vendredi 10 avril 2009

Votre version de la semaine

En photo : Torrevieja - Playa de Los Locos par This Is Torrevieja

La version de cette semaine est à faire par tous les apprentis… Il faudra me la rendre (par mail) au plus tard vendredi prochain, jour de la publication du prochain texte. Celle-ci n'est pas très difficile et je vous demande donc de mettre en avant vos qualités non pas de versionistes mais de traducteurs… Voyons un peu l'expérience acquise par chacun au cours de ces quelques mois de formation.

Introdujo un cordón de cuero entre las páginas del libro que estaba leyendo para marcar la página en que se había detenido. Miró enfrente, el mar de Torrevieja, la playa salada donde tiempo atrás habían fondeado tantos barcos provenientes de su ciudad natal, La Habana. Allí el mar no era azul verdoso ni plateado hacia el atardecer como en el borde del Malecón; el mar de Torrevieja es un mar densamente azul, pensó, de un azul como salido de un diminuto paisaje europeo del siglo XIX.
Estudió la imagen de la cubierta de la novela que leía, La mujer justa del húngaro Sándor Márai. Un hermoso retrato de la actriz Amira Casar anunciaba el tema de la novela: los amores perdidos o jamás encontrados porque no han sido necesitados. Sándor Márai se suicidó un día antes de la caída del muro de Berlín, Lola no sabía si era una forma poética o desatinada de desaparecer, quizá un poco antes del justo tiempo en que la libertad se definía. Su definición duró también bien poco.
Lola había empezado la lectura al llegar a la orilla de la playa, temprano en la mañana, cuando no había nadie; le gustaba acostarse sola en el borde del mar. No levantó los ojos de las páginas hasta que el sol comenzó a picar en su piel, con escozor arrebatador. Elevó las pupilas: el sol resplandecía justo en el centro del cielo y el caleidoscopio encegueció.
A esa hora la rodeaban familias de bañistas. Las risas de los niños la puso melancólica: era joven, hacía poco tiempo que también ella, aún pasándolo mal, reía con la misma inocencia. Llevaba otro libro para alternar; sacó de la cartera el Diario de José Martí. Observó indiferente a las pocas personas que también leían a su alrededor: los que no sostenían entre sus manos a Harry Potter, se aferraban a El código Da Vinci. Se sintió «objeto anacrónico». El mundo se divide, ironizó para sí, entre los que leen El código Da Vinci, y los que se afanan con cada aventura de Harry Potter. Untó su piel de bronceador, le ardía la zona de las axilas, pero no pudo impedir quedarse tranquila y reanudar la reflexión: en eso se había convertido el mundo, pensó, en una mala copia de sí mismo. La gente no vivía, la gente mundeaba. Vivir no importaba, lo que importaba era figurar en este planeta, en uno u otro bando. Porque existían, desde luego, los dos bandos, y ambos no cesaban de chacharear sobre inventos incomprensibles, pura demagogia. Se dijo que si anotarse en cualquiera de los dos bandos resultaba insoportablemente traicionero, peor había sido lo que le tocó a ella: nacer en una isla barata y gesticulante. Quiso interrumpir el pensamiento por temor a volverse aún más indiferente, es decir, cínica.
Al fin y al cabo, ella se hallaba ahora en esa playa; desde hacía diez años solamente sabía vivir el momento sin más, sin proyectos posteriores, sin futuro. Llegó a Torrevieja y allí se quedó, en espera. Lo único que la ilusionaba algo era esperar: en el invierno trabajaba como profesora de canto y además se preparaba, ella también, para cantar habaneras; en el verano participaba como espectadora del certamen cuando no trabajaba de noche de camarera en un restaurante para redondear el mes. Por las mañanas impartía sus clases salvo el miércoles y fines de semana, en los que de día se instalaba en las dunas salitrosas a leer, a dormitar. Apenas comía, perdió el apetito a las semanas de ser contratada en el restaurante; constatar el despilfarro de alimentos le daba arqueadas, vomitaba nada más de pensar que en su país la gente no podía ni siquiera soñar con probar las sobras que otros dejaban intactas en el plato.

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Nathalie nous propose sa traduction :

Elle inséra un lacet de cuir entre les pages du livre qu'elle était en train de lire pour marquer la page à laquelle elle venait de s'arrêter. Elle regarda, en face d'elle, la mer de Torrevieja, la plage saline où des années auparavant, tant de navires en provenance de la Havane, sa ville natale, avaient jeté l'ancre. Ici, la mer n'était pas bleu vert ni bleu argenté, du côté du couchant, comme au bord du Malecón; la mer de Torrevieja est une mer intensément bleue, pensa-t-elle, d'un bleu qui semble tout droit sorti d'un minuscule paysage européen du XIX° siècle.
Elle étudia l'image de la couverture du roman qu'elle lisait, "Métamorphoses d'un mariage" du Hongrois Sándor Márai. Un beau portrait de l'actrice Amira Casar en signalait le thème : les amours perdues ou jamais rencontrées, pour n'avoir éveillé nul besoin. Sándor Márai s'est suicidé un jour avant la chute du mur de Berlin; Lola se demandait s'il s'agissait d'une forme poétique ou absurde de disparaître, un peu avant, peut-être, le moment précis où la liberté prenait forme. Un moment qui ne dura pas bien longtemps, lui non plus.
Lola avait commencé à lire en arrivant sur la plage, tôt, dans la matinée, quand il n'y avait encore personne; elle aimait s'allonger, seule, au bord de la mer. Elle resta le nez plongé entre les pages de son livre jusqu'à ce que le soleil commençât à darder ses rayons sur sa peau, lui causant une vive sensation de brûlure. Elle leva les yeux : le soleil resplendissait au beau milieu du ciel et le kaléidoscope l'aveugla.
A cette heure, elle était entourée de baigneurs venus en famille. Les rires des enfants la rendirent mélancolique : elle était jeune, et quelque temps auparavant, elle aussi, même si elle traversait des moments difficiles, riait avec la même innocence. Elle avait apporté un autre livre pour alterner ses lectures : elle sortit de son sac à main le "Journal de campagne" de José Martí. Elle observa avec indifférence les rares personnes qui lisaient également autour d'elle : ceux qui ne serraient pas dans leurs mains "Harry Potter", se cramponnaient au "Da Vinci Code". Elle se sentit soudain "objet anachronique". Le monde se divise, ironisa-t-elle intérieurement, entre ceux qui lisent le "Da Vinci Code" et ceux qui s'absorbent dans chaque aventure de Harry Potter. Elle s'enduisit la peau de crème solaire; la zone des aisselles lui brûlait mais elle ne put s'empêcher des rester immobile et de reprendre sa réflexion : voilà ce qu'était devenu le monde, pensa-t-elle : une mauvaise copie de lui-même. Les gens ne vivaient pas; les gens paradaient. Vivre importait peu : ce qui importait était de figurer sur cette planète, dans un camp ou dans l'autre. Puisque, évidemment, il y avait deux camps, et que tous deux n'arrêtaient pas de déblater sur des inventions incompréhensibles; pure démagogie ! Elle se dit que si rallier l'un des deux camps s'avérait insupportablement perfide, ce qui lui était arrivé à elle était encore pire : elle était née dans une île bon marché et en gesticulation. Elle voulut interrompre le cours de ses pensées par crainte de devenir encore plus indifférente, c'est-à-dire cynique.
Finalement, elle se trouvait bel et bien sur cette plage ; cela ne faisait que dix ans qu'elle avait appris à vivre l'instant présent, sans plus, sans projets à venir, sans lendemain. Elle était arrivée à Torrevieja et elle était restée là, en attente. La seule chose qui la remplissait quelque peu de joie, c'était d'attendre : l'hiver, elle travaillait comme professeure de chant et se préparait, qui plus est, elle aussi, à chanter des habaneras; l'été, elle participait, en tant que spectatrice au concours de chant, quand elle ne travaillait pas le soir comme serveuse dans un restaurant pour arrondir ses fins de mois. Elle donnait ses cours le matin, sauf le mercredi et le week-end, où elle s'installait pour la journée sur les dunes salpêtreuses pour lire, somnoler. Elle mangeait à peine, elle avait perdu l'appétit quelques semaines après avoir été embauchée au restaurant; constater le gaspillage de nourriture lui donnait la nausée, elle vomissait rien qu'à l'idée que dans son pays, les gens ne pouvaient même pas rêver de goûter aux aliments que d'autres laissaient intacts dans leur assiette.

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Odile nous propose sa traduction :

Elle glissa un cordon de cuir entre les pages du livre qu' elle était en train de lire pour repérer l'endroit où elle avait arrêté sa lecture. Elle regarda devant elle la mer de Torrevieja, la plage salée où, longtemps auparavant, avaient mouillé tant de bateaux venus de La Havane, sa ville natale.
Ici, à l'heure du crépuscule, l'océan n'était pas bleu-vert, ni argenté, comme au bord du Malecón ; la mer à Torrevieja est d'un bleu profond, pensa-t-elle, d' un bleu échappé d' un paysage miniature européen du XIXème siècle. Elle observa l'illustration sur la couverture du roman qu'elle lisait, Métamorphose d' un mariage du Hongrois Sándor Márai. Un superbe portrait de l'actrice Amira Casar annonçait le thème du roman : les amours perdues ou jamais trouvées parce que non nécessaires. Sándor Márai s' était suicidé un jour avant la chute du mur de Berlin et Lola ne savait pas si c'était là une manière poétique ou insensée de disparaître, peut-être un peu trop tôt, au moment précis où la liberté se définissait enfin. Définition elle aussi éphémère. Lola avait commencé sa lecture dès son arrivée au bord de la plage, très tôt le matin, quand elle était déserte ; elle aimait s'allonger, seule, au bord de la mer. Sa lecture l'absorba jusqu'à ce qu'elle ressente la vive morsure du soleil sur sa peau. Elle leva les yeux : le soleil brillait juste au milieu du ciel et le kaléidoscope de ses rayons l'aveugla.
Á cette heure-là, des familles de baigneurs l'entouraient. Les rires des enfants la rendirent mélancolique : elle était jeune, et il y a peu encore, malgré les moments difficiles, elle aussi riait avec la même innocence. Elle avait emporté un autre ouvrage pour alterner les lectures ; elle sortit de son sac le Journal de José Martí. Elle remarqua, indifférente, les rares personnes qui lisaient aussi autour d'elle ; ceux qui n'avaient pas entre les mains Harry Potter étaient cramponnées au Da Vinci code. Elle se sentit un « objet anachronique ». Le monde se divise, pensa-t-elle avec ironie, entre ceux qui lisent le Da Vinci code et ceux qui se précipitent sur chaque aventure de Harry Potter. Elle enduisit sa peau de crème solaire,(car) la zone des aisselles lui brûlait, mais ne put s'empêcher de rester immobile et de renouer le fil de sa réflexion : voilà ce qu'était devenu le monde, pensa-t-elle, une triste copie de lui-même. Les gens ne vivaient pas, les gens mondialisaient. Vivre n'était pas important, ce qui importait sur cette planète était de s'afficher, dans un camp ou dans l'autre. Car ces deux camps existaient, évidemment, et tous deux ne cessaient de palabrer sur des inventions incompréhensibles, pure démagogie! Elle pensa que si s'inscrire dans n'importe lequel des deux camps apparaissait comme une insupportable trahison, bien pire avait été son propre destin : naître dans une île bon marché et gesticulante. Elle voulu interrompre le cours de ses pensées par crainte de devenir encore plus indifférente, c'est-à-dire cynique.
En fin de compte, elle se trouvait maintenant sur cette plage ; ce n'était que depuis dix ans seulement qu'elle savait vivre le moment présent, sans faire de projets, sans futur. Elle était arrivée à Torrevieja et était restée là, en attente. Ce qui la faisait encore un peu rêver était d'attendre : l'hiver, elle travaillait comme professeur de chant et d'ailleurs elle apprennait, elle aussi, à chanter des habaneras* ; l'été, elle assistait au concours en tant que spectatrice lorsqu'elle ne travaillait pas le soir comme serveuse de restaurant afin d' arrondir ses fins de mois. Les matins, elle donnait ses cours, sauf le mercredi et les week-ends où elle s' installait pour la journée sur les dunes salées pour lire, pour sommeiller. Elle mangeait à peine car elle avait perdu l'appétit quelques semaines après avoir été embauchée au restaurant ; constater le gaspillage des aliments lui donnait la nausée et elle vomissait à la seule pensée que dans son pays les gens ne pouvaient même pas imaginer de manger les restes que d'autres laissent intacts dans leur assiette.

Habanera : chanson, danse, d'origine cubaine.

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Laure G. nous propose sa traduction :

Elle introduisit un marque-page en cuir entre les feuilles du livre qu’elle était en train de lire pour repérer l’endroit où elle s’était arrêtée. Son regard se posa, devant elle, sur la mer de Torrevieja, sur la plage salée où naguère avaient amarré tant de bateaux en provenance de sa ville natale, la Havane. Le soir, la mer de Torrevieja n’avait pas les reflets verts et argent comme celle qui bordait le Malecón, elle était teintée d’un bleu profond, pensa-t-elle, d’un bleu comme sorti d’un paysage européen miniature du XIX° siècle.
Elle observa l’image qui illustrait la couverture du roman qu’elle lisait, Métamorphoses d’un mariage du hongrois Sandor Márai. Un beau portrait de l’actrice Amira Casar annonçait le thème du roman : les amours perdues ou celles à côté desquelles on passe et dont on peut se passer. Sandor Márai s’est suicidé un jour avant la chute du mur de Berlin. Lola se demandait si sa disparition, juste avant le moment précis où la liberté se précisait, était une forme poétique ou insensée. De même, elle fut plus éphémère que précise.
Lola avait commençait à lire en arrivant au bord de la plage, tôt le matin, lorsque celle-ci était encore déserte ; elle aimait à s’allonger, seule, au bord de la mer. Elle ne décrocha son regard des pages que lorsque le soleil commença à lui chauffer tellement la peau qu’elle sentit une vive brûlure. Elle leva les yeux : le soleil brillait au milieu du ciel, diffusant un kaléidoscope de lumières aveuglantes.
Á cette heure, elle était entourée de familles de baigneurs. Les rires des enfants la rendirent mélancolique : quand elle était jeune, il n’y a pas si longtemps, elle aussi riait avec la même innocence, même dans les moments difficiles. Elle sortit de son cartable un autre livre qu’elle avait avec elle pour pouvoir changer, le Journal de José Martí. Elle observa, indifférente, les quelques personnes qui lisaient aussi autour d’elle : celles qui ne tenaient pas entre leurs mains Harry Potter s’accrochaient au Da Vinci Code. Il lui sembla qu’elle était un « objet anachronique ».
Le monde est partagé, se dit-elle avec ironie, entre ceux qui lisent le Da Vinci Code et ceux qui s’empressent de lire les aventures de Harry Potter dès qu’elles sortent. Elle se passa de la crème solaire sur le corps, elle sentait une brûlure sur la zone de ses aisselles, mais elle ne put résister à la quiétude et replongea dans ses pensées : voilà ce qu’était devenu le monde, pensa-t-elle, une piètre copie de lui-même. Les gens ne vivaient pas, les gens vivotaient dans la mondanité. L’important, ce n’était pas de vivre, c’était d’être sur cette planète, en appartenant à l’un ou l’autre camp. Car il allait de soi que ces deux camps existaient, et ne cessaient de parler à bâtons rompus sur des inventions incompréhensibles, pure démagogie. Elle se disait que si s’affilier à n’importe lequel de ces camps était un acte de lâcheté insoutenable, le sort qui lui avait été réservé était bien pire : naître dans une île bon marché et gesticulante. A dessein elle s’empêcha de poursuivre sa réflexion par crainte de devenir plus indifférente encore, ou simplement cynique.
Au fond, elle se trouvait elle aussi sur cette plage ; cela faisait dix ans qu’elle ne savait vivre que le moment présent, sans faire aucun projet d’avenir. Elle était arrivée à Torrevieja et elle y était restée, toujours dans l’expectative. La seule chose qui lui procurait un peu de plaisir c’était l’attente : en hiver, elle travaillait comme professeur de chant, tout en se préparant elle-même pour chanter des habaneras ; l’été, elle assistait en spectatrice au concours de chants lorsqu’elle n’était pas de service au restaurant qui lui permettait d’arrondir ses fins de mois. Le matin, elle donnait des cours, sauf le mercredi et le week-end, dont elle profitait pour lire et s’assoupir sur les dunes salpêtrées.
Elle mangeait à peine, elle avait perdu l’appétit quelques semaines après avoir commencé au restaurant. Le gaspillage des aliments lui donnait le tournis; penser à tous ces gens dans son pays qui ne pouvaient pas même rêver de ces restes que d’autres laissaient intacts dans leur assiette lui donnait envie de vomir.

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Laure L. nous propose sa traduction :

Elle introduisit un cordon en cuir entre les pages du livre qu’elle était en train de lire pour marquer celle à laquelle elle s’était arrêtée. Elle regarda droit devant elle, la mer de Torrevieja, la plage salée où il y de cela bien longtemps avaient mouillé tant de bateaux originaires de sa ville natale, La Havane. Là bas la mer n’était pas bleu-vert ni argenté vers la fin de l’après-midi comme au bord du Malecón. La mer de Torrevieja est une mer d’un bleu dense, pensa t’elle, d’un bleu comme sorti d’un minuscule paysage européen du XIXème siècle.
Elle étudia la couverture du roman qu’elle lisait, Métamorphose d’un mariage du hongrois Sándor Márai. Un ravissant portrait de l’actrice Amira Casar annonçait le thème du roman : les amours perdues ou jamais trouvée parce qu’elles n’ont pas été voulues. Sándor Márai s’est suicidé un jour avant la chute du mur de Berlin, Lola ne savait pas si c’était une façon poétique ou absurde de disparaître, peut être un peu avant le moment précis où la liberté se définissait. Sa définition dura bien peu, il faut l’avouer.
Lola avait commencé sa lecture en arrivant sur la plage, tôt dans la matinée, quand il n’y avait personne. Elle aimait s’étendre seule au bord de la mer. Elle ne leva pas le nez des pages de son livre jusqu’à ce que le soleil commence à piquer sa peau de sa morsure agressive. Elle leva les yeux : le soleil resplendissait juste au milieu du ciel et le kaléidoscope l’aveugla.
Á cette heure-ci elle était entourée par des familles de baigneurs. Le rire des enfants la rendit mélancolique : elle était jeune, il n’y avait pas si longtemps de cela, même si elle vivait mal, elle riait avec la même innocence. Elle avait un autre livre pour alterner ; elle sortit de son sac le journal de José Martí. Elle observa avec indifférence les rares personnes autours d’elle qui lisaient elles aussi : ceux qui ne tenaient pas dans leurs mains Harry Potter s’accrochaient au Da Vinci Code. Elle se sentit « objet anachronique ». Le monde se divise entre ceux qui lisent le Da Vinci Code et ceux qui se passionnent pour chaque aventure de Harry Potter, ironisa t’elle pour elle-même. Elle enduisit sa peau de crème solaire, la zone des aisselles lui brûlait, mais elle ne pu pas s’empêcher de rester tranquille et de renouer avec sa réflexion : c’est en ça que le monde s’est convertit, pensa t’elle, en une mauvaise copie de lui-même. Les gens ne vivaient pas, les gens étaient jetés dans le monde. Vivre n’a pas d’importance, ce qui compte c’est de faire partie sur la planète, de l’un ou l’autre des deux groupes. Parce qu’évidemment les deux groupes existaient et aucun d’eux ne cessait de baver sur des inventions incompréhensibles, pure démagogie. Elle se dit que si s’inscrire dans n’importe lequel des deux groupes était une insupportable trahison, le pire avait été ce qui lui était arrivé à elle : naitre sur une île bon marché et exubérante. Elle voulu interrompre le cheminement de sa pensée de peur de devenir encore plus indifférente, c'est-à-dire cynique.
En fin de compte elle se trouvait maintenant sur cette plage. Cela ne faisait que dix ans qu’elle savait profiter de l’instant présent, sans projet postérieur, sans futur. Elle arriva à Torrevieja et y resta, en attente. La seule chose qui la réjouissait un peu c’était attendre : en hiver elle travaillait comme professeur de chant et elle se préparait en outre, elle aussi, à chanter des habaneras ; en été elle participait au concours en tant que spectatrice quand elle ne travaillait pas la nuit comme serveuse pour arrondir ses fins de mois. Tous les matins elle faisait classe sauf le mercredi et le week-end où pendant la journée elle s’installait sur les dunes salines pour lire, pour somnoler. Elle mangeait à peine, elle avait perdu l’appétit les semaines qui suivirent son embauche dans le restaurant ; constater le gaspillage de la nourriture la dégoûtait, elle vomissait à la seule idée que dans son pays les gens ne pouvaient même pas rêver goûter les restes que les autres laissaient intacts dans leurs assiettes.

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Laëtitia nous propose sa traduction :

Elle introduisit une cordelette en cuir entre les pages du livre qu’elle était en train de lire pour marquer la page où elle s’était arrêtée. Elle regarda en face, la mer de Torrevieja, la plage salée où il y a bien longtemps avaient jeté l’ancre tant de bateaux en provenance de sa ville natale, La Havane. Là-bas la mer n’était pas bleu-verdâtre ni argentée vers le soir comme au bord de la jetée ; la mer de Torrevieja est une mer d’un bleu dense, pensa-t-elle, d’un bleu comme tout droit sorti d’un minuscule paysage européen du XIXème siècle.
Elle examina l’image de la couverture du roman qu’elle lisait, Métamorphoses d’un mariage de l’écrivain hongrois Sandor Marai. Un charmant portrait de l’actrice Amira Casar annonçait le thème du roman : les amours perdues ou jamais trouvées parce qu’on n’en a jamais eu besoin. Sandor Marai se suicida un jour avant la chute du mur de Berlin. Lola ne savait pas si c’était une forme poétique ou absurde de disparaître, peut-être un peu avant le laps de temps approprié dans lequel la liberté se définissait. Sa définition dura, elle aussi, bien peu.
Lola avait commencé sa lecture en arrivant sur la plage, tôt le matin, quand il n’y avait personne ; elle aimait s’allonger seule au bord de la mer. Elle ne leva pas le nez des pages jusqu’à ce que le soleil commence à lui piquer la peau, d’une brûlure fascinante. Elle leva les yeux : le soleil brillait pile au milieu du ciel et le caléidoscope l’aveugla.
A cette heure-là, elle était entourée de familles de baigneurs. Les rires des enfants la rendirent mélancolique : elle était jeune, cela faisait peu de temps qu’elle aussi, même si elle ne s’amusait pas, riait avec la même innocence.
Elle avait apporté un autre livre pour alterner ; elle sortit de son sac le Journal de José Marti. Elle observa, indifférente, les rares personnes qui lisaient aussi autour d’elle : celles qui ne tenaient pas entre leurs mains Harry Potter, s’adonnaient à la lecture de Da Vinci Code. Elle se sentit « objet anachronique ». Le monde se divise, ironisa-t-elle en elle-même, entre ceux qui lisent Da Vinci code, et ceux qui se démènent dans chaque aventure de Harry Potter. Elle s’enduisit la peau de crème solaire, la zone des aisselles la brûlait, mais elle ne put s’empêcher de rester tranquille et elle renoua avec la réflexion : le monde était devenu comme ça, pensa-t-elle, une mauvaise copie de soi-même.Les gens ne vivaient pas, les gens mondainaient. Vivre n’était pas important, ce qui était important c’était de figurer sur cette planète, dans l’un ou dans l’autre camp. Parce que, bien sûr, les deux camps existaient, et tout deux ne cessaient de jacasser sur des inventions incompréhensibles, pure démagogie. Elle se dit que si adhérer à n’importe lequel des deux camps entraînait une trahison insupportable, ce qu’elle avait gagné avait été pire : naître dans une île bon marché et gesticulante. Elle voulut interrompre sa pensée par peur de devenir encore plus indifférente, c’est-à-dire : cynique.
Au bout du compte, elle se trouvait maintenant sur cette plage ; cela faisait seulement dix ans qu’elle savait vivre l’instant présent sans plus, sans projet postérieur, sans futur. Elle arriva à Torrevieja et elle y resta, en attente. La seule chose qui lui faisait un peu plaisir était d’attendre : l’hiver elle travaillait comme professeur de chant et de plus elle se préparait, elle aussi, à chanter des habaneras ; l’été, elle participait comme membre du jury du concours quand elle ne travaillait pas la nuit comme serveuse dans un restaurant pour arrondir ses fins de mois.
Le matin elle dispensait ses cours sauf le mercredi et le week-end, durant lesquels elle s’installait dans les dunes de salpêtre pour lire, somnoler. Elle mangeait à peine, elle perdit l’appétit dans les semaines qui suivirent son embauche au restaurant ; constater le gaspillage d’aliments lui causait des haut-le-cœur, elle vomissait rien qu’en pensant que dans son pays les gens ne pouvaient même pas rêver goûter les restes que d’autres laissaient intactes dans l’assiette.

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Blandine nous propose sa traduction :

Elle introduisit un cordon de cuir entre les pages du livre qu’elle lisait pour marquer la page où elle s’était arrêtée. Elle regarda en face, la mer de Torrevieja, la plage salée où il fut un temps venaient mouiller les bateaux en provenance de sa ville natale, La Havane. Là-bas, la mer n’était pas d’un bleu verdâtre ni argenté dans la soirée comme sur le bord du Malecón, la mer de Torrevieja est une mer d’un bleu dense, pensa-t-elle, tel un bleu sorti d’un tout petit paysage européen du XIXe siècle.
Elle étudia l’image de la couverture du roman qu’elle lisait, La femme juste du hongrois Sándor Márai. Un beau portrait de l’actrice Amira Casar annonçait le thème du roman : les amours perdus ou jamais rencontrés parce qu’on n’en pas eu besoin. Sándor Márai s’est suicidé un jour avant la chute du mur de Berlin, Lola ne savait pas si c’était une forme poétique ou insensée de disparaître, peut être un temps juste avant lequel la liberté se définissait. Sa définition dura peu de temps aussi.
Lola avait commencé sa lecture en arrivant sur le bord de la plage, tôt dans la matinée, quand il n’y avait personne ; elle aimait s’allonger seule au bord de la mer. Elle ne leva pas les yeux des pages jusqu’à ce que le soleil commence à lui piquer la peau, une douleur assez violente. Elle leva les pupilles : le soleil resplendissait en plein milieu du ciel et le jeu des lumières l’aveugla.
A cette heure-ci, des familles de baigneurs l’entouraient. Les rires des enfants la rendirent mélancolique : elle était jeune, et il y a encore peu, même si elle avait eu du mal, elle riait avec la même innocence. Elle avait un autre livre pour alterner, elle sortit de sa sacoche le Journal de José Martí. Elle observa de façon indifférente les rares personnes qui lisaient aussi autour d’elle : ceux qui ne soutenaient pas entre leurs mains Harry Potter, s’accrochaient au Da Vinci Code. Elle se sentit « un objet anachronique ». Le monde se divise, ironisa-t-elle, entre ceux qui lisent Da Vinci Code, et ceux qui se donnent de la peine à chaque aventure d’Harry Potter. Elle s’étala de l’huile de bronzage, la zone des aisselles lui brûlait, mais elle ne l’empêchait pas de rester tranquille et de reprendre sa réflexion : le monde s’était converti en cela, pensa-t-elle, en une mauvaise copie de soi-même. Les gens ne vivaient pas, les gens se mondialisaient. Vivre ne leur importait point, ce qui importait, c’était de figurer sur cette planète, dans l’un ou l’autre parti. Car les deux partis existaient depuis longtemps, et les deux n’arrêtaient pas de bavarder sur des inventions incompréhensibles, pure démagogie. Elle se dit que choisir l’un des deux partis résultait d’une traîtrise insupportable, ce qui l’avait touché à elle était pire : naître dans une île pauvre et grouillante. Elle voulut interrompre sa pensée par crainte de devenir encore plus indifférente, voire cynique.
Au bout du compte, elle se trouvait maintenant sur cette plage ; elle savait vivre le moment présent sans rien d’autre depuis seulement une dizaine d’années, sans faire de projets, sans avenir. Elle est arrivée à Torrevieja, et elle est restée ici, en attente. La seule chose qui lui donnait des illusions c’était d’attendre ; en hiver, elle travaillait comme professeur de chant et en plus se préparait, elle aussi, pour chanter des habaneras ; en été, elle participait en tant que spectatrice du concours quand elle ne travaillait pas de nuit comme serveuse dans un restaurant pour arrondir ses fins de mois. Le matin, elle donnait des cours sauf le mercredi et le week-end, où elle s’installait pour la journée dans les dunes salpêtreuses à lire, à sommeiller. Elle mangeait à peine, elle a perdu l’appétit au bout de quelques semaines de travail dans le restaurant ; de constater le gaspillage de la nourriture lui donnait des nausées, le seul fait d’y penser elle vomissait, penser que dans son pays les personnes ne pouvaient même pas rêver de goûter les restes que les autres laissaient intacts dans leurs assiettes.

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Brigitte nous propose sa traduction :

Elle glissa un lacet de cuir entre les pages du livre qu’elle lisait, pour indiquer l’endroit où elle s’était arrêtée. Elle regarda en face, la Mer de Torrevieja, la plage salée où tant de bateaux avaient jeté l’ancre autrefois, en provenance de sa ville natale, La Havane.
Là-bas, à la tombée du jour, la mer n’était pas d’un bleu verdâtre, ni argentée comme le long du Malecón ; la Mer de Torrevieja est d’un bleu intense, pensa-t-elle, comme le bleu sorti tout droit d’une miniature de paysage du XIXème siècle.
Elle examina l’illustration de couverture du roman qu’elle était en train de lire, Métamorphoses d’un Mariage, du hongrois Sándor Márai. Un joli portrait de l’actrice Amira Casar annonçait le sujet du roman : les amours perdues ou jamais trouvées parce que jugées inutiles.
Sándor Márai s’était suicidé, un jour avant la chute du Mur de Berlin ; Lola ne savait pas si c’était là une façon poétique ou absurde de disparaître peut-être, juste avant le moment décisif où la liberté se concrétisait. Sa détermination avait, elle aussi, duré bien peu de temps.
Lola avait entamé sa lecture, tôt le matin, en arrivant sur la plage encore déserte ; elle aimait s’étendre seule au bord de la mer. Elle resta plongée dans son livre jusqu’à ce que le soleil commence à lui brûler la peau, d’une chaleur cuisante. Elle leva les yeux : le soleil resplendissait, haut dans le ciel, et elle fut éblouie par ses reflets.
A cette heure-là, des familles entières de baigneurs l’entouraient. Les rires des enfants la rendirent nostalgique : elle était jeune ; il y a peu de temps encore qu’elle aussi, même dans les pires moments, riait avec une telle insouciance.
Elle avait avec elle un autre livre pour varier les plaisirs ; elle sortit de son sac le Journal de José Marti. Elle regarda avec indifférence les rares personnes qui lisaient aussi autour d’elle : celles qui n’avaient pas Harry Potter entre les mains étaient cramponnées au Da Vinci Code. Elle se sentit une « chose anachronique ». Le monde est partagé, se dit-elle en elle-même avec ironie, entre ceux qui lisent le Da Vinci Code et ceux qui sont plongés dans chaque nouvelle aventure de Harry Potter. Elle se mit de la crème solaire, sa peau lui brûlait sous les aisselles, mais elle ne put s’empêcher de rester là, tranquillement, et de reprendre le cours de sa réflexion : voilà ce qu’était devenu le monde, songea-t-elle, une pâle copie de lui-même. Les gens ne vivaient pas, les gens vivotaient. Ce n’était pas d’être qui leur importait, non ! Ce qui leur importait, c’était de paraître, sur cette planète, dans l’un ou l’autre camp.
Parce qu’effectivement, les deux camps existaient bel et bien, et tous deux n’arrêtaient pas de mégoter sur des inventions incompréhensibles : pure démagogie.
Elle pensa que, si s’afficher dans l’un des deux camps, quel qu’il soit, s’avérait être une insupportable trahison, son sort avait été bien pire encore : celui d’avoir vu le jour sur une île bon marché et gesticulante. Elle voulut interrompre le cours de ses pensées, craignant de devenir encore plus indifférente, c’est-à-dire cynique.
En fin de compte, elle se trouvait là, maintenant, sur cette plage ; cela ne faisait que dix ans qu’elle savait vivre simplement dans l’instant présent, sans projets en vue, sans avenir. Elle était arrivée à Torrevieja et elle y était restée, en stand by.
La seule chose qui la faisait encore un peu rêver était d’espérer : en hiver, elle travaillait comme professeur de chant et, en plus, elle s’exerçait, elle aussi, à chanter des Habaneras ; en été, elle assistait au concours en tant que spectatrice lorsqu’elle ne travaillait pas le soir comme serveuse pour arrondir ses fins de mois. Le matin, elle assurait ses cours, sauf le mercredi et les weekends où elle s’installait dans les dunes salées pour la journée, à lire, à lézarder.
C’est à peine si elle mangeait : elle avait perdu l’appétit quelques semaines après avoir été embauchée au restaurant ; constater un tel gaspillage de nourriture lui donnait la nausée, elle vomissait à la seule idée que, dans son pays, les gens ne pouvaient même pas imaginer manger les restes que d’autres laissaient intacts dans leur assiette.

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