vendredi 30 janvier 2009

Votre version de la semaine

En photo : Mario Vargas Llosa par ale_boada

Aujourd'hui, la version de la semaine est choisie par Brigitte ; il s'agit d'un extrait feuilletonesque du roman désopilant de Vargas Llosa, La Tía Julia y el escribidor. Je rappelle à ceux qui suivent de près notre blog… d'assez près pour aller lire les commentaires, que Brigitte nous avait proposé cette illustration pour le post de Laure L. sur les telenovelas.

Lamenté que la tía Julia no estuviera allí, porque no me creiera cuando le contara que había visto transfigurarse, embellecerse, espiritualizarse, durante una eterna media hora, a ese puñado de exponentes de la más miserable profesión de Lima, bajo la retórica efervescente de Pedro Camacho. El Gran Pablito y yo estábamos sentados en el suelo en un rincón del estudio ; frente a nosotros, rodeado de una parafernalia extraña, se hallaba el transfuga de Radio Victoria, la novísima adquisición. También había escuchado en actitud mística la arenga del artista ; apenas comenzó la grabación del capítulo, él se convirtió para mí en el centro del espectáculo.
Era un hombre fortachón y cobrizo, de pelos tiesos, vestido casi como un mendigo : un overol raído, una camisa con parches, unos zapatones sin pasador. (Más tarde supe que se le concocía por el misterioso apodo de Batán.) Sus instrumentos de trabajo eran : un tablón, una puerta, un lavador lleno de agua, un silbato, un pliego de papel platino, un ventilador y otras cosas de esa misma apariencia doméstica. Batán constituía él sólo un espectáculo de ventriloquía, de acrobacia, de multiplicación de la personalidad, de imaginación física. Apenas el director-actor hacía la señal indicada –una vibración magisterial del índice en el aire cargado de diálogos, de ayes, de suspiros -, Batán, caminando sobre el tablón a un ritmo sabiamente decreciente hacía que los pasos de los personajes se acercaran o alejaran, y, a otra señal, orientando el ventilador a distintas velocidades sobre el platino hacía brotar el rumor de la lluvia, o el rugido del viento, y, a otra, metiéndose tres dedos en la boca y silbando, inundaba el estudio con los trinos que, en un amanecer de primavera, despertaban a la heroina en su casa de campo. Era especialmente notable cuando sonorizaba la calle. En un momento dado, dos personajes recorrían la Plaza de Armas, conversando. El huatatiro Ochoa enviaba, de cinta grabada, ruido de motores y bocinas, pero todos los demás efectos los producían Batán, chasqueando la lengua, cloqueando, bisbiseando, susurrando (parecía hacer todas esas cosas a la vez) y bastaba cerrar los ojos para sentir, reconstituídas en el pequeño estudio de Radio Central, las voces, palabras sueltas, risas, interjecciones que uno va distraídamente oyendo por una calle concurrida. Pero, como si esto fuera poco, Batán, al mismo tiempo que producía decenas de voces humanas, caminaba o brincaba sobre el tablón, manufacturando los pasos de los peatones sobre las veredas y los roces de sus cuerpos. ‘Caminaba’ a la vez con pies y manos (a las que había enguantado con un par de zapatos), de cuclillas, los brazos colgantes como un simio, golpeándose los muslos con codos y antebrazos. Después de haber sido (acústicamente) la Plaza de Armas a mediodía, resultaba, en cierto modo, una proeza insignificante musicalizar – haciendo tintinear dos fierritos, rascando un vidrio, y, para imitar el desliz de sillas y personas sobre mullidas alfombras, restregando unas tablillas contra su fundillo – la mansión de una empigorotada dama limeña que ofrece té – en tazas de porcelana china – a un grupo de amigas, o, rugiendo, graznando, hozando, aullando, encarnar fonéticamente (enriqueciéndolo de muchos ejemplares) al Zoológico de Barranco. Al terminar la grabación, parecía haber corrido la Maratón olímpica : jadeaba, tenía ojeras y sudaba como un caballo.

Mario Vargas LLosa, La Tía Julia y el escribidor, p. 123-124

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La traduction « officielle », La tante Julie et le scribouillard, par Albert Bznsoussan, pour les éditions GALLIMARD, collection Du Monde Entier 1979, p.110-112.

Je regrettai que tante Julia ne fût pas là, parce qu’elle n’allait pas me croire quand je lui raconterais qua j’avais vu se transfigurer, s’embellir, se spiritualiser durant une éternelle demi-heure, cette poignée de représentants de la plus misérable profession de Lima, sous la rhétorique effervescente de Pedro Camacho. Le Grand Pablito et moi nous étions assis par terre dans un coin du studio ; en face de nous, entouré d’un étrange outillage, se trouvait le transfuge de Radio Victoria, la toute nouvelle acquisition. Lui aussi avait écouté avec une attitude mystique la harangue de l’artiste ; à peine l’enregistrement du chapitre commença-t-il qu’il devint pour moi le centre du spectacle.
C’était un petit homme trapu au teint bistre, les cheveux raides, habillé presque comme un mendiant : un pardessus râpé, une chemise reprisée, des godasses sans lacets. (J’appris plus tard qu’on le connaissait sous le mystérieux surnom de Foulon.)Ses instruments de travail consistaient en une planche de bois, une porte, un bidet plein d’eau, un sifflet, une feuille de papier d’argent, un ventilateur et d’autres babioles de même aspect domestique. Foulon constituait à lui seul un spectacle de ventriloque, d’acrobate, de multiplication de personnalité, d’imagination physique. A peine le directeur-acteur faisait-il le signe indiqué - une vibration professorale de l’index dans l’air chargé de dialogues, de soupirs et d’émois - , Foulon marchant sur sa planche à un rythme savamment décroissant faisait s’approcher ou s’éloigner les pas des personnages, ou, à un autre signe, orientant le ventilateur à différentes vitesses sur la papier d’argent il faisait naître la rumeur de la pluie ou le rugissement du vent et, à un autre, s’enfonçant trois doigts dans la bouche et sifflant, il inondait le studio de gazouillis qui, à l’aube d’un printemps, éveillaient l’héroïne dans la maison de campagne. Il était spécialement remarquable quand il sonorisait la rue. A un moment donné, deux personnages traversaient la place d’Armes en bavardant. Ce gandin d’Ochoa envoyait, au moyen d’une bande magnétique, un bruit de moteurs et d’avertissements, mais tous les autres effets étaient produits par Foulon, claquant la langue, gloussant, marmottant, susurrant (il semblait tout faire à la fois) et il suffisait de fermer les yeux pour sentir, reconstitués dans le petit studio de Radio Central, les voix, les mots épars, les rires, les cris que l’on peut entendre distraitement dans rue fréquentée. Mais comme si c’était trop peu, Foulon, en même temps qu’il produisait des dizaines de voix humaines, marchait ou bondissait sur sa planche, fabriquant les pas des piétons sur les trottoirs et le frôlement des corps. « Il marchait » en même temps sur les pieds et les mains (qu’il enfilait dans une paire de chaussures), à quatre pattes, les bras pendants comme ceux d’un singe, se frappaient les cuisses des coudes et des avant-bras. Après avoir été (acoustiquement) la place d’Armes à midi, c’était finalement, d’une certaine manière, une prouesse insignifiante que de bruiter - en faisant tinter deux bouts de fer, en frottant un verre, et, pour imiter le glissement des chaises et des personnes sur de souples tapis, en raclant son derrière avec de petites tablettes de bois - la demeure d’une Liménienne huppée qui reçoit pour le thé - dans des tasses de porcelaine chinoise - un groupe d’amies, ou, en rugissant, croassant, grognant, hurlant, incarner phonétiquement le zoo de Barranco. En finissant l’enregistrement il avait l’air d’avoir couru le marathon olympique : il haletait, les traits creusés et il suait comme un cheval.

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Odile nous propose sa traduction :

Je regrettai que la tante Julia ne fût pas présente, car elle n'allait pas me croire lorsque je lui raconterais que j'avais vu se transfigurer, se spiritualiser, durant une longue demie-heure, cette poignée de représentants du plus misérable métier de Lima, sous la réthorique stimulante de Pedro Camacho. Le Grand Pablito et moi étions assis par terre, dans un coin du studio ; face à nous, entouré de tout un attirail étrange, se tenait le transfuge de Radio Victoria , la toute nouvelle acquisition. Lui aussi avait écouté, dans une attitude mystique, la harangue de l'artiste; à peine l'enregistrement du chapitre commença-t-il qu'il devint pour moi le centre du spectacle. C'était un homme costaud, à la peau cuivrée, aux cheveux raides, habillé presque comme un mendiant : un bleu de travail élimé, une chemise rapiécée, des gros souliers sans lacets. (Plus tard, j' appris qu'on le connaissait sous le mystérieux surnom de Foulon.) Ses instruments de travail consistaient en un planche de bois, une porte, une bassine remplie d'eau, un sifflet, une feuille de papier d'argent, un ventilateur ainsi que d' autres objets, tous d'un usage domestique. Foulon constituait à lui seul un spectacle de ventriloquie, d'acrobatie, de multiplication de personnalité, d'imagination physique. À peine le directeur-acteur faisait-il le signe indiqué -une vibration magistrale de l'index dans l'air chargé de dialogues, d'interjections, de soupirs-, Foulon, marchant sur la planche à un rythme savamment décroissant, faisait s'approcher ou s' éloigner les pas des personnages, et, à un autre signe, orientant le ventilateur à différentes vitesses sur le papier d 'argent, faisait naître le bruit de la pluie ou le rugissement du vent, puis, à un autre signe, se mettant trois doigts dans la bouche et sifflant, il inondait le studio de trilles d'oiseaux, qui, par une aube de printemps, éveillaient l'héroine dans sa maison de campagne. Il était particulièrement remarquable quand il sonorisait la rue. À un moment donné, deux personnages traversaient la Place d'Armes tout en bavardant. Le gros Ochoa, envoyait, à partir d'une bande enregistrée, des bruits de moteurs et de klaxons, mais tous les autres effets, c'était Foulon qui les produisait, claquant de la langue, gloussant, marmonnant, susurrant (il semblait tout faire à la fois) et il suffisait de fermer les yeux pour entendre, reconstitués dans le petit studio de Radio Central, les voix, les paroles isolées, les rires, les interjections que l'on peut distraitement entendre en passant dans une rue très fréquentée.
Mais, comme si c'était trop peu, Foulon, en même temps qu'il émettait des dizaines de voix humaines, marchait ou sautait sur la planche de bois, fabriquant les pas des piétons sur les trottoirs et les frôlements des corps. Il « marchait » à la fois sur les pieds et les mains (qu'il enfilait dans une paire de chaussures), à croupetons, les bras pendants comme un chimpanzé, se frappant les cuisses des coudes et des avant-bras. Après avoir été (acoustiquement) la Place d'Armes à midi, c'était, d'une certaine façon, une prouesse insignifiante que de sonoriser -en faisant tinter deux petits morceaux de fer, en raclant du verre, et, pour imiter le glissement des chaises et des personnes sur de moelleux tapis, en frottant l'arrière de son pantalon avec des petites tablettes de bois- la demeure d'une dame huppée de Lima qui offre du thé - dans des tasses de porcelaine chinoise- à un groupe d'amies, ou, en rugissant, croassant, grognant, hurlant, d'incarner phonétiquement (en l'enrichissant de nombreux spécimens) le parc zoologique de Barranco. Une fois l'enregistrement terminé, il avait l'air d'avoir couru le Marathon olympique: il haletait, il avait des cernes sous les yeux et il suait comme un cheval.

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Vanessa – étudiante du groupe 2 de CAPES – nous propose sa traduction :

J’étais déçu que le Tante Julia ne fût pas là, parce qu’elle ne croirait pas quand je lui raconterai que j’avais vu se transfigurer, s’embellir, se spiritualiser, pendant une éternelle demi-heure, ce groupe d’exposants de la plus misérable profession de Lima, sous ma rhétorique effervescente de Pedro Camacho. Le grand Pablito et moi étions assis sur le sol dans un coin du studio ; face à nous, entouré d’un outillage étrange, se trouvait le transfuge de Radio Victoria, la toute nouvelle acquisition. Lui aussi avait écouté, dans une attitude mystique, la harangue de l’artiste. L’enregistrement du chapitre avait à peine commencé, qu’il devint, d’après moi, le centre du spectacle.
C’était un homme trapu et de couleur cuivrée, aux cheveux raides, vêtu presque comme un mendiant : un bleu de travail élimé, une chemise reprisée, des chaussures sans lacets. (Plus tard, j’appris qu’on le connaissait sous le mystérieux surnom de Foulon). Ses instruments de travail étaient une planche de bois, une porte, une cuvette remplie d’eau, un sifflet, une feuille de papier argenté, un ventilateur et d’autres choses de même apparence domestique. Foulon constituait à lui seul un spectacle de ventriloque, d’acrobatie, de multiplication de personnalités, d’imagination physique. A peine le directeur-acteur faisait le signe indiqué -une vibration professorale de l’index dans l’air chargé de dialogues, de plaintes, de soupirs- Foulon marchant sur la planche de bois à un rythme savamment décroissant faisait que les pas des personnages s’approchent ou s’éloignent, et, à un autre signe orientant le ventilateur à différentes vitesses sur le feuille argentée faisait naître la rumeur de la pluie, ou le rugissement du vent, et, à un autre, se mettant trois doigts dans la bouche et sifflant, il inondait le studio des trilles qui, une aube de printemps, réveillaient l’héroïne dans sa maison de campagne. Il était spécialement remarquable quand il reproduisait les sons de la rue. A un moment donné, deux personnages traversaient la place d’Armes en conversant. Ce benêt d’Ochoa envoyait’ avec une bande enregistrée, un bruit de moteurs et de klaxons, mais tous les autres effets étaient produits par foulon, claquant la langue, gloussant, chuchotant, susurrant (il semblait faire toutes ces choses en même temps) et il suffisait de fermer les yeux pour sentir, reconstitués, dans le petit studio de Radio Central, les voix, des mots isolés, des rires, des interjections que l’on peut distraitement entendre dans une rue fréquentée. Mais, comme si cela fût peu, Foulon, en même temps qu’il produisait des douzaines de voix humaines, marchait ou sautait sur la planche de bois, fabriquant les pas des piétons sur les trottoirs et les frôlements de leurs corps. « Il marchait » en même temps sur les pieds et les mains (auxquelles il avait mis une paire de chaussures), à genoux, les bras ballants comme un singe, se frappant les cuisses avec les coudes et les avant-bras. Après avoir été (acoustiquement) la place d’Armes à midi, cela résultait, d’une certaine manière, une prouesse insignifiante que de musicaliser –en faisant tinter deux bouts de fer, en frottant du verre, et, pour imiter le glissement de deux chaises et des personnes sur des tapis souples, en frottant énergiquement des petites planches de bois contre son derrière- le demeure de Lime d’une dame bourgeoise qui offrait du thé –dans des tasses de porcelaine chinoise- à un groupe d’amies, ou en rugissant, croassant, grognant, aboyant, incarner phonétiquement (en l’enrichissant de nombreux exemplaires) le Zoo de Barranco. Une fois l’enregistrement terminé, il semblait avoir couru le Marathon olympique, il haletait, avait des cernes et il transpirait comme un cheval.

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