lundi 23 novembre 2009

Exercice de version, 6

La primera vez que vi a Carlos Wieder fue en 1971 o tal vez en 1972, cuando Salvador Allende era presidente de Chile.
Entonces se hacía llamar Alberto Ruiz-Tagle y a veces iba al taller de poesía de Juan Stein, en Concepción, la llamada capital del Sur. No puedo decir que lo conociera bien. Lo veía una vez a la semana, dos veces, cuando iba al taller. No hablaba demasiado. Yo sí. La mayoría de los que íbamos hablábamos mucho: no sólo de poesía, sino de política, de viajes (que por entonces ninguno imaginaba que iban a ser lo que después fueron), de pintura, de arquitectura, de fotografía, de revolución y lucha armada; la lucha armada que nos iba a traer una nueva vida y una nueva época, pero que para la mayoría de nosotros era como un sueño o, más apropiadamente, como la llave que nos abriría la puerta de los sueños, los únicos por los cuales merecía la pena vivir. Y aunque vagamente sabíamos que los sueños a menudo se convierten en pesadillas, eso no nos importaba. Teníamos entre diecisiete y veintitrés años (yo tenía dieciocho) y casi todos estudiábamos en la Facultad de Letras, menos las hermanas Garmendia, que estudiaban sociología y psicología, y Alberto Ruiz-Tagle, que según dijo en alguna ocasión era autodidacta. Sobre ser autodidacta en Chile en los días previos a 1973 habría mucho que decir. La verdad era que no parecía autodidacta. Quiero decir: exteriormente no parecía un autodidacta. Éstos, en Chile, a principios de los setenta, en la ciudad de Concepción, no vestían de la manera en que se vestía Ruiz-Tagle. Los autodidactas eran pobres. Hablaba como un autodidacta, eso sí. Hablaba como supongo que hablamos ahora todos nosotros, los que aún estamos vivos (hablaba como si viviera en medio de una nube), pero se vestía demasiado bien para no haber pisado nunca una universidad.

Roberto Bolaño, Estrella distante

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Marie nous propose sa traduction :

Je vis Carlos Weider, pour la première fois, en 1971 ou peut-être en 1972, quand Salvador Allende était président du Chili. Il se faisait alors appeler Alberto Ruiz-Tagle et venait parfois à l'atelier de poésie de Juan Stein, à Concepción, la dite Capitale du Sud. Je ne peux pas dire que je le connaissais bien. Je le voyais une fois par semaine, deux fois, quand il se rendait à l'atelier. Il ne parlait pas trop. Moi si. La plupart de ceux qui y allaient, nous parlions beaucoup: non seulement de poésie mais de politique, de voyages (que jusqu'ici aucun de nous n'imaginait qu'ils allaient devenir ce qu'ils sont devenus par la suite), de peinture, d'architecture, de photographies, de révolution et de lutte armée; cette lutte armée qui allait nous apporter une nouvelle vie et une aire nouvelle, mais qui pour la majorité d'entre nous était tel un rêve ou, plus précisément, telle la clé qui nous ouvrirait la porte de nos rêves, les seuls pour lesquels cela valait la peine de vivre. Et bien que nous sussions vaguement que les rêves tournent souvent aux cauchemars, cela nous était égal. Nous avions entre dix-sept et vingt-trois ans (moi, j'en avais dix-huit) et nous étudions presque tous à la Faculté de Lettres, sauf les soeurs Garmendia, qui étudiaient sociologie et psychologie, et Alberto Ruiz-Tagle, qui avait dit une fois qu'il était autodidacte. Sur le fait d'être autodidacte au Chili, dans les jours qui précèdent 1973, il y aurait beaucoup à dire. Il est vrai qu'il ne ressemblait pas à un autodidacte. Je m'explique: d'extérieur, il ne semblait pas un autodidacte. Ceux-là, au Chili, au début des années soixante-dix, dans la ville de Concepción, ne s'habillaient pas de la même manière que Ruiz-Tagle. Les autodidactes étaient pauvres. Effectivement, il parlait comme un autodidacte. Il parlait comme j'imagine que nous parlons aujourd'hui entre nous, ceux qui sont encore vivants (il parlait comme s'il vivait au milieu des nuages), mais il s'habillait trop bien pour ne jamais avoir mis les pieds dans une université.

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Sonita nous propose sa traduction :

La première fois que j’ai vu Carlos Wieder c’était en 1971 ou peut-être en 1972, quand Salvador Allende était le président du Chili. Il se faisait alors appeler Alberto Ruiz-Tagle et il allait parfois à l’atelier de poésie de Juan Stein, à Conception, celle qu’on appelait la capitale du sud. Je ne peux pas dire que je le connaissais bien. Je le voyais une fois par semaine, deux fois, quand il allait à l’atelier. Il ne parlait pas beaucoup. Moi, oui. La plupart de ceux qui y allions parlions beaucoup : pas seulement de poésie, mais aussi de politique, voyages (qu’à l’époque aucun n’imaginait qu’ils allaient devenir ce qu’ils sont devenus), de peinture, d’architecture, de photographie, de révolution et de lutte armée ; la lutte armée qui allait nous offrir une nouvelle vie et une nouvelle époque, mais qui pour la plupart d’entre nous était un rêve ou, plus exactement, comme la clé qui nous ouvrirait la porte des rêves, les seuls pour lesquels ça valait la peine de vivre. Et même si nous savions vaguement que souvent les rêves se transforment en cauchemars, cela ne nous posait pas de problème. Nous avions entre dix-sept et vingt-trois ans (j’en avais dix-huit) et nous étudions presque tous à la Faculté de Lettres, excepté les sœurs Garmendia qui étudiaient la psychologie et la sociologie, et Alberto Ruiz-Tagle, qui avait dit lors d’une quelconque occasion qu’il était autodidacte. Sur le fait d’être autodidacte au Chili dans les années antérieures à 1973, il y avait beaucoup à dire. La vérité est qu’il ne ressemblait pas à un autodidacte. Je veux dire : extérieurement il ne semblait pas un autodidacte. Ceux-là au Chili, au début des années soixante dix, dans la ville de Conception, ne s’habillaient pas de la manière dont Ruiz-Tagle s’habillait. Les autodidactes étaient pauvres. Il parlait comme un autodidacte, ça oui. Il parlait, je pense, comme on parle tous aujourd’hui, ceux qui sommes encore en vie (il parlait comme s’il vivait sur un nuage), mais il s’habillait trop bien pour quelqu’un qui n’avait jamais mis les pieds dans une université.

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Odile nous propose sa traduction :

La première fois que j'ai vu Carlos Wieder, c'était en 1971, ou peut-être en 1972, quand Salvador Allende était président du Chili.
Il se faisait alors appeler Alberto Ruiz-Tagle et il venait quelquefois à l'atelier de poésie de Juan Stein, à Concepción, la capitale du Sud. Je ne peux pas dire que je le connaissais bien. Je le voyais une par semaine, parfois deux, lorsque j'allais à l'atelier. Lui ne parlait pas beaucoup. Moi si. Presque tous ceux d'entre nous qui fréquentaient l'atelier parlaient beaucoup ; non seulement de poésie, mais aussi de politique, de voyages (et à l'époque, aucun de nous n'imaginait ce qu'ils seraient par la suite), de peinture, d'architecture, de photographie, de révolution et de lutte armée; la lutte armée qui nous apporterait une vie nouvelle, une époque nouvelle, mais qui, pour la plupart d'entre nous était comme un rêve, ou plus exactement, comme la clé qui nous ouvrirait la porte des rêves, les seuls pour lesquels la vie valait la peine d'être vécue. Et même si nous savions vaguement que les rêves se transforment souvent en cauchemars, nous n'y accordions pas d'importance. Nous avions entre dix-huit et vingt-trois ans (j'en avais dix-huit), nous étions presque tous étudiants à la faculté de Lettres, à l'exception des soeurs Garmendia qui étudiaient la sociologie et la psychologie, et d' Alberto Ruiz-Tagle qui était, selon ce qu'il avait dit un jour, autodidacte. Sur la question d'être autodidacte au Chili dans les jours précedant 1973, il y aurait beaucoup à dire. En vérité, il ne semblait pas être un autodidacte. Ce que je veux dire, c'est qu' extérieurement, il n'avait pas l'apparence d' un autodidacte. Ceux-ci, dans le Chili du début des années soixante-dix, à Concepción, ne s'habillaient pas comme Ruiz-Tagle. Les autodidactes étaient pauvres. Il parlait comme un autodidacte, ça oui. Il parlait comme je suppose que nous parlons tous maintenant, nous qui sommes encore vivants (il parlait comme s'il vivait sur un nuage), mais il s'habillait trop bien pour ne jamais avoir mis les pieds dans une université.

1 commentaire:

Sonita a dit…

Bonjour Marie :

J’ai lu ta proposition de traduction pour ce texte et j’ai remarqué ceci :
Tu as traduit «una nueva época» par « une aire nouvelle ». Qu’est-ce que tu veux dire par « aire » ?... ou c’est simplement une faute d’orthographe ?
Aussi, tu écris cette phrase : « j'imagine que nous parlons aujourd'hui entre nous », pourquoi avoir traduit « entre nous » ?

Si jamais tu as des questions sur ma traduction, n'hésite pas.