mercredi 11 février 2009

Version d'entraînement, 15 (Camilo José Cela)

En photo : camilo jose cela par Luis Bermejo Espin

Una noche poco descansada

« Alrededor de la mesa habría una ocho o diez personas, todas hombres, menos una ; tenían aire de arrieros de alguna posición y comían y bebían abundantemente. Yo me senté en un extremo del banco.
— Que aproveche - les dije.
— Igualmente - me respondieron a coro.
Esperé en silencio a que me trajeran la cecina ; comí y bebí cuando me la sirvieron, y pregunté por la cama cuando concluí.
— Mucha prisa es ésa - me dijo la mujer.
— Sí señora - le repliqué -, que estoy cansado del camino y tengo sueño.
Me mostraron la alcoba, me dijeron cuál era la cama, y en ella me eché para dormir, sino como un bendito - cosa que no conseguí por la cantidad de maldiciones que de mi boca salieron aquella noche -, sí al menos como un hombre hambriento de colchón. El lecho era un camaranchón con tantos años como la historia, alto y desvencijado, con aire no de apacible sepultura - como es ley que las camas han de ser -, sino de flaco y fino galgo corredor, con más ruidos y más ayes que una caja de música o el entierro de un alcalde, y con más bichos que un carnero muerto el día de la Virgen del Carmen y mirado el día de la Asunción. Para compensar estos excesos, tenía su colchón tan poca lana como era escasa la educación de su dueña, y la cama tan desnuda estaba y con tan poca ropa se cubría, que mismo parecía, si no fuera por lo sucio, que acabara de salir del baño. Pasé la noche de mala manera, y los placeres que me prometía tan por ningún lado aparecieron, que momento no faltó, ciertamente, en que echara de menos el abrigo de un matorral o el duro pero tranquilo lecho de una cuneta. Entre las picaduras de los bichos, que me soliviantaban, y el roncar, eructar y gargajear de mis compañeros de hospedaje, que no me permitían vivir al silencio, tales juramentos llegué a echar por mi boca y tales malas ideas llegó a guardar mi cabeza, que no sé si aquella noche habrá llegado a servir, ella sola, para condenar eternamente mi alma. Quizá Dios quiera perdonarme, ya que si juré y malpensé no fue sin motivo ni a cambio de ventaja alguna ; que no fue más que por desahogarme y como para demostrar, al fin, que todavía - aunque malamente - seguía viviendo. »

C. José Cela, Nuevas andanzas y desventuras de Lazarillo.

***

La traduction « officielle », « Nouvelles aventures et mésaventures de Lazarillo de Tormès », par Marie Bethe Lacombe pour les éditions Gallimard, 1989, p. 154-156 :

Huit ou dix personnes, tous des hommes, sauf une femme, étaient assis autour de la table ; ils avaient l’air de muletiers aisés, mangeaient et buvaient abondamment. Je m’assis au bout du banc.
— Bon appétit, dis-je.
— Également, me répondirent-ils tous ensemble.
J’attendis en silence qu’on m’apportât la viande séchée ; quand on me servit, je mangeai et bus et dès que j’eus terminé, je demandai mon lit.
— Vous êtes bien pressé, me dit la femme.
— Oui, Madame, répliquai-je, je suis fatigué d’avoir marché et j’ai sommeil.
On me montra la chambre, on m’indiqua mon lit et je m’y allongeai pour dormir, sinon comme un bienheureux – à cause de la quantité de malédictions qui s’échappèrent de ma bouche cette nuit-là – du moins comme un homme aspirant à un matelas.
Le lit ressemblait à une grande guimbarde et il était aussi vieux que l’histoire, aussi décharné et dénudé qu’un lévrier de course, et loin de ressembler à une paisible sépulture, comme tout lit qui se respecte, il était aussi bruyant qu’une boîte à musique et gémissait tellement qu’il faisait penser à l’enterrement d’un maire de village ; de plus, il était aussi plein de bêtes qu’un mouton qu’on aurait tué le 16 juillet pour Notre-Dame du Mont Carmel et qu’on n’aurait regardé que le 15 août le jour de l’Assomption. Sans doute pour compenser cet excès, son matelas manquait autant de laine que la maîtresse de maison d’éducation ; et le lit tout entier était si nu et si peu couvert qu’il pouvait se comparer – la saleté mise à part – à une personne sortant du bain.
Je passai une si mauvaise nuit et les plaisirs que je m’étais promis d’un repos dans un lit furent si loin d’être réalisés, qu’à de nombreux instants je regrettai de n’être pas étendu à l’abri d’un buisson ou dans le creux, dur mais tranquille, d’un fossé.
Entre les piqûres des punaises qui me faisaient sursauter, les ronflements, les rots, les crachats de mes compagnons de chambre qui ne me permettaient pas un seul instant de silence, de tels jurons sortirent de ma bouche et de si mauvaises pensées tournèrent dans ma tête que je me demande si cette nuit-là n’aurait pas suffi à elle seule à me faire damner. Dieu, peut-être, voudra bien me pardonner car si je jurai et pensai mal ce ne fut pas sans motif ni en échange d’aucun avantage ; ce fut seulement pour me soulager et pour démontrer qu’après tout, et tant bien que mal, je continuais à vivre.

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La traduction établie avec les apprentis en atelier collectif :

Une nuit bien peu reposante

Autour de la table, il devait y avoir quelque huit à dix personnes, rien que des hommes, sauf une femme ; ils avaient l’air d’être des muletiers d’un certain rang. Ils mangeaient et buvaient copieusement. Moi, je m’assis à un bout de banc.
— Bon appétit – leur lançai-je.
— Pareillement – me répondirent-ils en chœur.
J’attendis en silence qu’on m’apporte ma viande séchée ; je mangeai et je bus à peine servi et je demandai où était mon lit dès que j’eus terminé.
— Eh ben, vous voilà bien pressé – me rabroua la femme.
— Oui, madame – me justifiais-je –, c’est que je suis fatigué du chemin et que j’ai sommeil.
On me montra la chambre, on me désigna mon lit, où je me laissais tomber pour dormir, si ce n’est comme un bienheureux – chose que je n’obtins pas eu égard aux jurons qui sortirent de ma bouche cette nuit-là – du moins, comme un homme affamé de son matelas. La couche était une espèce de paillasse, vieille comme le monde, en hauteur et déglinguée, qui ne ressemblait point à une paisible sépulture – comme la loi es lits l’exige – mais à un lévrier maigre et décharné, faisant plus de bruit qu’une boîte à musique et poussant plus de gémissements que pour les funérailles d’un maire, grouillant de plus de bestioles qu’un mouton mort le jour de la Pentecôte et retrouvé le jour de l’Assomption. Pour compenser de tels excès, son matelas était garni d’aussi peu de laine qu’était mince l’éducation de la propriétaire, et le lit était si nu et couvert de si peu de ligne qu’on aurait tout aussi bien pu dire – n’eût été sa saleté – qu’il venait de sortir du bain. Je passai une bien mauvaise nuit et de tous les plaisirs que je m’étais promis, je n’en vis pas la couleur d’un seul, à tel point que, fatalement, n’a pu manquer d’arriver le moment où j’ai regretté l’abri d’un buisson ou la dure mais tranquille couche d’un fossé. Entre les piqûres des bestioles, qui me rendaient fou, et les ronflements, éructations et raclements de gorge de mes compagnons de chambrée, qui ne me permettaient pas de goûter au silence, j’en vins à proférer de tels jurons et ma tête à abriter de si mauvaises pensées que je ne sais pas si cette nuit-là, à elle seule, n’aura pas suffi à condamner mon âme pour les siècles des siècles. Dieu, daignera peut-être me pardonner, car si j’ai juré et eut de mauvaises pensées, ça n’a pas été sans raison ni en échange de quelque avantage ; ne serait-ce que pour me soulager et comme pour démontrer qu’en fin de compte – et même mal – j’étais encore en vie.

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Odile nous propose sa traduction :

« Autour de la table il devait y avoir huit ou dix personnes, tous des hommes, moins une femme; ils paraissaient être des muletiers de condition aisée et mangeaient et buvaient en abondance. Moi, je m'assis au bout du banc.
-Bon appétit- leur dis-je.
-Pareillement- me répondirent-ils en choeur.
J'attendis en silence que l'on m'apporte la viande séchée, je mangeai et bus lorsqu'on me la servit et demandai mon lit quand je terminai.
-Vous êtes bien pressé- me dit la femme.
-Oui, madame -lui répliquai-je- c'est que je suis fatigué du chemin et j'ai sommeil. On me montra la chambre, on m'indiqua mon lit, et je m'y allongeais pour dormir, non comme un bienheureux -chose que je ne pus être en raison du nombre de malédictions que je proférai cette-nuit là- mais du moins comme un homme mort de sommeil. La couche était une paillasse, vieille comme le monde, haute et bringuebalante, à l'allure non d'une paisible sépulture- comme il se doit pour un lit digne de ce nom-, mais plutôt d'un long lévrier squelettique, produisant plus de bruits et de gémissements qu'une boîte à musique ou que ceux émis lors de l'enterrement d'un maire, et plus grouillante de bestioles qu'un veau mort le jour de la fête de la Vierge du Carmen qu'on retrouverait le jour de l'Assomption. Pour compenser ces excès, il y avait dans le matelas autant de laine que de bonne éducation chez sa propriétaire, le lit était si nu et si peu couvert de linge qu'il semblait, n'eût été sa saleté, comme sorti du bain. Je passai une nuit fort désagréable et les plaisirs que je m'étais tant promis ne vinrent pas, à tel point que nombreux furent les moments où je regrettais le couvert d'un buisson ou le dur, mais tranquille, lit d'un fossé. Entres les piqûres des bestioles qui me harcelaient, les ronflements, les éructations et les râclements de gorge de mes compagnons de chambrée qui ne me permettaient pas de gôuter le silence, je proférai tant et tant d'injures et de si mauvaises pensées me passèrent par la tête que je me demande si cette nuit-là à elle seule n'aura pas suffi à condamner mon âme pour l'éternité. Peut-être Dieu voudra-t-il me pardonner car si j'ai juré et eu de mauvaises pensées ça ne fut pas sans motifs ni en échange de quoi que ce soit :ça n'a été que pour me soulager et comme pour me prouver, en fin de compte, même mal, que j'étais encore vivant.

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