vendredi 21 août 2009

Votre version de la semaine, Delibes

En photo : miguel delibes, par ekaitzherrera

El valle, en rigor, no era tal valle sino una polvorienta cuenca delimitada por unos tesos blancos e inhóspitos. El valle, en rigor no daba sino dos estaciones: invierno y verano y ambas eran extremosas, agrias, casi despiadadas. Al finalizar mayo comenzaba a descender de los cerros de greda un calor denso y enervante, como una lenta invasión de lava, que en pocas semanas absorbía las últimas humedades del invierno. El lecho de la cuenca, entonces, empezaba cuartearse por falta de agua y el río se encogía sobre sí mismo y su caudal pasaba en pocos días de una opacidad lora y espesa a una verdosidad de botella casi transparente. El trigo, fustigado por el sol, espigaba y maduraba apenas granado y a primeros de junio la cuenca únicamente conservaba dos notas verdes: la enmarañada fronda de las riberas del río y el emparrado que sombreaba la mayor de las tres edificaciones que se levantaban próximas a la corriente. El resto de la cuenca asumía una agónica amarillez de desierto. Era el calor y bajo él se hacía la siembra de los melonares, se segaba el trigo, y la codorniz, que había llegado con los últimos fríos de la Baja Extremadura, abandonaba los nidos y buscaba el frescor en las altas pajas de los ribazos. La cuenca parecía emanar un aliento fumoso, hecho de insignificantes partículas de greda y de polvillo de trigo. Y en invierno y verano la casa grande, flanqueada por el emparrado, emitía un «bom‑bom» acompasado, casi siniestro, que era como el latido de un enorme corazón.
El niño jugaba en el camino, junto a la casa blanca, bajo el sol, y sobre los trigales, a su derecha, el cernícalo aleteaba sin avanzar, como si flotase en el aire, cazando insectos. La tarde cubría la cuenca compasivamente y el hombre que venía de la falda de los cerros, con la vieja chaqueta desmayada sobre los hombros, pasó por su lado, sin mirarle, empujó con el pie la puerta de la casa y casi a ciegas se desnudó y se desplomó en el lecho sin abrirlo. Al momento, casi sin transición, empezó a roncar arrítmicamente.
El Senderines, el niño, le siguió con los ojos hasta perderle en el oscuro agujero de la puerta; al cabo reanudó sus juegos.
Hubo un tiempo en que al niño le descorazonaba que sus amigos dijeran de su padre que tenía nombre de mujer; le humillaba que dijeran eso de su padre, tan fornido y poderoso. Años antes, cuando sus relaciones no se habían enfriado del todo, el Senderines le preguntó si Trinidad era, en efecto, nombre de mujer. Su padre había respondido:
‑Las cosas son según las tomes. Trinidad son tres, dioses y no tres diosas, ¿comprendes? De todos modos mis amigos me llaman Trino para evitar confusiones.
El Senderines, el niño, se lo dijo así a Canor. Andaban entonces reparando la carretera y solían sentarse al caer la tarde sobre los bidones de alquitrán amontonados en las cunetas. Más tarde, Canor abandonó la Central y se marchó a vivir al pueblo a casa de unos parientes Sólo venía por la Central durante las Navidades.
Canor, en aquella ocasión, se las mantuvo tiesas e insistió que Trinidad era nombre de mujer corno todos los nombres que terminaban en «dad» y que no conocía un solo nombre que terminara en «dad» y fuera nombre de hombre, No transigió, sin embargo:
‑Bueno ‑dijo, apurando sus razones‑. No hay mujer que pese más de cien kilos, me parece a mí. Mi padre pesa más de cien kilos.
Todavía no se bañaban las tardes de verano en la gran balsa que formaba el río, junto ala central, porque ni uno ni otro sabía sostenerse sobre el agua. Ni osaban pasar sobre el muro de cemento al otro lado del río porque una vez que el Senderines lo intentó sus pies resbalaron en el verdín y sufrió una descalabradura. Tampoco el río encerraba por aquel tiempo alevines de carpa ni lucios porque aún no los habían traído de Aranjuez, El río no sólo daba por entonces barbos espinosos y alguna tenca, y Ovi, la mujer de Goyo, aseguraba que tenían un asqueroso gusto a cieno, A pesar de ello, Goyo dejaba pasar las horas sentado sobre la presa, con la caña muerta en los dedos, o buscando pacientemente ovas o gusanos para encarnar el anzuelo. Canor y el Senderines solían sentarse a su lado y le observaban en silencio. A veces el hilo se tensaba, la punta de la caña descendía hacia el río y entonces Goyo perdía el color e iniciaba una serie de movimientos precipitados y torpes. El barbo luchaba por su libertad pero Goyo tenía previstas alevosamente cada una de sus reacciones. Al fin el pez terminaba por reposar su fatiga sobre el muro y Canor y el Senderines le hurgaban cruelmente en los ojos y la boca con unos juncos hasta que le veían morir.

Miguel Delibes, La mortaja, 1987.

***

Laëtitia So nous propose sa traduction :

La vallée, en réalité, n’était pas vraiment une vallée mais un bassin délimité par quelques tertres blancs et inhospitaliers. La vallée, en réalité, n’accueillait que deux saisons : l’hiver et l’été et toutes deux étaient extrêmes, rudes, presque impitoyables. Le mois de mai s’achevant, une chaleur dense et harassante commençait à descendre des collines en glaise comme une lente invasion de lave qui en quelques semaines absorbait les dernières humidités de l’hiver. Le lit du bassin commençait alors à se lézarder par manque d’eau et la rivière se rétractait sur elle-même. Son débit passait en quelques jours d’un noirâtre opaque et épais à un vert bouteille presque transparent. Le blé, fouetté par le soleil, montait en épi et mûrissait à peine avait-il grainé et aux premiers jours de juin le bassin ne conservait que deux touches de vert : la frondaison emmêlée des berges de la rivière et la treille qui faisait de l’ombre au plus grand des trois édifices qui s’érigeaient près du courant. Le reste du bassin assumait un jaune agonisant couleur désert. C’était sous cette chaleur qu’on faisait les semailles des melonnières, qu’on fauchait le blé, et la caille, qui était arrivée avec les derniers froids de la Basse Estrémadure, abandonnait les nids et cherchait la fraîcheur dans les hautes herbes des talus. Du bassin semblait émaner une haleine fumeuse, faite d’insignifiantes particules de glaise et de poussière de blé. Et, en hiver et en été, la grande maison, adossée à la treille, émettait un “boum-boum” cadencé, presque sinistre, qui ressemblait au battement d’un énorme coeur.
Le garçon jouait sur le chemin, à côté de la maison blanche, sous le soleil, et dans les champs de blé, à sa droite, la buse battait des ailes sans avancer, comme si elle flottait en l’air, chassant des insectes. Le crépuscule recouvrait le bassin avec compassion et l’homme qui venait du flanc des collines, avec la vieille veste ternie sur les épaules, passa à côté de lui, sans le regarder, poussa la porte de la maison avec le pied et presque à l’aveuglette il se déshabilla et se laissa tomber sur le lit sans même l’ouvrir. Immédiatement, presque sans transition, il commença son ronflement arythmique.
Senderines, le garçon, le suivit des yeux jusqu’à ce qu’il le perde dans l’ouverture obscure de la porte ; enfin il reprit ses jeux.
Il y eut un temps où le garçon avait le coeur fendu lorsque ses amis disaient que son père avait un nom de femme, qu’ils disent cela de son père, si robuste et puissant, l’humiliait.
Des années auparavant, quand leurs relations ne s’étaient pas encore totalement refroidies, Senderines lui demanda si Trinidad était, en effet, un nom de femme.
Son père lui avait répondu :
- Les choses sont comme on les prend. Trinidad, ce sont trois personnes, trois dieux et pas trois déesses, tu comprends ? De toutes façons mes amis m’appellent Trino pour éviter les confusions.
Senderines, le garçon, rapporta cette réponse à Canor. Ils marchaient alors en scrutant la route. Ils avaient l’habitude de s’asseoir à la tombée de la nuit sur les bidons de goudron entassés dans les fossés. Plus tard, Canor quitta la Central et partit vivre au village chez des parents. Il ne venait à la Central que pour les fêtes de Noël.
Canor, à cette occasion, soutint mordicus et insista sur le fait que Trinidad était un nom de femme comme tous les noms qui se terminaient par « dad » et qu’il ne connaissait pas un seul nom qui se termine par « dad » et qui soit un nom d’homme. Il ne transigea pas, cependant :
- Bon - dit-il, épuisant ses arguments-. Il n’y a pas de femme qui pèse plus de cent kilos, il me semble. Mon père pèse plus de cent kilos.
Ils ne se baignaient pas encore les après-midi d’été dans le grand étang que formait la rivière, à côté de la centrale, parce que ni l’un ni l’autre ne savait se tenir dans l’eau. Ils n’osaient pas non plus passer par-dessus le mur de ciment de l’autre côté de la rivière parce qu’une fois Senderines essaya, ses pieds glissèrent sur la mousse et il se fendit le crâne.
La rivière ne renfermait pas non plus à cette époque d’alevins de carpes ni de brochets parce qu’on ne les avait pas encore fait venir d’Aranjuez.
La rivière ne contenait alors que des barbeaux, des espinoches et quelques tanches, et Ovi, la femme de Goyo, assurait qu’ils avaient un goût de vase. Malgré cela, Goyo laissait s’écouler les heures assis sur le barrage, la canne à pêche inerte entre les doigts, ou cherchant patiemment des ulves ou des vers pour appâter l’hameçon. Canor et Senderines avaient l’habitude de s’asseoir à côté de lui et de l’observer en silence. Parfois le fil se tendait, la pointe de la canne descendait vers la rivière et alors Goyo pâlissait et commençait une série de mouvements précipités et maladroits. Le barbeau luttait pour sa liberté mais Goyo avait sournoisement étudié chacune de ses réactions. Finalement, le poisson succomba à ses suffocations sur le mur alors que Canor et Senderines lui trituraient les yeux et la bouche avec deux joncs jusqu’à ce qu’ils le voient mourir.

***

Amélie nous propose sa traduction :

A vrai dire, la vallée n’en était pas vraiment une, c’était un bassin poussiéreux délimité par des buttes blanches et hostiles. A vrai dire, la vallée n’offrait rien, mis à par deux saisons : l’hiver et l’été, toutes deux extrêmes, rudes, quasi impitoyables. A la fin du mois de mai, une chaleur dense et épuisante commençait à descendre des collines d’argile, comme une lente invasion de lave, qui absorbait en quelques semaines seulement les dernières fraîcheurs de l’hiver. Le lit du bassin commençait alors à se crevasser par manque d’eau, et le fleuve se repliait sur lui-même, tandis que le courant passait d’une opacité bistrée et épaisse à une transparence vert bouteille en quelques jours. Le blé, maltraité par le soleil, épiait et mûrissait aussitôt après la grenaison et, dès les premiers jours de juin, le bassin ne conservait que deux notes vertes : le feuillage enchevêtré des rives du fleuve et la treille qui faisait de l’ombre au plus haut des trois bâtiments construits près des flots. Le reste du bassin avait la couleur jaune moribond du désert. Il faisait chaud, et c’est sous cette chaleur que l’on plantait les melonnières, que l’on moissonnait le blé, et que la caille, arrivée avec les derniers froids de Basse Estrémadure, abandonnait ses nids et allait chercher la fraîcheur dans les herbes hautes des talus. Un souffle odorant semblait émaner du bassin, mélange d’infimes particules d’argile et de poussière de blé. Et en hiver comme en été, la grande maison, flanquée de la treille, émettait un « boum-boum » rythmé, presque sinistre, semblable au battement d’un énorme cœur.
Le petit jouait dans le chemin, près de la maison blanche, sous le soleil, et à sa droite, dans les champs de blé, la buse battait des ailes sans avancer, comme si elle flottait dans l’air, chassant les insectes. Le soir enveloppait le bassin avec compassion et l’homme qui descendait le flanc de la colline, une vieille veste décolorée sur les épaules, passa près de lui sans un regard, poussa du pied la porte de la maison, se déshabilla presque à l’aveuglette et s’effondra dans le lit sans le défaire. Au même moment, sans grande transition, il se mit à ronfler de façon irrégulière.
Le petit, Senderines, le suivit des yeux jusqu’à le perdre dans la béance obscure de la porte ; il se remit aussitôt à jouer.
Il fut un temps où le petit était malheureux car ses copains disaient que son père avait un prénom féminin ; cela l’humiliait qu’on parle ainsi de son père, si robuste et puissant. Des années auparavant, quand leurs relations ne s’étaient pas encore refroidies, Senderines lui avait demandé si Trinidad était effectivement un prénom féminin. Son père lui avait répondu :
« Les choses sont comme tu les prends. La Trinité ce sont trois dieux, et non trois déesses, tu comprends ? De toutes façons, mes amis m’appellent Trino, pour éviter les confusions ».
Le petit, Senderines, répéta cela à Canor. A ce moment-là, ils réparaient la route, et, à la tombée du jour, ils avaient pour habitude de s’asseoir sur les bidons de goudron amoncelés dans les fossés. Plus tard, Canor avait quitté la Centrale et était parti vivre au village dans la maison de parents à lui. Il ne revenait à la Centrale que pour les fêtes de Noël.
Ce jour-là, Canor resta de marbre et affirma que Trinidad était un prénom féminin comme tous les prénoms qui terminaient par « dad », et qu’il ne connaissait pas un seul prénom qui finisse en « dad » et qui soit un prénom masculin. Il ne céda pas, mais déclara tout de même, à court d’arguments :
« Bon. Il n’existe pas de femme qui pèse plus de cent kilos, enfin, je crois. Mon père pèse plus de cent kilos ».
Ils ne se baignaient pas encore les soirs d’été dans le grand étang formé par le fleuve, près de la Centrale, parce que ni l’un ni l’autre ne savait tenir sur l’eau. Ils n’osaient pas non plus passer par-dessus le mur en ciment de l’autre côté du fleuve, car une fois, Senderines avait essayé, il avait glissé sur la mousse et s’était blessé à la tête. A cette époque-là, le fleuve ne contenait ni alevins de carpes ni de brochets, car ils ne les avaient pas encore rapportés d’Aranjuez. Pour alors, le fleuve n’offrait que des barbeaux épineux et quelques tanches, et Ovi, la mère de Goyo, assurait qu’ils avaient un goût de vase répugnant. Malgré cela, Goyo laissait défiler les heures assis sur le barrage, la canne inerte entre les doigts, ou à chercher patiemment des algues ou des vers pour servir d’appât sur l’hameçon.
En général, Canor et Senderines s’asseyaient à côté de lui et l’observaient en silence. Parfois, le fil se tendait, la pointe de la canne s’inclinait vers le fleuve, Goyo pâlissait et entamait une série de gestes précipités et maladroits. Le barbeau luttait pour recouvrer la liberté mais Goyo, par traîtrise, avait prévu chacune de ses réactions. Le poisson finissait par se reposer de tant d’efforts sur le mur et Canor et Senderines lui tripotaient cruellement les yeux et la bouche avec un jonc jusqu’à ce qu’ils le voient mourir.

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Chloé nous propose sa traduction :

La vallée, n’était pas à proprement parler une vallée, mais plutôt un bassin poussiéreux délimité par des sommets blancs et inhospitaliers. La vallée, n’offrait en réalité que deux saisons, l’hiver et l’été, toutes deux extrêmes, rudes, presque impitoyables. A la fin du mois de mai, une chaleur dense et étouffante commençait à descendre des collines argileuses, telle une lente coulée de lave, qui, en quelques semaines, absorbait les dernières humidités de l’hiver. Le lit du bassin commençait alors à se lézarder par manque d’eau, et la rivière se rétractait sur elle-même. Son débit passait en quelques jours d’une opacité brune et épaisse à un vert bouteille presque transparent. Le blé, fouetté par le soleil, montait en épi et mûrissait dès qu’il donnait des grains. Aux premiers jours de juin, le bassin ne conservait ainsi plus que deux touches de vert : le feuillage emmêlé des berges de la rivière, et la treille qui assombrissait le plus grand des trois édifices qui se dressaient près du courant. Le reste du bassin assumait un jaune agonisant de désert. C’était sous cette chaleur qu’on faisait les semailles des melonnières, qu’on fauchait le blé, et que la caille, arrivée avec les derniers froids de la Basse Estrémadure, abandonnait les nids et cherchait la fraîcheur dans les hautes herbes des berges. Une haleine fumeuse semblait émaner du bassin, faite d’insignifiantes particules d’argile et de poussière de blé. Et en hiver comme en été, la grande maison recouverte par la treille émettait un «boum-boum » rythmé, presque sinistre, qui ressemblait aux battements d’un énorme cœur.
L’enfant jouait sur le chemin, à côté de la maison blanche, au soleil, et au-dessus des champs de blé, à sa droite, une buse battait des ailes sans avancer, comme si elle flottait dans l’air, chassant des insectes. La nuit tombait avec compassion sur le bassin, et l’homme qui arrivait du flanc des collines, sa vieille veste ternie sur les épaules, passa à ses côtés, sans même un coup d’œil, poussa la porte de la maison du pied, se déshabilla presque à l’aveuglette et s’écroula sur son lit sans le défaire. Immédiatement, presque sans transition, il commença son ronflement arythmique.
Senderines, le garçon, le suivit des yeux jusqu’à le perdre dans l’ouverture obscure de la porte et revint aussitôt à ses jeux.
Il y eut un temps où le garçon avait le cœur brisé quand ses amis disaient que son père avait un prénom de femme ; ça l’humiliait qu’ils disent ça de son père, si robuste et puissant. Des années auparavant, alors que leurs relations n’était pas encore aussi froides, Senderines lui avait demandé si Trinidad était effectivement un prénom de femme. Son père lui avait répondu :
Les choses dépendent de comment tu les vois. Trinidad, ce sont trois dieux, et non trois déesses, tu comprends ? De toute façon, mes amis m’appellent Trino pour éviter les confusions.
Senderines, le garçon, répéta la même chose à Canor. Ils marchaient alors en observant la route et avaient l’habitude de s’asseoir à la tombée de la nuit sur les bidons de goudrons entassés dans les fossés. Plus tard, Canor avait quitté la Central pour aller vivre au village chez des parents. Il venait à la Central seulement pour les fêtes de Noël.
Ce jour là, Canor ne voulut pas en démordre et insista sur le fait que Trinidad était un prénom de femme, comme tous ceux qui terminent en «dad » et qu’il ne connaissait pas un seul prénom qui se termine en «dad » et qui soit prénom d’homme. Il ne transigea pas, et cependant :
- Bon- dit-il, à court d’arguments -. Il n’existe pas de femme qui pèse plus de cent kilos, il me semble ? Mon père pèse plus de cent kilos.
Les après-midi d’été, ils ne se baignaient pas encore dans le bassin que formait la rivière, à côté de la Central, car ni l’un ni l’autre ne savait nager. Ils n’osaient pas non plus passer par-dessus le mur de ciment de l’autre côté de la rivière, car une fois Senderines avait essayé et ses pieds avaient glissé sur la mousse verdâtre et s’était ouvert la tête. A cette période, la rivière n’abritait pas d’alevins de carpe ni de brochets car elle ne les avait pas encore ramenés d’Aranjuez. La rivière offrait seulement des barbeaux épineux et quelques tanches, et Ovi, la femme de Goyo, affirmait qu’ils avaient un affreux goût de vase. Malgré cela, Goyo laissait défiler les heures assis sur le barrage, sa canne à pêche inerte entre les mains ou cherchant patiemment des ulves ou des verres pour les mettre à l’hameçon. Canor et Senderines avaient l’habitude de s’asseoir à ses côtés et l’observaient en silence. Parfois le fil se tendait, la pointe de la canne à pêche s’inclinait vers la rivière et alors Goyo pâlissait et commençait une série de mouvements précipités et maladroits. Le barbeau luttait pour sa liberté mais Goyo, par traîtrise, anticipait chacune de ses réactions. Enfin, le poisson finissait par se reposer sur le mur et Canor et Senderines lui enfonçaient cruellement des joncs dans les yeux et la bouche jusqu'à ce qu’ils le voient mourir.

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