cette confession suscita l'intérêt de Norton et de ceux qui l'accompagnaient.
Vous l'avez vue?, demandèrent-ils. Je l'ai vue, dit le propriétaire de la galerie, au début j'entendais seulement des bruits inconnus, on aurait dit de l'eau, de l'eau bouillonnante. Des bruits qu'il n'avait jamais entendus dans cette maison, cependant, le partage pour la vendre en appartements, et par là-même l'installation de nouveaux sanitaires, pouvait peut-être les expliquer, même s'il ne les avait jamais entendus auparavant. Mais après les bruits vinrent les gémissements, des exclamations, non pas de souffrance mais plutôt de surprise et de frustration, comme si le fantôme de sa grand-mère parcourait son ancienne maison sans la reconnaître, reconvertie comme elle l'était en plusieurs logements plus petits, avec des cloisons dont elle ne se souvenait pas, des meubles modernes qui devaient lui paraître vulgaires et des miroirs là où autrefois il n'y en avait pas.
Parfois, le propriétaire était si déprimé qu'il restait dormir sur place. Il n'était pas déprimé à cause des bruits ou des plaintes du fantôme, bien sûr, mais plutôt par la marche de son affaire, au bord de la faillite. Ces nuits-là, il pouvait entendre très nettement les pas et les plaintes de sa grand-mère errant à l'étage supérieur comme si elle ne comprenait rien du monde des morts ni du monde des vivants. Un soir, avant de fermer la galerie, il la vit reflétée dans le seul miroir qu'il y avait, dans un coin, un vieux miroir en pied, de style victorien, qui était là pour que les clientes essaient les vêtements
Sa grand-mère regardait une des toiles accrochée au mur, puis les vêtements qui pendaient sur les cintres et regardait aussi, comme si cela était le pire, les deux uniques tables de l'établissement. Elle semblait horrifiée, dit le propriétaire. C' était la première et le dernière fois qu'il l'avait vue, même si de temps en temps il l'entendait de nouveau déambuler dans les étages supérieurs, où elle devait certainement traverser les murs qui auparavant n'existaient pas. Lorsque Espinoza s'enquit de la nature de son ancien travail dans les Caraïbes, le propriétaire sourit tristement et les assura qu'il n'était pas fou, comme n'importe qui aurait pu le croire. Il avait été espion, leur dit-il, de la même façon que d'autres travaillent au recensement ou dans quelque département des statistiques. Les mots du propriétaire de la galerie, sans qu'ils puissent dire pourquoi, les plongèrent dans une grande tristesse.

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