mercredi 29 avril 2009

De la variation textuelle au Moyen Age. Le Livre des merveilles du Monde de Jean de Mandeville : textes aragonais et castillans, par Julia Roumier

En photo : Julia Roumier

[une petite parenthèse pour te remercier, chère Julia, de ta visite parmi nous !]

Parmi les œuvres médiévales qui connurent un grand succès figure en bonne place Le Livre des Merveilles de Jean de Mandeville, une des œuvres les plus lues en Europe du 14e au 16e siècle. Il compte parmi ses lecteurs d’aussi célèbres personnages que Christophe Colomb, Fernando de Rojas, Martorell et Cervantes (on le retrouve effectivement cité dans les textes de Persiles y Sigismunda ou de Tirant le Blanc). Ce texte pénétra en Espagne au travers d’une traduction aragonaise réalisée à la demande de Jean I d’Aragon vers 1380 (à partir du texte original rédigé en normand vers 1360) mais aussi au travers d’une traduction en castillan réalisée plus tardivement, à partir d’une version latine de ce texte. On conserve en tout cinq éditions en castillans datant du 16e siècle.
Il s’agit donc d’un texte dont l’intérêt s’est maintenu vivement aux yeux des lecteurs pendant plus de trois siècles. Au cours d’une si longue période, la nature de cet intérêt a bien entendu évolué et s’est porté sur des dimensions différentes du texte selon les époques. Ce sont ces évolutions du regard porté par les lecteurs que trahissent les variations textuelles dont témoignent les différentes versions du texte aujourd’hui conservées.
Tout d’abord, l’importation en Péninsule du récit de Mandeville est due en particulier à l’action exercée par le roi Pierre IV d’Aragon, le Cérémonieux (1336-1387), son fils Jean I (1387-1396) et Juan Fernandez de Heredia, Grand Maître de l’Ordre de Rhodes (1377-1396) . C’est bien un intérêt politique qui pousse les souverains de la Couronne d’Aragon à obtenir les traductions de nombreux textes portant sur l’Orient. L’Europe est alors avide de rassembler des savoirs sur les peuples orientaux qui fournissent la majeure partie des produits de luxe, mais aussi sur les Tartares dont la menace guerrière n’empêche pas les Chrétiens d’espérer une alliance stratégique.
W. Entwistle, soulignant que Jean I chercha à se procurer, en même temps que le livre de Mandeville, le De locis Terrae Sanctae de Theodorico, le De mirabilibus Terrae Sanctae de Odorico de Pordenone, et le Purgatori de San Patrici, insiste sur l’intérêt porté par le jeune souverain aux prodiges, au merveilleux si abondant dans ces textes. Mais cette hypothèse a été contestée, et en particulier par M.M. Rodríguez Temperley qui rappelle, au contraire, que cet intérêt pour la littérature de voyage était bien lié à des motifs politiques et mercantiles . A ses yeux, c’est bien à l’expansion catalane et aragonaise en Méditerranée orientale qu’il faut relier l’éveil de la curiosité pour ce genre de texte en Aragon.
C’est plus tardivement que ce goût du divertissement et du merveilleux prend le dessus dans les motivations des lecteurs du Livre des merveilles et cette évolution est une de celles que reflètent les variantes de ce texte qui dut s’adapter aux importants changements de société de la fin du Moyen Age. En effet, la traduction et la réédition du texte donnent lieu à un véritable travail de réécriture, de resémantisation qu’a souligné la critique M.M. Rodriguez Temperley dans un article consacré aux versions castillanes du texte de Mandeville : « Se advierte una falta de atención hacia el fenómeno de las traducciones medievales en las que en muchos casos no se traduce literalmente sino que se lleva a la práctica cierta tradición cultural que reescribe, actualiza y remoza el texto originario para adaptarlo a la lengua, cultura o ideología imperantes ».
Dans le cas des successives rééditions castillanes du récit de Mandeville, on constate au fil du temps une véritable réorientation de la fonction et du sens de l’œuvre par des changements sémantiques, des omissions et amplifications, des changements sur les images qui accompagnent le texte et en éclairent l’interprétation, mais aussi des modifications plus subtiles du texte. Distinguant dans l’orientation de ces modifications une double direction, Rodriguez Temperley a souligné une évolution vers une plus grande attention consacrée à la dimension prodigieuse, ainsi qu’un respect plus rigoureux du dogme catholique, très certainement sous l’influence de la réaction contre le protestantisme qui se produisit en Espagne dès 1521.
C’est cette double piste d’étude que nous souhaitons creuser ici, en ajoutant au corpus d’étude la comparaison de la version aragonaise avec les versions castillanes qui lui succédèrent, comparaison à laquelle invitait indirectement Joaquín Rubio Tovar dans son introduction au texte castillan de Mandeville :
a lo largo de estas páginas he insistido en la transformación que sufren los originales al trasladarse en otras lenguas. Conviene que el lector sepa de la enorme distancia que separa la traducción castellana editada en el siglo XVI, de la aragonesa de finales del XIV, y desde luego del original francés de 1360.

De simples erreurs de traduction ? (de l’aragonais au castillan)
p. 52; lignum aloe es bueno en muchas maneras de medicinas e si es bien claro → p. 188: la cual es muy buena para muchas melezinas porque vos digo que es bien cara.
p. 55: E hera así franca que ailli recebían todos los que se fuyan de otros lugares por lures mal fechos → es allí franca que recibe ende hombre todas las cosas sin pagar y allí vienen muchos mercaderes.
p. 56 : Si traye eill grandes virtudes car qui en traye un poco es guarido dela caduqua (épilepsie) e su rocin no puede ser effondido → si alguno traerá consigo de aquel arbol no podrá caer en pobreza ni afogar en agua.

1. L’effacement de la dimension de guide de pèlerin

L’imprimé de 1524 divise le texte en deux parties ; la deuxième traitant des Indes et des monstres est précédée d’un avertissement annonçant des « cosas maravillosas e imposibles de creer ». La couverture de l’ouvrage révèle déjà que c’est cette seconde partie qui est privilégiée ; on peut à cet égard souligner l’avertissement qui figure sur la couverture : « el que quisiere muchas cosas del mundo saber Compre este libro y sabra cosas que se spantara ».

Le texte castillan comporte de nombreuses erreurs de toponymie, d’autres concernant les distances, des omissions de points de l’itinéraire menant jusqu’à la Terre Sainte. La perte de ces éléments informatifs prive le texte de sa fonction de guide de pèlerin qui était pourtant un des objectifs poursuivis par l’auteur dans sa version primitive.
Le manuscrit aragonais (escorial M-III-7, fol. 32v, p. 75) consacre un long paragraphe à des éléments anecdotiques concernant l’expérience du pèlerin comme l’importance d’être en groupe, et il s’attarde en particulier sur les épreuves à surmonter, telles les souffrances physiques endurées, la traversée des déserts, le mal du pays. L’imprimé de 1524 supprime ce passage, le remplaçant par cette phrase elliptique : « porque muchos van a Jherusalem que no pueden yr a los otro romeajes y a dichos » (fol. 28r).

Les nombreuses indications portant sur les fortifications des villes infidèles ou les difficultés auxquelles se heurtent les pèlerins qu’on trouve dans le texte proviennent des récits de croisades qui servaient à étudier la possibilité d’une hypothétique récupération de la Terre Sainte. Ce qui au 14e était un sujet d’intérêt pour certains souverains chrétiens pour des raisons politiques paraît bien anachronique au 16e siècle et cette perte d’intérêt justifie bien entendu les coupes claires opérées dans le texte
De même les prophéties annonçant la récupération de la Terre Sainte ne sont plus perçues comme les encouragements nécessaires à la mise en œuvre d’une croisade et cette différence de perception se perçoit nettement dans leur retranscription qui se fait bien moins affirmative : « dizen algunos prophetas » (MS. ESc. M-III-7, 13r) → imprimé de 1524: « dizen muchos que de aquel arbol dixeron algunos prophetas que » (15r). La prophétie solidement affirmée est devenu un discours doublement rapporté et donc tenu à distance, une simple anecdote sans substance.
Le texte aragonais (p. 77), se voulant un guide précis des différents itinéraires, invite à l’amendement, ou en tous cas à l’ajout d’information par un lecteur mieux renseigné sur une portion de l’itinéraire que le narrateur avoue ne pas avoir parcourru : « algun vaillant hombre qui aya seido por este camino el lo pueda aquí ajustar si ly plaze » → ce passage est totalement dénaturé par la traduction castillane qui en perd le sens : « si esta materia plaze a algunos valientes hombres, lo relato » (p. 23).

La comparaison des textes fait apparaître que les versions castillanes ont perdu la dimension de guide de pèlerinage ou de témoignage d’un pèlerin. Les modifications subies par le texte aboutissent à un véritable changement de fonctionnalité de la matière narrative. Certes la description de la Terre Sainte est bien conservée, mais la multiplication des modifications en change bien la signification. Il faut en chercher les raisons dans les nombreux changements connus par la société durant le siècle qui sépare les deux versions du texte : la découverte de l’Amérique, les victoires turques remportées sur la Chrétienté ou l’augmentation du nombre des lecteurs grâce à l’imprimerie

2. L’influence de la contre Réforme. Mise en avant du dogmatisme catholique

D’autres modifications du texte distinguant le manuscrit aragonais de l’édition castillane semblent obéir au contexte historique qui imposait de modifier le texte pour lui éviter de subir des censures causées par ses contenus potentiellement générateurs de comportements ou d’opinions hérétiques.
- L’insistance sur le dogme se traduit le plus souvent par des ajouts plus ou moins longs de contenu didactique et dogmatique. Ainsi par exemple, cet ajout faisant référence à la nécessité de faire contrition, de se repentir en vue du Jugement Dernier : (p. 71) → « porque devemos trabajar que Nuestro Señor aya piedad de nosotros antes que vengamos a este general juicio » (p. 227).
- On constate également une plus grande hostilité envers des étrangers, davantage considérés comme des infidèles. Les variantes comportementales ou rituelles ne sont plus tolérées mais explicitement nommées hérésies. Le portrait fait des infidèles est plus hostile, critique, péjoratif. Quelques exemples :
(sur les crues du Nil) p. 49: et assi quando eilla non cresce poco y ha de caro tiempo por falta de humor → (p. 180) y assi como él cresce es carestía y esto es por mengua de maestría que no usan d’ella. On constate l’ajout d’une critique du manque de technique d’irrigation des Egyptiens qui bien au contraire savaient profiter des crues du Nil. Pourtant le texte aragonais précise cela : car de tanto como aqueilla los puede servir al luengo por regadio o otrament en tanto como el regadio se pueda estender e espandir por meatad dela tierra …
p. 55; Muy maravillosa condición (los beduinos) → de malas costumbres y condiciones: ajout d’un jugement négatif absent du texte aragonais.
p. 69: relique de Saint Jean Baptiste: p. 222→ et mismamente los moros fazen grant fiesta d’eill (suppression de cette phrase qui montre les Musulmans rendant un culte à une relique chrétienne)
La description des musulmans est en particulier singulièrement modifiée, à leur défaveur bien sûr (p. 78). Le texte original, ainsi que sa traduction en aragonais, multiplie les éléments tendant rapprocher les deux religions, énumère les points communs du dogme, les motifs d’entente. Le texte castillan s’applique à gommer ces mentions trop tolérantes ou à les dénaturer : et los besan e adoran en grant devoción (les musulmans révèrent les évangiles!) → besan en tierra por gran devoción (p. 240 ; les musulmans s’apparentent à des païens priant la terre elle-même).
los enfermos (ne font pas le ramadan) → los malvados. Changement total de sens!!
Dizen (los musulmanes) bien que d’esos III (profetas) fue Jesús el mas digno e el mas grant → dizen que de apuestos cuatro susodichos fue el mas excelente y grande (Mahomet!)
Il est également remarquable qu’un des seuls épisodes de l’édition de 1524 ne contenant pas d’illustration soit celui consacré à Mahomet et aux croyances musulmanes. Il n’est pas de bon ton au début du 16e siècle de représenter avec trop de sympathie ou d’intérêt les musulmans qui menacent la Chrétienté.
Ebron era la principal ciudad de los philisteos → p. 194: solía esser la más pobre ciudad de los filisteos (changement de sens!!)
p. 62: ajout d’un adjectif péjoratif concernant les juifs→ p. 206 reliquias de los inicuos judios
p. 77: description des Tartares, noirceur accrue du portrait : sorben el bruet e beven leche de dolces besias et comen perros, lobos, gatos, ratas e todas otras bestias → beven el caldo y la leche de todas las bestias y comen perros y asnos y todas cualesquier otras bestias. P. 237
la terre d’Ethiopie: Ajout: la cual es muy aborrecible, mala por habitar (p. 255)

Condamnation des pratiques religieuses hétérodoxes :
- Dans l’église du Saint Sépulcre, les prêtres officient de façon non conforme avec le dogme : “Pan… diziendo el paster noster e también algunas otra oraciones e las palabras de que el sagrament es consagrado car eillos non saben res de las ordenanzas que muchos papas han fecho mais eillos cantan bien devotament → p. 203: pan levado… diziendo el pater noster y otras algunas oraciones porque ellos no saben la que nos dezimos.

- Les croyances des jacobites, sectes de chrétiens d’Orient, qui prônent une auto-confession sans l’intermédiaire d’un prêtre. Les modifications de vocabulaire opèrent un glissement sémantique qui renforce la condamnation : Opinión devient yerros, fecho devient delito ou pecado.
mas siempre fallecen en algun articulo de nuestra fe (p. 73) → continuamente yerran en los artículos de LA fe (p. 228)
Les chrétiens jacobites: sant johan evangelista los batizo (ce qui pourrait leur donner une certaine légitimité!) → omission de cette précision dans le texte castillan ! Apertament → descompuestamente. La description de leur rituel devient absurde en castillan: echan dentro poldras de incens e de otras cosas aromatiquas → meten en sus orejas cosas bien olientes (p. 229)
- los santos padres papas qui son después venidos han ordenado afazer confessión a hombre et por buena razon → los santos padres que han seídos vicarios de Nuestro Señor han ordenado que se confiesen a hombre en lugar de Dios por muchas y buenas razones.
On constate par rapport au texte aragonais (p. 74) à l’ajout d’un paragraphe entier de nature doctrinale sur la confession la confession (p 230). Le renforcement sémantique insiste sur l’autorité ecclésiastique. Le discours du narrateur se distingue prudemment de celui des jacobites qui est mis à distance. Le texte castillan procède à une amplification réitérative des raisons de la confession auriculaire et ajoute une conclusion affirmant que les jacobites ont tort.
La condamnation des idées de Pedro de Osma sur la confession explique sans doute la censure dans le texte castillan des explications de Jean de Mandeville sur les pratiques de confession des jacobites. → La réforme luthérienne et l’introduction de la doctrine reformée en castille aurait incité à la modification .
Les habitants de l’île de Bragmep sont décrits dans la version aragonaise (p.183) comme de saints personnages possesseurs de toutes les vertus dont manquent les chrétiens et vivant une vie plus austère que celle de nombreux religieux. L’édition de 1524 omet le long paragraphe consacré à ces critiques des mœurs des Européens.
Dans les considérations sur les païens, la tolérance du texte aragonais contraste avec l’intransigeance de l’incunable de 1524. Pour comprendre le contexte ayant donné lieu à de telles modifications, il faut prendre en compte ce que cet ouvrage pouvait contenir de dangereusement contestataire pour l’idéologie dominante. On est aidé pour cela par un célèbre ouvrage de Carlo Ginzburg (1981 ), dans lequel ce dernier mène une enquête détaillée sur le procès d’inquisition subi au 16e siècle par Domenico Scandella, un meunier du Frioul. Il avoue dans sa confession avoir critiqué la confession faite à un prêtre « por aquel libro de mandevilla que he leído » et sa possession du Livre des merveilles ainsi que la lecture qu’il en a faite nous révèle la part de dangereuse hétérodoxie que cet ouvrage pouvait receler. Le discours du meunier montre que le texte n’est pas un simple discours informatif sur les conduites de peuples lointains, mais qu’il pouvait être lu comme un discours pragmatique générant de nouvelles formes de conduite.

- Les procédés de moralisation du texte.
Ajout de termes respectueux envers les personnages de l’Histoire sacrée :
p. 49; « nasció de la puncella » → p. 181: avía descendido del cielo y avía nacido de la Virgen María.
p. 50: seynnal de la cruz → p. 183: figura del crucificio de Nuestro Señor Jesucristo.
p. 64: el cuerpo de nuestra dama lo llevaban muerto por enterrar → la gloriosa Virgen santa la levaban (disparition de la mention faite du cadavre de la Vierge qui pose problème par rapport au dogme de la dormition)
- adjectifs de glorification (ajout de santo devant templo) et suppression des passages trop peu respectueux ou sacralisants :
p. 58; vierge: por que avía mucha leche en sus tetas e que li fazíán mal eila ende echó ailli → por cuanto ella tenía mucha leche en las sus preciosas tetas. (on enlève le détail naturaliste un peu trop désacralisant pour la Vierge qui est représentée comme une simple femme allaitante
- Élimination d’une comparaison outrageuse: (p. 61) assi como nos faríamos aqui devant corpus domini encore fazen mayor reverencia sin comparación ad aquellas letras (del soldán). Le respect immense que montrent les sujets pour les lettres portant la signature de ce dernier est comparé par le narrateur à celui des Chrétiens pour le corps du Christ.

+ transformation : les allusions aux chrétiens sont assumées à la première personne du pluriel (nos). Ajout très fréquent de la précision de chrétien ou catholique :
p. 56: Dicen que un senyor princeps d’occident ganara la tierra de promisión e fara cantar misa → p. 195: dixeron que un señor principe guerreraría a la tierra de promisión y que faría cantar la misa a ley de cristianos.
Adoucissement des critiques des chrétiens :
p. 83; Si no es pas maravilla si eillos no claman malos car eillos dizen verdat → moindre insistance sur les péchés de la chrétienté. Guardan mejor su ley y nosotros la guardamos tan mal que no es maravilla que ellos nos llaman malvados (il n’est plus écrit en toutes lettres que cela est VRAI)

- Supprimer ou adoucir les références à des actes sexuels.
Le prépuce du christ est mentionné de façon plus indirecte, avec plus de pudeur : p. 61: En aqueill templo estava charlemaine quoando el angel li traixo la prepucia nuestro señor dela circumcisión. → fue presentado y circuncidado Nuestro Señor, lo cual Carlo Magno falló y lo fizo llevar… (on évite la mention précise de l’objet, ce qui rend la phrase plus obscure. En effet, l’antécédent de « lo cual » serait alors le Christ lui-même)
p. 67: por el pecado de sodomia qui en eillos reinava → por el pecado de contra natura que en ella reinava (suppression de la mention précise de la sodomie)
- les références au sexe sont moins crues:
p. 47 le harem du sultan: quando eil en quiere aver una por jazer con eil … e a la noche hombre gela traye a su cambra → quando quiere dormir con alguna (et supresión de la phrase suivante!)
p. 67: Avia ya otro fijo qu’él avía engendrado en Agar su moça → avía ya avido otro fijo el cual fue engendrado en Agar su esclava
Le voeu du chevalier dans le chateau de l’épervier devient bien plus édulcoré : Desearía el cuerpo d’aquella dama aver a su voluntad (p. 84)→ demandara a ella (p.248).
De la même façon, l’édition de 1531 censure les expressions considérées comme choquantes ou malhonnêtes (el miembro de Noé (1521-1524) → las partes inferiores de Noé (1531)).

- Moralisation des images entre les éditions de 1521 et 1524 d’après l’étude menée par Alda Rossebastiano, La tradizione ibero-romanza del ‘Libro de las maravillas del mundo’ di Juan de Mandavila. Alessandria: Edizioni dell’Orso, 1997.

- Mais le texte contient cependant de nombreuses erreurs sur le dogme. Faut-il en conclure que le traducteur ne connaissait pas parfaitement le dogme catholique et l’Histoire Sainte ? p. 189; la curación del ciego → la curación de una vieja; l’âge de Sara à la naissance d’Isaac (290 au lieu de 90); la description de la ville de Hebron. Ces nombreuses erreurs sur des points du dogme ou de l’Histoire Sainte seraient plutôt la trace de la participation des imprimeurs et des typographes d’imprimerie (cajistas) dans la confection des livres.


Conclusion :
L’étude de la variation textuelle dans les différents témoignages du texte de Jean de Mandeville aujourd’hui conservés met en évidence les problèmes du statut du texte au Moyen Age. La diversité des visages d’un même texte selon le manuscrit ou l’édition consultés nous rappelle l’importance de ne pas se limiter à l’étude d’une seule version et la prudence nécessaire quand on ne conserve malheureusement qu’un unique exemplaire d’une oeuvre.
Si dans cette étude nous n’avons pu nous pencher que sur les différences existant entre le manuscrit aragonais et les toutes premières éditions castillanes, cette vision malheureusement parcellaire de la postérité de ce texte nous offre déjà de riches enseignements. Loin de ne constater que des erreurs de copistes ou de traductions, la comparaison des textes laisse entrevoir une véritable homogénéité des modifications. Comme l’écrit M.M. Rodríguez Temperley : « Paradójicamente estos errores brindan homogeneidad al texto creando un nuevo paradigma interpretativo y otorgando identidad al conjunto. Por ello podría afirmarse que existe una lógica del error que tiene su génesis en los modos de pensamiento y en el horizonte de expectativas de cada época » .
La longévité de l’intérêt pour le Livre des Merveilles a eu pour corollaire son adaptation, sa réécriture en fonction des évolutions connues par la société de réception. Cela passe dans ce cas précis par l’effacement de dimension de guide de pèlerin au profit du merveilleux naturel, bien davantage mis en avant dans les éditions modernes du texte, mais aussi, et cela n’est contradictoire qu’en apparence, par une plus grande prudence vis-à-vis du dogme religieux à l’époque où la Contre Réforme regardait avec une grande méfiance des textes potentiellement générateurs de conduites et d’opinions hétérodoxes.


Bibliographie

• Editions
MONTANES, Pilar Liria, Libro de las maravillas del mundo de Juan de Mandevilla, Zaragoza : Caja de Ahorros de Zaragoza, Aragón y Rioja, 1979.#
RUBIO TOVAR, Joaquín, Viajes medievales, Vol. 1, Madrid, Fundación José Antonio de Castro, 2005.

• Critiques
RODRIGUEZ TEMPERLEY, María Mercedes, « Variaciones textuales y cambios culturales en un libro de viajes. El caso de Juan de Mandevilla en España », in: German ORDUNA, H. O. BIZZARRI et al., Estudios sobre la variación textual. Prosa castellana de los siglos XIII a XVI. Buenos Aires, Secrit-Incipit Publicaciones, 6, p. 169-195, 2001.
¬— « Imprenta y variación textual : el caso de Juan de Mandevilla », Incipit, n°25-26, 2005-2006, p. 511-522.
— « Narrar, informar, conquistar: Los Viajes de Juan de Mandevilla en Aragón », in : Studia Neophilologica, 73.2, 2001, p. 184-196.
— « Edición crítica del manuscrito escurialense M-III-7 (Libro de las maravillas del mundo, de Juan de Mandevilla). Problemas y respuestas », Incipit, XXII (2002), pp. 145-158.

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