vendredi 6 novembre 2009

Exercice d'écriture

La feuille de route pour aujourd'hui : un voyage en train

Coralie :

Mon train, où est mon train ? C’est pas vrai… je peux pas le rater ! Monsieur, s’il vous plaît… Tant pis ! Ah, le voilà ! Madame, excusez-moi, c’est bien le train pour Toulouse ? Oui ? Vous en êtes bien sûre ? Merci beaucoup ! Maintenant, il va falloir que je trouve une place libre, c’est fou le monde qu’il y a dans ce train. Et puis tous ces bagages, on ne peut plus pratique. En plus, les rangées sont trop étroites… J’espère vraiment que je vais pouvoir m’asseoir, je tiendrai pas debout pendant tout le trajet. Si j’étais arrivée plus tôt… j’aurais pu choisir ma place ! Je serais arrivée plus tôt si je ne m’étais pas perdue dans cette satanée gare ! Oh ! Là-bas, il y a un trou ! Pourvu que personne ne l’ait vu. Vite, vite, vite ! Ouf, ça y est. Enfin assise ! Et près de la fenêtre en plus, sans personne à côté, tranquille, comme j’aime. Tout va bien, je peux souffler : je suis assise et dans le bon train. Parfait. Mince ! Mon billet ! qu’est-ce j’ai bien pu en faire ? Dans mon sac à main… mais où ? Pas là…pas là… là non plus… Oui, bien sûr, la place est libre… je sors mes affaires. Un instant, s’il vous plait. C’est bon, vous pouvez y aller. Où est ce fichu billet ?… Dans mon portefeuilles, bien sûr ! ça y est, on peut démarrer, je suis enfin installée, j’ai mon billet. Et vu l’heure, je vais peut être faire une petite sieste. A condition de trouver une position confortable… C’est pas gagné ! Qu’est-ce qu’on est mal assis dans ce train, j’ai mal au dos… puis je ne peux même pas étendre mes jambes ! Allez, du calme, regarde le paysage, ça va te bercer. On a vu plus idyllique comme paysage… Tant pis, ferme les yeux, respire, pense à autre chose… Ah, je me sens mieux, Morphée me tend les bras… Fais dodo, Colas mon p’tit frère, fais dodo…
— Mademoiselle. Mademoiselle.
— Quoi ? Oui ?
— Votre billet, s’il vous plait.
— Bien sûr, le voici.
— Très bien, en vous souhaitant un bon voyage.
— Merci.
Le contrôleur est passé donc je devrais réussir à me reposer un peu maintenant. C’est pas comme si j’en avais pas besoin en plus. Pour une fête, c’était une fête. On l’a bien arrosé mon départ, je m’en souviendrai. On ne s’est pas couché, une douche et direct en cours… pour ma dernière journée ! Fini Bordeaux ! Retour au bercaille ! Hamm ! Je suis épuisée. Si je ferme les yeux je m’endors… ça y est… je sombre…
Mais c’est pas vrai ! Je rêve, c’est pas possible. Ah non ! Il ronfle ! Il manquait plus que ça. Fallait que ça m’arrive à moi et aujourd’hui ! Et voilà sa tête qui glisse… Non ! Pas sur mon épaule ! Trop tard… Génial ! Je fais quoi maintenant ? Je suis coincée entre la vitre et cet inconnu. Je le réveille ? Je retire doucement mon épaule ? ou alors brusquement ? Comme ça sa tête tombe, il se réveille mais comme il dort profondément il croira qu’il a fait un mauvais rêve. Mais il faudrait pas qu’il se fasse mal à la nuque, il n’a pas l’air tout jeune quand même… Je vais me décaler légèrement et en me sentant bouger il va se redresser, sans ouvrir un œil. Allez, je tente… Un peu, encore un petit peu… mais il me suit ! Je vais attendre, il se réveillera bien à un moment ou un autre. Le plus tôt sera le mieux… On approche de Toulouse. Les ralentissements et l’entrée en gare le feront certainement réagir. De toutes façons, il me faut descendre et je compte pas l’escalader… Si au moins il arrêtait de ronfler… Je peux pas me mettre à siffler, là, dans le train bondé. Et en remuant l’épaule ou le bras ? Peut être que… Rien !
— Mesdames, messieurs, nous arrivons en gare de Toulouse Matabiau, Toulouse Matabiau. Cinq minutes d’arrêt, cinq minutes.
C’est le moment où jamais :
— Monsieur, monsieur.
Je le secoue ? Allons-y.
— Monsieur ! Monsieur !
— Hein ? Quoi ? Qu’est-ce qu’il se passe ?
— Je suis désolée de vous réveiller mais j’aimerais descendre. Vous pourriez me laisser passer, s’il vous plait ?
Ouf ! Enfin libérée !

***

Amélie :

Ami voyageur, tant que tu le peux, évite le train du vendredi soir,
Crois-en mon expérience, tu risques de vivre un vrai cauchemar.
A présent, sois bien attentif à tout ce qui suit,
Même le plus sceptique ne pourra que changer d’avis.
Ce voyage ne présageait pourtant rien de particulier,
Il était question de mon banal retour bimensuel depuis Angers.
Mais le convoi n’arrivait pas, il avait quinze minutes de retard,
Ma correspondance au Mans serait-t-elle toujours au départ ?
Pour ce premier trajet, pas de travail, grande décontraction,
Le mp3 sur les oreilles, doucement, je monte le son.
Pas trop quand même, car il n’y a rien de plus désagréable,
Que de pouvoir écouter la musique de son voisin de table.
La ‘salle’ sur le billet est en fait une table quadriplace
Autour de laquelle ni les sacs, ni les jambes n’ont leur place.
Le pire, c’est que là je suis coincée parmi un groupe de gamins,
Quel scandale ! Leurs cris couvrent même les pleurs d’un bambin.
20h17, le train ralentit, mon calvaire est enfin terminé
Entrée en gare, suspense, vais-je devoir y passer une nuitée ?
Une voix retentit : « Correspondance immédiate pour Brest voie 3 »,
Un espoir : chargée comme un mulet, je m’élance et j’y crois !
C’est à cet instant que j’ai fait la folie de me tromper de train,
De monter dans un wagon et me rendre compte que c’était pas le mien.
Brest ? Euh, pas du tout mademoiselle, nous allons à Strasbourg !
Pardon ? C’est pas possible, maintenant je vais être à la bourre…
Je saute le marchepied et atteins l’autre train en courant,
Juste à temps pour entendre la dame annoncer « départ imminent ».
Enfin installée – duo, côté fenêtre – je laisse retomber l’adrénaline.
C’est parti pour quatre heures… Tiens, mon voisin a une drôle de bobine !
La faune du compartiment a l’air calme, apparemment aucun brailleur,
C’était sans compter l’arrêt à Rennes et cette équipe de footballers.
La langue hors de leur poche, les commentaires fusent, en vrac,
Entre temps, la vinaigrette de ma salade a coulé dans mon sac !
Bon, c’est pas tout mais c’est que j’ai pas mal de boulot,
Il faut que je relise ma traduction de mémoire, allez hop, un stylo.
Ce mot-là ne convient pas, je réfléchis, rature et vois rouge,
Je suis tellement maniaque, impossible d’écrire quand ça bouge.
Changement de tactique, on nous a également donné un livre à lire.
Je m’y attelle, mais le train, ça berce, qui osera me contredire ?
Je suis réveillée par l’appel du contrôleur qui clame « Guingamp »,
Et voilà, il ne me reste qu’une heure et demie, non mais franchement !
Je ne sais pas que faire, ce livre ne me passionne pas, c’est clair,
Alors j’en cherche un autre, celui qui m’a été conseillé par ma mère.
Une dame s’installe à mes côtés : « Bonsoir, vous allez où comme ça ? »
« A Lille, pourquoi ? ». Pff, elle pouvait pas s’asseoir ailleurs celle-là ?
Et voilà, de fil en aiguille, sans m’en apercevoir, j’approche du but.
Je n’ai pas fait grand-chose, j’ai des petits yeux et les cheveux hirsutes.
Leclerc, plage, moulin blanc, port de commerce, c’est le signal :
Tout le monde se lève, enfile son manteau : toujours le même bal.
« Bienvenue à Brest, terminus du train, tous les voyageurs descendent de voiture… »
Elle croit quand même pas qu’on va rester dormir là, non mais je te jure !
Grands signes, retrouvailles, embrassades, la valse continue sur les quais.
J’épie, je sonde, je scrute : mais oui, moi aussi on est venu me chercher…

***

Auréba :


Le train arriva à la gare de Lyon et ces vingt heures et ces six minutes qu´indiquaient les aiguilles du cadran d´une horloge sur le quai marquaient la fin d´un long voyage.
Elle avait passé toute sa journée assise sur l´un des inconfortables sièges de ce train. Fatiguée, épuisée, ce voyage était synonyme de nausée. Elle avait apprécié son séjour, mais cette période transitoire entre deux bouts de terre aux antipodes de la France était résolument trop longue et difficile à vivre, pour ne pas dire insupportable.
C'était étrange, elle croyait être dans ce que l´on appelle un Train à Grande Vitesse, un de ces trains qui filent tout droit en fonçant, mais non, c´était un train fatigué, à bout de forces, qui se déplaçait en zigzags tel un ivrogne qui a le vin mauvais.. En plus d´aller dans tous les sens, on aurait dit que le train ne voulait pas l´emmener jusque chez elle puisqu´au bout d´un moment, au lieu d´aller de l´avant, le train avançait à reculons. Hum !
A ce rythme là, elle n´était pas prête de rentrer chez elle ! La somme des heures qu´elle avait passées, qu´elle passait, et qu´elle allait encore passer immobilisée par la mobilité de cet espace stable et instable à la fois représentait un laps de temps pendant lequel son esprit était disponible pour voyager entre plusieurs temps et plusieurs espaces différents. Mais ce que voulait surtout son esprit, c´était se laisser aller, se laisser bercer, se laisser transporter passivement.
Ne pas sentir, ne pas ressentir, seulement dormir. Se laisser distraire par les successions d´images surréalistes et impressionnistes de paysages fuyants, et laisser ses paupières tomber jusqu´à tout oublier…Se laisser porter..Se laisser porter….se laisser porter…se laisser «MESDAMES ET MESSIEURS, VOUS ÊTES DANS LE TRAIN MILLE NEUF CENT QUARANTE HUIT EN DIRECTION DE LA GARE LYON PART DIEU. NOTRE TRAIN DESSERVIRA LES GARES DE…. ». Impossible de se laisser « RÉ» por « ZIN »ter !!!!Nooon !!! Ne rien entendre de la voix de cet homme qui ne comprenait pas qu´il parlait trop près du micro et qu´il agressait les oreilles de tout le monde pendant qu´il souhaitait un « AGRÉABLE VOYAGE », ç ´aurait été agréable ! Cette voix qui venait la sortir_ et ceci à plusieurs reprises_ de son rêve éveillé pour l´ancrer dans une réalité de laquelle elle voulait s´échapper, c´était insupportable. Une voix masculine et grossière qui n´avait rien à voir avec la voix de rêve des speakerines des avions dans les films. Une voix qui envahissait tout l´espace et ne la laissait pas dormir en paix.
Heureusement pour elle, les nombreuses haltes dans les innombrables gares lui permettaient de mettre un pied sur la terre ferme et de respirer un bon coup avant de réembarquer pour un voyage presque sans fin, un voyage pendant lequel elle essayait de perdre la notion du temps en attendant de pouvoir constater sur son portable qu' il ne restait plus que quelques minutes avant l 'heure indiquée sur son billet, l ' heure tant attendue: 20:06.

***

Laëtitia Sw :

Ce matin-là, Marta s’était levé de bonne heure pour prendre le train de 5h17 en direction du sud. Elle se sentait encore toute engourdie de sommeil et n’arrivait pas à trouver une position confortable sur son siège. L’air déjà lourd de l’aube annonçait une journée particulièrement chaude. Cette moiteur conjuguée à un léger effluve floral l’avait transportée en une fraction de seconde dans le souvenir de son enfance, passée dans le Lauragais. Elle revoyait des après-midi d’été interminables, surchauffés de soleil. Elle pensa à sa grand-mère qui leur interdisait, à elle et ses cousins, de sortir avant cinq heures car, disait-elle, vous n’y pensez pas voyons, dehors, il tombe du feu. Marta avait toujours été impressionnée par cette expression. Elle se représentait un immense brasier consumant avidement les champs de tournesols autour de la maison. Et il était vrai que si vous décidiez de le braver avant l’heure dite, le soleil vous tombait dessus avec une rare violence, vous assenant de terribles coups sur le haut de la tête. Vous écopiez alors, en très peu de temps, d’une vive sensation de brûlure et d’un état d’hébétude durable.
Les cris perçants d’un bébé qui retentirent derrière elle la tirèrent brusquement de sa rêverie. Elle se retourna discrètement. Le bébé en question était un petit garçon tout rouge, affublé d’une quantité invraisemblable de vêtements, que sa mère, faisant fi de son sommeil, s’était mis en tête de changer. Visiblement, il n’appréciait pas du tout l’initiative et comptait bien le faire savoir à toutes ces paires d’yeux qui le regardaient d’un air réprobateur. Plusieurs voyageurs du compartiment s’étaient levés précipitamment, mus subitement par des besoins irrépressibles, celui-ci de se rendre aux toilettes, celui-là d’aller se restaurer, tel autre de prendre l’air dans le couloir. Marta tint bon pendant les dix minutes que dura le braillement du bébé contrarié. Elle en profita pour observer les courageux voyageurs du wagon qui avaient décidé, comme elle, de supporter stoïquement la situation. Elle commença par détailler, en face d’elle, deux personnes qui formaient un couple improbable. Lui, un petit homme râblé et barbu, n’avait pas quitté des yeux, depuis le début du voyage, des feuillets calligraphiés d’une écriture illisible. Elle, tripotant sans cesse une mèche de ses longs cheveux peroxydés, ne cessait de chercher à distraire son mari par un flot de paroles qu’elle voulait inspirées. Le siège près de Marta était vide. Elle y avait disposé méthodiquement ses affaires pour avoir facilement à sa portée tout ce dont elle aurait besoin pendant ce long voyage. Elle poursuivit son inspection de l’autre côté de l’allée. Seuls quelques sièges étaient occupés. Une vieille dame sommeillait en dodelinant de la tête sous le cahotement du train. Elle avait une drôle d’allure avec, à ses pieds, de petits chaussons roses à pompons. En face d’elle, un homme qui devait avoir la trentaine, n’arrêtait pas de gigoter en se grattant le bout du nez. Elle se retourna légèrement pour observer plus en détail la maman et son bébé récalcitrant. Le petit s’était rendormi comme si de rien n’était et sa mère semblait s’adonner au calme retrouvé avec satisfaction. Elle avait dispersé autour d’elle un incroyable désordre : biberons, petits pots, couches, lingettes, vêtements, jouets... Marta pensait avec commisération au voyageur qui, lors d’un prochain arrêt, viendrait s’asseoir à côté d’eux. Cette jeune femme aurait pu tout de même contenir son déballage intempestif ! Marta en était là de ses réflexions quand le train freina brusquement dans un crissement aigu, projetant violemment les voyageurs vers l’avant.

***

Laëtitia So :

Une fois de plus, j’arrive in extremis au train. C’est fou comme ils sont ponctuels quand on voudrait qu’ils aient quelques minutes de retard. Encore un trajet Bordeaux-Pauillac dans ce magnifique TER flambant neuf en provenance directe des années quatre-vingts. Un sublime bleu turquoise habille avec élégance les sièges tous rangés face à face. Les rideaux sont assortis avec goût. Certainement dans un souci d’équité, on a décidé de ne faire aucune différence entre la première et la seconde classe, seuls les chiffres un et deux au-dessus des portes renseignent sur le tarif du billet. Mais gare à celui qui s’y méprendra, il devra payer un supplément salé. Les vitres délabrées, les portes esquintées, les poubelles défoncées : on a franchement du mal à imaginer les heures de gloire de ce pauvre train. Mais callée dans mon siège, ou plutôt dans mes quatre sièges puisqu’il faut bien cela pour se sentir à l’aise, je suis un peu comme chez moi, prête à finir ma nuit. Mes compagnons de voyage arborent une telle mine endormie qu’on croirait deviner la trace encore fraîche des draps sur leurs joues. Tout est calme, seuls quelques lycéens au langage fleuri perturbent la quiétude. Puis bientôt plus rien. Ils descendent nous laissant seuls, nous les passagers à destination du Médoc, sombrer dans la torpeur. On n’entend que le train, en cadence, il tangue, il nous berce. Dehors, il fait encore nuit, des goutes de pluie fouettent les vitres. Les paupières sont lourdes.
-Bonjour Messieurs Dames. Contrôle des billets !
C’est toujours au moment où je pourrais basculer dans un sommeil paisible que le contrôleur choisit de vérifier les billets. Je l’ai pourtant vu passer plusieurs fois dans l’allée.
Le soleil s’est levé et on peut admirer le décor : la campagne puis les vignes, la forêt puis les vignes, les maisons puis les vignes, encore. C’est beau et apaisant, je ne veux pas m’y arrêter pour autant.
-Pauillac, Pauillac ! Attention à la hauteur de la marche à la descente du train.

***

Émeline :

8h20, gare de Vitoria-Gasteiz, Espagne. Le train entre en gare, voie numéro un. Il neige déjà depuis hier après-midi. Je pense à la chaleur marocaine et au soleil de Marrakech qui m’attendent. Et aussi à mes parents qui sont déjà là-bas depuis quatre jours. Les passagers en provenance d’Irun et des autres gares descendent, surpris par le froid, leurs joues rougissant immédiatement à cause du froid. Je monte dans le train. Evidemment, ce n’est pas mon wagon et il faut que je traverse la moitié de l’AVE. J’arrive enfin à ma voiture, le train à déjà démarré, et j’ai pu voir à travers les fenêtres ma faculté, les bâtiments du centre ville, les enfants courir, et mes copines jeter des boules de neige vers le train , leur manière à elles de me souhaiter un bon voyage. Je m’assois enfin, à côté d’une fenêtre, le siège à côté de moi est encore vide. Son occupant montera sûrement au prochain arrêt. Nous traversons la campagne blanche, désolée, silencieuse, comme un lit sur lequel se reposeraient tous les saints d’Espagne sans y laisser une seule trace. Je m’endors paisiblement, au milieu de ce coton glacé mais dont l’image me réchauffe. Le train approche déjà de Valladolid quand je me réveille. Le conducteur annonce que nous devons rester en gare une dizaine de minutes pour des vérifications techniques. J’angoisse. J’ai peur de rater mon avion. Je me lève et demande à un contrôleur si je peux descendre rapidement, le temps d’une cigarette. Il m’accompagne et nous bavardons un instant. D’autres passagers ont suivi notre exemple. Puis nous remontons tous dans les voitures, comme engloutis par le reste du voyage. Dans une heure nous serons à Madrid. Un peu moins. Sur mon siège il y a une petite dame, le visage tourné vers l’extérieur, les cheveux courts et permanentés, presque blancs, qui égraine un chapelet. Elle me donne froid dans le dos. Je l’interromps quand même dans ses prières pour lui expliquer qu’elle s’est trompée de siège. Elle me répond qu’elle s’est installée ici le temps que je revienne parce qu’elle voulait juste pouvoir regarder le paysage, et se décale lestement vers son siège. J’enjambe ses genoux et m’écroule contre la fenêtre, qui me jette sur mon siège. Le train vient d’accélérer sans prévenir. La petite dame me demande si tout va bien. Oui, oui. Oui, car la vierge protège toutes les femmes de ce monde. Parfait. Etant donné que je veux éviter à tout prix que la grâce ne s’effondre sur moi comme les fléaux que Dieu infligea aux Egyptiens, je me renfrogne dans mon écharpe, me recroqueville sur mon siège et tente de laisser le plus d’espace possible entre la bigote et moi. Pourvu qu’elle ne me parle pas, qu’elle ne me raconte pas sa vie, celle de ses enfants, celle de ses petits enfants, celle de je ne sais quel apôtre ou de je ne sais quel curé de village. Je plante mes écouteurs dans mes oreilles sentant que sa langue la démange. Elle n’aura tout de même pas l’audace de me toucher pour m’adresser la parole. Au cas où, je ferme les yeux et fais mine de dormir. Enfermée dans la musique, j’imagine mes parents à la sortie de l’aéroport, la chaleur qui s’abat sur moi, le soleil qui me brûle les yeux et la poussière rouge. Je respire déjà le Maroc. Je sens un frôlement sur ma cuisse. J’ouvre un œil et vois le magnifique sourire de la grenouille qui pointe du doigt le contrôleur. J’ai envie de lui dire ce qui peut se passer quand on montre du doigt, mais je me retiens, après tout, même si elle me tape sur les nerfs, elle ne m’a pas agressée, ni donné un cours de catéchisme. Je montre mon billet au contrôleur. Je suis en règle, tout va bien. La petite dame, toujours avec son sourire accroché au visage, me regarde comme si j’allais devenir sa prochaine victime. C’est le cas. Elle ouvre doucement la bouche et remue les lèvres pour former des sons. Elle me parle. Elle a vu mon nom sur mon billet et me demande d’où je viens. Je me dis qu’il vaut mieux que j’anticipe et que je déballe tout ce que je peux. Je lui raconte ma vie dans les moindres détails, et même beaucoup trop pour moi, en prenant soin de terminer mon monologue de façon qu’elle n’ait pas envie de parler d’elle. Loupé. Elle rebondit sur un détail, complètement insignifiant, entrecoupe son discours de références religieuses, de Dieu, Marie et tous les autres. Je souris intérieurement en me disant que c’est sûrement cela l’enfer. Je ne l’écoute plus depuis déjà un bon moment, et profitant d’un silence je prétexte une envie de me soulager. Je prends mon sac et l’enjambe à nouveau, cette fois vers l’extérieur, la libération. Si c’est un châtiment divin pour tous mes péchés, il est drôlement réussi. Je vais directement au wagon-bar, pour demander un café bien corsé s’il vous plait. Ce que je n’aurais jamais du dire vu que je suis en Espagne, que le café est toujours corsé, et que celui-ci en devient imbuvable tellement la touillette y tient debout toute seule. Je passe les vingt dernières minutes du voyage dans ce refuge, loin de la vieille bénite. Le train arrive en gare de Madrid. J’angoisse à l’idée que la petite dame va encore me parler, et me demander où j’étais, ce que j’ai fait, pourquoi, me dire que Dieu est avec moi et que la Vierge me protège durant la fin de mon voyage. J’arrive vers ma place, et aperçois déjà son sourire ravi de me retrouver enfin. Je prends rapidement mes affaires en finissant de lui faire la conversation et me dirige vers la porte. Le train s’arrête et je descends, soulagée, libérée. Je cours vers les taxis, direction Barajas, et m’engouffre dans une voiture blanche au chauffeur moustachu. Le sort voudra que la petite dame et moi soyons dans le même avion, et que j’ai pitié de l’homme assis à côté d’elle, elle vers le couloir, lui vers le hublot, et qui subit le même châtiment que moi.

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