samedi 14 février 2009

Version d'entraînement, 18 (Manuel Vázquez Montalbán)

En photo : Le sourire de l'ane par Reibenberg

Voici la version choisie par mes soins pour le devoir sur table d'hier des étudiants bordelais préparant le CAPES. Je laisse aux apprentis traducteurs quelques heures pour éventuellement proposer leur traduction… et je vous envoie mon corrigé – je dis bien "corrigé", car je suis restée très sage pour être à peu près dans les critères d'évaluation du concours. Peut-être faudra-t-il ensuite tout reprendre afin de libérer ce pauvre texte de ses chaînes…

Abrió un solo ojo, como si temiera que los dos le confirmaran excesivamente la panza de burro del cielo, la obscenidad de aquella piel gris y terca que ensuciaba el paisaje tropical de lujo, convertía el arbolado en una infame turba de palmeras y plataneras de plomo oxidado. Una esperanza de esquina de cielo azul se insinuaba hacia el noreste.
—Maracas Bay.
Se dijo con resignación mientras se daba impulso para saltar de la cama y quedar sentado, sorprendido por sus propias piernas desnudas, esperando órdenes, con la huesuda proa rotular apuntando la maleta abierta, semillena, manteniendo desde hacía días el mismo equilibrio sobre un pequeño butacón. Los codos sobre los muslos, la cara entre las manos abiertas, el peso de la cabeza ocupada por el rostro en primer plano de la chica de la agencia de viajes de San Francisco.
—Escoja Trinidad y Tobago, están juntas. No se arrepentirá.
—Me da igual cualquier isla, sólo quiero sol y palmeras. Aruba, Curaçao, Bonaire.
—Trinidad y Tobago. No se arrepentirá.
Ya no le quedaban fuerzas ni para arrepentirse. Cada día contemplaba el cielo a través de la ventana de su habitación del Holiday Inn y la panza de burro estaba allí, como estaba allí esa esquina azulada a la que peregrinaban sus ojos una y otra vez para jugar al escondite con un sol tuberculoso y esquivo.
—Maracas Bay.
Todo antes que quedarse en la encerrona de Port Spain, que recorrer otra vez la retícula tediosa de calles que le llevaban a la Savannah, la misma Savannah de todas las islas del Caribe, la nostalgia de África convertida en una plaza mayor–pradera, quizá ninguna tan enorme como la de Port Spain, pero que se la metan en el culo la Savannah, y el Jardín Botánico y la arquitectura colonial de la Woodford Square, las casonas grandilocuentes de la Maraval Road.
—¿Ha visto usted las siete mansiones de Maraval Road? –le preguntaría una vez más el taxista hindú.
—Me las enseñó usted.
—Es cierto.
Una mano en el volante, la otra lanzando dedos oscuros y nombres de casas que constituían lo más importante del patrimonio arquitectónico de Port Spain.
—Stollmeyer.s Casztle, White Hall, Roodal.s Residence...
La oscuridad que envolvía a toda la isla presagiaba el fin del año y tal vez el fin del mundo. El taxista levantaba el dedo oscuro, un dedo de gitano, hacia el cielo.
—Todo empezó desde que subieron allí arriba.
—¿Quién subió allí arriba?
—Los rusos y los americanos. Desde que subieron allí arriba, el invierno es verano y el verano es invierno. Hace años, antes de que subieran allí arriba, en diciembre no llovía.

Manuel Vázquez Montalbán, La rosa de Alejandria

***

La traduction « officielle » par Denise Laroutis pour les éditions Christian Bourgois :

Il ouvrit un œil seulement, comme s’il avait eu peur qu’ouvrant les deux ne lui fût confirmée l’obscénité du ciel, gris comme une peau de ventre d’âne, peau terne et dure qui salissait le paysage luxueux du Tropique, tranformait les arbres en une armée ignoble de palmiers et de bananiers de plomb oxydé. Une espérance de coin de ciel bleu s’insinuait du côté du nord-est.
— Maracas Bay.
C’est ce qu’il se dit, résigné, rassemblant ses forces pour sortir de son lit et s’asseoir, étonné par ses jambes nues qui attendaient les ordres, la proue osseuse de la rotule pointée vers la valise ouverte, à moitié vidée, en équilibre depuis des jours sur le petit tabouret. Les coudes appuyés sur les cuisses, le visage dans les mains ouvertes, la tête lourde enhavie en premier plan par la visage de la fille de l’agence de voyage, à San Francisco :
— Prenez Trinidad et Tobago. Ce n’est pas loin. Vous ne le regretterez pas.
— Cette île ou une autre, je m’en fous. Ce que je veux, c’est du soleil, des palmiers. Aruba, Curaçao, Bonaire.
— Trinidad et Tobago. Vous ne regretterez pas.
Il n’avait même plus la force d‘avoir des regrets. Chaque jour, il regardait le ciel par la fenêtre de sa chambre du Holiday Inn, et le ventre d’âne était là, et ce coin de ciel bleu que ses yeux tâchaient de surprendre à chaque instant, jouant à cache-cache avec un soleil anémique et farouche.
— Maracas Bay.
Tout plutôt que rester dans ce trou du cul du monde, Port of Spain, que parcourir pour la énième fois le réseau morose des rues et de se retrouver sur la Savannah, une Savannah identique à celles de toutes les îles des Caraïbes, nostalgie de l’Afrique muée en grand-place herbue. Aucune sans doute n’était aussi vaste que celle de Port of Spain, mais ils pouvaient bien se la foutre où je pense, leur Savannah, et le Jardin botanique avec, et l’architecture coloniale de Woodfort Square, et les grandes baraques grandiloquentes de Maraval Road.
— Vous avez vu les sept palais de Maraval Road ? allait lui demander encore une fois le chauffeur de taxi hindou.
— C’est vous qui me les avez montrés…
— Ah oui !
Une main sur le volant, l’autre tendant des doigts sombres, et des noms de maisons qui constituaient l’essentiel du patrimoine architectural de Port of Spain.
— Stollmeyer’s Castle, White Hall, Roodal’s Residence…
L’obscurité qui enveloppait toute l’île annonçait la fin de l’année et peut-être la fin du monde. Le chauffeur levait un doigt brun, un doigt de Gitan, vers le ciel.
— Ce temps-là a commencé quand ils sont montés là-haut.
— Qui est-ce qui est monté là-haut ?
— Des Russes et les Américains. Depuis qu’ils sont montés là-haut, c’est l’hiver en été et l’été en hiver. Dans le temps, avant qu’ils montent là-haut ; il ne pleuvait jamais en décembre.

***

La traduction que je vous propose :

Il ouvrit un œil seulement, comme s’il avait craint qu’avec les deux, lui serait trop évidemment confirmé le spectacle qu’offrait le ciel : un ventre d’âne, l’obscénité de cette peau grise et tenace qui salissait le paysage luxueux des Tropiques, tranformait les arbres en une ignoble défilé de palmiers et de bananiers en plomb oxydé. Une vague espérance de coin de ciel bleu s’insinuait vers le nord-est.
— Maracas Bay.
Voilà ce qu’il se dit, résigné, lorsqu’il rassembla ses forces pour bondir du lit et finalement se retrouver assis au bord, étonné de voir ses jambes nues, attendant les ordres, la proue osseuse de la rotule pointant vers la valise ouverte, à moitié vide, en équilibre depuis des jours sur un petit fauteuil. Les coudes sur les cuisses, le visage dans les mains ouvertes, la tête lourde pleine de l’image de la jeune fille de l’agence de voyages de San Francisco.
— Prenez donc Trinidad et Tobago. C’est tout à côté. Vous ne le regretterez pas.
— Je me fiche de savoir de quelle île il s’agit, tout ce que je veux, c’est du soleil et des palmiers. Auba, Curaçao, Bonaire.
— Trinidad et Tobago, je vous dis. Et croyez-moi, vous ne le regretterez pas !
Or à présent, il n’avait même plus l’énergie pour avoir des regrets. Chaque jour, il contemplait le ciel à travers la fenêtre de sa chambre du Holiday Inn, et immanquablement le ventre d’âne était là, tout comme était là ledit coin de ciel bleu vers lequel ses yeux vagabondaient encore et encore pour tâcher de surprendre un soleil turberculeux et farouche.
— Maracas Bay.
Tout plutôt que de rester dans ce trou de Port Spain, que parcourir pour la énième fois le réseau ennuyeux des rues menant sur la Savannah ; une Savannah semblable à celles de toutes les îles des Caraïbes, nostalgie de l’Afrique changée en grand-place-prairie. Aucune n’était aussi vaste que celle de Port Spain, peut-être bien, mais ils pouvaient quand même se la mettre où je pense, leur fichue Savannah, et y ajouter le Jardin Botanique, l’architecture coloniale de la Woodfort Square et les grandes baraques grandiloquentes de Maraval Road.
— Avez-vous vu les sept palais de Maraval Roda ? ne manquerait pas de lui demander, une fois de plus, le chaffeur de taxi hindou.
— C’est vous-même qui me les avez montrés.
— En effet.
Une main sur le volant, l’autre tendant des doigts foncés en mentionnant les noms d’un ensemble de maisons qui consituait l’essentiel du patrimoine architectural de Port Spain
—Stollmeyer’s Casztle, White Hall, Roodal.s Residence…
L’obscurité qui enveloppait toute l’île annonçait la fin de l’année. Le chaffeur de taxi levait son doigt foncé, un doigt de gitan, vers le ciel.
— Tout a commencé quand ils sont montés au là-haut.
— Qui donc est monté là-haut ?
— Les Russes et les Américains. Depuis qu’ils sont montés là-haut, l’hiver est devenu l’été et l’été est devenu l’hiver. Il y a des années, avant qu’ils soient montés là-haut, il ne pleuvait pas en décembre.

***

Brigitte nous propose sa traduction :

Il n’ouvrit qu’un seul œil, comme s’il craignait qu’ouvrir les deux ne lui confirme trop bien la panse d’âne du ciel, l’obscénité de cette peau grise et entêtée qui salissait le paysage tropical de luxe, transformait la forêt en une infâme cohue de palmiers et de bananiers de plomb oxydé. Un espoir de coin de ciel bleu se profilait vers le nord ouest.
- Maracas Bay.
Se dit-il, résigné, tandis qu’il se donnait une impulsion pour sortir de son lit et s’asseoir, surpris par ses propres jambes nues, en attente d’ordres, la proue osseuse de sa rotule pointant vers sa valise ouverte, à moitié pleine, qui conservait depuis des jours le même équilibre sur son petit fauteuil. Les coudes posés sur ses cuisses, la tête entre ses mains ouvertes, la lourdeur de son crâne envahi par le visage en gros plan de la fille de l’agence de voyages de San Francisco.
- Choisissez Trinidad et Tobago, elles sont toutes proches. Vous ne regretterez pas.
- N’importe quelle île ça m’est égal, tout ce que je veux c’est du soleil et des palmiers. Aruba, Curaçao, Bonaire.
- Trinidad et Tobago. Vous ne regretterez pas.
Il ne lui restait même plus assez de forces pour avoir des regrets. Chaque jour, il contemplait le ciel par la fenêtre de sa chambre du Holiday Inn et la panse d’âne était là, comme l’était ce coin bleuté jouant à cache-cache avec un soleil phtisique et revêche vers lequel son regard vagabondait de temps à autre.
- Maracas Bay.
Tout sauf rester dans ce traquenard de Port Spain et parcourir encore une fois l’enchevêtrement moite de rues qui le conduisaient à la (place) Savannah, la même Savannah identique sur toutes les îles Caraïbes, la nostalgie de l’Afrique devenue grand place-prairie, peut-être aucune autre aussi immense que celle de Port Spain, mais ils peuvent se la mettre où je pense leur foutue Savannah, et le Jardin Botanique et l’architecture coloniale de la Woodford Square, les grosses baraques tape à-l’oeil de la Maraval Road.
- Vous avez-vu les sept demeures de Maraval Road ? – lui demanderait encore le chauffeur de taxi hindou.
- C’est vous qui me les avez montrées.
- C’est vrai.
Une main sur le volant, l’autre projetant en l’air des doigts sombres et des noms de
maisons qui constituaient l’essentiel du patrimoine architectural de Port Spain.
- Stollmeyer Castle, White Hall, Roodal.s Residence…
La noirceur qui enveloppait toute l’île présageait la fin de l’année et peut-être la fin du monde. Le chauffeur pointait son doigt sombre, un doigt de roublard, vers le ciel.
- Tout a commencé depuis qu’ils sont allés là-haut.
- Qui est allé là-haut ?
- Les Russes et les Américains. Depuis qu’ils sont allés là-haut, l’hiver c’est l’été et l’été c’est l’hiver. Il y a des années, avant qu’ils ne montent là-haut, en décembre il ne pleuvait pas.

***

Odile nous propose sa traduction :

Il ouvrit un œil, un seul, comme s'il craignait que les deux ne lui confirment que trop la panse d'âne du ciel, l'obscénité de cette peau grise et entêtée qui salissait le luxueux paysage tropical, transformait la frondaison en une infâme multitude de palmiers et de bananiers couleur de plomb oxydé. Un espoir de coin de ciel bleu se dessinait vers le nord-ouest.
- Maracas Bay.
Se dit-il, résigné, tandis qu'il prenait de l'élan pour bondir du lit et s'asseoir, surpris par ses propres jambes nues, attendant les ordres, la proue osseuse de la rotule pointant vers sa valise ouverte, à moitié vidée et qui tenait en équilibre, depuis plusieurs jours, sur un petit fauteuil. Les coudes sur les cuisses, le visage entre les mains, la tête lourde et pleine du visage en gros plan de la jeune fille de l'agence de voyages de San Francisco.
- Choisissez Trinidad et Tobago, elles sont tout près. Vous ne le regretterez pas.
- N'importe qu'elle île fera l'affaire, je ne veux que du soleil et des palmiers. Aruba, Curaçao, Bonaire.
- Trinidad et Tobago. Vous ne le regretterez pas.
Il n'avait même plus la force de le regretter. Chaque jour, il contemplait le ciel par la fenêtre de sa chambre du Holyday Inn et la panse d'âne était toujours là, tout comme ce coin bleuté vers lequel voyageaient ses yeux, encore et encore, jouant à cache-cache avec un soleil phtisique et furtif.
- Maracas Bay.
Tout plutôt que de rester dans la nasse de Port Spain, que de parcourir encore l'enchevêtrement mortel de rues qui menaient à la Savannah, cette même Savannah de toutes les îles de la Caraïbe, la nostalgie de l'Afrique changée en grand-place-prairie, et peut-être bien qu'aucune n'était aussi grande que celle de Port Spain, mais qu'ils se la foutent au cul leur Savannah, et leur Jardin Botanique, et l'architecture coloniale de Woodford Square, et les villas tape-à-l'oeil de Maraval Road.
- Vous avez vu les sept villas de Maraval Road? -lui demanderait une fois de plus le chauffeur de taxi hindou
- C'est vous qui me les avez montrées.
- C'est vrai.
Une main sur le volant, l'autre pointant ses doigts sombres en citant les noms de maisons qui constituaient l'essentiel du patrimoine architectural de Port Spain.
- Stollmeyer's Castle, White Halle, Roodal's Residence....
L'obscurité qui entourait toute l'île présageait de la fin de l'année et peut-être aussi de la fin du monde. Le chauffeur de taxi levait un doigt sombre, un doigt de gitan, vers le ciel.
- Tout à commencé depuis qu'ils sont allés là-haut.
- Qui est monté là-haut?
- Les russes et les américains. Depuis qu'ils sont montés là-haut, l'hiver c'est l'été et l'été c'est l'hiver. Autrefois, avant qu'ils ne montent là-haut, il ne pleuvait pas en décembre.

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