mercredi 18 février 2009

Les ateliers de traduction collective, par Jacqueline

En photo : Hard-boiled eggs par cdevroe

Noir, c’est noir, mais y’a toujours de l’espoir,

En tout cas, on ne ressort pas désespéré des ateliers de Caroline Lepage ; même si elle affectionne les textes… un peu noirs ou… colorés, ils sont très souvent pleins d’humour, ce qui ouvre des débats franchement hilarants entre nous…
La dernière séance était consacrée à Andrés Trapiello et « Los amigos del crimen perfecto ». L’occasion pour notre tutrice de nous faire un topo magistral sur le roman noir, après une solide explication de textes qui nous a permis de dégager la colonne vertébrale du texte, parodie du roman noir en Espagne ; roman noir, thriller, roman d’énigme, polar, autant de termes qui ne sont pas vraiment des synonymes. Révisons :
- Au 19ème, naissance du roman d’énigme, littérature tournée sur elle-même ; ce repliement sur soi est dû au fait que le monde est en train de changer ; aspiration à évacuer le réel ; l’auteur lance un défi au lecteur. Type, Le chien des Baskerville.
- Années 20-30 : le roman noir émerge aux Etats-Unis ; littérature engagée, dénonciatrice, militante ; littérature hard-boy (« durs à cuire ») ; un leitmotiv : tout le monde est pourri. Ce sont les polars de Hammett et Chandler.
- Années 80 : on change de ton, la société est perçue comme bonne mais il y a des éléments incontrôlables, les serial Killer et les déviants sexuels qui ont dû quitter les asiles, faute de moyens alloués par l’état, sont sur les trottoirs et les gens ont peur ; cette littérature repose donc sur la peur, l’angoisse qui entraîne la justification de la politique de répression de l’état ; Patricia Cornwell et Mary Higgins Clark en font leurs choux gras avec leurs thrillers.
Dès lors que nous avions compris le ton du texte et repéré les indices utiles pour dégager la parodie de ce ton, il ne nous restait plus qu’à nous couler dans ce moule tout en saveur, que nous avons restitué ainsi :

Il n’avait jamais signé sous son nom. Qui aurait acheté un roman policier écrit par quelqu’un s’appelant Francisco Cortés, divorcé, menant une vie minable et résidant à Madrid, dans un logement sis calle Espertina ? Feu Espeja avait été du même avis, Espeja senior l’était, et, ça louperait pas, Espeja junior le serait le jour venu, si la chance ne lui souriait pas. Et quand bien même il aurait eu le cran de se coltiner un nom pareil, qui aurait gobé qu’un gars que tout le monde appelait certainement Paco aurait les connaissances requises pour parler de Chicago, de Détroit, de Londres, de New-York ou d’une de ces obscures provinces françaises où, à la manière de Simenon, il avait fait se dérouler quelques-unes de ses intrigues. O. K, il aurait pu prendre Madrid comme décor. C’était une question de crédibilité ; or, la crédibilité, c’est l’élément crucial de l’art du romancier. Mais, ça, c’était plus qu’exclu : qui aurait cru que dans un trou comme Lavapiés pourraient se produire des crimes comme ceux de New-York, Londres, Chicago ou Marseille ? Non, non. Hammett et Chandler, ces deux-là, oui, qui savaient tuer dans les règles de l’art. Huit, dix, douze macchabées par bouquin. Sans aucun problème, comptant toujours sur la logique, la ténacité, l’acuité qui permettrait de résoudre l’affaire. Et quel œil ! Ça, oui, ils avaient l’œil à tout. Tiens, prenez par exemple Bay City Blues, capable de voir la nuit, comme un hibou. Notre bonhomme, il est en train de chercher un calibre dans un bois, au milieu d’un tapis d’épines de pin. Nuit noire. Pas la plus petite lumière. Pas de lampe torche. Pas la moindre queue du bout incandescent d’une cigarette. Mais pas se problème, il le retrouve, à moitié enterré de surcroît, et avant de s’accroupir, il arrive encore à voir « une fourmi qui prend le frais sur le barillet ». Y’a pas à dire, ces classiques, c’étaient des vrais génies. Paco Cortés aspirait à devenir un classique. A ce moment-là, personne ne s’attend à ce que le lecteur fasse attention à une fourmi, et à fortiori qu’il interrompe sa lecture pour réaliser que les fourmis se couchent comme les poules et que du coup, elles vont pas s’ faire des petites fiestas et encore moins en allant se fourrer dans le barillet d’un colt 45. Mais aux classiques, on leur pardonne tout.

Eh bien croyez-moi, nos séances tiennent du roman d’énigme – nous nous lançons des défis –, du polar, il ne faut pas croire, nous sommes des durs à cuire même si Olivier nous manque, et nous sommes parfois des éléments incontrôlables que Caroline, gentiment, ramène au bercail de la traduction rigoureuse. Au bout du compte des séances rigolotes salle H118, et dire que la semaine prochaine, nous sommes en vacances ! Jacqueline

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