dimanche 30 août 2009

Votre thème du week-end, Sainte-Beuve

En photo : Sainte-Beuve, par stevejr

J'avais dix-sept ou dix-huit ans quand j'entrai dans le monde le monde lui-même alors se rouvrait à peine et tâchait de se recomposer après les désastres de la Révolution. J'étais resté jusque-là isolé, au fond d'une campagne, étudiant et rêvant beaucoup; grave, pieux et pur. J'avais fait une bonne première communion et, durant les deux ou trois années qui suivirent, ma ferveur religieuse ne s'était pas attiédie. Mes sentiments politiques se rapportaient à ceux de ma famille, de ma province, de la minorité dépouillée et proscrite ; je me les étais appropriés dans une méditation précoce et douloureuse, cherchant de moi-même la cause supérieure, le sens de ces catastrophes qu'autour de moi j'entendais accuser comme de soudains accidents. C'est une école inappréciable pour une enfance recueillie de ne pas se trouver dès sa naissance, et par la
position de ses entours dans le mouvement du siècle, de ne pas faire ses premiers pas avec la foule au milieu de la fête, et d'aborder à l'écart la société présente par une contradiction de sentiments qui double la vigueur native et hâte la maturité. Les enfances venues en plein siècle, et que tout prédispose à l'opinion régnante, s'y épuisent plus vite et confondent longtemps en pure perte leur premier feu dans l'enthousiasme général. Le trop de facilité qu'elles trouvent à se rendre compte de ce qui triomphe les disperse souvent et les évapore. La résistance, au contraire, refoule, éprouve, et fait de bonne heure que la volonté dit Moi. De même, pour la vigueur physique, il n'est pas indifférent de naître et de grandir le long de quelque plage, en lutte assidue avec l'Océan.
Ces chastes années qui sont comme une solide épargne amassée sans labeur et prélevée sur la corruption de la vie, se prolongèrent donc chez moi fort avant dans la puberté, et maintinrent en mon âme, au sein d'une pensée déjà forte, quelque chose de simple, d'humble et d'ingénument puéril. Quand je m'y reporte aujourd'hui, malgré ce que Dieu m'a rendu de calme, je les envie presque, tant il me fallait peu alors pour le plus saint bonheur! Silence, régularité, travail et prière ; allée favorite où j'allais lire et méditer vers le milieu du jour, où je passais (sans croire redescendre) de Montesquieu à Rollin; pauvre petite chambre, tout au haut de la maison où je me réfugiais loin des visiteurs et dont chaque objet à sa place me rappelait mille tâches successives d'étude et de piété ; toit de tuiles où tombait éternellement ma vue, et dont elle aimait la mousse rouillée plus que la verdure des pelouses ; coin de ciel inégal à l'angle des deux toits qui m'ouvrait son azur profond aux heures de tristesse, et dans lequel je me peignais les visions du pudique amour! Ainsi discret et docile, avec une nourriture d'esprit croissante, on m'eût cru à l'abri de tout mal. Cela me touche encore et me fait sourire d'enchantement, quand je songe avec quelle anxiété personnelle je suivais dans l'histoire ancienne les héros louables les conquérants favorisés de Dieu, quoique païens Cyrus par exemple, ou Alexandre avant ses débauches. Quant à ceux qui vinrent après Jésus-Christ, et dont la carrière eut des variations mon intérêt redoublait pour eux. J'étais sur les épines tant qu'ils restaient païens ou dès qu'ils inclinaient à l'hérésie : Constantin, Théodose, me causaient de vives alarmes ; la fausse route de Tertullien m'affligeait, et j'avais de la joie d'apprendre que Zénobie était morte chrétienne. Mais les héros à qui je m'attachais surtout, en qui je m'identifiais avec une foi passionnée et libre de crainte, c'étaient les missionnaires des Indes, les Jésuites des Réductions , les humbles et hardis confesseurs des Lettres édifiantes. Ils étaient pour moi, ce qu'à vous, mon ami, et aux enfants du siècle étaient les noms les plus glorieux et les plus décevants, ceux que votre bouche m'a si souvent cités les Bamave, les Hoche, madame Roland et Vergniaux. Dites aujourd'hui vous-même, croyez-vous mes personnages moins grands que les plus grands des vôtres ?

Charles Sainte-Beuve, Volupté, 1835.

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Laëtitia nous propose sa traduction :

Yo tenía diecisiete o dieciocho años cuando entré en el mundo ; entonces el mundo mismo apenas se volvía a abrir y trataba de recomponerse después de los desastres de la Revolución. Yo había permanecido aislado hasta aquel momento, en lo recóndito de un campo, estudiando y soñando mucho ; grave, piadoso y puro. Yo había hecho una buena primera comunión y, durante los dos o tres años siguientes, mi fervor religioso no se había entibiado. Mis sentimientos políticos correspondían a los de mi familia, de mi provincia, de la minoría despojada y proscrita ; me los había apropiado, ensimismado en una meditación precoz y dolorosa, buscando por mí mismo la causa superior, el sentido de aquellas catástrofes que alrededor de mí yo oía acusar como si fueran súbitos accidentes. Es una enseñanza inestimable para una infancia recogida el hecho de no encontrarse, desde su nacimiento y por la postura de su entorno, en el movimiento del siglo, de no dar sus primeros pasos con la muchedumbre en medio de la fiesta, y de enfrentar aparte a la sociedad presente con una contradicción de sentimientos que redobla el vigor nativo y adelanta la madurez. Las infancias venidas en pleno siglo, y que todo predispone a la opinión reinante, se consumen más rápidamente y durante mucho tiempo confunden sin provecho alguno su primer fuego en el entusiasmo general. Al notar con una soltura excesiva lo que triunfa, acaban por desperdigarse y evaporarse. La resistencia, al contrario, inhibe, pone a prueba, y temprano hace que la voluntad dice Yo. Asimismo, en cuanto al vigor físico, no es indiferente nacer y crecer a lo largo de alguna playa, luchando asiduamente con el Océano.
Aquellos años castos que son como un sólido ahorro atesorado sin labor y cargado en la corrupción de la vida, así se prolongaron en mí, ya muy entrado en la pubertad, y mantuvieron en mi alma, dentro de un pensamiento ya fuerte, algo sencillo, humilde e ingenuamente pueril. Hoy cuando me acuerdo de ellos, a pesar de que Dios me ha vuelto tranquilo, casi los envidio, ¡ tanto yo necesitaba entonces poca cosa para la más santa felicidad ! ¡ Silencio, regularidad, trabajo y oración ; alameda favorita donde yo iba a leer y meditar hacia el mediodía, donde yo pasaba (sin creer poder bajar) de Montesquieu a Rollin ; pobre cuartito, en lo más alto de la casa donde me refugiaba lejos de los visitantes y cuyos objetos, cada uno en su sitio, me recordaban mil tareas sucesivas de estudio y de piedad ; techo de tejas en el que se clavaba eternamente mi mirada, y del que le gustaba el musgo mohoso más que el verdor de los céspedes ; pedazo de cielo desigual entre ambos tejados que me abría su profundo azul en las horas de tristeza, y en el que yo me pintaba las visiones del púdico amor ! Así que discreto y dócil, con un alimento espiritual creciente, se me hubiera creído libre de todos los males. Sigo siendo conmovido y sigo sonriendo con encanto cuando pienso en la ansiedad personal con la que yo seguía en la historia antigua a los héroes loables, a los conquistadores favorecidos por Dios, aunque paganos, a Ciro por ejemplo, o a Alejandro antes de sus desenfrenos. En cuanto a los que vinieron después de Jesucristo, y cuya carrera tuvo variaciones, se redoblaba mi interés para ellos. Yo estaba sobre espinas mientras seguían siendo paganos o desde que inclinaban a la herejía : Constantino, Teodosio, me causaban vivas inquietudes ; el camino equivocado de Tertuliano me afligía, y yo sentía alegría al aprender que Zenobia había muerto como cristiana. Pero los héroes con los que me encariñaba sobre todo, en los que me proyectaba con una fe apasionada y libre de temor, eran los misionarios de las Indias, los Jesuitas de las Reducciones, los humildes y atrevidos confesores de las Letras edificantes. Eran para mí, lo que a usted, mi amigo, y a los hijos del siglo, eran los nombres más gloriosos y más decepcionantes, los que su boca me citó tan a menudo, los Bamave, los Hoche, la señora Roland y Vergniaux. Digáme, hoy, ¿ cree usted mismo que mis personajes son menos grandes que los más grandes de los suyos ?

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