mercredi 28 janvier 2009

Version d'entraînement, 3 (Adolfo Bioy Casares)

En photo : Bioy Casares par Fotos a Pila

Hoy, en esta isla, ha ocurrido un milagro. El verano se adelantó. Puse la cama cerca de la pileta de natación y estuve bañándome, hasta muy tarde. Era imposible dormir. Dos o tres minutos afuera bastaban para convertir en sudor el agua que debía protegerme de la espantosa calma. A la madrugada me despertó un fonógrafo. No pude volver al museo, a buscar las cosas. Huí por las barrancas. Estoy en los bajos del sur, entre plantas acuáticas, indignado por los mosquitos, con el mar o sucios arroyos hasta la cintura, viendo que anticipé absurdamente mi huida. Creo que esa gente no vino a buscarme; tal vez no me hayan visto. Pero sigo mi destino; estoy desprovisto de todo, confinado al lugar más escaso, menos habitable de la isla; a pantanos que el mar suprime una vez por semana.
Escribo esto para dejar testimonio del adverso milagro. Si en pocos días no muero ahogado, o luchando por mi libertad, espero escribir la Defensa ante sobrevivientes y un Elogio de Malthus. Atacaré, en esas páginas, a los agotadores de las selvas y de los desiertos; demostraré que el mundo, con el perfeccionamiento de las policías, de los documentos, del periodismo, de la radiotelefonía, de las aduanas, hace irreparable cualquier error de la justicia, es un infierno unánime para los perseguidos. Hasta ahora no he podido escribir sino esta hoja que ayer no preveía. ¡Cómo hay de ocupaciones en la isla solitaria! ¡Qué insuperable es la dureza de la madera! ¡Cuánto más grande es el espacio que el pájaro movedizo!
Un italiano, que vendía alfombras en Calcuta, me dio la idea de venirme; dijo (en su lengua):
-Para un perseguido, para usted, sólo hay un lugar en el mundo, pero en ese lugar no se vive. Es una isla. Gente blanca estuvo construyendo, en 1924 más o menos, un museo, una capilla, una pileta de natación. Las obras están concluidas y abandonadas.
Lo interrumpí; quería su ayuda para el viaje. El mercader siguió:
-Ni los piratas chinos, ni el barco pintado de blanco del Instituto Rockefeller la tocan. Es el foco de una enfermedad, aún misteriosa, que mata de afuera para adentro. Caen las uñas, el pelo, se mueren la piel y las córneas de los ojos, y el cuerpo vive ocho, quince días. Los tripulantes de un vapor que había fondeado en la isla estaban despellejados, calvos, sin uñas -todos muertos-, cuando los encontró el crucero japonés Namura. El vapor fue hundido a cañonazos.
Pero tan horrible era mi vida que resolví partir... El italiano quiso disuadirme; logré que me ayudara.
Anoche, por centésima vez, me dormí en esta isla vacía... Viendo los edificios pensaba lo que habría costado traer esas piedras, lo fácil que hubiera sido levantar un horno de ladrillos. Me dormí tarde y la música y los gritos me despertaron a la madrugada. La vida de fugitivo me aligeró el sueño: estoy seguro de que no ha llegado ningún barco, ningún aeroplano, ningún dirigible. Sin embargo, de un momento a otro, en esta pesada noche de verano, los pajonales de la colina se han cubierto de gente que baila, que pasea y que se baña en la pileta, como veraneantes instalados desde hace tiempo en Los Teques o en Marienbad.

Aldolfo Bioy Casares, La invención de Morel

***

La traduction « officielle », L’invention de Morel, réalisée par Armand Pierhal, pour les éditions Robert Laffont, 10/18, 1973, p. 11-13 :

Aujourd’hui, dans cette île, s’est produit un miracle. L’été a été précoce. J’ai disposé mon lit près de la piscine et je me suis baigné jusque très tard. Impossible de dormir. Deux à trois minutes à l’air suffisaient à convertir en sueur l’eau qui devait me protéger de l’effroyable touffeur. A l’aube, un phonographe m’a réveillé. Je n’ai pas eu le temps de retourner chercher mes affaires au musée. J’ai fui par les ravins. Je suis dans les basses terres du sud, parmi les plantes aquatiques, exaspéré par les moustiques, avec la mer ou des ruisseaux boueux jusqu’à la ceinture, me rendant compte que j’ai précipité absurdement ma fuite. Je crois que ces gens ne sont pas venus me chercher ; il se peut, même, qu’ils ne m’aient pas vu. Mais je subis mon destin : démuni de tout, je me trouve confiné dans l’endroit le plus étroit, le moins habitable de l’île, dans des marécages que la mer recouvre une fois par semaine.
J’écris ces lignes pour laisser un témoignage de l’hostile miracle. Si d’ici quelques jours je ne meurs pas noyé, ou luttant pour ma liberté, j’espère écrire la Défense devant les Survivants et un Eloge de Malthus. J’attaquerai, dans ces pages, les ennemis des forêts et des déserts ; je démontrerai que le monde, avec le perfectionnement de l’appareil policier, des fiches, du journalisme, de la radiotéléphonie, des douanes, rend irréparable toute erreur de la justice, qu’il est un enfer sans issue pour les persécutés. Jusqu’à présent je n’ai rien pu écrire, sinon cette feuille, qu’hier encore je ne prévoyais pas. Que d’occupation dans une île déserte ! Que la dureté du bois est implacable ! Combien plus vaste l’espace que le vol de l’oiseau !
Un Italien, qui vendait des tapis à Calcutta, m’a donné l’idée de venir ici ; il m’a dit (dans sa langue) :
- Pour un persécuté, pour vous, il n’y a qu’un endroit au monde, mais on n’y vit pas. C’est une île. Des Blancs y ont construit, vers 1924, un musée, une chapelle, une piscine. Les bâtiments sont terminés, abandonnés.
Je l’interrompis, sollicitant son aide pour le voyage ; le marchand reprit :
- Ni les pirates chinois ni le navire peint en blanc de l’Institut Rockfeller ne la touchent. Elle est le foyer d’une maladie, encore mystérieuse, qui tue la surface vers le dedans. Les ongles, les cheveux tombent, la peau et la cornée meurent, puis le corps, au bout de huit à quinze jours. Les membres de l’équipage d’un vapeur qui avait mouillé devant l’île étaient écorchés, chauves, sans ongles – tous morts – quand le croiseur japonais Namura les trouva. Le vapeur fut coulé à coups de canon.
Pourtant, si horrible était ma vie que je résolus de partir… L’Italien voulut me dissuader ; j’obtins qu’il m’aide.
La nuit dernière, pour la centième fois, je me suis endormi dans cette île déserte… Considérant les bâtiments, je songeais à ce qu’il en avait coûté d’amener cette pierre de taille, combien il eût été plus facile de construire un four à briques. Je ne trouvai le sommeil que fort tard et la musique et les cris m’ont réveillé à l’aube. La vie de fugitif m’a rendu le sommeil léger : je suis sûr de n’avoir entendu arriver aucun bateau, aucun avion, aucun dirigeable. Et pourtant, en un instant, dans cette lourde nuit d’été, les flancs broussailleux de la colline se sont couverts de gens qui dansent, se promènent et se baignent dans la piscine, comme des estivants installés depuis longtemps à Los Teques ou à Marienbad.

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Odile nous propose sa traduction :

Aujourd'hui, dans cette île, un miracle s'est produit. L' été a été précoce. J'ai disposé le lit près de la piscine et je me suis baigné, jusque très tard. Impossible de trouver le sommeil. Deux ou trois minutes à l'air suffisaient pour transformer en sueur l'eau qui devait me protéger de l'effroyable moiteur. À l'aube, un phonographe m'a réveillé. Je n'ai pas eu le temps de retourner au musée pour prendre mes affaires. J'ai fui par les ravins. Je suis dans les basses terres du sud, parmi les plantes aquatiques, harcelé par les moustiques, enfoncé jusqu'à la taille dans la mer ou des ruisseaux sales
Je crois que ces gens ne sont pas venus à ma recherche ; peut-être même ne m'ont-ils pas vu. Mais je suis mon destin ; je me trouve dépourvu de tout, confiné dans l'endroit le plus étroit, le moins habitable de l'île, dans des retenues d'eau que la mer submerge une fois par semaine. J'écris pour laisser un témoignage du miracle ennemi. Si d'ici quelques jours je ne meurs pas noyé, ou luttant pour garder ma liberté, j'espère écrire la Défense devant les survivants et un Éloge de Malthus. J'attaquerai, dans ces pages, les pilleurs des forêt et de déserts; je démontrerai que le monde, avec le perfectionnement de la machine policière, des fiches, du journalisme, de la radiotéléphonie, des douanes, rend irréparable toute erreur judiciaire, et qu'il est un véritable enfer pour les persécutés. Jusqu'à maintenant, je n'ai pu écrire que cette page qu' hier encore je ne prévoyais pas. Que d'occupations sur l'ile déserte! Que la durété du bois est impitoyable! Que l'espace est plus ample que le vol de l'oiseau!
Un Italien, qui vendait des tapis à Calcutta, m'avait donné donné l'idée de venir ici ; il m'avait dit (dans sa langue) :
- Pour un persécuté, pour vous, il n'y a qu'un seul endroit au monde, mais on n'y vit pas. C'est une île. Des blancs y ont construit, vers1924, un musée, une chapelle et une piscine. Les bâtiments sont terminés et abandonnés.
Je l'avais interrompu ; je voulais son aide pour le voyage. Le marchand avait poursuivi :
- Ni les pirates chinois, ni le bateau peint en blanc de L'Institut Rockfeller n'y accostent. Elle est le foyer d'une maladie, encore mystérieuse, qui tue de l'extérieur vers l'intérieur. Les ongles, les cheveux tombent, la peau et la cornée des yeux meurent, puis le corps au bout de huit à quinze jours. Les membres de l'équipage d'un grand vapeur qui avait mouillé devant l'île étaient écorchés, chauves, sans ongles – tous morts – quand le croiseur japonais Namura les trouva. Le vapeur fut coulé à coups de canon.
Mais ma vie était si horrible que j' étais résolu à partir....L'Italien avait voulu m'en dissuader ; j'avais réussi à obtenir son aide.
Hier soir, pour la centième fois, j'ai dormi dans cette île déserte...En considérant les bâtiments, je pensais à ce qu'il en avait coûté d'amener ces pierres ici et combien il eût été plus facile de construire un four à briques. Je ne m'endormis que très tard et la musique et les cris m'ont réveillé à l'aube. La vie de fugitif m'a rendu le sommeil léger ; je suis sûr de n'avoir entendu arriver aucun bateau, aucun avion, aucun dirigeable. Pourtant, en un instant, dans cette lourde nuit d'été, les flancs herbeux de la colline se sont couverts de gens qui dansent, se promènent et se baignent dans la piscine, pareils à des estivants installés depuis longtemps à Los Teques ou à Marienbad.

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Aurélie – étudiante du groupe 2 de CAPES – nous propose sa traduction :

Aujourd’hui, sur cette île, un miracle a eu lieu. L’été est arrivé en avance. J’ai disposé le lit à côté du bassin de natation et j’ai été me baigner jusque tard dans la nuit. Il m’était impossible de dormir. Deux ou trois minutes dehors suffisaient à transformer en sueur l’eau qui était censée me protéger du calme effrayant. Au petit matin, j’ai été réveillé par un phonographe. Je n’ai pas pu retourner au musée, pour aller chercher mes affaires. J’ai fui vers les ravins. Je suis à présent dans les terres basses du Sud, entre les plantes aquatiques, indigné par les moustiques, dans la mer ou les ruisseaux sales jusqu’à la ceinture, me rendant compte que j’ai anticipé absurdement ma fuite. Je ne crois pas que ces gens soient venus me chercher ; peut-être ne m’ont-ils pas vu. Mais je suis mon destin ; je suis dépourvu de tout, confiné dans lieu le plus minable, le moins habitable de l’île ; dans des retenues d’eau que la mer supprime une fois par semaine.
J’écris cela pour laisser un témoignage du miracle défavorable. Si dans peu de jours je ne meurs pas noyé, ou en luttant pour ma liberté, j’espère écrire la Défense face aux survivants et un Éloge de Malthus. J’attaquerai, dans ces pages-là, ceux qui épuisent les jungles et les déserts ; je démontrerai que, avec le perfectionnement des policiers, des documents, du journalisme, de la radiotéléphonie, des douanes, le monde rend irréparable toute erreur de la justice, c’est un enfer unanime pour les poursuivis. Jusqu’à présent, je n’ai pu écrire que cette page qu’hier je ne prévoyais pas. Qu’est-ce qu’il y en a, des occupations, sur l’île solitaire ! Qu’est-ce qu’elle est insurmontable la dureté du bois ! Plus l’espace est grand, plus l’oiseau virevolte !
C’est un Italien qui vendait des tapis à Calcutta qui m’a donné l’idée de venir ici ; il m’a dit (dans sa langue) :
- Pour un poursuivi, pour vous, il n’y a qu’un endroit au monde, mais on ne vit pas dans cet endroit-là. C’est une île. Des blancs y ont construit, vers 1924, un musée, une chapelle, un bassin de natation. Les bâtiments sont terminés et abandonnés.
Je l’ai interrompu ; j’avais besoin de son aide pour mon voyage. Le marchand a continué :
- Ni les pirates chinois, ni le bateau peint en blanc de l’Institut Rockefeller ne la touche. C’est le foyer d’une maladie, jusque-là mystérieuse, qui tue de l’extérieur jusqu’à l’intérieur. Les ongles tombent, puis les cheveux, la peau meurt puis la cornée les yeux, et le corps vit huit, quinze jours. L’équipage d’un bateau à vapeur qui avait mouillé dans l’île était sans peau, chauve, sans ongles –tous morts-, lorsque le croiseur japonais Namura les a retrouvés. On a coulé le bateau à vapeur à coups de canons.
Mais ma vie était si horrible que j’étais résolu à partir… L’Italien a voulu m’en dissuader ; j’ai réussi à obtenir son aide.
Hier soir, pour la centième fois, j’ai dormi sur cette île vide… En contemplant les édifices, je pensais à combien cela avait dû coûter de faire venir ces pierres, comme cela devrait être facile de construire un four en briques. Je me suis endormi tard et la musique et les cris m’ont réveillé à l’aube. La vie de fugitif a rendu mon sommeil plus léger : je suis certain qu’aucun bateau n’est arrivé, ni aucun avion, ni aucun dirigeable. Cependant, en un instant, pendant cette pesante nuit d’été, les terres de chaumes des collines se sont couvertes de gens qui dansent, qui se promènent et qui se baignent dans le bassin, pareils à des estivants installés depuis longtemps à Los Teques ou à Marienbad.

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Vanessa – étudiante du groupe 2 de CAPES – nous propose sa traduction :

Aujourd’hui, sur cette île, un miracle s’est produit. L’été arriva en avance. Je mis le lit près de la piscine et je me suis baigné, jusqu’à très tard. Il était impossible de dormir. Deux ou trois minutes dehors suffisaient à transformer en sueur l’eau qui devait me protéger du calme effrayant. Au petit matin, un phonographe me réveilla. Je ne pus retourner au musée, chercher mes affaires. Je fui par les fossés. Je suis dans les basses terres du sud, entre des plantes aquatiques, indigné par les moustiques, avec l’eau de la mer ou de sales ruisseaux jusqu’à la taille, voyant que j’avais absurdement anticipé ma fuite. Je pense que ces gens ne vinrent pas me chercher ; peut-être ne m’ont-ils pas vu. Mais, je suis mon destin ; je suis dépourvu de tout, confiné dans l’endroit le plus démuni, le moins habitable de l’île ; dans des bassins d’eau que la mer élimine une fois par semaine.
J’écris ceci pour laisser un témoignage de l’adverse miracle. Si dans quelques jours je ne meurs pas noyé, ou luttant pour ma liberté, j’espère écrire la Défense face aux survivants et un Eloge de Malthus. J’attaquerai dans ces pages-là, ceux qui détruisent les forêts et les déserts, je démontrerai que le monde, avec le perfectionnement des polices, des documents, du journalisme, de la radiotéléphonie, des douanes fait que toutes les erreurs de la justice sont irréparables, c’est un enfer pour les poursuivis. Jusqu’à maintenant, je n’ai pu écrire que cette page-ci, qu’hier encore, je ne prévoyais pas.
Qu’est-ce qu’il y en a des occupations sur l’île solitaire ! Que la dureté du bois est insurmontable ! Plus l’espace est grand, plus l’oiseau virevolte !
Un Italien qui vendait des tapis à Calcutta, me donna l’idée de venir ici ; il dit (dans sa langue) :
- Pour un condamné, pour vous, il n’y a un qu’un seul endroit dans le monde, mais dans cet endroit, on n’y vit pas. C’est une île. Des personnes blanches y construisirent, en 1924 plus ou moins, un musée, une chapelle, une piscine. Les travaux sont finis et abandonnés.
Je l’interrompis, je voulais son aide pour le voyage. Le marchand continua :
- Ni les pirates chinois, ni le bateau peint en blanc de l’Institut Rockfeller n’y touche. C’est le foyer d’une maladie encore mystérieuse, qui tue de l’extérieur l’intérieur. Les ongles tombent, ensuite les cheveux, meurent la peau et les cornées des yeux, et le corps vit huit, quinze jours. L’équipage d’un bateau à vapeur qui avait amarré sur l’île n’avait plus de peau, était chauve, sans ongles- tous morts- quand le bateau de croisière japonais Namura les trouva. Le bateau à vapeur fut coulé à coups de canon.
Mais si horrible était ma vie que je décidai de partir… L’Italien voulu m’en dissuader, je parvins à ce qu’il m’aide.
Cette nuit, pour la centième fois, je m’endormis sur cette île vide… En voyant les bâtiments, je pensais à ce qu’avait dû coûter d’importer ces pierres, comme cela devait être facile de construire un four en briques. Je m’endormis tard et la musique et les cris me réveillèrent au petit matin. La vie de fugitif avait adouci mon sommeil : je suis sûr qu’aucun bateau n’est arrivé, aucun planeur, aucune montgolfière. Cependant, en un éclair, dans cette épaisse nuit d’été, les flancs de la colline se sont couverts de personnes qui dansent, qui se promènent et se baignent dans la piscine, tels des estivants installés depuis longtemps à Los Teques ou à Marienbad.

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