vendredi 23 janvier 2009

Votre version de la semaine, Taibo

En photo : Paco Ignacio Taibo II par Thesis - Pordenone

He descubierto al menos seis formas de iniciar la historia del ayuntamiento rojo de Santa Ana, y eso en tan sólo un día de automóvil recorriendo la panamericana hacia el norte con tres compañeros singulares. Una de ellas sería narrar la lucha de la sección 23 del sindicato minero por independizarse del sindicato charro desde mediados de los años setenta; otra sería seguir los hilos de lo que se llamó aquí La voz del pueblo, el periódico semanal que Correa inició hace siete años, y que dio nacimiento a la OP donde se juntaron mineros y estudiantes que volvían a su ciudad después de haber hecho carrera en Guadalajara, Monterrey o el D.F.; otra será la historia personal de Benjamín Correa, su estilo hormiguita, que lo llevó a conocer Santa Ana como nadie, y cuando digo conocer, habría que emplear incluso el sentido bíblico, pues tas bromas en el automóvil le adjudican al menos siete casas chicas siendo oficialmente soltero; otra historia tendría que ver con las labores que por aquí hicieron dos viejos comunistas, un minero llamado Don Andrés, ya jubilado, y un tendero, quienes al fin de cuentas fueron los que empujaron la experiencia por su camino electoral; hay una quinta forma de aproximarse a la historia del ayuntamiento, tiene que ver con el bufete popular que organizó Mercado y que durante tres años dio asesoría legal a campesinos despojados de tierra, locatarios del mercado o maes¬tros de primaria despedidos; la sexta forma es seguir la trayectoria de la génesis del ayuntamiento popular a partir de los abusos del cacicazgo priísta y el hartazgo popular. Para escoger.
Mis compañeros de automóvil, un desvencijado Renault, sugieren la historia de los muertos como séptima opción: El chato Madera, al que tiraron de un montacargas cuando iniciaba la organización de los mineros. La muerte de bala perdida de doña Jerónima, vendedora de pollos en el mer¬cado, que cayó en la manifestación del 20 de abril. La muerte de Quintín Ramírez, campesino de 45 años, ahorcado en la puerta de su jacal por los pistoleros de los terratenientes. La muerte de siete niños en una epidemia a fines de los ochenta. La muerte de Daniel Contreras, atropellado por el hijo borracho de Simpson, el gerente de la Santa Ana Mining Co. La muerte de Lisandro Vera, estudiante de dere¬cho nacido en Santa Ana y primer jefe de policía del ayuntamiento popular, baleado al salir de la cárcel. La muerte de Manuel, obrero de la Cocacola, al que un esquirol pagado por la empresa acuchilló en las guardias de la huelga. La muerte del maestro Elpidio, segundo jefe de la policía del ayuntamiento rojo de Santa Ana, que andaba persiguiendo un camión con mariguana a 15 kilómetros de la ciudad.
Esa sería otra manera de contar esta ciudad que sólo había inventado a partir de fotografías y que siempre pensé como un rancho grande lleno de banderas rojas. Y que ahora comienzo a ver de cerca, como una mezcla de calles asfaltadas y empedradas, supermercados, una plaza municipal, un entramado complejo de poderes y pasiones, una librería (¡!), once cines, once burdeles (conocidos y estables), tres sitios de taxis, 117 crímenes pasionales al semestre, 1,654 bodas al año, 231 mil habitantes, 21 iglesias, 42 escuelas primarias, cuatro secundarias, una prepa, un Gigante, un Blanco, un Oxxo, un director de cine, 16 hoteles, 28% de la producción de estaño del país, un circo cada dos meses, un ayuntamiento rojo que ganó las elecciones por 86 mil votos a 12 mil, un montón de polvo y tierra suelta que molestan la pureza del airecilio de las montañas.

Paco Ignacio Taibo II, La vida misma

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La traduction « officielle », La vie même, réalisée par Juan Marey pour les éditions Rivages/Noir, 1992, p. 18-20 :

J’ai découvert au moins six manières de commencer l’histoire de la municipalité rouge de Santa Ana, et cela en une seule journée d’automobile, en parcourant la panaméricaine vers le nord, avec trois compagnons singuliers. La première pourrait consister à narrer la lutte de la section n° 23 du Syndicat des mineurs pour se rendre indépendant de la C. T. M. (1), le syndicat officiel, depuis la moitié des années soixante-dix. La seconde, à étudier l’action de ce que l’on a appelé ici La voix du peuple, l’hebdomadaire que Correa a lancé il y a sept ans, et qui a donné naissance à l’O. P., où se sont rassemblés des mineurs et des étudiants qui rentraient dans leur ville après avoir effectué leurs études à Guadalajara, à Monterrey ou dans le D. F. La troisième pourrait être l’histoire personnelle de Benjamin Correa, son style de fourmi, qui lui a permis de connaître Santa Ana comme personne, et quand je dis connaître, il faudrait entendre ce terme jusque dans son sens biblique, car les plaisanteries en voiture lui attribuaient au moins sept foyers secondaires alors que, officiellement, il était célibataire. Une autre histoire devrait être mise en rapport avec le travail qu’ont effectué par ici deux vieux communistes, un mineur appelé Don André, maintenant à la retraite, et un boutiquier ; ce sont eux qui, au bout du compte, ont engagé l’expérience dans la voie électorale. Il y a une cinquième manière d’aborder l’histoire de la municipalité, elle est liée à l’étude populaire montée par l’avocat Mercado et qui, pendant trois ans, a permis de conseiller légalement les paysans dépouillés de leurs terres, les locataires du marché ou les maîtres d’école licenciés. La sixième façon consiste à suivre la genèse de la municipalité populaire à partir des abus du tout-puissant P. R. I. et de l’exaspération des administrés.
On n’a que l’embarras du choix.
Mes compagnons d’automobile, une Renault délabrée, suggèrent l’histoire des morts comme un septième choix possible : Madera-le-Camard, jeté d’un monte-charge alors qu’il commençait à organiser les mineurs ; Doña Jerónima, vendeuse de poulets au marché, tuée par une balle perdue au cours de la manifestation du 20 avril ; Quintín Pérez, un paysan de quarante-cinq ans, pendu à la porte de sa hutte par les tueurs à la solde des grands propriétaires fonciers ; les sept enfants emportés par une épidémie à la fin des années quatre-vingt ; Daniel Contreras, écrasé par un ivrogne, le fils de Simpson, le gérant de la Santa Ana Minig Co. ; Lisandro Vega, un étudiant en droit natif de Santa Ana, le premier chef de la police de la municipalité populaire, abattu d’un coup de feu alors qu’il sortait de la prison ; Manuel, un ouvrier de Coca-Cola, poignardé par un jaune à la solde de l’entreprise, dans un piquet de grève ; Elpidio, l’instituteur, le second chef de la police de la municipalité rouge de Santa Ana, tué en poursuivant un camion chargé de marijuana, à 15 kilomètres de la ville.
Ce serait une autre façon de raconter cette ville, que j’avais inventée uniquement à partir de photographies et que j’avais toujours imaginée comme un grand rancho plein de drapeaux rouges. Et que, maintenant, je commence à voir de près, comme un mélange de rues asphaltées et pavées, des supermarchés, une place municipale, un réseau complexe de pouvoirs et de passions, une librairie ( !), 11 cinémas, 11 bordels (reconnus et stables), 3 stations de taxis, 117 crimes passionnels par semestre, 1654 mariages par an, 231 000 habitants, 21 églises, 42 écoles primaires, 4 écoles secondaires, une école préparatoire, un Géant, un Blanc, un Oxxo, un directeur de cinéma, 16 hôtels, 28 % de la production d’étain du pays, un cirque tous les deux mois, une municipalité rouge qui a gagné les élections par 86 000 voix contre 12 000, un tas de poussière et de terre éparpillée qui troublent la pureté de l’air léger des montagnes.

(1) C. T. M. : Confédération des travailleurs mexicains. Étroitement liée au P. R. I., elle est minée par la corruption et le gangstérisme, selon la vision qu’en donne ce roman.

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Brigitte nous propose sa traduction :

J’ai découvert six façons au moins de commencer l’histoire de la municipalité rouge de Santa Ana, rien qu’en un jour de voiture, en route vers le nord sur la panaméricaine, avec trois compagnons bien singuliers.
L’une d’elles serait de raconter la lutte des mineurs de la section 23 pour s’émanciper du syndicat charro* depuis le milieu des années soixante-dix ; une autre serait de suivre les entrefilets de ce qu’on appela ici La Voix du Peuple, l’organe hebdomadaire que Correa avait crée il y a sept ans, et qui avait donné naissance à la O.P. où s’étaient regroupés des mineurs et des étudiants de retour dans leur ville après leurs études à Guadalajara, Monterrey ou dans le District Fédéral ; une autre serait l’histoire personnelle de Benjamin Correa, son genre « petite fourmi », qui l’amena à connaître Santa Ana comme personne, et quand je dis connaître, il faudrait utiliser le terme dans son acception biblique, car les plaisanteries faites dans la voiture lui attribuaient au moins sept foyers alors qu’il était officiellement célibataire ; une autre histoire serait plutôt en lien avec le travail réalisé ici par deux vieux communistes, un mineur répondant au nom de Don Andrés, déjà à la retraite, et un épicier, deux hommes qui tout compte fait, avaient poussé cette expérience sur le chemin des urnes ; il y a une cinquième façon d’approcher l’histoire de la municipalité, liée à la consultation juridique populaire qu’avait mis sur pied Mercado et qui, trois années durant, avait permis à des paysans spoliés de leurs terres, à des locataires du marché ou à des maîtres d’écoles primaires renvoyés, de recouvrer leurs droits légitimes ; la sixième façon est de suivre la genèse de la municipalité populaire à partir des abus des caciques du PRI* et de l’exaspération générale du peuple. Au choix.
Mes compagnons de voiture, une Renault brinquebalante, avaient suggéré, comme septième option, l’histoire des morts : Madera el chato, jeté d’un monte-charge alors qu’il essayait d’organiser les mineurs. La mort, de doña Jerónima, marchande de volaille sur le marché, victime d’une balle perdue, tombée lors de la manifestation du 20 avril. La mort de Quintin Ramirez, paysan de 45 ans, pendu à la porte de sa chaumière par les hommes de main des grands propriétaires terriens. La mort de sept enfants au cours d’une épidémie à la fin des années quatre-vingts. La mort de Daniel Contreras, renversé par Simpson, fils du gérant de la Santa Ana Mining Co., alors qu’il conduisait en état d’ébriété. La mort de Lisandro Vera, étudiant en droit né à Santa Ana et premier chef de la police de la municipalité populaire, tué par balle à la sortie de la prison. La mort de Manuel, ouvrier chez Coca Cola, alors qu’il assurait son tour de piquet de grève, poignardé par un jaune, payé par l’entreprise. La mort du maître Elpidio, deuxième chef de la police de la mairie rouge de Santa Ana, au cours de la poursuite d’un camion de marijuana à 15 kilomètres de la ville.
Cette manière-là pourrait être encore une autre façon de raconter cette ville que je ne m’étais inventée qu’à partir de photographies et que j’avais toujours imaginée comme un grand ranch plein de drapeaux rouges. Et que je commence maintenant à voir de près, comme une mosaïque de rues goudronnées et pavées, de supermarchés, une place municipale, une trame complexe de pouvoirs et de passions, une librairie ( !), onze cinémas, onze bordels (recensés et permanents), trois stations de taxis, 117 crimes passionnels par semestre, 1654 mariages par an, 231000 habitants, 21 églises, 42 écoles primaires, quatre collèges, un centre d’examens, un hypermarché Gigante, un magasin Blanco, une boutique Oxxo, un metteur en scène, 16 hôtels, 28% de la production d’étain du pays, un cirque un mois sur deux, une municipalité rouge qui avait remporté les élections par 86 000 voix contre 12 000, beaucoup de poussière et de terre soulevée qui incommode le bon air pur des montagnes.

Charro = mexicain
P.R.I. = Parti Revolutionnaire Institutionnel = parti politique mexicain qui a gouverné le pays pendant plusieurs décades.

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Odile nous propose sa traduction :

J'ai trouvé au moins six manières de commencer l'histoire de la municipalité rouge de Santa Ana, et ceci au cours d'une seule journée de voiture, en roulant sur la panaméricaine, vers le nord, avec trois compagnons singuliers. L' une d'elles narrerait la lutte de la section 23 du syndicat minier pour s'émanciper du syndicat charro depuis la moitié des années soixante-dix; une autre suivrait les méandres de ce qui s'est appelé ici La voix du peuple, le journal hebdomadaire que Correa lança il y a sept ans, donnant naissance à la OP qui regroupa des mineurs et des étudiants qui revenaient dans leur ville après avoir suivi leurs études à Guadalajara, Monterrey ou au D.F.; une autre serait l'histoire personnelle de Benjamin Correa, son style fourmi laborieuse, qui l'amena à connaître Santa Ana comme personne, et lorsque je dis connaître, il faudrait parler au sens biblique du mot, car nos plaisanteries dans la voiture lui attribuent au moins sept femmes alors qu'il est officiellement célibataire; une autre histoire envisagerait le travail laborieux que réalisèrent ici deux vieux communistes, un mineur, maintenant retraité, nommé Don Andrés, et un commerçant lesquels, en fin de compte, furent ceux qui poussèrent l'expérience sur le chemin électoral; il y a une cinquième façon d'approcher l'histoire de la municipalité et elle à voir avec le cabinet populaire de consultation juridique qu'organisa Mercado et qui, pendant trois ans donna des droits légaux à des paysans dépossédés de terres, à des loueurs du marché ou à des instituteurs du primaire qui avaient été renvoyés ; la sixième manière est de suivre la trajectoire de la genèse de la municipalité populaire à partir des abus du groupe priiste des caciques et du ras-le-bol populaire. Au choix.
Mes compagnons de voiture, une Renault bringuebalante, suggèrent l'histoire des morts comme septième option: Madera le petit, qui fut poussé d'un monte-charge alors qu' il commençait à mettre en place l'organisation des mineurs. La mort, par balle perdue, de doña Jerónima, vendeuse de poulets sur le marché, qui tomba lors de la manifestation du 20 avril. La mort de Quintín Ramirez, paysan de 45 ans, pendu sur le seuil de sa masure par les sbires des grands propriétaires. La mort de sept enfants lors d'une épidémie à la fin des années quatre-vingt. La mort de Daniel Contreras, écrasé par le fils ivre de Simpson, le gérant de la Santa Ana Mining Co. La mort de Lisandro Vera, étudiant en droit, né à Santa Ana et premier chef de la police de la municipalité populaire, abattu quand il sortait de la prison. La mort de Manuel, ouvrier chez Cocacola, qu'un jaune, payé par l'entreprise, poignarda pendant les tours de garde lors de la grève. La mort de l'instituteur Elpidio, second chef de la police de la mairie rouge de Santa Ana, alors qu'il poursuivait un camion de marijuana à 15 kilomètres de la ville.
Ce serait une autre façon de raconter cette ville que j'avais inventée seulement à partir de photographies, et que j'avais toujours imaginée comme un grand domaine rempli de drapeaux rouges. Et que maintenant je commence à voir de près, comme un pêle-mêle de rues goudronnées et empierrées, de supermarchés, de place municipale, un tissu complexe de pouvoirs et de passions, avec une librairie (!), onze cinémas, onze bordels (officiels et permanents), trois stations de taxis, 117 crimes passionnels par semestre, 1654 mariages par an, 231 mille habitants, 21 églises, 42 écoles primaires, quatre secondaires, une école préparatoire, un Gigante, un Blanco, un Oxxo, un réalisateur de cinéma, 16 hôtels, 28 % de la production d'étain du pays, un cirque tous les deux mois, une mairie rouge qui gagna les élections par 86 mille voix sur 12 mille, un tas de poussière et de terre soulevée qui gâchent la pureté du petit vent venu des montagnes.

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Eva – du groupe 2 de CAPES – nous propose sa traduction :

J'ai découvert au moins six façons de commencer l'histoire de la commune rouge de santa Ana, et ce en un seul jour passé à parcourir en voiture la panaméricaine vers le nord avec trois comparses bien singuliers. L'une d'entre elles serait de raconter la lutte de la section 23 du syndicat minier pour s'émanciper du syndicat dominant depuis la moitié des années soixante-dix ; une autre serait de suivre la piste de ce qu'on appela ici La voix du peuple, le périodique hebdomadaire que Correa avait lancé il y a de cela sept ans, et qui donna naissance à la OP où se rassemblèrent mineurs et étudiants revenant dans leur ville après avoir fait carrière à Guadalajara, Monterrey ou encore au D.F.; une autre serait l'histoire personnelle de Benjamin Correa, pareille à celle d'une petite fourmi, qui l’amena à connaître Santa Ana comme personne, et quand je dis connaître, ce serait même au sens biblique du terme, car les plaisanteries lancées en voiture lui attribuent au moins sept petites résidences alors qu’il est officiellement célibataire; une autre histoire serait en rapport avec les travaux que réalisèrent dans le coin deux vieux communistes, un mineur nommé monsieur Andrés, déjà retraité, et un commerçant, qui, en fin de comptes, furent ceux qui menèrent l’expérience sur le chemin électoral ; il y a une cinquième façon d’approcher l’histoire de la commune, et elle est liée au buffet populaire qu’organisa Mercado et qui, pendant des années, prêta une assistance légale à des paysans privés de terre, des exposants du marché ou des maîtres d’école renvoyés ; la sixième manière, c’est de suivre la trajectoire de la genèse de la commune populaire à partir des abus du caciquat du parti priiste et de l’épuisement populaire. C’est au choix. Mes compagnons de voiture, une Renault déglinguée, suggèrent, au titre de septième possibilité, l’histoire des morts: le pauvre Madera, qui fut jeté d’un monte-charge alors qu’il commençait l’organisation des mineurs. La mort par balle perdue de madame Jerónima, vendeuse de poulets sur le marché, tombée lors de la manifestation du 20 avril. La mort de Quintín Ramírez, paysan de 45 ans, pendu à la porte de sa ferme par les sbires des grands propriétaires. La mort de sept enfants suite à une épidémie à la fin des années quatre-vingt. La mort de Daniel Contreras, renversé par le fils, ivre au volant, de Simpson, gérant de la Santa Ana Mining Co. La mort de Lisandro Vera, étudiant en droit né à Santa Ana et premier chef de police de la commune populaire, tué par balle en sortant de la prison. La mort de Manuel, ouvrier chez Cocacola, qu’un voyou payé par l’entreprise poignarda pendant les tours de garde de la grève. La mort du maître Elpidio, second chef de police de la commune rouge de Santa Ana, à la poursuite d’un camion chargé de marijuana à 15 kilomètres de la ville. Ce serait une autre façon de raconter cette ville, que je n’avais inventée qu’à partir de photos et que j’avais toujours imaginée comme un grand ranch plein de drapeaux rouges. Et que je commençais maintenant à voir de près, comme un enchevêtrement de rues asphaltées et pavées, des supermarchés, une place du village, une combinaison complexe de pouvoirs et de passions, une librairie (!), onze cinémas, onze bordels ( connus et fermement établis), trois stations de taxis, 117 crimes passionnels par semestre, 1,654 mariages par an, 231000 habitants, 21 églises, 42 écoles primaires, quatre établissements du secondaire, une prépa, un Géant, un Blanco, un Oxxo, un réalisateur de cinéma, 16 hôtels, 28% de la production d’étain du pays, un cirque tous les deux mois, une commune rouge qui gagna les élections à 86000 voix contre 12000, un tas de poussière et de terre voltigeant qui gâche la pureté du petit souffle d’air venant des montagnes.

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Aurélie – du groupe 2 de CAPES – nous propose sa traduction :

J’ai découvert au moins six façons de donner un début à l’histoire de la municipalité rouge de Santa Ana, et cela en à peine un jour de voiture sur la transaméricaine en direction du nord, avec trois compagnons singuliers. L’une d’entre elles serait de raconter la lutte de la section 23 du syndicat des mineurs pour se libérer de la tutelle du syndicat charro depuis le milieu des années soixante-dix ; une autre serait de suivre le fil de ce qu’on appela ici La voix du peuple, l’hebdomadaire que Correa créa il y a sept ans, et qui donna naissance à l’OP où se réunirent les mineurs et les étudiants qui revenaient dans leur village après avoir fait leurs études à Guadalajara, Monterrey ou Mexico; une autre serait l’histoire personnelle de Benjamín Correa, son style de petite fourmi, qui l’amena à connaître Santa Ana comme personne, et quand je dis connaître, il faudrait même l’employer dans le sens biblique, car les blagues faites dans la voiture lui attribuaient au moins sept maisons, alors qu’il est célibataire ; une autre histoire serait en rapport avec les activités de deux vieux communistes des environs, un mineur du nom de Don Andrés, déjà retraité, et un commerçant, lesquels, en fin de comptes, furent ceux qui mirent l’expérience sur le chemin des élections ; il y a une cinquième façon d’envisager l’histoire de la mairie, c’est en rapport avec le cabinet populaire organisé par Mercado et qui, durant trois ans, mit à disposition un conseiller légal aux paysans dépossédés de leurs terres, aux locataires du marché ou aux instituteurs mis à la porte ; la sixième façon est de suivre la trajectoire de la genèse de la mairie populaire, à partir des abus du caciquisme du PRI et du ras-le-bol populaire. Au choix.
Dans la voiture, une Renault déglinguée, mes compagnons suggèrent l’histoire des morts comme septième option : celle de Madera le plat, qui fut poussé depuis un mont de charges alors qu’il commençait à mettre en place l’organisation des mineurs. La mort par balle perdue de doña Jerónima, vendeuse de poulets au marché, qui mourut dans la manifestation du 20 avril. La mort de Quintín Ramírez, paysan de 45 ans, pendu à la porte de son domicile par les hommes armés des propriétaires fonciers. La mort de sept enfants lors d’une épidémie à la fin des années quatre-vingts. La mort de Daniel Contreras, écrasé par le fils ivre de Simpson, le gérant de la Santa Ana Mining Co. La mort de Lisandro Vera, étudiant en droit né à Santa Ana et premier chef de police de la mairie populaire, tué d’une balle en sortant de la prison. La mort de Manuel, ouvrier chez Coca-Cola, qu’un briseur de grève payé par l’entreprise poignarda pendant les gardes de la grève. La mort de l’instituteur Elpidio, chef en second de la police de la municipalité rouge de Santa Ana, poursuivi par un camion de marijuana à 15 kilomètres de la ville.
Ce serait une autre manière de raconter cette ville que je n’avais inventé qu’à partir de photographies et toujours imaginé comme un grand ranch rempli de drapeaux rouges. Et à présent je commence à la voir de plus près, comme un mélange de rues asphaltées et pavées, des supermarchés, une place municipale, un méli-mélo complexe de pouvoirs et de passions, une librairie ( !), onze cinémas, onze bordels (connus et bien établis), trois arrêts de taxis, 117 crimes passionnels par semestre, 1654 mariages par an, 231 habitants, 21 églises, 42 écoles primaires, quatre écoles secondaires, une prépa, un Gigante, un Blanco, un Oxxo, un réalisateur de cinéma, 16 hôtels, 28% de la production d’étain du pays, un cirque tous les deux mois, une municipalité rouge qui a gagné les élections de 86 mille votes contre 12 mille, un tas de poussière et une terre poudreuse qui encombrent la pureté du bon air de la montagne.

Véronique – du groupe 2 de CAPES – nous propose sa traduction :

J‘ai découvert au moins six façons de commencer l’histoire de la mairie rouge de Santa Ana, et cela rien qu’en un jour de voiture, en empruntant la panaméricaine vers le Nord, avec trois compagnons singuliers. L’une d’elles serait de raconter la lutte de la section 23 du syndicat minier s’émancipant du syndicat traditionnel mexicain depuis le milieu des années soixante-dix ; une autre serait de suivre les fils de ce que l’on nomma ici La Voix du peuple, le journal hebdomadaire que Correa lança voilà sept ans, et qui donna naissance à la OP où s’étaient regroupés des mineurs et des étudiants qui rentraient dans leur ville après avoir étudiés à Guadalajara, à Monterrey ou au D.F. ; une autre serait l’histoire personnelle de Benjamín Correa, son style de petite fourmi, qui le poussa à connaître Santa Ana comme personne, et lorsque je dis « connaître », il faudrait même utiliser le terme dans son sens biblique, en effet, un tas de plaisanteries lancées dans la voiture lui attribuaient au moins sept maisons se bonnes alors que, officiellement, il était célibataire ; une autre histoire aurait à voir avec le travail que firent par ici deux vieux communistes, un mineur du nom de Don Andrés, déjà à la retraite, et un commerçant qui, en fin de compte, furent ceux qui poussèrent l’expérience sur le chemin électoral ; il y a une cinquième façon d’approcher l’histoire de la mairie, elle est en rapport avec le bureau d’études populaire qu’organisa Mercado et qui, durant trois ans, ouvrit une rampe d’accès aux droits pour les paysans privés de leur terre, pour les locataires du marché ou pour les maîtres du primaire renvoyés ; la sixième façon est de suivre la trajectoire de la genèse de la mairie populaire à partir des abus du caciquisme priiste et du mal-être général.
Mes compagnons de voiture, une Renault détraquée, émirent l’idée de l’histoire des morts comme septième option : El Chato Madera, qui fut jeté d’un monte-charge lorsqu’il se chargeait de l’organisation des mineurs. La mort, atteinte d’une balle perdue, de doña Jerónima vendeuse de poulets au marché, tombée pendant la manifestation du 20 avril. La mort de Quintín Ramírez, paysan de 45 ans, pendu à la porte de sa chaumière par des bandits engagés par les propriétaires terriens. La morts des sept enfants au cours d’une épidémie à la fin des années quatre-vingt. La mort de Daniel Contreras, renversé par le fils ivre de Simpson, le gérant du groupe Santa Ana Mining Co. La mort de Lisandro Vera, étudiant en droit, né à Santa Ana et premier chef de la police de la mairie populaire, mort par balle à sa sortie de prison. La mort de Manuel, ouvrier chez Coca Cola, poignardé par un briseur de grève, payé par l’entreprise. La mort du maître Elpidio, second chef de police de la mairie rouge de Santa Ana, qui poursuivait un camion chargé en marijuana à 15 kilomètres de la ville.
Cette manière serait une autre façon de raconter cette ville que j’avais inventée uniquement à partir de photographies et que j’avais toujours imaginée comme un grand ranch plein de drapeaux rouges. Et qu’à présent, je commence à voir de près comme un enchevêtrement de rues goudronnées et pavées, de supermarchés, une place municipale, une structure complexe de pouvoirs et de passions, une librairie ( !), onze cinémas, onze bordels (connus et stables), trois stations de taxis, 117 crimes passionnels par semestre, 1654 mariages par an, 231 mille habitants, 21 églises, 42 écoles primaires, quatre secondaires, un lycée, un Gigante, un Blanco, un Oxxo, un directeur de cinéma, 16 hotels, 28% de la production d’étain du pays, un cirque une fois tous les deux mois, une mairie rouge qui gagna les élections par 86 mille voix contre 12 mille, une tonne de poussière et de terre qui vole dérangeant la pureté du peu d’air des montagnes.

1 commentaire:

sab a dit…

Bonjour,
Je m'interroge sur certains points de traduction qui m'ont posé problèmes. Tout d'abord, le terme "ayuntamiento" a été traduit de plusieurs façons alors que je n'ai proposé qu'une seule traduction. Quel a été votre choix pour les termes "commune, municipalité, mairie"?
Ensuite, pour "bandolero" j'ai proposé "bandits" mais ce terme ne me semble pas assez "fort".Quelle serait la traduction adéquate.
Une autre interrogation: le conditionnel a été traduit par du conditionnel en français "seria," mais pourquoi "sera" a été maintenu au conditionnel?J'ai proposé un conditionnel passé "aurait pu être". Pourriez-vous m'expliquer quelle est la meilleure option et pourquoi?
Merci d'avance.