samedi 25 juillet 2009

Références culturelles, 198 : Les moulins à vent du Quichotte, par Laëtitia Sw.

Les moulins à vent du Quichotte
Oui, mais… lesquels ?
Voilà la question qui me taraude depuis tout à l’heure alors que je me remémore un voyage qui m’a conduite il y a quelques années sur les traces de don Quichotte.
Replantons le décor : « Dans un village de la Manche, dont je ne veux pas me rappeler le nom… ». Imaginons les paysages arides et vertigineux de cette Manche, enfin… Mancha (je ne me ferai jamais vraiment au nom traduit en français qui me transporte directement, avec mon imaginaire, en Normandie, ce qui, il faut bien l’avouer, nous éloigne considérablement du sujet…).
Reprenons, une région donc : La Mancha (ou Castilla-La Mancha pour être totalement précis). Cinq provinces : Guadalajara, Cuenca, Albacete, Ciudad Real et Toledo (Tolède). Et, sillonnant ces provinces, une route : la « Ruta del Quijote » ou plutôt dix routes nous invitant chacune à redécouvrir les aventures de don Quichotte. En effet, la « Ruta del Quijote » se compose en fait de dix « tramos » (tronçons) suivant chacun un itinéraire précis à travers villes et villages de la Mancha que le lecteur ordinaire du roman suit parfois malheureusement un peu dans le vague.
Entre autres lieux célèbres, le lecteur et surtout le promeneur avisé (mêlons fiction et topographie réelle) pourra s’arrêter au Toboso (province de Tolède) pour visiter, en ayant une pensée pour Dulcinée, le musée Cervantès (Museo cervantino) où sont conservés des exemplaires du Quichotte dans plus de 50 langues, appartenant à différentes époques, voire, pour certains, signés et/ou dédicacés par les grandes personnalités de ce monde. En somme, un voyage fantastique à travers une magnifique bibliothèque.
Le promeneur pourra ensuite faire une halte bien méritée à Puerto Lápice (province de Ciudad Real) en se restaurant à la Venta del Quijote, fameuse auberge où don Quichotte aurait été adoubé chevalier.
Puis, n’y tenant plus, il ne tardera pas davantage à reprendre son chemin pour aller contempler les majestueux géants contre lesquels a si durement guerroyé notre valeureux don Quichotte. Mais c’est là que commence un véritable casse-tête… Où les trouver ? Car plusieurs villages – aussi fiers les uns que les autres de leurs beaux moulins – en revendiquent l’authenticité. Le promeneur décidera donc sans doute de ne pas faire de jaloux en empruntant une nouvelle route : la « Ruta de los Molinos ».
Celle-ci traverse plusieurs villages qui se trouvent au confluent de trois provinces. Elle commence par Mota del Cuervo dans la province de Cuenca, se poursuit par Campo de Criptana et Alcázar de San Juan dans celle de Ciudad Real, et s’achève par Madridejos et Consuegra dans celle de Tolède.
Tourisme oblige, chaque municipalité brandit son héritage quichottesque, ce dont on ne les blâmera pas, bien au contraire ! Le plaisir des yeux passant avant tout, le promeneur appréciera de parcourir encore et encore les routes caillouteuses de la Mancha en s’empreignant de chaque parcelle du paysage pour revivre à loisir ses épisodes préférés du Quichotte, dont bien sûr celui, ô combien célèbre, des moulins à vent.
Oui, mais quand même ! Moi qui aie été dans la peau de notre promeneur il y a quelques temps de cela, j’aurai bien aimé savoir quels étaient les authentiques moulins ! Enfin, voyons, on ne peut pas nous demander de revivre avec la même ferveur la scène romanesque dans chaque lieu sous prétexte d’imprécision historique ! Non mais ! Enfin… sur le moment, j’ai réfréné l’envie d’éclaircir à tout prix la question pour me fondre dans l’atmosphère si particulière de ces lieux. Mais aujourd’hui, en y repensant, je me dis : bon, il faut que je sache !
Me voilà donc à explorer les sites internet sur le sujet afin de trouver la réponse et il semblerait bien que ce soit Campo de Criptana qui remporte la palme… Après moult hypothèses, recoupements et vérifications en tous genres, les chercheurs, semble-t-il, se sont accordés sur cette petite commune au nord-est de la province de Ciudad Real, perchée sur le Cerro de la Paz dans la Sierra de los Molinos. À l’origine, Campo de Criptana comptait trente-deux moulins. Aujourd’hui, il n’en reste plus que dix, plus ou moins bien conservés. Les trois plus anciens – le « Burleta », l’« Infante » et le « Sardinero » – qui datent du 16e siècle (1550-1555) s’enorgueillissent d’avoir conservé jusqu’à nos jours leurs machineries originales. On dit même qu’elles marchent encore (si, si !). Les autres ont été édifiés au 20e siècle. Six d’entre eux abritent maintenant des musées : l’« Inca Garcilaso », le Musée du Labour ; le « Pilón », le Musée du Vin ; le « Cariari », le Musée du Cinéma consacré à Enrique Alarcón (réalisateur, chef décorateur et scénariste, né à Campo de Criptana en 1917) ; le « Vicente Huidobro », un Musée en l’hommage de ce poète chilien, créateur et fondateur du créationnisme ; le « Lagarto », le Musée de la Poésie ; et le « Culebro », le Musée Sara Montiel (la célèbre actrice et chanteuse, elle aussi née à Campo de Criptana, en 1928). Le « Poyatos » accueille l’Office de Tourisme.
Tous sont bâtis selon le même principe. Leurs parois cylindriques, recouvertes de chaux, sont percées irrégulièrement de petites fenêtres carrées et d’une unique porte. Leur toit en bois de forme conique laisse échapper un lourd mécanisme prismatique servant de support à l’axe autour duquel tournent les quatre ailes. Du côté opposé, un large tronc qui part de la charpente pour venir se ficher profondément dans le sol donne la dernière touche à la silhouette si caractéristique du moulin.
Allez… quittons un instant le réel et plongeons-nous le temps de deux pages dans le fameux chapitre 8 au début de l’œuvre où il est question « de la grande victoire que le vaillant don Quichotte remporta dans l’épouvantable et incroyable aventure des moulins à vent, avec d’autres événements dignes de mémoire » :
« C’est alors qu’ils découvrirent dans la plaine trente ou quarante moulins à vent ; dès que don Quichotte les aperçut, il dit à son écuyer :
- La chance conduit nos affaires mieux que nous ne pourrions le souhaiter. Vois-tu là-bas, Sancho, cette bonne trentaine de géants démesurés ? Eh bien, je m’en vais les défier l’un après l’autre et leur ôter à tous la vie. [...]
- Des géants ? Où ça ?
- Là, devant toi, avec ces grands bras, dont certains mesurent presque deux lieues.
- Allons donc, monsieur, ce qu’on voit là-bas, ce ne sont pas des géants, mais des moulins ; et ce que vous prenez pour des bras, ce sont leurs ailes, qui font tourner la meule quand le vent les pousse.
- On voit bien que tu n’y connais rien en matière d’aventures. Ce sont des géants ; et si tu as peur, ôte-toi de là et dis une prière, le temps que j’engage avec eux un combat inégal et sans pitié.
Et aussitôt, il donna des éperons à Rossinante, sans se soucier des avertissements de Sancho qui lui criait que ceux qu’il allait attaquer étaient bien des moulins et non des géants. […]
- Ne fuyez pas, lâches et viles créatures, criait-il, c’est un seul chevalier qui vous attaque !
Sur ces entrefaites, un vent léger se leva, et les grandes ailes commencèrent à tourner. Ce que voyant, don Quichotte reprit :
- Vous aurez beau agiter plus de bras que n’en avait le géant Briarée, je saurai vous le faire payer !
Là-dessus, il se recommanda de tout son cœur à sa dame Dulcinée […]. Puis, bien couvert de son écu, la lance en arrêt, il se précipita au grand galop de Rossinante et, chargeant le premier moulin qui se trouvait sur sa route, lui donna un coup de lance dans l’aile, laquelle, actionnée par un vent violent, brisa la lance, emportant après elle le cheval et le chevalier, qu’elle envoya rouler sans ménagement dans la poussière.
Sancho se précipita au grand trot de son âne pour secourir son maître et le trouva qui ne pouvait plus remuer, tant la chute où l’avait entraîné Rossinante avait été rude.
- Miséricorde ! s’écria-t-il. Est-ce que je ne vous avais pas dit, moi, de faire attention, et que c’étaient des moulins à vent ? Il n’y avait pas moyen de s’y tromper, à moins d’avoir d’autres moulins qui vous tournent dans la tête !
- Tais-toi, Sancho ; à la guerre, plus qu’ailleurs, on ne peut jamais savoir comment les choses vont tourner. Pour moi, je pense, et c’est la vérité, que cet enchanteur Freston, qui a emporté mon cabinet et mes livres, a transformé ces géants en moulins pour me ravir l’honneur de les avoir vaincus, si grande est la haine qu’il me porte. Mais au bout du compte, mon épée sera plus forte que tous ses maléfices.
- Dieu en décidera ! conclut Sancho.
Et il aida son maître à se relever et à remonter sur Rossinante, qui avait le dos tout démanché. Puis, en s’entretenant de cette aventure, ils prirent le chemin de Port-Lapice car, selon don Quichotte, dans un lieu de grand passage, il ne pouvait manquer de rencontrer des aventures multiples et variées. »
(Traduction d’Aline Schulman, Éditions du Seuil, Paris, 1997, chapitre 8, partie 1, volume 1, pp. 84-85)

Sources en ligne :
- Instituto de Promoción Turística de Castilla-La Mancha : www.turismocastillalamancha.com.
- « Molinos de viento en La Mancha : gigantes contra el viento » : www.madridejos.net/Molinos/index.htm.
- Portal turístico de Campo de Criptana : www. campodecriptana.info.

Photos personnelles :
- Moulins à vent, Campo de Criptana.
- Venta del Quijote, Puerto Lápice.

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