vendredi 22 mai 2009

Votre version de la semaine, Agustín

En photo : Agustin par Alma de cantaro

[merci à Nathalie et Brigitte de m'avoir signalé un mauvais aiguillage versionesque pour ce vendredi. Nous revoici sur les rails… pour de nouvelles aventures]

Cien dólares de multa a quien tire basura en la carretera.

Susana caminaba por Insurgentes cuando encontró a Gustavo Sainz, quien le preguntó si quería le gustaría participar en un programa de escritores en Estados Unidos. Susana dijo sí al instante. Sainz no tenía tiempo de darle pormenores pero le pidió anotara un número telefónico. Susana regresó corriendo a su departamento y se descorazonó al ver que su marido no estaba allí; Eligio había ido a una grabación de La Hora Nacional, lo cual implicaba caer en lo más bajo, y llegaría, a medianoche, con ganas de una cerveza antes que nada.
Lo esperó pacientemente y cuando se hizo de noche en ella había ocurrido un cambio. Sabía con exactitud que iría sola a Estados Unidos y que, para evitar escenitas, lo mejor era no decir nada a Eligio. Se hallaba llena de energía, segura de sí misma y con deseos de hacer cosas. Era imposible precisar en qué momento todo se había ido cubriendo de veladuras finísimas, casi imperceptibles, que la aislaban herméticamente de la realidad y que poco a poco fueron envolviéndola hasta momificarla. Susana sabía que en el fondo estaba exagerando, pero le gustaba mucho la idea de haber estado llena de vendajes. Puso música: la Arpeggione, que siempre la aligeraba.
Al día siguiente llamó al número que Sainz le había dado. Era de la oficina de asuntos culturales de la Embajada de Estados Unidos, e hizo una cita para esa misma mañana. Llamó a la Universidad y avisó que ese día no iría a dar clases, y a las pocas horas la secretaria del agregado cultural le había leído unas cuartillas en las que a grandes rasgos se indicaba en qué consistía el proyecto: asistir durante cuatro meses al Programa de Escritores que cada año invitaba a destacadas personas de pluma de más de veinte países a la pequeña ciudad de Arcadia. En la universidad de Arcadia se encontraba el más célebre taller de creación literaria de Estados Unidos. Susana tendría que participar en los eventos y actividades del Programa: asistiría a las sesiones en que cada participante hablaba da los de-más de las condiciones de la literatura de su respectivo país y asistiría a un taller de traducción, para que parte de su obra quedara en inglés y pudiese difundirse en Estados Unidos. Tendría mucho tiempo para escribir, se le daría un boleto de ida y vuelta en avión, mil cuatrocientos dólares al mes por parte del Departamento de Estado y una última mensualidad a cargo del Programa. Por si fuera poco, dispondría de un cupón de exceso de equipaje para que pudiera regresara con una buena dotación de libros.
Conforme pasaban los días, Susana se hallaba muy estimulada y escribía mucho, cuando en realidad, y sólo hasta ese momento se daba cuenta cabalmente, durante varios meses no lo había hecho. También advirtió que Eligio se borraba, se alejaba con la uniformidad de un telefoto automático, y pronto se hallaba en otro mundo, bien alojado en un compartimiento interior. El no parecía darse cuenta de nada, y en múltiples ocasiones llegaba, como antes, cargado de cervezas y con algunos amigos actores, a quienes ella estimaba porque eran inteligentes, agradables, y la trataban bien, aunque, por supuesto, le dedicaban tantos chistes como los que ellos se hacían entre sí. Eligio y sus amigos bebían y oían boleros, música tropical, canciones rancheras y a veces música folclórica latinoamericana o rock y prácticamente nunca música clásica. Susana ya no podía, como tantas veces, acompañarlos a beber y a hacer chiste tras chiste, y generalmente se iba a leer o a escribir a su recámara.
Medio mes más tarde, El Programa la había aceptado. Susana refrendó su pasaporte y lo depositó en la Embajada, para que lo visaran. Fue a la Universidad y se encerró con el jefe de área; le comunicó que iba a ausentarse de su puesto, pero, sobre todas las cosas, le pidió que nadie dijera nada a Eligio. Después recogió un grueso sobre con materiales del Programa, su pasaporte visado, una forma oficial que les presentaba a los agentes de Migración como visitante internacional y un boleto con reservaciones confirmadas para viajar, vía American Airlines, a Chicago, y por Ozark Airlines a Little Rapids. Susana corrió a la biblioteca Benjamín Franklin para averiguar dónde se hallaba Little Rapids, y se desconcertó mucho cuando vio que la ciudad de Arcadia no aparecía en el mapa. Pidió otros y finalmente la descubrió: un puntito a cuarenta kilómetros de Little Rapids, que a su vez se hallaba relativamente cerca de Chicago.

JOSÉ AGUSTÍN, CIUDADES DESIERTAS, 1999.

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Brigitte nous propose sa traduction :

Cent dollars d’amende pour jet d’ordures sur la voix publique.

Susana marchait sur l’avenue Insurgentes lorsqu’elle rencontra Gustavo Sainz qui lui demanda si elle aimerait participer à un Programme d’écrivains aux Etats-Unis. Susana dit oui immédiatement. Sainz n’avait pas le temps de lui donner de détails mais il lui demanda de noter un numéro de téléphone. Susana rentra en courant à son appartement et fut déçue en voyant que son mari n’était pas là ; Eligio était allé à un enregistrement de l’Heure Nationale, ce qui supposait le pire, et il rentrerait, à minuit, avec une envie de bière avant tout chose.
Elle l’attendit patiemment et, à la nuit tombée, un changement s’était produit en elle. Elle savait avec certitude qu’elle irait seule aux Etats-Unis et que, pour éviter toute scène, le mieux était de ne rien dire à Eligio. Elle se sentait débordante d’énergie, sûre d’elle et avec l’envie de faire des choses. Il lui était impossible de dire à quel moment tout s’était couvert peu à peu de voilages très fins, presqu’imperceptibles, qui l’avaient isolée hermétiquement de la réalité et qui l’avaient enveloppée petit à petit jusqu’à la transformer en momie. Susana savait bien que, dans le fond, elle exagérait, mais elle aimait beaucoup l’idée d’être recouverte de bandelettes. Elle mit de la musique : l’Arpeggione qui la rendait toujours plus légère.
Le lendemain, elle appela le numéro que Sainz lui avait donné. C’était celui du bureau des affaires culturelles de l’Ambassade des Etats-Unis et elle prit rendez-vous pour le matin même. Elle téléphona à l’Université pour prévenir qu’elle ne viendrait pas faire cours aujourd’hui ; quelques heures plus tard la secrétaire de l’attaché culturel lui avait lu des feuillets où apparaissait dans les grandes lignes en quoi consistait le projet : assister pendant quatre mois au Programme d’Ecrivains qui conviait chaque année des personnalités éminentes du monde des lettres de plus de vingt pays dans la petite ville d’Arcadia. C’est à l’Université d’Arcadia qu’avait lieu l’atelier de création littéraire le plus réputé des Etats-Unis. Susana devrait participer aux manifestations et activités du Programme : elle assisterait aux séances où chaque participant parlait aux autres de l’état de la littérature dans leurs pays respectifs et prendrait part à un atelier de traduction, pour qu’une partie de son œuvre perdure en anglais et puisse être diffusée aux Etats-Unis. Elle aurait beaucoup de temps pour écrire, on lui donnerait un billet d’avion aller retour, mille quatre cents dollars par mois du Département d’Etat et une dernière mensualité à la charge du Programme. Et, cerise sur le gâteau, un ticket pour excédent de bagages afin qu’elle puisse revenir avec un bon stock de livres.
Au fur et à mesure que les jours passaient, Susana se sentait très stimulée et elle écrivait beaucoup, alors qu’en réalité, et ce n’est qu’à ce moment qu’elle en prenait pleinement conscience, elle n’avait rien écrit pendant plusieurs mois. Elle remarqua également qu’Eligio s’effaçait, s’éloignait avec l’uniformité d’un zoom arrière (?) et, très vite, elle se trouvait plongée dans un autre monde, bien logé dans un compartiment intérieur. Lui, ne semblait se rendre compte de rien, et combien de fois, il arrivait, comme avant, les bras chargés de bières, avec quelques amis acteurs, qu’elle estimait car ils étaient intelligents, agréables et la traitaient bien, même si, bien sûr, ils lui faisaient des plaisanteries comme celles qu’ils se faisaient entre eux. Eligio et ses amis buvaient et écoutaient des boleros, de la musique tropicale, des rancheras et parfois de la musique folklorique latino américaine ou du rock et pratiquement jamais de musique classique. Susana n’en pouvait plus, comme tant de fois, de les accompagner pour boire et faire blague sur blague et en général elle partait lire ou écrire dans sa chambre.
Quinze jours plus tard, le Programme l’avait acceptée. Susana fit viser son passeport et le déposa à l’Ambassade, pour qu’il soit signé. Elle se rendit à l’Université et s’enferma avec le directeur du département ; elle lui annonça qu’elle allait s’absenter de son poste mais, surtout, elle lui demanda que personne ne dise quoi que ce soit à Eligio. Ensuite, elle récupéra une grosse enveloppe avec du matériel pour le Programme, son passeport visé, une lettre officielle qui les présentait aux agents de l’Immigration en tant que visiteur international et un billet avec confirmation de réservations pour le vol, sur American Airlines jusqu’à Chicago, et sur Ozark Airlines jusqu’à Little Rapids. Susan courut à la bibliothèque Benjamin Franklin pour vérifier où se trouvait Little Rapids, et elle fut très déconcertée en voyant que la ville d’Arcadia n’apparaissait pas sur la carte. Elle demanda d’autres cartes et trouva enfin : un minuscule point à quarante kilomètres de Little Rapids, qui se situait elle-même relativement près de Chicago.

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Nathalie nous propose sa traduction :

Cent dollars d'amende à qui jettera des ordures sur la chaussée

Susana marchait sur Insurgentes lorsqu'elle rencontra Gustavo Sainz qui lui demanda si elle souhaitait participer à un séminaire d'écrivains aux Etats-Unis. Susana répondit oui, sur-le-champ. Sainz n'avait pas le temps de lui fournir de détails plus précis mais il l'enjoignit à noter un numéro de téléphone. Susana rentra en courant à son appartement et perdit tout son enthousiasme en constatant que son mari n'était pas là; Eligio était allé à un enregistrement de la Hora Nacional, ce qui impliquait que son moral serait au plus bas et qu'il rentrerait au milieu de la nuit, impatient avant tout de boire une bière.

Elle l'attendit patiemment et, à la nuit tombée, un changement se produisit en elle. Elle savait parfaitement qu'elle se rendrait seule aux Etats-Unis et pour éviter toute dispute, mieux valait ne rien dire à Eligio. Elle se sentait pleine d'énergie, sûre d'elle-même et désireuse d'entreprendre des choses. Il s'avérait impossible de préciser à quel moment tout avait commencé à se couvrir de ces fines couches, presque imperceptibles, de glacis, qui l'isolaient hermétiquement de la réalité et qui, peu à peu, l'enveloppèrent jusqu'à la momifier. Susana savait, dans le fond, qu'elle exagérait mais elle aimait beaucoup l'idée d'avoir été recouverte de bandages. Elle mit de la musique : la sonate Arpeggione, qui la rendait toujours plus légère.

Le lendemain, elle appela le numéro que Sainz lui avait donné. C'était celui du bureau des affaires culturelles de l'Ambassade des Etats-Unis, et elle prit rendez-vous pour le matin même. Elle téléphona à l'Université pour prévenir qu'elle ne viendrait pas faire cours et quelques heures plus tard, la secrétaire de l'attaché culturel lui avait lu certaines pages où il était indiqué, à grands traits, en quoi consistait le projet : assister, pendant quatre mois, au Séminaire d'Ecrivains qui, chaque année, réunissait, dans la petite ville de Arcadia, des plumes célèbres, originaires de plus de vingt pays. Le plus célèbre atelier de création littéraire se trouvait à l'université d'Arcadia. Susana devrait participer aux événements et aux activités du Séminaire : elle assisterait aux sessions dans lesquelles chaque participant évoquerait, devant les autres, l'état de la littérature dans son propre pays et elle assisterait également à un atelier de traduction, afin qu'une partie de son oeuvre soit conservée en anglais et puisse être diffusée aux Etats-Unis. Elle aurait beaucoup de temps pour écrire, elle recevrait un billet d'avion aller-retour et mil quatre cents dollars par mois du Département d'Etat, ainsi qu'une dernière mensualité, versée par le Séminaire. Comme si cela ne suffisait pas, elle disposerait d'un coupon de supplément bagages afin qu'elle puisse repartir avec une belle cargaison de livres.
Au fil des jours, Susana se sentait de plus en plus motivée et elle écrivait beaucoup, alors que - et elle ne s'en rendait vraiment compte que maintenant - elle n'avait rien écrit pendant des mois. Elle remarqua également que Eligio devenait flou, s'éloignait comme si elle le voyait à travers l'uniformité d'un téléobjectif automatique, et bientôt, elle se retrouva dans un autre monde, bien installée dans un compartiment intérieur. Il ne semblait se rendre compte de rien, et, à plusieurs reprises, il arriva, comme toujours, avec des packs de bière et quelques amis acteurs, qu'elle estimait parce qu'ils étaient intelligents, agréables et qu'ils la traitaient convenablement bien que, évidemment, ils lui adressaient autant de vannes que celles qu'ils se faisaient entre eux. Eligio et ses amis buvaient et écoutaient des boleros, de la musique tropicale, des rancheras et parfois de la musique folklorique latino-américaine ou du rock mais jamais de musique classique. Susana ne pouvait pas, comme tant de fois par le passé, boire avec eux et enchaîner vanne sur vanne et elle allait, généralement, lire ou écrire dans sa chambre.
Quinze jours plus tard, le Séminaire avait accepté sa candidature. Susana mit à jour son passeport et le déposa à l'Ambassade, pour le faire viser. Elle se rendit à l'Université et s'enferma avec le directeur de l'UFR; elle lui apprit qu'elle allait s'absenter de son poste mais, surtout, elle lui demanda que personne ne dise quoi que ce soit à Eligio. Puis, elle récupéra une grosse enveloppe contenant des papiers du Séminaire, son passeport visé, un document officiel qu'elle présenterait aux agents de l'Immigration en tant que visiteuse internationale et un billet avec confirmation de réservation pour voyager, via American Airlines, à Chicago, et à Little Rapids, par Ozark Airlines. Susana se précipita à la bibliothèque Benjamin Franklin pour regarder où se trouvait Little Rapids, et elle fut passablement déconcertée quand elle vit que la ville d'Arcadia ne figurait pas sur la carte. Elle demanda d'autres cartes et finit par la découvrir : un tout petit point à quarante kilomètres de Little Rapids, qui ne se trouvait pas très loin, non plus, de Chicago.

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Blandine nous propose sa traduction :

Amende de cent dollars à celui qui jette ses poubelles sur la voie publique.
Susana marchait sur Insurgentes quand elle rencontra Gustavo Sainz, qui lui demanda si elle aimerait participer à un programme d’écrivains aux États-Unis. Susana lui répondit oui en suivant. Sainz n’avait pas le temps de lui en dire plus mais il lui demanda de noter un numéro de téléphone. Susana revint en courant à son appartement et fut déçue quand elle vit que son mari n’était pas là ; Eligio avait été à un enregistrement de La Hora Nacional, ce qui signifiait être tombé au plus bas, et il arriverait, à minuit, avec une envie de bière avant tout chose.
Elle l’attendit patiemment et quand la nuit fut tombée, un changement s’était opéré en elle. Elle savait parfaitement qu’elle irait seule aux États-Unis et afin d’éviter toute scène, le mieux était de ne rien dire à Eligio. Elle était pleine d’énergie, sûre d’elle et avec le désir de faire des choses. Il était impossible de préciser à quel moment tout s’était couvert en de très fins voilages, presque imperceptibles, qui l’isolaient hermétiquement de la réalité et qui peu à peu l’enveloppèrent jusqu’à la momifier. Susana savait qu’au fond c’était exagéré, mais elle aimait beaucoup l’idée d’avoir été couverte de bandelettes. Elle mit la musique : l’Arpeggione, qui la libérait.
Le lendemain, elle appela le numéro que Sainz lui avait donné. C’était celui du bureau des affaires culturelles de l’Ambassade des États-Unis, et elle prit un rendez-vous pour le matin même. Elle appela l’Université pour prévenir qu’elle n’irait pas faire cours ce jour-là, et quelques heures plus tard la secrétaire de l’attaché culturel lui avait lu quelques feuillets où il y avait les grandes lignes du projet : assister pendant quatre mois au Programme des Écrivains qui invitait chaque année des personnes importantes du monde des lettres de plus de vingt pays dans la petite ville d’Arcadia. À l’université d’Arcadia se trouvait le plus célèbre atelier de création littéraire des États-Unis. Susana devrait participer aux événements et aux activités du Programme : elle assisterait aux sessions où chaque participant parlait aux autres des conditions de la littérature dans leur propre pays et elle assisterait à l’atelier de traduction, pour savoir quelle partie de son œuvre serait traduite en anglais et puisse être diffusée aux Etats-Unis. Elle aurait beaucoup de temps pour écrire, elle aurait un billet d’avion aller-retour, mil quatre cents dollars au mois de la part du Département d’Etat et une dernière mensualité à la charge du Programme. Et si cela ne suffisait pas, elle disposerait d’un billet pour excédent de bagage afin de pouvoir ramener une bonne donation de livres.
Plus les jours passés, et plus Susana se sentait stimulée et elle écrivait beaucoup, quand en réalité, elle s’en rendait compte juste à ce moment-là, pendant plusieurs mois elle n’avait rien écrit. Elle se rendit compte qu’Eligio s’effaçait, s’éloignait avec l’uniformité d’un zoom automatique, et qu’elle se trouvait soudain dans un autre monde, bien logée dans un compartiment intérieur. Il ne semblait se rendre compte de rien, et dans de nombreuses occasions, il arrivait, comme toujours, chargé de bières avec quelques amis acteurs, qu’elle estimait parce qu’ils étaient intelligents, agréables, et qu’ils la traitaient bien, même si, bien entendu, ils lui faisaient autant de blagues comme celles qu’ils se faisaient entre eux. Eligio et ses amis buvaient et écoutaient des boléros, de la musique tropicale, des rancheras et parfois de la musique folklorique latino-américaine ou du rock mais pratiquement jamais de musique classique. Susana n’en pouvait plus, comme auparavant, les accompagner pour boire et à faire des blagues les unes après les autres, et généralement elle partait lire ou écrire dans sa chambre.
Deux semaines plus tard, le Programme l’avait acceptée. Susana remit à jour son passeport et le déposa à l’Ambassade, pour qu’ils y mettent le visa. Elle alla à l’Université et s’enferma avec le chef de section ; elle lui annonça qu’elle allait s’absenter de son poste, mais, surtout, elle demanda à ce que personne ne dise rien à Eligio. Ensuite elle récupéra une grosse enveloppe avec du matériel pour le Programme, son passeport validé, une lettre officielle que devait la présenter aux agents de la Migration comme visiteur international et un billet avec les réservations confirmées pour le vol, via American Airlines, jusqu’à Chicago, et sur Ozark Airlines jusqu’à Little Rapids. Susana courut à la bibliothèque Benjamin Franklin pour vérifier où se trouvait Little Rapids, elle s’étonna beaucoup de ne pas voir la ville d’Arcadia sur la carte. Elle en demanda d’autres, et finalement la découvrit ; un tout petit point à quarante kilomètres de Little Rapids, qui se trouvait elle-même relativement près de Chicago.

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Laure L. nous propose sa traduction :

Une amende de cent dollars à celui qui jette ses ordures dans la rue.

Susana avançait sur Insurgentes quand elle rencontra Gustavo Sainz qui lui demanda si elle aimerait participer à un Séminaire d’écrivains aux États Unis. Susana accepta instantanément. Sainz n’avait pas le temps de lui donner tous les détails mais il lui fit noter un numéro de téléphone. Susana retourna chez elle en courant et perdit tout son courage quand elle vit que son mari n’était pas là. Eligio était allé à un enregistrement de la Hora Nacional ce qui impliquait tomber au plus bas et arriver à minuit avec l’envie de prendre une bière avant toute chose.
Elle l’attendit patiemment et quand la nuit tomba un changement s’était produit en elle. Elle savait parfaitement qu’elle irait seule au États-Unis et, pour éviter de ridicules scènes de ménages, le mieux était de ne rien dire à Eligio. Elle se sentait pleine d’énergie, sûre d’elle et désireuse d’agir. Il était impossible de préciser à quel moment tout s’était peu à peu couvert d’une voile très fin, presque imperceptible, qui l’isolait hermétiquement de la réalité et qui commença progressivement à l’entourer jusqu’à la momifier. Susana savait qu’au fond elle exagérait, mais l’idée d’avoir été pleine de bandages lui plaisait. Elle mit de la musique : l’Arpeggione, qui la rendait toujours plus légère.
Le lendemain elle appela le numéro que Sainz lui avait donné. C’était le bureau des affaires culturelles de l’ambassade des États-Unis. Elle prit rendez-vous pour le matin même. Elle appela l’université et prévint qu’elle ne ferait pas classe ce jour là, et peu de temps après la secrétaire de l’attaché culturel lui avait lu des papiers où dans les grandes lignes on indiquait en quoi consistait le projet : assister pendant quatre mois au Séminaire d’écrivains qui chaque année invitait les gens de lettres en vue de plus de plus de vingt pays dans la petite ville d’Arcadia. L’atelier de création littéraire le plus célèbre des Etats-Unis se trouvait à l’université d’Arcadia. Susana devrait participer aux événements et aux activités du Séminaire : elle assisterait à des symposiums au cours desquels chaque participant parlait aux autres de l’état de la littérature de leur pays respectif et elle assisterait à un atelier de traduction pour qu’une partie de son œuvre fût en anglais et pût être diffusée aux Etats-Unis. Elle aurait beaucoup de temps pour écrire, on lui donnerait un billet d’avion aller/retour, mille quatre cents dollars par mois de la part du Département d’Etat et une dernière mensualité à la charge du Séminaire. Au cas où ce serait trop juste, elle disposerait d’un bon d’excédent de bagage pour qu’elle pût revenir avec une bonne quantité de livres.
Au fur et à mesure que les jours passaient, Susana était très stimulée et écrivait beaucoup, alors qu’en réalité, et ce n’était qu’à ce moment là qu’elle s’en rendait compte précisément, elle ne l’avait pas fait pendant plusieurs mois. Elle remarquait aussi qu’Eligio s’effaçait, s’éloignait avec l’uniformité d’une téléphotographie automatique, et très vite il se retrouvait dans un autre monde, bien à l’abri dans un compartiment intérieur. Lui ne semblait s’apercevoir de rien, et en de nombreuses occasions il arrivait, comme avant, chargé de bière et avec quelques amis acteurs qu’elle estimait parce qu’ils étaient intelligents, agréables, et qu’ils la traitaient bien, même si bien sûr ils lui faisaient autant de blagues qu’ils pouvaient s’en faire entre eux. Eligio et ses amis buvaient et écoutaient des boleros, de la musique tropicale, des chansons rancheras et parfois de la musique folklorique latino-américaine ou du rock et pratiquement jamais de musique classique. Susana ne pouvait plus, comme souvent, continuer à boire avec eux et enfiler les blagues, et en général elle allait lire ou écrire dans sa chambre.
Deux semaines plus tard, elle était intégrée au Séminaire. Susana vérifia son passeport et le déposa à l’ambassade pour obtenir son visa. Elle alla à l’université et s’enferma avec le chef de son département et l’informa qu’elle allait s’absenter de son poste mais surtout elle lui demanda que personne ne dît rien à Eligio. Ensuite elle prit une enveloppe épaisse avec des documents relatifs au Séminaire, son passeport avec son visa, un document officiel qui la présentait aux agents de l’immigration comme visiteur international et un billet avec la confirmation des réservations de son voyage à Chicago sur American Airlines, et à Little Rapids sur Ozark Airlines. Susana courut à la bibliothèque Benjamin Franklin pour vérifier la localisation de Little Rapids et fut très déconcertée quand elle vit que la ville d’Arcadia n’apparaissait pas sur la carte. Elle en demanda d’autres et finalement la découvrit : un petit point à quarante kilomètre de Little Rapids qui à son tour se trouvait relativement près de Chicago.

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Odile nous propose sa traduction :

Cent dollars d’amende à toute personne qui jettera des ordures sur la chaussée.

Susana marchait Calle Insurgentes lorsqu’elle rencontra Gustavo Sainz qui lui demanda si elle aimerait participer à un séminaire d’écrivains aux Etats-Unis. Susana dit oui tout de suite. Sainz n’avait pas le temps de lui donner davantage de détails mais il lui demanda de noter un numéro de téléphone. Susana rentra en courant à son appartement et perdit tout enthousiasme en voyant que son mari n’était pas là ; Eligio était allé à un enregistrement de la Hora Nacional, ce qui laissait supposer le pire, et il rentrerait au milieu de la nuit, avec d'abord l'envie de boire une bière. 
Elle l’attendit patiemment et, à la nuit tombée, un changement s’était produit en elle. Elle savait très bien qu’elle irait seule aux Etats-Unis et que, pour éviter toute scène, le mieux était de ne rien dire à Eligio. Elle se sentait débordante d’énergie, sûre d’elle et avec l’envie de faire des choses. Il était impossible de dire à quel moment tout avait commencé à se couvrir de fines couches de glacis, presque imperceptibles, qui l’avaient isolée hermétiquement de la réalité et qui, peu à peu, l'enveloppèrent jusqu’à la momifier. Susana savait bien que, dans le fond, elle exagérait, mais elle aimait beaucoup l’idée d’avoir été recouverte de bandelettes. Elle mit de la musique : la sonate « Arpeggione » qui l'apaisait toujours.
Le lendemain, elle appela le numéro que Sainz lui avait donné. C’était celui du bureau des affaires culturelles de l’Ambassade des Etats-Unis et elle prit rendez-vous pour le matin même. Elle téléphona à l’Université pour prévenir qu’elle n'assurerait pas ses cours ce jour-là ; quelques heures plus tard, la secrétaire de l’attaché culturel lui avait lu quelques pages qui expliquaient, dans ses grandes lignes, en quoi consistait le projet : assister pendant quatre mois au Séminaire d’Ecrivains qui conviait chaque année des personnalités éminentes du monde des lettres de plus de vingt pays dans la petite ville d’Arcadia. L’Université d’Arcadia hébergeait l’atelier de création littéraire le plus réputé des Etats-Unis. Susana devrait participer aux manifestations et aux activités du Séminaire : elle assisterait aux séances où chaque participant rendrait compte aux autres de l’état de la littérature dans son propre pays et prendrait part à un atelier de traduction, pour qu’une partie de son œuvre soit traduite en anglais et puisse être diffusée aux Etats-Unis. Elle aurait beaucoup de temps pour écrire, on lui donnerait un billet d’avion aller- retour, mille quatre cents dollars par mois payés par le Département d’Etat et une dernière mensualité versée par le Séminaire. Et, avantage supplémentaire, elle disposerait d' un ticket pour excédent de bagages afin qu’elle puisse revenir avec une bonne quantité de livres.
Au fur et à mesure que les jours passaient, Susana se sentait très stimulée et elle écrivait beaucoup, alors qu’en réalité, et ce n’est qu’à ce moment qu’elle en prenait parfaitement conscience, elle n’avait rien écrit pendant plusieurs mois. Elle remarqua également qu’Eligio s’effaçait, s’éloignait avec la régularité que produirait un téléobjectif automatique et, très vite, elle se retrouvait dans un autre monde, bien logé dans un compartiment intérieur. Il ne semblait se rendre compte de rien, et souvent il arrivait, comme avant, chargé de bières, accompagné de quelques amis acteurs, qu’elle estimait car ils étaient intelligents, agréables et la respectaient, même si, bien sûr, ils lui adressaient des plaisanteries comme celles qu’ils se faisaient entre eux. Eligio et ses amis buvaient, écoutaient des boleros, de la musique tropicale, des rancheras et parfois de la musique folklorique latino- américaine ou du rock et presque jamais de musique classique. Susana n' arrivait plus, comme tant d'autres fois, à boire et à plaisanter encore et encore avec eux, et en général elle partait lire ou écrire dans sa chambre. Quinze jours plus tard, sa participation au Séminaire était acceptée. Susana fit valider son passeport et le déposa à l’Ambassade, pour obtenir un visa. Elle se rendit à l’Université et s’enferma avec le directeur du département ; elle lui annonça qu’elle allait s’absenter de son poste mais, surtout, elle lui demanda que personne ne dise quoi que ce soit à Eligio. Puis, elle récupéra une grosse enveloppe avec des documents pour le Séminaire, son passeport visé, une lettre officielle qu'elle présenterait aux agents de l’Immigration en tant que visiteur international, et un billet avec confirmation de réservations pour le vol, sur American Airlines jusqu’à Chicago, et sur Ozark Airlines jusqu’à Little Rapids. Susan courut à la bibliothèque Benjamin Franklin pour regarder où se trouvait Little Rapids, et elle fut très déconcertée quand elle constata que la ville d’Arcadia ne figurait pas sur la carte. Elle demanda d’autres cartes et trouva enfin : un minuscule point à quarante kilomètres de Little Rapids, qui se situait elle-même relativement près de Chicago.

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