vendredi 28 août 2009

Rencontre avec une jeune traductrice : Marta Martínez Valls

Trababordo nous permet, entre autres choses, de faire d'intéressantes et belles rencontres… Il y a quelques semaines, j'ai ainsi été contactée par une jeune traductrice du catalan et de l'espagnol, Marta Martínez Valls, avec laquelle nous avons échangé des mails, et prévu une prochaine collaboration, sous une forme qu'il reste à déterminer.
N'hésitez pas à aller faire un tour sur son site :
http://mmvalls.hautetfort.com
Et, évidemment, je lui ai soumis notre questionnaire spécial traducteur.
Voici ses réponses :

1. Comment êtes-vous venu à la traduction ?
À vrai dire, mon parcours a été un peu alambiqué.
Très jeune je parlais déjà trois langues (le catalan, le français et l’espagnol) ; de plus, mon père est de Galice : j’avais donc aussi quelques notions de galicien dans la poche, et ceci m’a été très utile lorsqu’il m’a fallu aborder des langues telles que le portugais.
Tout cela, ajouté à ma découverte du latin et du grec ancien, m’a fait acquérir le goût de la linguistique, et c’est pourquoi j’ai d’abord effectué un Master de lettres classiques.
Entretemps, j’ai appris l’occitan et le grec moderne.
Seulement, les langues dites anciennes sont peu appréciées en France, comme ailleurs en Europe (Jan Gibson a publié un article très intéressant sur le problème ce dimanche 23 août dans El Periódico de Catalunya) : dur dur de trouver des débouchés professionnels, lorsqu’on ne souhaite pas se destiner à l’enseignement.
Aussi, je me suis tournée vers le milieu éditorial : l’Université Lyon 2 proposait justement un Master Professionnalisant en « Traduction littéraire et édition critique », avec la possibilité de suivre des options en catalan et en espagnol.
L’idée me plaisait d’autant plus que je m’étais adonnée à la traduction quelques années auparavant (des traductions à deux mains de poèmes grecs en occitan) et que j’avais eu l’occasion de réfléchir sur ce sujet en feuilletant les livres d’Henri Meschonnic. Les conseils d’Amalia Prat, traductrice du français, et de Yoann Gentric, un ami, traducteur de l’anglais, n’ont pas été pour me décourager.
Voilà comment et pourquoi je me suis lancée dans cette aventure… sans regrets !

2. Votre première traduction, qu’en pensez-vous aujourd’hui ?
J’aurais envie de demander : laquelle ?
Depuis 2008, j’en ai réalisé quelques-unes, mais très différentes : jusqu’en juin 2009, la plus grosse était le mémoire de traduction que j’ai rendu pour mon Master et qui portait sur quelques nouvelles de Miguel de Unamuno et le « Prologue » à ses Trois nouvelles exemplaires.
Dans l’ensemble, j’ai toujours traduit des textes courts : des entretiens (parfois réalisés par moi-même : il s’agissait d’auto-traductions, plutôt) ou des essais. Ces dernières sont disponibles sur le volet espagnol de La Clé des langues.
Le genre différait à chaque fois et les exigences aussi.
J’ai pris beaucoup de plaisir à réaliser ces travaux, en particulier mon mémoire de traduction car il me permettait de développer un grand esprit critique : les nouvelles d’Unamuno ayant déjà fait l’objet d’une édition, j’ai eu la possibilité de revoir le texte en français et d’en souligner, le cas échéant, les défauts.
Pendant tout ce temps, j’ai été confrontée à l’un des problèmes que vous soulevez sur votre site : de la version ou de la traduction, lequel des deux exercices est le plus difficile ?
Honnêtement, je pencherais pour le second : lorsqu’il s’agit de version, on n’est évalué qu’à sa connaissance de la grammaire et de la syntaxe, à la maîtrise du vocabulaire dans la langue dite « cible ».
En revanche, la traduction exige un choix bien défini et, par conséquent, une prise de risques non négligeable : il y aura toujours des gens à l’affut pour critiquer notre travail.
Pour ma part, j’avais surtout été habituée à la version (du latin et du grec) : et la frontière entre les deux pratiques est difficile à franchir !
Enfin, pour ce qui est de ma « grande première », elle paraîtra en février 2010 aux éditions Autrement (collection Tinta Blava) : c’est un roman de Josep Pla. Il s’agit d’un travail à deux mains, que m’a proposé Llibert Tarragó, le fondateur et directeur de Tinta Blava. Pour résumer : à moi le déchiffrage avancé du texte, à lui la mise en musique. C’est une traduction qui a requis de nombreux efforts, des recherches au niveau du vocabulaire, du style… Il nous a fallu plusieurs lectures, de nombreux échanges, pour mettre au point une œuvre le plus fidèle possible au texte original. Cela a été gratifiant à maints égards : Pain et Raisin est un très beau roman et j’espère bien qu’il parviendra à séduire le public.

3. Comment voyez-vous le métier de traducteur aujourd’hui ?
C’est un métier difficile.
Au cours de mon année de Master, on nous a présenté plusieurs traducteurs : de leur rencontre il a surtout ressorti que, comme tout métier, celui du traducteur a moins d’avantages que d’inconvénients (les ressources pécuniaires, par exemple).
Ceux qui s’y consacrent sont mus par des motivations différentes : François Maspero nous avait dit, lors d’une rencontre à la Bibliothèque de la Part-Dieu (Lyon) en février 2008, qu’il faisait ça « pour pouvoir manger à sa faim ». C’était un peu décevant.
Ce qui me plaît dans ce métier, c’est surtout la possibilité de traverser des frontières, de divulguer des messages, de faire éprouver au public des émotions ou des sentiments « autres »…
L’exercice du métier n’est pas facile, certes, surtout lorsqu’on commence.
Mais il faut reconnaître que nous sommes bien soutenus : il ne faut pas négliger tout ce que ATLAS fait pour les traducteurs, ni oublier les résidences qui peuvent nous accueillir partout en Europe, l’association Meet…

4. Quelle type de littérature traduisez-vous le plus ? (roman, poésie, théâtre…) Y voyez-vous d’importantes différences en tant que traducteur ?
Depuis que je me suis lancée, j’ai traduit plusieurs types de textes : de la poésie, des entretiens, des essais, de la prose… D’un genre à l’autre, les exigences varient énormément : j’en ai un peu parlé dans mon blog (« J’ai traversé la rivière à la nage »). Une remise en cause constante est nécessaire. À chaque fois, il faut se mettre dans la peau de l’auteur, ce qui peut parfois paraître laborieux… sans oublier le lecteur ! En tout cas, il ne faut pas se dire qu’il est plus facile de faire dans le genre journalistique ou dans les romans parce qu’il s’agit de textes en prose ; il y a dans chaque texte un niveau de difficultés à cerner et dont il faut toujours tenir compte : on ne traduira pas de la même façon L’Assomoir et Le Vol des cigognes…

5. Quels rapports entretenez-vous avec les éditeurs ?
Pour l’instant, mes rapports avec les éditeurs ont été assez fortuits et occasionnels.
J’ai connu de près le milieu éditorial en y effectuant mes stages : chacun d’eux m’a apporté des fruits différents : on ne travaille pas de la même façon dans une maison d’édition savante et pour un site-expert dont l’objectif est la divulgation de documents pédagogiques. Mes missions n’étaient pas, non plus, les mêmes.
Mes premières traductions publiées sur papier sont issues de rencontres tout à fait inattendues avec des auteurs (Ramon Dachs, entre autres) que j’avais interviewés pour La Clé des langues. Mais il n’est pas toujours aisé de trouver des éditeurs disposés à vous publier : soit ce sont de petites maisons, et ils n’ont donc pas les moyens de vous suivre, soit il vous faut avoir fait vos preuves.
En tout cas, je suis très satisfaite des rapports que j’ai entretenus jusqu’à présent avec Llibert Tarragó et ses collègues des éditions Autrement. J’ai tout de suite été plongée dans une atmosphère de confiance et de bonne entente.

6. Quels rapports éventuels entretenez-vous avec les auteurs que vous
traduisez ?
En ce qui concerne mes traductions « longues » (mon mémoire et le roman Pain et Raisin), les auteurs sont morts. Le dialogue s’est établi de manière tacite, à travers l’interprétation de leurs œuvres. Était-ce réellement un dialogue ?
En revanche, lorsque j’ai traduit mes entretiens et le texte de Miquel Desclot pour La Clé des langues, ou de courts récits qu’il m’a été donné de traduire de l’espagnol vers le catalan, j’ai toujours maintenu une relation directe et très ouverte avec les auteurs.
À chaque fois, j’ai eu la chance de côtoyer des personnes qui maîtrisaient également la langue « cible ».
Je leur ai toujours soumis ma proposition de traduction avant de la publier, sans hésiter à débattre sur certains choix. Certains m’ont remerciée pour avoir mis leur texte en valeur, d’autres se sont parfois montrés réticents sur certains points : cela me plaisait. Il est bon, je pense, de pouvoir débattre avec ses collaborateurs : ça nous permet de nous améliorer les uns comme les autres. Aujourd’hui encore, je garde de très bons rapports avec toutes ces personnes.

7. Quel est votre meilleur souvenir, en tant que traducteur ?
La découverte. Et le défi qu’implique toute traduction. Traduire est une terrible aventure : un voyage à travers les lettres, de l’œuvre originale au texte final en passant par le rapport à l’auteur, au lecteur et à nous-mêmes… Il faut toujours garder à l’esprit l’œuvre qui a été produite et celle que nous voulons produire : un éditeur scientifique ne traduira jamais l’Odyssée comme un spécialiste d’éditions pour les jeunes.
La traduction est une découverte de l’autre, mais aussi, et surtout, une découverte de soi !

8. Y a-t-il un texte en particulier que vous aimeriez traduire ou que
vous auriez aimé traduire ?
Il y en a énormément. Une grande partie de la littérature espagnole et catalane a sombré dans l’oubli et ce, malgré la qualité de ses œuvres. Josep Pla en est un exemple. Mais je pense qu’il y aurait aussi à faire du côté d’Unamuno : la traduction des nouvelles proposée par Raymond Lantier m’avait laissée un peu sceptique. Ces textes me semblent d’autant plus attirants qu’ils peuvent susciter de nombreuses réflexions, autant sur leur genre poétique, que sur la traduction : le « comment traduire ? ».

9. Le traducteur est-il pour vous un auteur ou un passeur ?
Nous en revenons au problème du traduttore traditore et des belles infidèles.
Nous en avons longuement discuté avec Llibert Tarragó lors de notre traduction de Josep Pla.
Je pense que le traducteur est un peu des deux : en tant que tel, il se doit de respecter le plus possible le texte qu’il traduit.
Mais toute lecture est subjective, qui plus est s’il s’agit d’une lecture dont nous devenons le porte-parole : impossible de ne pas percevoir dans une œuvre traduite la « griffe » de son traducteur !

10. Traduire a-t-il fait de vous un lecteur différent ? Et si oui, quel lecteur ?
Et comment ! Au cours de notre vie, notre rapport aux œuvres littéraires ne cesse de se transformer : au primaire, ce sont de jolies petites histoires pour nous apprendre à déchiffrer (nous lisons à la ligne) ; au collège, cela commence à changer, nous lisons les lignes, pour le plaisir, mais aussi parce que les professeurs nous l’imposent ; au lycée, puis à la fac, on nous demande de développer un rapport plus analytique… Il faut lire entre les lignes.
En fréquentant des ateliers d’écriture mon rapport au texte s’est transformé une fois de plus : j’ai découvert toute une panoplie de clés et de jeux qui sont à la source de l’œuvre littéraire par excellence.
Depuis, j’appréhende le texte différemment, j’ai appris à le tordre et le retordre dans plusieurs sens.
En tant que traductrice, il m’a fallu m’adapter : lire à la ligne, les lignes, entre les lignes… oui, mais surtout, me rapprocher autant que possible du lecteur, qui est celui que je veux toucher.
Il est difficile après, de lire un livre sans que l’esprit ne se mette à éplucher chacun des mots, à décortiquer des phrases… Mais c’est justement en quoi réside ce plaisir de lire.

11. Question « subsidiaire » : quel conseil pourriez-vous donner à un apprenti traducteur ou une apprentie traductrice ?
Sur ce point, je me contenterai de reprendre le principal que Llibert Tarragó m’a donné tout récemment : « Il faut lire, et lire encore, jusqu’aux sous-couches, le français. »
Et lire… aux éclats ! Lire les contemporains, mais aussi les classiques – Stendhal, Flaubert, Maupassant… Autant les grands auteurs de qui se servent de notre langue « source », que ceux qui écrivaient dans la langue « cible ».
Cela vous permet d’élargir votre éventail culturel et d’accroître les ressources linguistiques que la traduction d’un roman peut exiger de vous.
En ce qui concerne la traduction de Josep Pla pour Autrement, la lecture de Giono, que Maria Bohigas, autre traductrice de Tinta Blava, avait recommandée à Llibert Tarragó, m’a été d’une très grande utilité.
Bien sûr, il faut aussi savoir manier tous les registres du langage, disposer de bons outils de travail (dictionnaires, références littéraires, de bons amis à qui poser des questions…), faire des listes : votre démarche de recherche de champs lexicaux me semble excellente.
Et surtout : il faut y croire !

2 commentaires:

Tradabordo a dit…

Marta, outre que je te remercie officiellement de nous avoir si généreusement donné un peu de ton temps, j'ajoute une question dans les commentaires… Peux-tu nous en dire plus sur ce master de traduction de Lyon ? Merci à l'avance.

Marta Martínez Valls a dit…

Bonjour!
Avant tout, de rien, officiellement: cela me fait plaisir d'avoir un petit coin dans votre blog.
En ce qui concerne ce Master...
Sa création est assez récente (3-4 ans, je crois): il propose plusieurs options de spécialisation (catalan, espagnol, portugais, arabe...) et surtout il combine les aspects traduction et édition.
Les cours se divisaient en deux parties: la première était consacrée à l'édition critique (apprentissage des différents types d'édition, fiches de lecture à rédiger, revues de presse et étude des catalogues de maisons au choix), et la seconde à la traduction.
Nous avons reçu des cours théoriques sur les stratégies de la traduction, et avons assisté à des travaux dirigés avec des traducteurs littéraires: Philippe Dessommes, Sylvie Protin, Setty Moretti et Nathalie Dartai pour la partie espagnole.
Ces derniers nous soumettaient des textes, que nous devions traduire chacun de notre côté, et que nous revoyions ensuite en classe. Ces cours étaient marqués par la diversité des auteurs et les genres employés : l’ensemble de nos productions a fait l’objet, par la suite, de la création d’un ouvrage collectif (« Terres d’ex-pressions ») pour lequel nous avons également mis en application les enseignements que nous avions suivis au cours de notre formation en édition critique (à charge d’Anne-Claire Gilson).
A cela s’ajoutaient des rencontres avec des traducteurs, des représentants de l’ATLF, ainsi que des ateliers d’écriture, animés par différents auteurs.
Dans l'ensemble, ces cours se fondaient sur l'idée de partage et d'échanges constants entre professeurs et étudiants (une base de données avait été créée à cet effet), et exigeaient à la fois un grand travail en autonomie.
Le deuxième semestre était consacré à un stage en entreprise (maison d'éditions en priorité), et à la rédaction d'un mémoire de traduction.
Ce dernier nécessitait un engagement premier: le choix du type de traduction que nous allions faire. Nous devions décider entre plusieurs profils: grand public, jeunesse, éditeur indépendant, traduction à caractère scientifique, création de revues...
Chacun de ces volets impliquait plusieurs démarches (auprès des éditeurs et des auteurs, notamment).
En ce qui me concerne, je me suis orientée vers le quatrième (édition critique des nouvelles d’Unamuno) ; les exigences étaient forcément différentes.
J’ai également établi un dossier d’annexes à mon rapport sur le stage effectué à La Clé des langues : ils pouvaient se ranger plutôt du côté "création de revues" et "éditeur indépendant".
C’est un Master intéressant à maints égards : pour ma part, et étant donnés mes travaux, je pense en avoir tiré un grand profit.