lundi 12 janvier 2009

Devoirs de vacances (Noël), 23

En photo : El leñador par Koke Leiva

À faire en… En fait, prenez donc votre temps.

El disco

Soy leñador. El nombre no importa. La choza en que nací y en la que pronto habré de morir queda al borde del bosque. Del bosque dicen que se alarga hasta el mar que rodea toda la tierra y por el que andan casas de madera iguales a la mía. No sé; nunca lo he visto. Tampoco he visto el otro lado del bosque. Mi hermano mayor, cuando éramos chicos, me hizo jurar que entre los dos talaríamos todo el bosque hasta que no quedara un solo árbol. Mi hermano ha muerto y ahora es otra cosa la que busco y seguiré buscando. Hacia el poniente corre un riacho en el que sé pescar con la mano. En el bosque hay lobos, pero los lobos no me arredran y mi hacha nunca me fue infiel. No he llevado la cuenta de mis años. Sé que son muchos. Mis ojos ya no ven. En la aldea, a la que ya no voy porque me perdería, tengo fama de avaro, pero ¿qué puede haber juntado un leñador del bosque?
Cierro la puerta de mi casa con una piedra para que la nieve no entre. Una tarde oí pasos trabajosos y luego un golpe. Abrí y entró un desconocido. Era un hombre alto y viejo, envuelto en una manta raída. Le cruzaba la cara una cicatriz. Los años parecían haberle dado más autoridad que flaqueza, pero noté que le costaba andar sin el apoyo del bastón. Cambiamos unas palabras que no recuerdo. Al fin dijo:
–No tengo hogar y duermo donde puedo. He recorrido toda Sajonia.
Esas palabras convenían a su vejez. Mi padre siempre hablaba de Sajonia; ahora la gente dice Inglaterra.
Yo tenía pan y pescado. No hablamos durante la comida. Empezó a llover. Con unos cueros le armé una yacija en el suelo de tierra, donde murió mi hermano. Al llegar la noche dormimos.
Clareaba el día cuando salimos de la casa. La lluvia había cesado y la tierra estaba cubierta de nieve nueva. Se le cayó el bastón y me ordenó que lo levantara.
–¿Por qué he de obedecerte? –le dije.
–Porque soy un rey –contestó.
Lo creí loco. Recogí el bastón y se lo di.
Habló con una voz distinta.
–Soy rey de los Secgens. Muchas veces los llevé a la victoria en la dura batalla, pero en la hora del destino perdí mi reino. Mi nombre es Isern y soy de la estirpe de Odín.
–Yo no venero a Odín –le contesté–. Yo venero a Cristo.
Como si no me oyera continuó:
–Ando por los caminos del destierro pero aún soy el rey porque tengo el disco. ¿Quieres verlo?
Abrió la palma de la mano que era huesuda. No había nada en la mano. Estaba vacía. Fue sólo entonces que advertí que siempre la había tenido cerrada.
Dijo, mirándome con fijeza:
–Puedes tocarlo.
Ya con algún recelo puse la punta de los dedos sobre la palma. Sentí una cosa fría y vi un brillo. La mano se cerró bruscamente. No dije nada. El otro continuó con paciencia como si hablara con un niño:
–Es el disco de Odín. Tiene un solo lado. En la tierra no hay otra cosa que tenga un solo lado. Mientras esté en mi mano seré el rey.
–¿Es de oro? –le dije.
–No sé. Es el disco de Odín y tiene un solo lado.
Entonces yo sentí la codicia de poseer el disco. Si fuera mío, lo podría vender por una barra de oro y sería un rey.
Le dije al vagabundo que aún odio:
–En la choza tengo escondido un cofre de monedas. Son de oro y brillan como el hacha. Si me das el disco de Odín, yo te doy el cofre.
Dijo tercamente.
–No quiero.
–Entonces –dije– puedes proseguir tu camino.
Me dio la espalda. Un hachazo en la nuca bastó y sobró para que vacilara y cayera, pero al caer abrió la mano y en el aire vi el brillo. Marqué bien el lugar con el hacha y arrastré el muerto hasta el arroyo que estaba muy crecido. Ahí lo tiré.
Al volver a mi casa busqué el disco. No lo encontré. Hace años que sigo buscando.

Jorge Luis Borges, « El disco », in El libro de arena

***

La traduction « officielle », par Françoise Rosset, Le Livre de sable, Gallimard :

Je suis bûcheron. Peu importe mon nom. La cabane où je suis né et dans laquelle je mourrai bientôt est en bordure de la forêt. IL paraît que cette forêt va jusqu’à la mer qui fait tout le tour de la terre et sur laquelle circulent des maisons de bois comme la mienne. Je n’en sais rien ; je n’ai jamais vu cela. Je n’ai pas vu non plus l’autre bout de la forêt. Mon frère aîné, quand nous étions petits, me fit jurer avec lui d’abattre à nous deux la forêt tout entière jusqu’à ce qu’il ne reste plus un seul arbre debout. Mon frère est mort et maintenant ce que je cherche et que je continuerai à chercher, c’est autre chose. Vers le Ponant court un ruisseau dans lequel je sais pêcher à la main. Dans la forêt, il y a des loups, mais les loups ne me font pas peur et ma hache ne m’a jamais été infidèle. Je n’ai pas fait le compte de mes années. Je sais qu’elles sont nombreuses. Mes yeux n’y voient plus. Dans le village, où je ne vais pas parce que je me perdrais en chemin, j’ai la réputation d’être avare mais quel magot peut bien avoir amassé un bücheron de la forêt ?
Je ferme la porte de ma maison avec une pierre pour que la neige n’entre pas. Un après-midi, j’ai entendu des pas lourds puis un coup frappé à ma porte. J’ai ouvert et j’ai fait entrer un inconnu. C’était un vieil homme, de haute taille, enveloppé dans une couverture élimée. Une cicatrice lui barrait le visage. Son grand âge semblait lui avoir donné plus d’autorité sans lui ôter ses forces, mais je remarquai toutefois qu’il devait s’appuyer sur sa canne pour marcher. Nous avons échangé quelques propos dont je ne me souviens pas. Il dit enfin :
— Je n’ai pas de foyer et je dors où je peux. J’ai parcourus tout le royaume anglo-saxon.
Ces mots convenaient à spn âge. Mon père parlait toujours du royaume anglo-saxon ; maintenant les gens disent Angeleterre.
J’avais du pain et du poisson. Nous avons dîné en silence. La pluie s’est mise à tomber. Avec quelques peaux de bêtes je lui ai fait une couche sur le sol de terre, là même où était mort mon frère. La nuit venue, nous nous sommes endormis.
Le jour se levait quand nous sommes sortis de la maison. La pluie avait cessé et la terre était couverte de neige nouvelle. Il fit tomber sa canne et m’ordonna de la lui ramasser.
— Pourquoi faut-il que je t’obéisse ? lui dis-je.
— Parce que je suis un roi, me répondit-il.
Je pensai qu’il était fou. Je ramassai sa canne et la lui donnai.
Il parla d’une voix changée.
— Je suis le roi des Secgens. Je les ai souvent menés à la victoire en de rudes combats, mais à l’heure marquée par le destin, j’ai perdu mon royaume. Mon nom est Isern et je descends d’Odin.
— Je ne vénère pas Odin, lui répondis-je. Je crois au Christ.
Il reprit, comme s’il ne m’avait pas entendu :
— J’erre par les chemins de l’exil mais je suis encore le roi parce que j’ai le disque. Tu veux le voir ?
Il ouvrit la paume de sa main osseuse. Il n’avait rien dans sa main. Elle était vide. Ce fut alors seulement que je remarquai qu’il l’avait toujours tenue fermée.
Il dit en me fixant de son regard :
— Tu peux le toucher.
Non sans quelque hésitation, je touchai sa paume du bout des doigts. Je sentis quelque chose de froid et je vis comme une lueur. La main se referma brusquement. Je ne dis rien. L’autre reprit patiemment comme s’il parlait à un enfant :
— C’est le disque d’Odin. Il n’a qu’une face. Sur terre il n’existe rien d’autre qui n’ait qu’une face. Tant qu’il sera dans ma main je serai roi.
— Il est en or ? demandai-je.
— Je ne sais pas. C’est le disque d’Odin et il n’a qu’une face.
L’envie me prit de posséder ce disque. S’il était à moi, je pourrais le vendre, l’échanger contre un lingot d’or et je serais un roi.
Je dis à ce vagabond que je hais aujourd’hui encore :
— Dans ma cabane, j’ai un coffre secret plein de pièces. Elles sont en or et elles brillent comme ma hache. Si tu me donnes le disque d’Odin, moi je te donnerai mon coffre.
Il dit d’un air buté :
— Je refuse.
— Eh bien alors, lui dis-je, tu peux reprendre ton chemin.
Il me tourna la dos. Un coup de hache sur sa nuque fut plus que suffisant pour le faire chanceler et tomber, mais en tomant il ouvrit la main et je vis la lueur briller dans l’air. Je marquai l’endroit exact avec ma hache et je traînai le mort jusqu’à la rivière qui était en crue. Je l’y jetai.
En revenant chez moi, j’ai cherché le disque. Je ne l’ai pas trouvé. Voilà des années que je le cherche.

***

Vanessa nous propose sa traduction :

Le disque
Je suis bûcheron. Le nom importe peu. La cabane dans laquelle je suis né et où je mourrai dans peu de temps se situe à l’orée de la forêt. On dit de la forêt, qu’elle se prolonge jusqu’à la mer qui entoure toute la terre et qu’elle abrite d’autres cabanes semblables à la mienne. Mais, moi, je n’en sais rien ; je n’ai jamais rien vu de tout cela. Je n’ai pas non plus vu l’autre côté de la forêt. Mon frère aîné, lorsque nous étions enfants, me fit jurer qu’à nous deux nous couperions toute la forêt jusqu’à ce qu’il ne reste plus un seul arbre. Mon frère est décédé, et désormais, c’est autre chose que je cherche et que je continuerai à chercher. Vers l’ouest coule un petit ruisseau dans lequel j’arrive à pêcher à la main. Dans la forêt, il y a des loups ; mais les loups ne m’effraient pas, et de plus, ma hache ne m’a jamais failli. Je ne sais quel est mon age. Je sais seulement que je suis vieux. Mes yeux ne voient plus. Dans la contrée, là où je ne vais plus car je me perdrais, j’ai la réputation d’être avare, mais, que peut bien avoir amassé un bûcheron de la forêt ?
Je ferme la porte de ma maison à l’aide d’une pierre pour que la neige n’y entre pas. Un après-midi, j’entendis des pas laborieux et ensuite, un coup. J’ouvris et entra un inconnu. C’était un homme grand et âgé, blottit dans une couverture usée. Une cicatrice traversait son visage. Les années semblaient l’avoir doté de plus d’autorité que de maigreur ; mais, je remarquai qu’il avait des difficultés à marcher sans l’appui de sa canne. Nous échangeâmes quelques mots, desquels je n’ai pas souvenir.
Pour finir, il dit :
- Je n’ai pas de foyer et je dors où je peux. J’ai parcouru toute la Saxonie. Ces mots allaient de paire avec sa vieillesse. Mon père parlait toujours de la Saxonie ; maintenant, les gens disent l’Angleterre.
J’avais du pain et du poisson. Nous ne parlâmes pas pendant le dîner. Il se mit à pleuvoir. Avec des peaux, je luis fis une natte sur le sol en terre, là où mourut mon frère. A la tombée de la nuit, nous dormîmes. Le jour commençait à poindre quand nous sortîmes de la maison. La pluie avait cessé et le sol était couvert d’une neige fraîche. Sa canne lui échappa et il m’ordonna de la relever.
- Pourquoi devrais-je t’obéir ? lui dis-je.
- Parce que je suis un roi- répondit-il.
Je le crus fou. Je ramassai la canne et la lui donnai.
Il parla avec une voix claire.
- Je suis le Roi des Secgens. De nombreuses fois, je les conduis à la victoire lors de la dure bataille, mais, à l’heure du destin, je perdis mon royaume. Mon prénom est Isern et j’appartiens à la lignée d’Odin.
- Moi, je ne vénère pas Odin- lui répondis-je- Je vénère Le Christ.
Comme s’il ne m’avait pas entendu, il continua :
- J’erre sur les chemins de l’exil, mais je suis toujours le Roi car je possède le disque. Tu veux le voir ?
Il ouvrit la paume de sa main qui était osseuse. Il n’y avait rien dans sa main. Elle était vide. C’est alors que je rendis compte qu’il avait toujours eu le poing fermé.
Il me dit en me regardant fixement :
- Tu peux le toucher.
Avec un peu de dégoût, je touchai alors du bout des doigts sa paume. Je sentis une chose froide et vis un éclat. Sa main se referma brusquement. Je ne dis rien. L’autre poursuivit avec patience comme s’il parlait à un enfant :
- C’est le disque d’Odin. Il n’a qu’un seul côté. Sur la Terre, rien d’autre ne possède qu’un seul côté. Tant qu’il sera dans ma main, je serai un roi.
- C’est de l’or ? Lui dis-je.
- Je ne sais pas. C’est le disque d’Odin et il n’a qu’un côté.
J’éprouvai alors le désir de posséder le disque. S’il était à moi, je pourrais le vendre pour un lingot d’or et, je serais un roi.
Je dis au vagabond qu’encore aujourd’hui je déteste :
- Dans ma cabane, j’ai un coffre de pièces de caché. Elles sont en or et elles brillent comme le hache. Si tu me donnes le disque d’Odin, je te donne le coffre.
Il dit froidement :
- Je refuse.
- Donc- dis-je – tu peux poursuivre ta route.
Il me tourna le dos. Un coup de hache suffit et fut même de trop, pour qu’il tremble et tombe, mais en tombant, je vis, dans l’air, l’éclat. Je marquai bien l’endroit avec la hache et je traînai le corps jusqu’au ruisseau qui était en crue. Je l’y jetai.
De retour chez moi, je cherchai le disque. Je ne le trouvai pas. Cela fait des années que je cherche.

***

Brigitte nous propose sa traduction :

Je suis bûcheron. Peu importe mon nom. La chaumière où je suis né et où je devrai mourir bientôt, se trouve à la lisière d’une forêt. On dit de la forêt qu’elle s’étend jusqu’à la mer qui fait le tour de la terre, que dans la forêt il y a des cabanes en bois comme la mienne. Je n’en sais rien ; je n’ai jamais vu ça. Je n’ai jamais vu non plus l’autre côté de la forêt. Mon frère ainé, quand nous étions petits, m’a fait jurer qu’à nous deux nous couperions toute la forêt jusqu’au dernier arbre. Mon frère est mort et maintenant c’est autre chose que je cherche et que je continuerai à chercher. En direction du soleil couchant, coule un ruisseau où je sais pêcher à la main. Dans le bois, il y a des loups, mais les loups ne me font pas peur et ma hache ne m’a jamais trahi. Je ne connais pas mon âge. Je sais seulement que je suis très vieux. Mes yeux ne voient plus bien clair. Au village, où je ne vais plus parce que je me perdrais, je passe pour un avare. Mais que peut bien avoir amassé un pauvre coupeur de bois ?
Je ferme la porte de ma maison avec une pierre pour que la neige n’entre pas. Un soir, j’ai entendu des pas lourds et puis, un coup. J’ai ouvert et un inconnu est entré. C’était un homme grand et vieux, enveloppé dans une cape usée. Une cicatrice lui barrait le visage. Les années semblaient lui avoir donné plus d’autorité que de faiblesse, mais je remarquai qu’il avait du mal à marcher sans l’aide de son bâton. Nous avons échangé quelques mots que j’ai oubliés. Et puis, il a dit enfin :
- Je n’ai pas de toit et je dors où je peux. J’ai parcouru toute la Saxe.
Ces mots convenaient bien à son âge. Mon père parlait toujours de la Saxe ; maintenant les gens disent Angleterre.
Moi, j’avais du pain et du poisson. Nous n’avons rien dit pendant le repas. Il a commencé à pleuvoir. Avec quelques peaux, je lui ai préparé une couche à même le sol de terre, là où mon frère était mort. La nuit venue, nous avons dormi.
Le jour se levait lorsque nous sommes sortis de la maison. La pluie avait cessé et la terre était couverte de neige fraîche. Son bâton lui échappa et il m’ordonna de le ramasser.
- Pourquoi devrais-je t’obéir ? – lui dis-je.
- Parce que je suis roi – répondit-il.
J’ai cru qu’il était fou. J’ai ramassé le bâton et je lui ai donné.
Il a parlé alors d’une voix différente.
- Je suis roi des Secgens. Maintes fois je les ai menés à la victoire au cours de la bataille, mais le jour où le destin a frappé, j’ai perdu mon royaume. Mon nom est Isern et je suis descendant d’Odín.
- Je ne vénère pas Odin – lui répondis-je. Je vénère le Christ.
Comme s’il n’avait pas entendu, il a continué :
- Je marche sur les chemins de l’exil mais je suis toujours le roi car je détiens le disque. Veux-tu le voir ?
- Il a ouvert la paume de sa main qui était osseuse. Il n’y avait rien dans sa main. Elle était vide. A ce moment, j’ai réalisé qu’il l’avait toujours gardée fermée jusque là.
Il dit, en me regardant fixement :
- Tu peux le toucher.
Avec une certaine méfiance, j’ai posé la pointe de mes doigts sur sa paume. J’ai senti quelque chose de froid et j’ai vu une lueur. La main s’est refermée brusquement. Je n’ai rien dit. L’autre a continué, très patient, comme s’il parlait à un enfant :
- Le disque appartient à Odin. Il n’a qu’une seule face. Sur terre, aucune autre chose n’a qu’une seule face. Tant qu’il sera dans ma main, je serai roi.
- Il est en or ? – lui dis-je.
- Je ne sais pas. C’est le disque d’Odin et il n’a qu’une seule face.
Alors, j’ai voulu posséder à tout prix le disque. S’il avait été à moi, j’aurais pu le vendre pour un lingot d’or et je serais roi.
Je dis au vagabond, que je déteste encore :
- Dans ma cabane, j’ai un coffre de pièces caché. Elles sont en or et elles brillent comme la hache. Si tu me donnes le disque d’Odin, je te donne le coffre.
Il dit avec obstination :
- Je ne veux pas.
- Dans ce cas – lui dis-je – tu peux continuer ton chemin.
Il me tourna le dos. Un coup de hache sur la nuque suffit à le faire chanceler puis tomber mais, dans sa chute, il a ouvert la main et j’ai vu la lueur dans l’air. J’ai bien repéré l’endroit avec la hache et j’ai traîné le mort jusqu’au ruisseau qui était très haut. Et là, je l’ai jeté à l’eau.
De retour chez moi, j’ai cherché le disque. Je ne l’ai pas trouvé. Et voilà des années que je continue à chercher.

***

Odile nous propose sa traduction :

Je suis bûcheron. Peu importe mon nom. La cabane dans laquelle je suis né et où je devrais bientôt mourir se trouve en lisière de la forêt. De la forêt, on raconte qu'elle s'étend jusqu'à la mer qui entoure toute la terre, et qu'on y trouve de petites maisons de bois semblables à la mienne. Je ne sais pas, je ne l'ai pas vu. Je n'ai pas vu non plus l'autre côté de la forêt. Mon frère aîné, lorsque nous étions petits, me fit jurer qu'à nous deux nous couperions toute la forêt jusqu'à ce qui ne reste plus un seul arbre. Mon frère est mort et maintenant c'est autre chose que je cherche et que je chercherai encore. Vers le ponant coule un ruisselet dans lequel je sais pêcher à la main. Dans la forêt, il y a des loups, mais les loups ne me font pas peur et ma hache m'a toujours été fidèle. Je ne sais pas l'âge que j'ai. Je sais seulement que je suis vieux. Mes yeux ne voient plus. Au village, où jamais je ne vais car je me perdrais, j'ai la réputation d'être avare, mais quelles économies peut bien avoir un bûcheron de la forêt?
Je ferme la porte de chez moi avec une pierre pour que la neige n'entre pas. Une après-midi, j'ai entendu des pas lourds, puis un coup. J'ai ouvert et un inconnu est entré . C'était un homme grand et vieux, enveloppé dans une vieille pélerine. Une cicatrice lui traversait le visage. Le passage des années semblait lui avoir donné plus d'autorité que de faiblesse, mais je remarquai qu'il lui en coûtait de marcher sans l'appui du bâton. Nous avons échangé quelques paroles dont je ne me souviens plus. A la fin, il a dit:
- Je n'ai pas de maison et je dors où je peux. J'ai parcouru tout la Saxe.
Ces mots correspondaient à son age. Mon père parlait toujours de la Saxe, maintenant les gens disent Angleterre.
J'avais du pain et du poisson. Nous n'avons pas parlé pendant le repas. Il a commencé à pleuvoir. Avec quelques peaux, je lui ai préparé une couche sur le sol de terre, là où mon frère était mort. La nuit venue, nous avons dormi.
Le jour naissait lorsque nous sommes sortis de la maison. La pluie avait cessé et la terre était couverte de neige récemment tombée. Le bâton lui a échappé des mains et il m'a ordonné de le ramasser.
- Pourquoi devrais-je t'obéir? -lui demandai-je
- Parce que je suis un roi -répondit-il
Je le crus fou. Je ramassai le bâton et le lui donnai.
Il a alors parlé d'une voix distincte.
- Je suis le roy des Secgens. Souvent je les ai menés à la victoire au cours de la dure bataille mais, à l'heure fixée par le destin, j'ai perdu mon royaume. Mon nom est Isern et je descends d'Odin.
- Je ne venère pas Odin -lui retorquai-je-. Je venère le Christ.
Sans m'écouter, il a continué:
- Je marche sur les chemins de l'exil mais je suis encore le roi car je possède le disque. Tu veux le voir? Il a ouvert la paume de sa main osseuse. Il n'y avait rien dans la main. Elle était vide. C'est seulement alors que je me suis rendu compte qu'il l'avait toujours tenue fermée.
En me regardant fixement, il a dit
- Tu peux le toucher.
Avec un peu de méfiance j' ai posé la pointe des doigts sur sa paume. J'ai senti une chose froide et vu un éclat. La main s'est fermée brusquement. Je n'ai rien dit. L'autre a continué patiemment, comme s'il parlait à un enfant :
- C' est le disque d'Odin. Il n'a qu'une seule face. Sur terre, rien d'autre n'a ainsi une seule face. Tant que je le tiendrais dans ma main, je serais le roi.
- Il est en or? -lui demandai-je.
- Je ne le sais pas. C'est le disque d'Odin et il a une seule face.
J'ai resssenti alors l'envie de posséder le disque. S'il était à moi, je pourrais le vendre pour un lingot d'or et je serais roi.
J'ai dit au vagabond, que je hais encore :
- Dans la cabane j'ai un coffre caché rempli de pièces. Elles sont en or et brillent comme la hache. Si tu me donnes le disque d'Odin, je te donne le coffre.
Il a dit, obstiné :
- Je ne veux pas.
Alors -lui dis-je- tu peux passer ton chemin.
Il m'a tourné le dos. Un coup de hache sur la nuque a suffit pour qu'il vacille et tombe, mais en tombant il a ouvert la main et j'ai vu l'éclat ,dans l'air. J'ai bien marqué l'endroit avec la hache et j'ai traîné le mort jusqu'au ruisseau dont les eaux avaient gonflé. Je l'y ai jeté.
De retour chez moi j'ai cherché le disque. Je ne l'ai pas trouvé. Cela fait des années et des années que je le cherche.

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