vendredi 23 octobre 2009

Votre version de la semaine, Volpi

En photo : El Arte de Novelar III, par Alonso_Crespo

[aujourd'hui, il s'agit du texte donné aux étudiants du CAPES… à rendre pour le 29 octobre ; nul doute qu'ils seront intéressés par vos propositions publiées le lendemain.]

Últimos días del otoño de 1940. Mientras caminaba por los amplios senderos de la Universidad de Princeton rumbo a la oficina de su jefe de departamento, Bacon apenas caía en la cuenta de que estaba a punto de decidir su futuro. A su paso, los fresnos que bordeaban el sendero eran como las columnas inmóviles de un templo, cuyo techo se había ido desmoronando poco a poco. Hacía un viento cortante que desdibujaba el contorno de los colegios que albergaban las distintas facultades. Su estilo medieval -copiado de Oxford y Cambridge- le parecía aún más falso bajo el cielo despejado. Prisioneros de sus incómodos trajes grises, Profesores y alumnos se refugiaban en el interior de los anacrónicos edificios, huyendo del aire helado que hacía volar sus sombreros. Aunque el decano lo había llamado para hacerle un anuncio importante, Bacon no estaba nervioso. Confiaba en que el camino de la ciencia lo llevaría al mejor de los lugares posibles y, además -esto era lo mejor de todo-, ya había tomado una decisión sobre su vida desde que, dos días atrás, recibiera una llamada del Instituto.
El nuevo decano resultó ser un hombrecillo parlanchín que lo recibió de inmediato. Sentado tras un gran escritorio que le ocultaba la mitad del pecho, no cesaba de mesarse una barba entrecana como si quisiera desenredar los hilos del destino. Después de extenderle la mano, le pidió a Bacon que se sentara, tomó una carpeta de entre las muchas que se extendían delante de él y, sin mirarlo, comenzó a leer fragmentos en voz alta.
-Francis Bacon, sí, ¿cómo olvidar ese nombre? Muy bien... Summa cum laude... "Excelente trabajador... Destacado analista... Un poco lento a la hora de tomar decisiones, pero un teórico sobresaliente... En resumen, uno de los estudiantes mejor dotados de su generación..." ¿Qué opina de estos comentarios? -exclamó con un tono que recordaba el silbato de las locomotoras de juguete-. ¡No hay más que opiniones favorables sobre usted, muchacho! Sorprendente, realmente sorprendente...
Bacon ni siquiera le había prestado atención. Su mirada rondaba la colección de revistas alemanas -Annalen der Physik, Zeitschriftfür Physik, Naturwissenschaft- que tapizaba la estantería del pequeño despacho. Fuera de ellas, la decoración hacía pensar más en el laboratorio de un entomólogo, lleno de cajitas y frascos de cristal, que en la oficina administrativa de un físico. Al fondo, Bacon reconoció una foto en la cual Einstein aparecía junto a su interlocutor. En la imagen, el orgulloso decano se erguía al lado del descubridor de la relatividad como una ardilla ansiosa por trepar una secuoya.
-Me siento muy complacido, profesor.
-Quiero que entienda que no se trata de mi opinión, simplemente he leído su expediente, muchacho. Me hubiese gustado conocerlo mejor, pero no ha podido ser así, de modo que no puedo ser tan elogioso como sus maestros. En fin, ¿qué se le va a hacer? Vayamos al punto, si no le importa. Lo he llamado para comunicarle una noticia que, probablemente, usted conoce mejor que yo.
-Creo saber de qué me habla, profesor.
-Gracias a la recomendación del profesor Oswald Veblen, el Instituto de Estudios Avanzados ha decidido invitarlo a integrarse a su personal.
Bacon no pudo evitar una sonrisa.
— Desde luego, nosotros preferiríamos que se quedase con nosotros, pero es usted quien tiene la última palabra. Si prefiere marcharse con nuestros vecinos, yo no puedo oponerme. Sólo déjeme advertirle que en el Instituto obtendrá la calidad de asistente, no de estudiante de doctorado… ¿Sabe usted qué significa esto ? ¿Quiere usted pensarlo más o ya ha tomado una decisión al respecto ?

Jorge Volpi, En busca de Klingsor, 1999

***

Amélie nous propose sa traduction :

Derniers jours d’automne 1940. Tandis qu’il traversait les grandes allées de l’Université de Princeton en direction du bureau de son chef de département, Bacon ne se rendait pas vraiment compte qu’il était sur le point de décider de son avenir. Les frênes qui bordaient l’allée sur son passage ressemblaient aux colonnes immobiles d’un temple, dont le toit s’était écroulé petit à petit. Le vent vif estompait la silhouette des écoles qui abritaient les différentes facultés. Leur style médiéval – imitation d’Oxford et Cambridge – lui paraissait encore plus artificiel sous le ciel dégagé. Prisonniers de leurs costumes gris inconfortables, les professeurs et les élèves se réfugiaient à l’intérieur des édifices anachroniques, fuyant l’air glacé qui faisait s’envoler leurs chapeaux. Bien que le doyen l’ait appelé pour lui annoncer une nouvelle importante, Bacon n’était pas nerveux. Il comptait sur le chemin de la science pour le mener au meilleur endroit possible, et puis – c’était ça le plus important –, il avait déjà fait un choix concernant sa vie, depuis que l’Institut l’avait appelé, deux jours auparavant.
Le nouveau doyen était un petit homme bavard qui le reçut immédiatement. Assis derrière un grand bureau qui lui cachait la moitié du torse, il ne cessait d’arracher des poils de sa barbe poivre et sel, comme s’il voulait démêler les fils du destin. Après une poignée de mains, il pria Bacon de s’asseoir, choisit un dossier parmi la quantité entassée devant lui et, sans le regarder, commença à en lire des fragments à voix haute.
­– Francis Bacon, mais bien sûr, comment oublier ce nom ? Très bien… Summa cum laude… « Excellent travailleur… Remarquable analyste… Un peu lent à l’heure de prendre des décisions, mais théoricien hors-du-commun… En somme, un des étudiants les plus doués de sa génération… » Que pensez-vous de ces commentaires ?, s’exclama-t-il sur un ton qui évoquait le sifflement des locomotives pour enfants. Il n’y a que des opinions favorables à votre égard, jeune homme ! Surprenant, vraiment surprenant…
Bacon ne lui avait même pas prêté attention. Son regard parcourait la collection de revues allemandes – Annalen der Physik, Zeitschriftfür Physik, Naturwissenschaft – qui tapissait les étagères du petit bureau. Hormis cela, la décoration faisait davantage penser au laboratoire d’un entomologiste, rempli de petites boîtes et de flacons en verre, qu’au bureau administratif d’un physicien. Au fond, Bacon reconnut une photo sur laquelle Einstein apparaissait près de son interlocuteur. Sur l’image, le doyen vaniteux se dressait aux côtés de l’inventeur de la relativité comme un écureuil impatient de grimper au séquoia.
– J’en suis très flatté, professeur.
– Je veux que vous compreniez qu’il ne s’agit pas de mon jugement, je n’ai fait que lire votre dossier, jeune homme. J’aurais aimé mieux vous connaître, mais il n’a pu en être ainsi, de telle sorte que je ne peux être aussi élogieux que vos maîtres. Enfin, qu’est-ce que cela va changer ? Venons-en au fait, si vous le voulez bien. Je vous ai appelé pour vous transmettre une information que vous connaissez probablement mieux que moi.
– Je crois savoir ce dont vous me parlez, professeur.
–Sur la recommandation du professeur Oswald Veblen, l’Institut d’Études Supérieures a décidé de vous inviter à faire partie de son personnel.
Bacon ne put éviter un sourire.
Nous préfèrerions évidemment que vous restiez parmi nous, mais c’est vous qui avez le dernier mot. Si vous préférez partir chez le voisin, je ne peux m’y opposer. Laissez-moi juste vous avertir qu’à l’Institut vous allez obtenir le titre d’assistant, et non celui d’étudiant en doctorat… Vous savez ce que cela signifie ? Voulez-vous y réfléchir encore ou avez-vous déjà arrêté votre décision ?

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Laëtitia So nous propose sa traduction :

Derniers jours de l’automne 1940. Tandis qu’il marchait sur les sentiers larges de l’Université de Princeton en direction du bureau de son chef de département, Bacon avait du mal à réaliser qu’il était sur le point de décider de son avenir. Sur son passage, les frênes qui bordaient le sentier rappelaient les colonnes immobiles d’un temple, dont le toit s’était peu à peu effondré.
Il y avait un vent cinglant qui esquissait le contour des collèges qui hébergeaient les différentes facultés. Son style médiéval –copié sur celui d’Oxford et de Cambridge- il le trouvait encore plus faux sous le ciel dégagé.
Prisonniers de leurs costumes gris inconfortables, Professeurs et élèves se réfugiaient à l’intérieur des immeubles anachroniques, fuyant l’air glacé qui faisait s’envoler leurs chapeaux. Bien que le doyen l’ait appelé pour lui faire une annonce importante, Bacon n’était pas nerveux. Il avait bon espoir que le chemin de la science le mène au meilleur endroit possible et, de plus –c’était le summum-, il avait déjà pris une décision pour sa vie depuis que, deux jours auparavant, il avait reçu un appel de l’Institut.
Le nouveau doyen se trouva être un petit homme bavard qui le reçut immédiatement. Assis derrière un grand bureau qui lui cachait la moitié de la poitrine, il n’arrêtait pas de s’arracher sa barbe poivre et sel comme s’il voulait démêler les fils du destin. Après lui avoir tendu la main, il demanda à Bacon de s’asseoir, il prit une chemise parmi les nombreuses qui se tenaient devant lui et, sans le regarder, il commença à en lire des extraits à voix haute.
- Francis Bacon, oui. Comment oublier ce nom ? Très bien... Summa cum laude... « Excellent élément... Analyste remarquable... Un peu lent au moment de prendre des décisions mais un théoricien éminent... En résumé, un des étudiants les plus doués de sa génération... » Que pensez-vous de ces commentaires ? –s’exclama-t-il d’un ton qui rappelait le sifflement des locomotives en jouet-. Il n’y a que des opinions favorables à votre sujet, mon garçon ! Surprenant, réellement surprenant...
Bacon ne lui avait même pas prêté attention. Son regard parcourait la collection de revues allemandes –Annalen der Physik, Zeitschriftfür Physik, Naturwissenschaft- qui tapissait l’étagère du petit bureau. Excepté les revues, la décoration faisait plus penser au laboratoire d’un entomologiste, plein de petites boîtes et de flacons en crystal, qu’au bureau administratif d’un physicien. Au fond, Bacon reconnut une photo sur laquelle apparaissait Einstein à côté de son interlocuteur. Sur l’image, le doyen tout fier se dressait à côté de celui qui avait découvert la relativité comme un écureuil impatient de grimper à un séquoia.
-Je me sens très flatté, professeur.
-Je veux que vous compreniez qu’il ne s’agit pas de mon opinion, j’ai simplement lu votre dossier, mon garçon. J’aurais aimé mieux vous connaître, mais cela n’a pas été possible, ce qui fait que je ne peux pas être aussi élogieux que vos maîtres. Enfin, qu’est-ce qu’on y peut ? Venons-en au but, si cela ne vous dérange pas. Je vous ai appelé pour vous transmettre une nouvelle dont vous avez, probablement, mieux pris connaissance que moi.
-Je crois savoir de quoi vous parlez, professeur.
-Grâce à la recommandation du professeur Oswald Veblen, l’Institut des Etudes Avancées a décidé de vous inviter à intégrer son personnel.
Bacon ne put s’empêcher de sourire.
- En fait, nous préférerions que vous restiez avec nous, mais c’est vous qui avez le dernier mot. Si vous préférez partir chez nos voisins, je ne peux pas m’y opposer. Laissez-moi juste vous avertir qu’à l’Institut vous obtiendrez la qualité d’assistant, et pas celle d’étudiant en doctorat... Vous savez ce que cela signifie ? Vous voulez y penser encore un peu ou vous avez déjà pris une décision à ce sujet ?

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Coralie nous propose sa traduction :

Derniers jours de l’automne 1940.Tandis qu’il marchait sur les larges sentiers de l’Université de Princeton en direction du bureau de son chef de département, Bacon réalisait à peine qu’il était sur le point de décider de son futur. Sur son passage, les frênes qui bordaient le sentier étaient comme les colonnes immobiles d’un temple, dont le toit s’effondrait peu à peu. Un vent pénétrant estompait le contour des collèges qui hébergeaient les différentes facultés. Son style médiéval –copié sur Oxford et Cambridge- lui paraissait encore plus faux sous le ciel dégagé. Prisonniers de leurs inconfortables costumes gris, Professeurs et étudiants se réfugiaient à l’intérieur des anachroniques édifices, fuyant l’air glacial qui faisait voler leurs chapeaux. Bien que le doyen l’ait appelé pour lui faire une annonce importante, Bacon n’était pas nerveux. Il avait bon espoir que le chemin de la science le conduise au meilleur endroit possible et, de plus –c’était le mieux de tout-, il avait déjà pris une décision concernant sa vie future depuis que, deux jours auparavant, il avait reçu un appel de l’Institut.
Le nouveau doyen s’avéra être un petit homme bavard qui le reçut immédiatement. Assis derrière un grand bureau qui lui cachait la moitié du buste, il ne cessait de tirer sur les poils d’une barbe poivre et sel comme s’il voulait démêler les fils du destin. Après lui avoir tendu la main, il pria Bacon de s’asseoir, prit une chemise parmi les nombreuses qui s’étendaient devant lui et, sans le regarder, il commença à en lire des extraits à voix haute. –Francis Bacon, oui, comment oublier ce nom ? Très bien… Summa cum laude… « Excellent travailleur… Analyste remarquable… Un peu lent au moment de prendre des décisions, mais un théoricien brillant… En résumé, un des étudiants les plus doués de sa génération… » Que pensez-vous de ces commentaires ? –s’exclama-t-il sur un ton qui rappelait les sifflements des locomotives miniatures-. Il n’y a rien d’autre que des opinions favorables à votre sujet, mon garçon ! Surprenant, vraiment surprenant…
Bacon n’y avait même pas prêté attention. Son regard scrutait la collection de revues allemandes –Annalen der Physik, Zeitschriftfür Physik, Naturwissenschaft- qui recouvraient l’étagère du petit bureau. Exception faite de ces dernières, la décoration faisait plus penser au laboratoire d’un entomologiste, plein de petites boîtes et de flacons en verre, qu’au bureau administratif d’un physicien. Au fond, Bacon reconnut une photo sur laquelle Einstein apparaissait près de son interlocuteur. Sur l’image, l’orgueilleux doyen se dressait à côté du découvreur de la relativité comme un écureuil désireux d’escalader un séquoia.
Me voilà très satisfait, professeur.
Je veux que vous compreniez qu’il ne s’agit pas de mon opinion, j’ai simplement lu votre dossier, mon garçon. J’aurais aimé vous connaître mieux, mais il n’a pu en être ainsi, je ne peux dès lors pas me montrer aussi élogieux que vos maîtres. Enfin, cela change-t-il quelque chose ? Venons-en aux faits, si cela ne vous ennuie pas. Je vous ai appelé pour vous faire part d’une nouvelle que vous connaissez probablement mieux que moi.
Je crois savoir de quoi vous me parlez, professeur.
Grâce aux recommandations du professeur Oswald Veblen, l’Institut des Etudes Avancées a décidé de vous inviter à intégrer son personnel.
Bacon ne put réfréner un sourire.
Evidemment, nous-mêmes préfèrerions que vous restiez avec nous, mais c’est vous qui avez le dernier mot. Si vous préférez rejoindre nos voisins, je ne peux m’y opposer. Laissez-moi seulement vous avertir qu’à l’Institut vous n’obtiendrez que la qualité d’assistant, pas celle de doctorant… Savez-vous ce que cela signifie ? Voulez-vous y réfléchir plus longtemps ou avez-vous déjà pris votre décision à ce sujet ?

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Émeline nous propose sa traduction :

Alors que l’automne 1940 touchait à sa fin et qu’il arpentait les larges allées de l’Université de Princeton en direction du bureau du chef du département, à peine Bacon se rendait-il compte qu’il était sur le point de décider de son avenir. Sur son passage, les frênes qui bordaient l’allée ressemblaient aux colonnes immobiles d’un temple, dont le toit se serait écroulé petit à petit. Un vent perçant estompait le contour des bâtiments qui abritaient les différentes facultés. Sous le ciel dégagé, leur style médiéval –copié sur Oxford et Cambridge- lui paraissait encore plus faux. Professeurs et étudiants, prisonniers de leurs inconfortables costumes gris, se réfugiaient à l’intérieur de ces édifices sans âge, fuyant l’air glacial qui faisait voler leurs chapeaux. Bien que le doyen l’ait appelé pour lui annoncer une chose importante, Bacon n’était pas nerveux. Il faisait confiance au chemin de la science qui le mènerait sûrement au meilleur endroit possible, et, en plus, -et d’ailleurs le mieux- il avait pris une décision sur sa vie depuis qu’il avait reçu un appel de l’Institut, deux jours auparavant.
Le nouveau doyen, qui était en réalité un petit homme bavard, le reçut immédiatement. Assis derrière un grand bureau qui lui cachait la moitié du buste, il ne cessait de tirer sur sa barbe poivre et sel comme s’il avait voulu démêler les fils du destin. Après lui avoir serré la main, il fit assoir Bacon, prit un dossier parmi ceux qui s’amoncelaient devant lui et, sans le regarder, commença à en lire des passages à voix haute.
-Francis Bacon, oui, comment oublier ce nom ? Très bien… Summa cum laude… « Excellent travailleur… Remarquable analyste… Un peu lent à l’heure de prendre des décisions, mais un théoricien hors-pair… En résumé, un des étudiants les plus doués de sa génération. » « Que pensez-vous de ces commentaires ? , s’exclama-t-il sur un ton qui rappelait le sifflement des locomotives miniatures, il n’y a que des avis favorables à votre sujet, jeune homme ! Surprenant, vraiment surprenant…
Bacon ne lui prêtait même pas attention. Son regard se promenait sur la collection de revues allemandes –Annalen der Physik, Zeitschriftfür, Naturwissenschaft- qui couvrait l’étagère du petit bureau. Mis à part elles, la décoration s’apparentait plus à celle du laboratoire d’un entomologiste, plein de petites boîtes et de flacons de cristal, qu’à celle du bureau administratif d’un physicien. Au fond, Bacon reconnut une photo sur laquelle apparaissait Einstein et son interlocuteur. Sur l’image, l’orgueilleux doyen se dressait aux côtés de l’inventeur de la relativité comme un écureuil nerveux sur le point de grimper sur un séquoia.
-J’en suis très content, professeur.
-Je veux que vous compreniez qu’il ne s’agit pas de mon avis, j’ai simplement lu votre relevé de notes, jeune homme. J’aurais voulu mieux vous connaître, mais il n’a pas pu en être ainsi, raison pour laquelle je ne peux pas être aussi élogieux que vos professeurs. Enfin, que peut-on y faire ? Allons à l’essentiel si vous voulez bien. Je vous ai appelé pour vous annoncer une nouvelle que, probablement, vous connaissez déjà mieux que moi.
-Je pense savoir de quoi vous parlez, professeur.
-Grâce à la recommandation du professeur Oswald Veblen, l’Institut d’Etudes Avancées a décidé de vous inviter à intégrer son personnel.
Bacon ne put réprimer un sourire.
-Bien sûr, nous préférerions que vous restiez avec nous, mais vous seul avez le dernier mot. Si vous préférez rejoindre nos voisins, je ne peux pas m’y opposer. Laissez-moi juste vous avertir qu’à l’Institut vous obtiendrez seulement un poste d’assistant, pas d’étudiant de doctorat… Vous savez ce que cela signifie ? Vous voulez y réfléchir ou vous avez déjà pris une décision à ce sujet ?

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Chloé nous propose sa traduction :

Derniers jours de l’automne 1940. Tandis qu’il empruntait les larges allées de l’Université de Princeton, en route vers le bureau de son chef de département, Bacon se rendait à peine compte qu’il était sur le point de décider de son avenir. Sur son passage, les frênes qui bordaient l’allée ressemblaient aux colonnes immobiles d’un temple dont le toit s’était effrité petit à petit. Un vent cinglant estompait les contours des collèges qui abritaient les différentes disciplines. Son style médiéval – copié sur Oxford et Cambridge – lui paraissait encore plus artificiel sous le ciel dégagé. Prisonniers de leurs inconfortables costumes gris, élèves et Professeurs se réfugiaient à l’intérieur des bâtiments anachroniques, fuyant l’air glacé qui faisait s’envoler leurs chapeaux. Bien que le doyen l’ait appelé pour lui faire une annonce importante, Bacon n’était pas nerveux. Il comptait sur le chemin de la science pour le conduire au meilleur endroit possible, et en plus – Ça, c’était le meilleur – il avait déjà pris une décision concernant sa vie depuis que, deux jours auparavant, il avait reçu un appel de l’Institut.
Le nouveau doyen se révéla être un bonhomme bavard qui le reçut immédiatement. Assis derrière un grand secrétaire qui lui cachait la moitié du torse, il ne cessait d’arracher des poils de sa barbe poivre et sel comme s’il espérait démêler les fils du destin. Après lui avoir tendu la main, il demanda Bacon de s’asseoir, prit un dossier parmi tous ceux étalés devant lui et, sans le regarder, il commença à en lire des passages à voix haute.
— Francis Bacon, bien sûr, comment oublier ce nom ? Très bien… Summa cum laude…« Excellent travailleur… Analyste remarquable…Un peu lent à l’heure de prendre des décisions, mais un théoricien hors pair… En résumé, un des étudiants les plus doués de sa génération… » Que pensez-vous de ces commentaires ? – s’exclama-t-il sur un ton qui rappelait le sifflement des locomotives pour enfants –. Il n’y a que des avis favorables à votre égard, jeune homme ! Surprenant, vraiment surprenant…
Bacon ne lui avait même pas prêté attention. Son regard parcourait la collection de revues allemandes – Annalen der Physik, Zeitschriftfür Physik, Naturwissenschaft – qui tapissait les étagères du petit bureau. En dehors de cela, la décoration faisait plus penser au laboratoire d’un entomologiste, rempli de petites boîtes et de flacons de verre, qu’au bureau administratif d’un physicien. Au fond, Bacon reconnu une photo où Einstein apparaissait avec son interlocuteur. Sur l’image, l’orgueilleux doyen se dressait aux côtes du père de la théorie sur la relativité tel un écureuil avide de grimper un séquoia.
— Je suis très flatté, professeur.
— Je veux que vous compreniez qu’il ne s’agit pas là de mon opinion, j’ai seulement lu votre dossier, jeune homme. J’aurais aimé mieux vous connaître, mais il n’en a pas été ainsi, de cette façon, je ne peux être aussi élogieux que vos maîtres. Mais bon, on n’y peut rien. Venons-en au fait, si cela ne vous dérange pas. Je vous ai appelé pour vous communiquer une information que vous connaissez probablement mieux que moi.
— Je crois savoir de quoi vous parlez, professeur.
— Grâce aux recommandations du professeur Oswald Veblen, l’Institut d’Etudes Supérieures a décidé de vous inviter à rejoindre son personnel.
Bacon ne put réprimer un sourire.
— Bien entendu, nous préférerions que vous restiez avec nous, mais c’est vous qui avez le dernier mot. Si vous préférez vous en aller chez nos voisins, je ne peux m’y opposer. Cependant, laissez moi vous avertir qu’à l’Institut vous obtiendrez le statut d’assistant, et non d’étudiant en doctorat… Savez-vous ce que cela signifie ? Vous désirez encore y réfléchir ou vous avez déjà pris une décision à ce propos ?

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Brigitte nous propose sa traduction :

Derniers jours de l’automne 1940. Alors qu’il marchait dans les allées de l’Université de Princeton vers le bureau de son directeur de département, c’est à peine si Bacon réalisait qu’il était sur le point de décider son avenir. Sur son passage, les frênes qui bordaient l’allée étaient comme les colonnes immobiles d’un temple dont la toiture s’était effondrée peu à peu. Il faisait un vent cinglant qui estompait la silhouette des écoles abritant les différentes facultés. Leur style médiéval – imité d’Oxford et de Cambridge - lui semblait encore plus factice sous le ciel dégagé. Prisonniers de leur uniforme gris incommode, des Professeurs et des élèves se réfugiaient à l’intérieur des bâtiments anachroniques, fuyant l’air glacial qui faisait s’envoler leur chapeau. Bien que le doyen l’ait appelé pour lui annoncer une nouvelle importante, Bacon ne se sentait pas inquiet. Il avait bon espoir que le chemin de la science le conduirait au meilleur endroit possible et, d’ailleurs, – ce qui était mieux encore -, il avait déjà pris une décision concernant son existence depuis que, deux jours plus tôt, il avait reçu un appel de l’Institut.
Le nouveau doyen était un petit homme bavard qui le reçut aussitôt. Assis derrière un grand bureau qui lui cachait la moitié du torse, il ne cessait de tirer sur sa barbe poivre et sel comme s’il cherchait à démêler l’écheveau du destin. Après lui avoir serré la main, il invita Bacon à s’asseoir, prit un dossier parmi les nombreux autres étalés devant lui et, sans le regarder, commença à en lire des passages à voix haute.
- Francis Bacon, oui, comment oublier un tel nom ? Très bien… Summa cum laude… « Excellent travailleur… Analyste remarquable…Un peu lent à prendre des décisions mais un théoricien hors pair. En résumé, l’un des étudiants les plus brillants de sa génération… ». Que pensez-vous de ces commentaires ? – s’exclama-t-il d’un ton qui rappelait le sifflement des locomotives en jouet/en modèle réduit -, il n’y a que des opinions favorables à votre sujet, jeune homme ! Surprenant, vraiment surprenant …
Bacon n’avait même pas fait attention à lui. Son regard se promenait sur la collection de revues allemandes – Annalen der Physik… - qui couvrait l’étagère du petit bureau.
A part ça, la décoration faisait davantage penser au laboratoire d’un entomologiste, plein de petites boîtes et de fioles en verre, qu’au bureau administratif d’un physicien. Au fond de la pièce, Bacon reconnut une photo sur laquelle Einstein figurait en compagnie de son interlocuteur. Sur le cliché, le doyen se dressait fièrement aux côtés du découvreur de la relativité, tel un écureuil impatient de grimper à un séquoia.
- Vous m’en voyez ravi, Professeur.
- Je veux que vous sachiez qu’il ne s’agit pas de mon opinion, je n’ai fait que lire votre dossier, jeune homme. J’aurais aimé mieux vous connaître mais il en est autrement, de sorte que je ne peux être aussi élogieux que vos maîtres. Enfin, c’est comme ça.
- Venons en au fait, si cela ne vous dérange pas. Je vous ai appelé pour vous faire part d’une nouvelle que vous-même connaissez probablement mieux que moi.
- Je crois savoir ce dont vous me parlez, Professeur.
- Grâce à la recommandation du Professeur Oswald Veblen, l’Institut des Hautes Etudes a décidé de vous inviter à intégrer son équipe.
Bacon ne put s’empêcher de sourire.
- Bien sûr, nous préfèrerions que vous restiez parmi nous, mais c’est vous qui avez le dernier mot. Si vous préférez rejoindre nos voisins, je ne peux m’y opposer. Laissez-moi seulement vous avertir qu’à l’Institut, vous obtiendrez le statut d’assistant et non celui de doctorant…Savez-vous bien ce que cela signifie ? Voulez-vous y réfléchir encore ou avez-vous déjà pris une décision à ce sujet ?

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Auréba nous propose sa traduction :

Derniers jours de l´automne 1940. Alors qu´il marchait sur les larges sentiers de l´Université de Princeton en direction du bureau de son chef de département, Bacon ne se rendait pratiquement pas compte qu´il était sur le point de décider de son futur.
Sur son passage, les frênes qui longeaient le sentier étaient comme les colomnes immobiles d´un temple, dont le plafond s´était peu à peu effondré. Il faisait un vent cinglant qui estompait le contour des écoles qui abritaient les différentes facultés. Son style médiéval – copié sur Oxford et Cambridge – lui semblait encore plus faux sous le ciel dégagé. Prisonniers de leurs inconfortables costumes gris, professeurs et élèves se réfugiaient à l´intérieur des édifices anachroniques, fuyant l'air glacial qui faisait voler leurs chapeaux. Bien que le doyen l´avait appelé pour lui faire part d'une importante nouvelle, Bacon n´était pas nerveux. Il était certain que le chemin de la science l'emmènerait au meilleur des endroits possibles et en plus – c´était ce qu´il y avait de mieux dans tout cela –, il avait déjà pris une décision sur sa vie depuis que, deux jours auparavant, il aurait reçu un appel de l´Institut.
Il s´avéra que le nouveau doyen était un petit homme tout bavard qui le reçut de suite. Assis derrière un grand bureau qui cachait la moitié de sa poitrine, il n´arrêttait pas de tirer sur sa barbe grisonnante comme s´il voulait démêler les fils du destin. Après lui avoir tendu la main, il pria Bacon de s´asseoir, prit un dossier parmi tous ceux qui se trouvaient devant lui et, sans le regarder, il commença à lire des extraits à voix haute.
— Francis Bacon ! Ah oui ! Comment pourrais- je oublier ce nom ? Très bien… Summa cum laude…”Excellent travailleur…, remarquable analyste… Un peu lent quand il s´agit de prendre des décisions, mais un très bon théoricien… En bref, un des étudiants les plus doués de sa génération…Que pensez-vous de ces commentaires ?, s´exclama-t-il sur un ton qui rappelait le sifflement des locomotives en jouet. Il n´y a rien d´autre que des opinions favorables sur vous, jeune homme ! C'est surprenant, vraiment surprenant…
Bacon n´avait pratiquement pas prêté attention à ce qu´il disait. Son regard embrassait la collection de revues allemandes_ Annalen der Physik, Zeitschriftfür Physik, Naturwissenchaft_ qui tapissait l´étagère du petit bureau. Hormis celles-ci, la décoration faisait plutôt penser au laboratoire d´un entomologue, rempli de petites boîtes et de flacons en verre, qu´au bureau administratif d´un physicien. Au fond, Bacon reconnut une photo sur laquelle on pouvait voir Einstein en compagnie de son interlocuteur. Sur l´image, le doyen fier se dressait à côté de celui qui a découvert la relativité comme un écureuil impatient de grimper un sequoia.
— Je suis très content, professeur.
— Je veux que vous compreniez qu´il ne s´agit pas de mon opinion, j´ai tout simplement lu votre dossier, jeune homme. J´aurais aimé mieux vous connaître, mais ça n´a pas pu se passer ainsi, raison pour laquelle je ne peux pas être aussi élogieux que vos maîtres. Enfin, qu´allons nous y faire? Allons dans le vif du sujet, si çelà ne vous dérange pas. Je vous ai appelé pour vous faire part d´une nouvelle que, probablement, vous connaissez mieux que moi.
— Je crois savoir de quoi vous parlez, professeur.
— Grâce à la recommandation du professeur Oswald Veblen, l´Institut d´Études Avancées a decidé de vous inviter à intégrer son personnel.
Bacon ne put éviter un sourire.
— Bien sûr, nous, nous préfèrerions que vous restiez avec nous, mais c´est vous qui avez le dernier mot. Si vous préférez vous en aller chez nos voisins, moi, je ne peux pas m´y opposer. Seulement, permettez moi de vous prévenir qu´à l´Institut vous n´aurez que le statut d´assistant et non pas celui d´étudiant en doctorat… Savez-vous ce que celà signifie ? Voulez vous y réfléchir un peu plus ou avez-vous déjà pris une décision là dessus ?

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Mirentxu nous propose sa traduction :

Derniers jours de l'automne 1940.
Tandis qu'il marchait dans les larges sentiers de l'Université de Princeton en direction du bureau de son chef de département, Bacon se rendait à peine compte qu'il était sur le point de décider de son avenir. Sur son passage, les frênes qui bordaient le sentier étaient telles les colonnes immobiles d'un temple, dont le toit s'était peu à peu effondré. Un vent mordant estompait le contour des locaux qui abritaient les différentes facultés. Leur style médiéval -copié sur Oxford et Cambridge- lui paraissait encore plus faux sous le ciel dégagé. Prisonniers de leur inconfortable costume gris, Professeurs et élèves se réfugiaient à l'intérieur des édifices anachroniques, fuyant l'air glacé qui faisait voler leur chapeau. Bien que le doyen l'eût appelé pour une annonce importante, Bacon n'était pas nerveux. Il avait confiance : le chemin de la science le mènerait à l'une des meilleurs places possibles et, en outre -c'était le meilleur de tout- il avait déjà pris une décision sur sa vie depuis qu'il avait reçu, deux jours auparavant, un appel de l'Institut. Le nouveau doyen était un petit homme bavard qui le reçut immédiatement. Assis derrière un grand bureau qui occupait la moitié de sa poitrine, il ne cessait de triturer sa barbe grisonnante comme s'il avait voulu démêler les fils du destin. Après lui avoir serré la main, il demanda à Bacon de s'asseoir, pris une chemise parmi les nombreuses qui étaient étalées devant lui et, sans le regarder, commença à lire des extraits à voix haute.
-Francis Bacon, oui, comment oublier ce nom ? Très bien... Summa cum laude... "Excellent travailleur... analyste remarquable... Un peu lent au moment de prendre des décisions, mais théoricien hors pair... En résumé, l'un des étudiants les mieux dotés de sa génération..." Que pensez-vous de ces commentaires ? -s'exclama-t-il, d'un ton qui rappelait le sifflements des locomotives en jouet-. Il n'y a rien que des opinions favorables à votre sujet, jeune homme ! Surprenant, réellement surprenant... Bacon n'avait pas même fait attention à lui. Son regard embrassait la collection de revues allemandes -Annalen der Physik, Zeitschriftfür Physik, Naturwissenschaft- qui tapissait l'étagère du petit bureau. A part elles, la décoration, petites boîtes et flacons en verre, faisait davantage penser au laboratoire d'un entomologue, qu'au bureau administratif d'un physicien. Au fond de la pièce, Bacon reconnut une photo sur laquelle Einstein apparaissait près de son interlocuteur. Sur l'image, l'orgueilleux doyen se redressait aux côtés de l'inventeur de la relativité tel un écureuil impatient de grimper à un séquoia.
-J'en suis fort satisfait, professeur.
-Je veux que vous compreniez qu'il ne s'agit pas de mon opinion ; j'ai simplement lu votre dossier, jeune homme. J'aurais aimé mieux vous connaître, mais il n'a pas pu en être ainsi, de sorte que je ne peux pas être aussi élogieux que vos maîtres. Bref, qu'est-ce que cela va vous apporter ? Venons-en au fait, si cela ne vous gêne pas. Je vous ai appelé pour vous communiquer une nouvelle que, probablement, vous connaissez mieux que moi.
-Je crois savoir de quoi vous me parlez, professeur.
-Grâce à la recommandation du professeur Oswald Veblen, l'Institut des Etudes Avancées a décidé de vous inviter à intégrer son personnel.
Bacon ne put réprimer un sourire.
-Bien entendu, nous, nous préfèrerions que vous restiez avec nous, mais c'est vous qui avez le dernier mot. Si vous préférez partir avec nos collègues, je ne peux pas m'y opposer. Seulement, laissez-moi vous prévenir qu'à l'Institut vous obtiendrez la qualité d'assistant et pas de doctorant... Vous savez ce que cela signifie ? Voulez-vous y réfléchir davantage ou bien avez-vous déjà pris votre décision ?

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Sonita nous propose sa traduction :
Derniers jours de l’automne 1940. Alors qu’il marchait dans les vastes allées de l’Université de Princeton en direction du bureau de son chef de département, Bacon se rendait à peine compte qu’il était sur le point de décider de son futur. À son passage, les frênes qui bordaient le sentier ressemblaient aux colonnes immobiles d’un temple, dont le toit s’était peu à peu effondré. Il faisait un froid mordant qui voilait le contour des bâtiments qui hébergeaient les différentes facultés. Son style médiéval – copié d’Oxford et de Cambridge – lui semblait encore plus faux sous le ciel dégagé. Prisonniers de leurs costumes gris gênants, professeurs et étudiants se réfugiaient à l’intérieur des édifices anachroniques, fuyant l’air gelé qui faisait voler leurs chapeaux. Même si le doyen l’avait fait venir pour lui annoncer une nouvelle importante, Bacon n’était pas nerveux. Il était certain que le chemin de la science le mènerait vers le meilleur des endroits possibles et, de plus – ceci était la meilleure partie – il avait déjà pris une décision sur sa vie quand, deux jours auparavant, il avait reçu un appel de l’Institut. Le nouveau doyen s’avéra être un petit bonhomme bavard qui le reçut immédiatement. Assis derrière un grand bureau qui lui cachait la moitié de sa poitrine, il n’arrêtait pas de tripoter sa barbe grisonnante comme s’il voulait démêler les fils du destin. Après lui avoir serré la main, il demanda à Bacon de s’asseoir, prit une chemise parmi tant d’autres qui s’étalaient devant lui, et, sans le regarder commença à lire des passages à voix haute. – Francis Bacon, oui, comment oublier ce nom ? Très bien… Summa cum laude... « Excellent travailleur… Analyste remarquable… Un peu lent au moment de prendre des décisions, mais un théoricien saillant… En résumé, l’un des étudiants les mieux doués de sa génération… » Que pensez-vous de ces commentaires ? – s’exclamât-t-il dans un ton qui rappelait le sifflement des locomotives jouets – Et bien, il n’y a rien d’autre que des opinions favorables sur votre compte mon garçon ! Surprenant, réellement surprenant… Bacon ne lui avait même pas prêté attention. Son regard courtisait la collection de revues allemandes - Annalen der Physik, Zeitschriftfür Physik, Naturwissenschaft – qui tapissait les étagères du petit bureau. En dehors d’elles, la décoration faisait davantage penser au laboratoire d’un entomologiste, plein de petites boîtes et de flacons en verre, qu’au bureau administratif d’un physicien. Au fond de la pièce, Bacon reconnut une photo sur laquelle Einstein apparaissait aux côtés de son interlocuteur. Sur l’image, l’orgueilleux doyen se dressait à côté du découvreur de la relativité comme un écureuil désireux de monter sur un séquoia. – J’en suis très heureux, professeur.
– Je veux que vous compreniez qu’il ne s’agit pas de mon opinion, j’ai simplement lu votre dossier mon garçon. J’aurais bien aimé mieux vous connaître, mais cela n’a pas été le cas, donc je ne peux pas être aussi élogieux que vos professeurs. Enfin, que peut y faire ? Allons droit au but si vous le voulez bien. Je vous ai fait venir pour vous faire part d’une nouvelle que vous connaissez probablement mieux que moi.
– Je crois savoir de quoi vous voulez me parler, professeur.
– Grâce à la recommandation du professeur Oswald Veblen, l’Institut d’Études Avancées a décidé de vous inviter à faire partie de son personnel.
Bacon ne put réprimer un sourire.
– Bien sûr, nous préfèrerions que vous restiez avec nous, mais c’est vous qui avez le dernier mot. Si vous préférez vous en aller avec nos voisins, je ne peux pas m’y opposer. Permettez-moi seulement de vous avertir qu’à l’Institut vous obtiendrez un poste d’assistant et non pas d’étudiant en doctorat… Savez-vous ce que cela signifie ? Voulez-vous un peu plus de temps pour y réfléchir ou avez-vous déjà pris votre décision ?

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Laëtitia Sw nous propose sa traduction :

Derniers jours de l’automne 1940. Tandis qu’il marchait dans les vastes allées de l’Université de Princeton en direction du bureau de son directeur de département, Bacon se rendait à peine compte qu’il s’apprêtait à sceller son avenir. Sur son passage, les frênes qui bordaient l’allée ressemblaient aux colonnes immobiles d’un temple, dont le toit s’était écroulé peu à peu. Il faisait un vent glacial qui estompait le contour des bâtiments hébergeant les différentes facultés. Leur style médiéval – copié sur Oxford et Cambridge – lui paraissait encore plus faux sous le ciel dégagé. Prisonniers de leurs inconfortables costumes gris, professeurs et élèves se réfugiaient à l’intérieur des édifices anachroniques, fuyant l’air glacé qui faisait s’envoler leurs chapeaux. Bien que le doyen l’eût appelé pour lui annoncer quelque chose d’important, Bacon n’était pas nerveux. Il se fiait à l’idée que le chemin de la science le conduirait à la meilleure destination qui fût. En outre, — c’était la cerise sur le gâteau —, il venait de prendre une décision déterminante pour sa vie après avoir reçu, deux jours plus tôt, un appel de l’Institut.
Le nouveau doyen se révéla être un petit homme bavard qui le reçut immédiatement. Assis derrière un grand bureau qui lui cachait la moitié de la poitrine, il n’arrêtait pas de s’arracher les poils de sa barbe poivre et sel, comme s’il voulait démêler les fils du destin. Après lui avoir tendu la main, il invita Bacon à s’asseoir, puis il prit un dossier parmi beaucoup d’autres éparpillés devant lui et, sans le regarder, il commença à en lire des passages à voix haute.
— Francis Bacon, oui, comment oublier ce nom ? Mention très bien... Summa cum laude... « Excellent travailleur... Remarquable analyste... Un peu lent à l’heure de prendre des décisions, mais un théoricien hors pair... En un mot, un des étudiants les plus doués de sa génération... » Que pensez-vous de ces commentaires ? — s’exclama-t-il sur un ton qui rappelait le sifflement des locomotives miniatures —. Il n’y a que des avis favorables à votre sujet, jeune homme ! Surprenant, vraiment surprenant...
Bacon ne lui avait même pas prêté attention. Il balayait de son regard la collection de revues allemandes — Annalen der Physik, Zeitschriftfür Physik, Naturwissenschaft — qui tapissait les étagères du minuscule bureau. Si on faisait abstraction de ces revues, la décoration évoquait davantage le laboratoire d’un entomologiste, encombré de boîtes et de flacons en cristal, que le bureau administratif d’un physicien. Au fond, Bacon reconnut une photo sur laquelle apparaissait Einstein près de son interlocuteur. Sur l’image, l’orgueilleux doyen se dressait au côté du découvreur de la relativité comme un écureuil anxieux sur le point de grimper à un séquoia.
— J’en suis fort content, professeur.
— Entendez bien qu’il n’est pas question ici de ce que je pense à titre personnel, j’ai simplement lu votre dossier, jeune homme. J’aurais aimé faire plus ample connaissance avec vous, mais vu qu’il n’en a pas été ainsi, je ne puis être aussi élogieux que vos maîtres. En définitive, qu’allez-vous faire ? Allons droit au but, si vous permettez. Je vous ai contacté pour vous faire part d’une nouvelle dont, probablement, vous connaissez la teneur mieux que moi-même.
— Je crois savoir ce à quoi vous faites allusion, professeur.
— Sur les recommandations du professeur Oswald Veblen, l’Institut des Études Avancées a décidé de vous proposer d’intégrer ses équipes.
Bacon ne put réprimer un sourire.
— Évidemment, en ce qui nous concerne, nous préfèrerions vous garder parmi nous, mais c’est vous qui avez le dernier mot. Si vous penchez pour rejoindre nos voisins, je ne peux pas m’y opposer. Laissez-moi tout de même vous prévenir que l’Institut vous recevra en qualité d’assistant, non de doctorant... Vous savez ce que cela signifie ? Souhaitez-vous prendre encore le temps de la réflexion ou avez-vous déjà arrêté votre décision ?

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Odile nous propose sa traduction :

Derniers jours de l'automne 1940. Tandisqu'il avançait sur les larges sentiers de l'Université de Princeton en direction du bureau de son chef de département, Bacon prenait à peine conscience qu'il était sur le point de décider de son avenir. Sur son passage, les frênes qui bordaient le sentier semblaient les colonnes immobiles d'un temple dont le toit s'était peu à peu effondré. Le vent cinglant estompait le contour des collèges qui abritent les différentes facultés. Son style médiéval – imité d'Oxford et de Cambridge- lui semblait plus faux encore sous le ciel clair. Prisonniers de leurs inconfortables costumes gris, professeurs et élèves se réfugiaient à l'intérieur des anachroniques édifices, fuyant l'air glacial qui faisait s'envoler leurs chapeaux. Même si le doyen l'avait fait venir pour lui communiquer une importante nouvelle, Bacon n'était pas nerveux. Il ne doutait pas que les chemins de la science le porteraient vers le meilleur des endroits possible et, en outre, -c'etait là le plus beau de l'affaire-, il avait déjà pris une décision quant à sa vie depuis que, deux jours auparavant, il avait reçu un appel de l'Institut.
Le nouveau doyen était un petit homme babillard qui le reçut tout de suite. Assis derrière un grand bureau qui lui cachait la moitié de la poitrine, il ne cessait de tirer des poils de sa barbe poivre et sel comme s'il avait voulu demêler les fils du destin. Après avoir serré la main de Bacon, il le pria de s'asseoir, prit un dossier parmi tous ceux qui s'étalaient devant lui et, sans le regarder, commença à lire des passages à voix haute.
- Francis Bacon, oui, comment oublier ce nom? Très bien....Summa cum laude... »Excellent travailleur..... Remarquable analyste... Un peu lent à l'heure de prendre des décisions, mais un théoricien hors de pair … En résumé, un des étudiants les plus doués de sa génération.... » Que pensez-vous de ces remarques? - s'exclama-t-il avec un ton qui rappelait le sifflement d'une locomotive miniature. Il n'y a que des appréciations favorables à votre sujet, mon garçon ! Surprenant, vraiment surprenant....
Bacon ne lui avait même pas prêté attention. Il promenait son regard sur la collection des revues allemandes -Annalen der Physik, Zeitschriftfür Physik, Naturwissenschaft- qui tapissaient l'étagère du petit bureau. Hormis celles-ci, la décoration rappelait davantage le laboratoire d'un entomologiste, envahi de petites boîtes et de flacons de verre, que le bureau administratif d'un physicien. Au fond, Bacon reconnut une photo sur laquelle se voyaient Einstein et son interlocuteur. Sur le cliché, l'orgueilleux doyen se dressait aux côtés du découvreur de la relativité comme un écureuil désireux d'escalader un séquoia.
- Je me sens très honoré, professeur.
- Je veux que vous compreniez qu'il ne s'agit pas de mon avis, j'ai simplement lu votre dossier, mon garçon. J'aurais aimé vous connaître mieux, mais il n'a pu en être ainsi et je ne peux donc être aussi élogieux que vos maîtres. Enfin, que peut-on y faire ? Allons au fait, si vous le voulez bien. Je vous ai convoqué afin de vous communiquer une information que, probablement, vous connaissez mieux que moi.
- Je crois savoir de quoi il s'agit, professseur,
- Grâce à la recommandation du professeur Oswald Veblen, l'Institut des Études Avancées, a décidé de vous inviter à intégrer son personnel.
Bacon ne put s'empêcher de sourire.
- Bien entendu, nous préférerions que vous restiez parmi nous, mais c'est vous qui avez le dernier mot. Si vous préférez partir avec nos voisins, je ne peux m'y opposer. Laissez-moi seulement vous dire qu'à l'Institut vous obtiendrez la qualité d'assistant et non celle de doctorant... Vous savez ce que cela signifie? Voulez-vous y réfléchir encore ou bien avez-vous déjà pris une décision à ce sujet ?

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