vendredi 13 novembre 2009

Votre version de la semaine, Unamuno

En photo : MIGUEL DE UNAMUNO, par WMHART

Al aparecer Augusto a la puerta de su casa extendió el brazo derecho, con la mano palma abajo y abierta, y diri­giendo los ojos al cielo quedóse un momento parado en esta actitud estatuaria y augusta. No era que tomaba pose­sión del mundo exterior, sino era que observaba si llovía. Y al recibir en el dorso de la mano el frescor del lento or­vallo frunció el sobrecejo. Y no era tampoco que le mo­lestase la llovizna, sino el tener que abrir el paraguas. ¡Estaba tan elegante, tan esbelto, plegado y dentro de su funda! Un paraguas cerrado es tan elegante como es feo un paraguas abierto.
«Es una desgracia esto de tener que servirse uno de las cosas –pensó Augusto–; tener que usarlas, el use estro­pea y hasta destruye toda belleza. La función más noble de los objetos es la de ser contemplados. ¡Qué bella es una naranja antes de comida! Esto cambiará en el cielo cuando todo nuestro oficio se reduzca, o más bien se en­sanche a contemplar a Dios y todas las cosas en Él. Aquí, en esta pobre vida, no nos cuidamos sino de servimos de Dios; pretendemos abrirlo, como a un paraguas, para que nos proteja de toda suerte de males.»
Díjose así y se agachó a recogerse los pantalones. Abrió el paraguas por fin y se quedó un momento suspenso y pensando: «y ahora, ¿hacia dónde voy?, ¿tiro a la derecha o a la izquierda?» Porque Augusto no era un ca­minante, sino un paseante de la vida. «Esperaré a que pase un perro –se dijo– y tomaré la dirección inicial que él tome.»
En esto pasó por la calle no un perro, sino una garrida moza, y tras de sus ojos se fue, como imantado y sin darse de ello cuenta, Augusto.
Y así una calle y otra y otra.
«Pero aquel chiquillo –iba diciéndose Augusto, que más bien que pensaba hablaba consigo mismo–, ¿qué hará allí, tirado de bruces en el suelo? ¡Contemplar a alguna hormiga, de seguro! ¡La hormiga, ¡bah!, uno de los ani­males más hipócritas! Apenas hace sino pasearse y hacer­nos creer que trabaja. Es como ese gandul que va ahí, a paso de carga, codeando a todos aquellos con quienes se cruza, y no me cabe duda de que no tiene nada que hacer. ¡Qué ha de tener que hacer, hombre, qué ha de tener que hacer! Es un vago, un vago como... ¡No, yo no soy un vago! Mi imaginación no descansa. Los vagos son ellos, los que dicen que trabajan y no hacen sino aturdirse y ahogar el pensamiento. Porque, vamos a ver, ese ma­marracho de chocolatero que se pone ahí, detrás de esa vidriera, a darle al rollo majadero, para que le veamos, ese exhibicionista del trabajo, ¿qué es sino un vago? Y a nosotros ¿qué nos importa que trabaje o no? ¡El trabajo! ¡El trabajo! ¡Hipocresía! Para trabajo el de ese pobre pa­ralítico que va ahí medio arrastrándose... Pero ¿y qué sé yo? ¡Perdone, hermano! –esto se lo dijo en voz alta–. ¿Hermano? ¿Hermano en qué? ¡En parálisis! Dicen que todos somos hijos de Adán. Y este, Joaquinito, ¿es tam­bién hijo de Adán? ¡Adiós, Joaquín! ¡Vaya, ya tenemos el inevitable automóvil, ruido y polvo! ¿Y qué se adelanta con suprimir así distancias? La manía de viajar viene de topofobía y no de filotopía; el que viaja mucho va huyendo de cada lugar que deja y no buscando cada lugar a que llega. Viajar... viajar... Qué chisme más molesto es el para­guas... Calla, ¿qué es esto?»
Y se detuvo a la puerta de una casa donde había en­trado la garrida moza que le llevara imantado tras de sus ojos. Y entonces se dio cuenta Augusto de que la había venido siguiendo. La portera de la casa le miraba con ojillos maliciosos, y aquella mirada le sugirió a Augusto lo que entonces debía hacer. «Esta Cerbera aguarda –se dijo– que le pregunte por el nombre y circunstancias de esta señorita a que he venido siguiendo y, ciertamente, esto es lo que procede ahora. Otra cosa sería dejar mi se­guimiento sin coronación, y eso no, las obras deben aca­barse. ¡Odio lo imperfecto!» Metió la mano al bolsillo y no encontró en él sino un duro. No era cosa de ir entonces a cambiarlo, se perdería tiempo y ocasión en ello.

Miguel de Unamuno, Niebla, 1914.

***

Coralie nous propose sa traduction :

Sur le pas de la porte de sa maison, Augusto tendit le bras droit, la main ouverte, paume vers le bas, et levant les yeux au ciel, il resta un moment figé dans cette attitude statuaire et auguste. Ce n’était pas qu’il prenait possession du monde extérieur, mais il vérifiait s’il pleuvait. Et en recevant sur le dos de sa main la fraîcheur du lent crachin, il fronça les sourcils. Ce n’était pas non plus la bruine qui le dérangeait, mais plutôt le fait de devoir ouvrir son parapluie. Il était si élégant, si svelte, là, plié et dans son fourreau ! Un parapluie fermé est aussi élégant qu’un parapluie ouvert est laid.
« C’est malheureux de devoir se servir des choses –pensa Augusto– ; de devoir les utiliser, l’usage abime et détruit même chaque beauté. Le rôle le plus noble des objets est celui d’être contemplés. Qu’une orange est belle avant d’être mangée ! Cela changera dans le ciel quand tout notre office se réduira, ou plutôt s’amplifiera dans la contemplation de Dieu et Ses choses. Ici-bas, dans notre pauvre vie, nous ne nous occupons seulement de nous servir de Dieu ; nous prétendons l’ouvrir, comme un parapluie, pour qu’il nous protège de toutes sortes de maux. » Cela dit, il se baissa pour retrousser son pantalon. Il ouvrit enfin son parapluie et resta un moment perplexe et pensif : « et maintenant, où vais-je ?, je me lance à droite ou à gauche ? .» Car Augusto n’était pas un marcheur mais un promeneur de la vie. « J’attendrai qu’un chien passe –décida-t-il– et je prendrai la direction qu’il prendra. » Là-dessus, ce ne fut pas un chien qui passa dans la rue, mais une charmante jeune fille, et, comme aimanté, sans s’en rendre compte, Augusto suivit ses yeux. Et ainsi, une rue, une autre et une autre. « Mais ce gamin –se disait Augusto, qui, au lieu de penser, se parlait à lui même–, que fait-il là, à plat-ventre sur le sol ? Il contemple quelque fourmi, pour sûr ! La fourmi, bah !, un des animaux les plus hypocrites ! Elle ne fait rien d’autre que se promener et nous faire croire qu’elle travaille. C’est comme ce fainéant qui arrive là, au pas de charge, en coudoyant tous ceux qu’il croise, il n’y a aucun doute qu’il n’a rien à faire. Qu’est-ce qu’il a à faire, hein, qu’est-ce qu’il a à faire ! C’est un paresseux, un paresseux comme… Non, moi je ne suis pas paresseux ! Mon imagination ne se repose pas. Les paresseux sont ces gens qui racontent qu’ils travaillent et qui ne font que s’abêtir et étouffer leur pensée. Parce que, regardez-le, ce pauvre type de chocolatier qui se met là, derrière sa vitrine à donner du rouleau à pâtisserie, pour qu’on le voit, cet exhibitionniste de travail. Qu’est-ce qu’il est à part paresseux ? Et à nous, qu’est-ce que ça peut nous faire qu’il travaille ou pas ? Le travail ! Le travail ! Hypocrisie ! Quel travail que celui de ce pauvre paralytique qui vient par là, presqu’en rampant… Mais, qu’est-ce que j’en sais moi ? Désolé, mon frère ! –il prononça cela à haute voix–. Mon frère ? Mon frère de quoi ? De paralysie ! On dit que nous sommes tous les enfants d’Adam. Et lui, Joaquinito, c’est aussi un fils d’Adam ? Adieu, Joaquín ! Et allez, maintenant, on a l’inévitable automobile, le bruit et la poussière ! Et à quoi cela nous avance de supprimer ainsi les distances ? Le goût du voyage vient de la topo-phobie et non de la topo-philie ; celui qui voyage beaucoup fuit les lieux qu’il laisse sans chercher les lieux où il arrive. Voyager… voyager… Quel machin plus ennuyeux qu’un parapluie… Tais-toi. Qu’est-ce que cela ? » Et il s’arrêta à la porte d’une maison où était entrée la charmante jeune fille qui l’avait aimanté avec ses yeux. Augusto se rendit alors compte qu’il l’avait suivie. La concierge le regardait avec de petits yeux malicieux, et ce regard suggéra à Augusto ce qu’il devait donc faire. « Cette Cerbère attend –se dit-il– que je lui demande le nom cette jeune femme que je viens de suivre et quelques renseignements à son propos et, c’est certainement ce qu’il convient de faire maintenant. Ce serait autre chose de laisser ma chasse sans couronnement, et ça, non, les ouvrages doivent être terminés. Je déteste l’imperfection ! » Il plongea sa main dans sa poche et n’y trouva qu’un douro. Ce n’était alors pas le moment d’aller le changer, il y perdrait du temps et une occasion.

***

Amélie nous propose sa traduction :

Quand Augusto apparut sur le seuil de sa maison, il étendit le bras droit, main ouverte, paume vers le sol et, les yeux levés au ciel, il demeura un moment figé dans cette position statuaire et auguste. Ce n’était pas qu’il prît possession du monde extérieur, mais plutôt qu’il observait s’il pleuvait. Et en recevant la fraîcheur de la bruine légère sur le dos de sa main, il fronça les sourcils. Ce n’était pas non plus que la pluie le gênât, mais plutôt le fait de devoir ouvrir son parapluie. Il était si élégant, si svelte, plié à l’intérieur de son fourreau ! Un parapluie fermé est aussi élégant qu’un parapluie ouvert est laid.
« C’est malheureux d’être obligé de se servir des choses –pensa Augusto– ; être obligé de les utiliser, leur utilisation les abîme jusqu’à détruire toute leur beauté. La fonction la plus noble des objets est celle d’être contemplés. Comme une orange est belle avant d’être mangée ! Cela sera différent au ciel, quand toutes nos tâches seront réduites ou, plus précisément, seront élargies à la seule contemplation de Dieu et de toutes les choses qui ont trait à Lui. Ici, dans cette misérable vie, nous ne nous préoccupons que de nous servir de Dieu; nous prétendons l’ouvrir, comme un parapluie, pour qu’il nous protège de toutes sortes d’épreuves. »
À ces mots, il se baissa pour retrousser son pantalon. Il finit par ouvrir son parapluie et resta un moment perplexe. « Et maintenant, vers où je vais ? Je tourne à droite ou à gauche ? ‑réfléchissait-t-il. » Car Augusto n’était pas un marcheur, mais un passager de la vie. « Je vais attendre qu’un chien passe –se dit-il– et je suivrai la première direction qu’il prendra. »
Sur ce, ce n’est pas un chien qui passa dans la rue mais une charmante jeune fille, à qui Augusto emboîta le pas sans même s’en rendre compte, comme hypnotisé par son regard.
Et ainsi une rue, puis une autre, puis encore une autre.
« Mais, ce gamin –se disait Augusto, qui parlait tout seul plus qu’il ne pensait–, que peut-il bien faire là-bas, allongé à plat ventre par terre ? Contempler une fourmi, à coup sûr ! La fourmi, bah, un des animaux les plus hypocrites ! Elle ne fait presque rien d’autre que se promener et nous faire croire qu’elle travaille. C’est comme ce bon à rien qui va là-bas, au pas de course, en bousculant tous ceux qu’il croise, mais à moi on ne me la fait pas, je sais qu’il n’a rien à faire. Que doit-il avoir à faire, je vous le demande, que doit-il avoir à faire ! C’est un fainéant, un fainéant comme… Ah non, moi, je ne suis pas un fainéant! Mon imagination ne prend pas de repos. Les fainéants, ce sont eux, ceux qui disent qu’ils travaillent et qui ne font rien que s’étourdir et étouffer leurs pensées. Parce que, voyons voir, le chocolatier par exemple, ce pauvre type qui se met juste là, derrière cette vitrine, à jouer du rouleau, tout ça pour qu’on le voit, cet exhibitionniste du travail, qu’est-ce qu’il est si ce n’est un fainéant ? Et nous, qu’est-ce qu’on en a à faire qu’il travaille ou pas ? Le travail ! Le travail ! Hypocrisie ! Le travail, le vrai, c’est celui de ce pauvre paralytique qui vient jusqu’ici en se traînant à moitié… Enfin, qu’est-ce que j’en sais, moi ? Pardonne-moi, mon frère ! –prononça-t-il à voix haute. Frère ? Frère de quoi ? De paralysie ? On dit que nous sommes tous des enfants d’Adam. Et lui, Joaquinito, il est aussi un enfant d’Adam ? Adieu, Joaquín ! Putain, on se paye déjà l’incontournable automobile, le bruit et la poussière ! Et qu’est-ce qui progresse quand on supprime les distances, comme ça ? La manie de voyager vient de la topophobie, et non de la philotopie ; celui qui voyage beaucoup fuit chaque lieu qu’il quitte, sans pour autant rechercher chaque lieu où il arrive. Voyager… voyager… C’est vraiment un truc gênant le parapluie… Chut, qu’est-ce que c’est que ça ? »
Il s’arrêta devant la porte d’un immeuble où était entrée la charmante jeune fille, celle dont le regard l’avait hypnotisé. C’est alors qu’Augusto se rendit compte qu’il l’avait suivie. La concierge le regardait d’un air malicieux, air qui suggéra à Augusto ce qu’il devait faire à cet instant. « Ce Cerbère attend que je l’interroge sur le nom et la vie de cette demoiselle que j’ai suivie, et c’est certainement ainsi qu’il convient d’agir à présent. Une autre possibilité serait de laisser ma poursuite sans couronnement, mais ça, non, les travaux doivent être achevés. Je hais ce qui est imparfait ! » Il plongea sa main dans sa poche, et n’y trouva rien d’autre qu’un douro. Il n’était hors de question d’aller le changer à ce moment-là, il y perdrait du temps, et une bonne occasion.

***

Auréba nous propose sa traduction :

Quand Augusto apparut à la porte de sa maison il tendit son bras droit, la paume de sa main ouverte et vers le bas, et tournant ses yeux vers le ciel il resta un moment immobile dans cette auguste attitude statuaire. Ce n´était pas qu´il prenait possession du monde extérieur, mais plutôt qu´il observait s´il pleuvait. En recevant sur le dos de sa main la fraicheur du lent crachin, il fronça les sourcils. Et ce n´était pas non plus que la bruine le dérangeait, sinon le fait d´avoir à ouvrir son parapluie. Il était si élégant, si svelte, plié dans son étui! Un parapluie fermé est aussi élégant qu´un parapluie ouvert est moche. C´est bien malheureux qu´on ait à se servir des choses _ pensa Augusto; qu´on ait à les utiliser, l´usage abîme et détruit même toute beauté. La fonction la plus noble des objets, c´est celle d´être contemplés. Une orange est si belle avant d´être mangée! Ça changera dans le ciel quand toute notre fonction se réduira ou s´étendra à contempler Dieu et toutes les choses qu´il y a en Lui. Ici, dans cette pauvre vie, nous ne nous occupons que de nous servir de Dieu; nous prétendons l´ouvrir, comme un parapluie, pour qu´il nous protège de toutes sortes de maux.
Ainsi dit, il se baissa pour retrousser son pantalon. Il ouvrit enfin le parapluie et resta un moment en suspens, et en pensant: «Et maintenant, vers où je vais? Je prends à droite ou à gauche?»Car Augusto n´était pas un voyageur à pied, mais un promeneur de la vie.»J´attendrai qu´un chien passe_ se dit-il_ et je prendrai la direction initiale que lui prendra.»
Là-dessus, ce ne fût pas un chien qui passa dans la rue, mais une élégante jeune-fille, et derrière ses yeux, il s´en alla, comme aimanté et sans s´en rendre compte, Augusto.
Il prit ainsi une rue puis une autre et encore une autre.
«Mais ce gosse, _ pensait Augusto, qui plutôt qu´il ne pensait, se parlait à lui-même, que peut-il bien faire là, allongé parterre? Sûrement contemple-t-il quelque fourmi! La fourmi, bah! Un des animaux les plus hypocrites! Elle ne fait que se promener et nous faire croire qu´elle travaille. C´est comme ce feignant qui va là, à pas de charge, jouant des coudes avec tous ceux qui se trouvent sur son passage et je suis sûr et certain qu´il n´a rien à faire. Que peut-il avoir à faire, allons donc, que peut-il avoir à faire! C´est un fainéant, un fainéant comme...Non, je ne suis pas un fainéant, moi! Mon imagination ne se repose pas. Les fainéants, ce sont eux, ceux qui disent qu´ils travaillent et ne font qu´étourdir et étouffer la pensée. Car, voyons, cet imbécile de chocolatier qui se plante là, derrière cette porte vitrée, à piler le chocolat, pour que nous le voyions, cet exhibitionniste du travail. Qu´est-ce que c´est sinon un fainéant? Et nous, qu´est- ce que ça peut bien nous faire qu´il travaille ou pas? Le travail! Le travail! Hypocrisie! Pour du travail, ce pauvre paralytique qui va là presque en rampant? Mais, qu´est-ce que j´en sais, moi? Excusez-moi, confrère!_ ça, il le lui dit à voix haute. Confrère? Confrère en quoi? En paralysie! On dit que nous sommes tous fils d´Adam. Et celui-ci, Joaquinito, c est aussi un fils d´Adam? Au revoir, Joaquín! Ha! Voilà l´inévitable automobile, du bruit et de la poussière! Et que gagne-t-on à supprimer ainsi les distances? La manie de voyager vient de topophobie et non pas de philotopie; celui qui voyage beaucoup passe son temps à fuir tous les endroits qu´il laisse et non pas à chercher tous les endroits où il arrive. Voyager…voyager..! C´est vraiment un machin embarrassant, le parapluie!...Mais…, Qu´est- ce que c´est?
Et il s´arrêta devant la porte d´une maison dans laquelle était entrée l´élégante jeune fille qui l´emportât comme aimanté derrière ses yeux. Et il se rendit alors compte qu´il l´avait suivie pendant tout ce temps là. La concierge de la maison le regardait avec des petits yeux malicieux, et ce regard suggéra à Augusto ce qu´il devait alors faire. « Cette Cerbère attend_ se dit-il_ que je l´interroge sur le nom et les circonstances de cette demoiselle que j´ai passé mon temps à suivre, et c´est sûrement ce qu´il faut faire maintenant. Ce serait autre chose de laisser mon suivi sans couronnement, et ça non, les ouvrages doivent être achevés. Je hais ce qui est imparfait! Il mit sa main dans son sac et n´y trouva rien de plus qu´un douro. Il n´était pas question d´aller faire de la monnaie avec, il y perdrait du temps et quelque occasion.

***

Chloé nous propose sa traduction :

Quand Augusto apparut sur le seuil de sa maison, il tendit le bras droit, main ouverte et paume vers le bas, dirigea ses yeux vers le ciel et resta un moment figé dans une attitude statuaire et auguste. Ce n’était pas qu’il prenait possession du monde extérieur, mais plutôt qu’il regardait s’il pleuvait. En recevant la fraîcheur de la fine bruine sur le dos de la main, il fronça les sourcils. Ce n’était pas non plus la bruine qui le gênait, mais plutôt le fait d’ouvrir son parapluie. Il était si élégant, si svelte, plié et dans son fourreau ! Un parapluie fermé est aussi élégant qu’est laid un parapluie ouvert.
« C’est regrettable de devoir se servir des choses – pensa Augusto – ; devoir les utiliser, l’utilisation les abîme jusqu’à détruire toute leur beauté. La fonction la plus noble des objets est d’être contemplés. Que l’orange est belle avant d’être mangée ! Cela changera, au le ciel, quand tout notre office sera réduit, ou plutôt, se sera élargit dans la contemplation de Dieu et de toutes ces choses à travers Lui. Ici, dans cette pauvre vie, nous nous occupons de rien sinon de servir Dieu ; nous prétendons l’ouvrir, tel un parapluie, pour qu’il nous protège de tous les maux. »
Cela dit, il se baissa pour retrousser son pantalon. Il ouvrit finalement son parapluie et resta un moment perplexe : « et maintenant, où vais-je ? Je tourne à droite ou à gauche ? Car Augusto n’était pas un marcheur, mais un passant de la vie. « J’attendrai que passe un chien – se dit-il – et je suivrai la première direction qu’il prendra. »
Sur ce, ce ne fut pas un chien qui passa dans la rue, mais une charmante jeune fille, et sans s’en rendre compte, comme aimanté par son regard, Augusto lui emboîta le pas.
Et ainsi une rue, puis une autre, et encore une autre.
« Mais, ce gamin – se disait Augusto, qui se parlait à lui même plus qu’il ne pensait –, qu’est-il en train de faire là-bas, allongé à plat ventre sur le sol ? Il contemple une fourmi, c’est sûr ! La fourmi, bah ! Un animal des plus hypocrites ! Elle ne fait rien d’autre que se promener en nous faisant croire qu’elle travaille. C’est comme ce bon à rien qui va là, au pas de course, en donnant des coups de coudes à tous ceux qu’il croise, je suis sûr qu’il n’a rien à faire. Qu’est-ce qu’il a à faire, hein, qu’est-ce qu’il a à faire ? ! C’est un fainéant, un fainéant comme… Non, je ne suis pas un fainéant ! Mon imagination va de bon train. Les fainéants ce sont eux, ceux qui disent qu’ils travaillent alors qu’ils ne font que s’étourdir et étouffer leur réflexion. Car, voyons voir, ce vaurien de chocolatier qui se met là, par exemple, derrière cette vitrine, à donner du rouleau cet idiot, pour qu’on le voie, cet exhibitionniste du travail, qu’est-il sinon un fainéant ? Et nous, qu’est-ce que ça peut nous faire qu’il travaille ou pas ? Le travail ! Le travail ! Hypocrisie ! Le vrai travail, c’est celui de ce pauvre paralytique qui vient par là en rampant à moitié… Mais, qu’est-ce que j’en sais moi ? Pardon, mon frère ! – il s’était dit cela à voix haute – . Mon frère ? Mon frère de quoi ? De paralysie ! On dit que nous sommes tous les enfants d’Adam. Et lui, Joaquinito, est-il aussi un enfant d’Adam ? Adieu, Joaquín ! Et allez, maintenant, on a l’inévitable automobile, le bruit et la poussière ! Et à quoi ça nous avance de réduire ainsi les distances ? La manie de voyager vient de la topophobie et non pas de la philotopie ; celui qui voyage beaucoup fuit, en réalité, chaque lieu qu’il laisse derrière lui et ne cherche pas chaque lieu où il arrive. Voyager… voyager… Le truc le plus gênant c’est le parapluie… Chut, qu’est-ce que c’est ? »
Et il s’arrêta à la porte d’un immeuble où la charmante jeune fille, qui l’avait aimanté avec ses yeux, venait d’entrer. C’est alors qu’Augusto se rendit compte qu’il l’avait suivie. La concierge de l’immeuble le regardait avec de petits yeux malicieux, et ce regard-là suggéra à Augusto ce qu’il devait faire maintenant. « Cette Cerbère attend – se dit-il – que je lui demande le nom de cette jeune fille que j’ai suivie ainsi que des renseignements la concernant et, c’est certainement ce qu’il convient de faire maintenant. L’autre solution serait d’abandonner ma filature sans couronnement, et ça non, les ouvrages doivent être terminés. Je hais l’imperfection ! » Il mit sa main dans sa poche, et ne trouva rien de plus qu’un douro. Ce n’était pas le moment d’aller le changer, il y perdrait du temps et une belle occasion.

***

Émeline nous propose sa traduction :

En ouvrant la porte de sa maison, Augusto étendit le bras droit, main ouverte, paume vers le bas, et, levant les yeux au ciel, il resta un instant immobile, dans cette attitude statuaire et auguste. Ce n’était pas qu’il prenait possession du monde extérieur, mais il observait s’il pleuvait. Et en recevant sur le dos de la main la fraîcheur de la lente bruine, il fronça les sourcils. Ce n’était pas que la fine pluie le dérangeait, mais plutôt d’avoir à ouvrir un parapluie. Il était si élégant, si svelte, bien plié dans son étui ! Un parapluie fermé est aussi élégant qu’un parapluie ouvert est laid. « C’est une peine que d’avoir à se servir des choses –pensa Augusto– ; devoir les utiliser, l’utilisation les bousille, et détruit même toute beauté. La fonction la plus noble des objets est d’être contemplés. Qu’une orange est belle avant d’être mangée ! Cela changera, une fois au ciel, quand tout notre travail se réduira, ou plutôt s’étendra, à contempler Dieu et toutes les choses en lui. Ici, dans cette pauvre vie, nous ne prenons pas soin de nous, mais nous servons Dieu ; nous prétendons l’ouvrir, comme un parapluie, pour qu’il nous protège de toute sorte de maux. »
Il dit cela et se baissa pour remonter son pantalon. Il ouvrit enfin le parapluie et resta un moment suspendu en pensant : « et maintenant, où est-ce que je vais ? A droite ou à gauche ? » Parce qu’Augusto n’était pas un marcheur, mais un promeneur de la vie. « J’attendrai qu’un chien passe –se dit-il– et je prendrai la direction que lui prendra. »
Sur ce, ce ne fut pas un chien qui passa dans la rue, mais une charmante jeune fille, et Augusto s’en alla, comme aimanté par ses yeux et sans même s’en rendre compte.
Et ainsi une rue, puis une autre, et encore une autre.
« Mais ce gamin –se disait Augusto, qui, plus que penser, se parlait à lui-même–, que fait-il là, couché à plat ventre sur le sol ? Observer une fourmi pour sûr ! La fourmi, bah ! Un des animaux les plus hypocrites ! A peine ne fait-il que se promener et nous faire croire qu’il travaille. C’est comme ce bon à rien qui avance, là, au pas de charge, en bousculant tous ceux qu’il croise, et il ne fait aucun doute qu’il n’a rien à faire. Qu’est-ce qu’il a à faire, bon sang, qu’est-ce qu’il a à faire ! C’est un fainéant, un fainéant comme… Non, moi je ne suis pas un fainéant ! Mon imagination ne se repose pas. Les fainéants se sont eux, eux qui affirment qu’ils travaillent et ne font rien d’autre que s’étourdir et étouffer leur pensée. Parce que, voyons voir, cet imbécile de chocolatier, qui se pose là, juste derrière cette vitrine à donner de ce rouleau idiot, pour qu’on le voie, cet exhibitionniste du travail, qu’est-ce que c’est à part un fainéant lui aussi ? Et nous, qu’est-ce que ça peut nous faire qu’il travaille ou non ? Le travail ! Le travail ! Hypocrisie ! Pour du travail, voilà celui de ce pauvre paralysé qui va là en se traînant à moitié… Mais, et qu’est-ce que j’en sais moi ? Pardon mon frère ! –il lui dit cela à voix haute– Frère ? Frère ? Comment ça ? Frère de paralysie ? On dit bien que nous sommes tous les fils d’Adam. Et celui-là, Joaquinito, lui aussi c’est un fils d’Adam ? Adieu, Joaquín ! Et allez, nous avons déjà l’inévitable automobile, que du bruit et de la poussière ! Et qu’est-ce qu’on y gagne à supprimer ainsi les distances ? La manie du voyage vient de la topophobie et non de la philotopie ; celui qui voyage beaucoup fuit de chaque lieu qu’il laisse derrière lui, et ne cherche pas chaque lieu où il arrive. Voyager… Voyager… Quel truc plus gênant que le parapluie… Tais-toi, qu’est-ce que c’est que ça ? »
Et il s’arrêta devant la porte d’une maison où était entrée la charmante jeune fille qui le traînait aimanté par ses yeux. Et Augusto se rendit alors compte qu’il l’avait suivie. La concierge de la maison le regardait avec de petits yeux pleins de malice, et ce regard suggéra à Augusto ce qu’il devait alors faire.
« Cette Cerbère attend –se dit-il– que je lui demande des informations et le nom de cette jeune fille que j’ai suivie, et c’est certainement ce qu’il convient de faire maintenant. Une autre affaire serait de laisser sans couronnement le fait de l’avoir suivie, et cela non, les œuvres doivent finir en beauté. Je hais l’imperfection ! » Il fourra la main dans sa poche et n’y trouva qu’un duro. Il n’était pas question alors d’aller faire de la monnaie, on perdrait son temps et une bonne occasion.

***

Laëtitia Sw nous propose sa traduction :

Sur le pas de sa porte, Augusto tendit le bras droit, ouvrit la main, la paume dirigée vers le bas, et resta un moment immobile, les yeux levés vers le ciel, dans cette position d’auguste statue. Non pas qu’il prît possession du monde extérieur, il observait seulement s’il pleuvait. La fraîcheur de la lente bruine qu’il reçut sur le dos de la main lui fit froncer les sourcils. Là encore, ce n’était pas tant le crachin qui l’incommodait que le fait de devoir ouvrir son parapluie. Il était si élégant, si svelte, plié, à l’intérieur de son fourreau ! Autant un parapluie fermé est élégant, autant un parapluie ouvert est laid.
« C’est malheureux d’avoir à se servir des choses – pensa Augusto – ; cette obligation d’usage gâte voire détruit toute beauté. La fonction la plus noble des objets est de nature contemplative. Comme une orange est belle avant d’être mangée ! Le ciel se trouvera changé lorsque tout notre office se réduira, ou plutôt, s’élargira à la contemplation de Dieu et de toutes les choses en Lui. Ici-bas, au cours de notre pauvre vie, nous ne nous soucions que de nous servir de Dieu ; nous cherchons à l’ouvrir, comme un parapluie, pour qu’il nous protège de toute sorte de maux. »
À ce point de ses réflexions, il se baissa pour retrousser le bas de son pantalon. Il finit par ouvrir son parapluie et resta un moment sans bouger, pensif : « et maintenant, vers où aller ? tournerai-je à droite ou à gauche ?» C’est qu’Augusto n’était pas un simple passant, mais un promeneur de la vie. « J’attendrai qu’un chien passe – se dit-il – et je suivrai la première direction qu’il prendra.»
Sur ce, passa dans la rue, non pas un chien, mais une jeune fille qui avait fière allure et Augusto se coula dans le sillage de son regard, comme aimanté, sans même s’en rendre compte.
Et il en fut ainsi une rue après l’autre.
« Mais ce gamin – se disait Augusto, qui, plus qu’il ne pensait, se parlait à lui-même –, que peut-il bien faire, là, étendu à plat ventre sur le sol ? Il contemple une fourmi, à coup sûr ! La fourmi, bah !, un des animaux les plus hypocrites ! Elle ne fait rien sinon se promener en nous faisant croire qu’elle travaille. C’est comme ce paresseux qui passe là, au pas de course, en donnant des coups de coude à tous ceux qu’il croise, il ne fait pas le moindre doute qu’il n’a rien à faire. Que peut-il bien avoir à faire, ma parole ! Que peut-il bien avoir à faire ! C’est un fainéant, un fainéant comme... Non, moi, je ne suis pas un fainéant ! Mon imagination ne connaît pas le repos. Les fainéants, ce sont ceux qui disent travailler alors qu’ils ne font rien d’autre que s’étourdir et étouffer la pensée. Tiens, prenons cet imbécile de chocolatier qui s’affaire là, derrière cette vitrine, maniant son stupide rouleau à pâtisserie, pour bien se faire voir, cet exhibitionniste du travail, qu’est-il au juste sinon un fainéant ? Qu’est-ce que ça peut bien nous faire, à nous, qu’il travaille ou non ? Le travail ! Le travail ! Quelle hypocrisie ! Que dire du travail de ce pauvre paralytique qui se traîne à moitié, là... Mais qu’est-ce que j’en sais, moi ? Pardon, mon frère ! – il avait dit cela à voix haute –. Mon frère ? Mon frère de quoi ? De paralysie ! On dit que nous sommes tous les fils d’Adam. Et lui, Joaquinito, est-il aussi le fils d’Adam ? Adieu, Joaquín ! Déjà que nous nous coltinons les voitures, le bruit et la poussière ! Qu’est-ce qu’on gagne à supprimer ainsi les distances ? La manie de voyager procède de la topophobie et non de la philotopie ; le voyageur infatigable est dans la fuite de chaque lieu qu’il quitte et non dans la quête de chaque lieu qu’il rejoint. Voyager... voyager... Quoi de plus encombrant comme truc qu’un parapluie... Chut ! Qu’est-ce que c’est que ça ? »
Il s’arrêta devant la porte d’une maison où était entrée la jeune femme à fière allure qui l’avait aimanté dans le sillage de son regard. Augusto s’aperçut alors qu’il l’avait suivie jusque-là. La concierge de la maison le regardait avec de petits yeux malicieux, et ceux-ci suggéraient à Augusto la conduite à tenir. « Cette Cerbère s’attend – se dit-il – à ce que je lui demande le nom de cette jeune fille que j’ai suivie et quelques autres renseignements à son propos. Oui, c’est certainement dans cet état d’esprit qu’elle se trouve. Une autre possibilité serait de laisser ma filature sans suite, mais non, il faut toujours achever le travail commencé. Je déteste l’imperfection ! » Il mit la main dans sa poche et n’y trouva qu’un douro. Ce n’était pas le moment d’aller faire de la monnaie, ce serait du temps et une occasion de perdus.

***

Sonita nous propose sa traduction :

Lorsqu’Augusto parut sur le seuil de sa maison il tendit le bras droit, avec la paume de la main ouverte vers le bas, il jeta un regard vers le ciel et il resta un moment immobile dans cette attitude statuaire et auguste. Il ne s’agissait pas pour lui de s’approprier le monde extérieur mais plutôt de regarder s’il pleuvait. Et quand il reçut dans le dos de sa main la fraîcheur de la lente bruine il fronça les sourcils. Il ne s’agissait pas non plus du fait que la bruine l’embêtait mais plutôt le fait de devoir ouvrir le parapluie. Il était si élégant, si svelte, plié et dans son fourreau ! Un parapluie fermé est aussi élégant qu’un parapluie ouvert est moche.
« C’est d’une poisse de devoir se servir des choses » – pensa Augusto – ; devoir les utiliser, l’usage abîme et détruit même toute beauté. La fonction des objets les plus nobles est d’être contemplés. Quelle beauté celle d’une orange avant d’être mangée ! Ceci changera dans le ciel quand notre travail se réduise ou, mieux dit, s’élargisse à contempler Dieu et toutes les choses en Lui. Ici bas, sur cette pauvre terre, nous ne faisons pas d’autre chose que de nous servir de Dieu : nous prétendons l’ouvrir, comme on ouvre un parapluie, pour qu’il nous protège de tous les maux. » Il se dit cela et se pencha pour retrousser son pantalon. Il ouvrit enfin le parapluie et resta un moment perplexe en pensant : « et maintenant, où vais-je ?, je prends à droite ou à gauche ? » Parce qu’Augusto n’était pas un marcheur, mais plutôt un promeneur de la vie.
« J’attendrai qu’un chien passe – se dit-il – et je prendrai la direction initiale qu’il prenne. Sur ce, passa dans la rue non pas un chien mais une élégante jeune fille, et il s’en alla derrière ses yeux, comme aimanté sans qu’il s’en rende compte. Et il la suivit dans une rue, puis dans une autre, et une autre. « Mais ce gamin – se disait Augusto, qui se parlait à lui-même plus qu’il ne pensait en son fort intérieur – Que fait-il là, étalé à plat ventre parterre ? Il doit certainement contempler une fourmi ! La fourmi, bah ! L’un des animaux les plus hypocrites ! Elle ne fait que se promener et nous faire croire qu’elle travaille. C’est comme ce fainéant qui va là, au pas lent, qui pousse du coude tous ceux qu’il croise, et je suis certain qu’il n’a rien à faire. Qu’a-t-il à faire hein, qu’a-t-il bien à faire ? C’est un fainéant, un fainéant comme… Non, je ne suis pas un fainéant, moi ! Mon imagination ne se repose pas. Ce sont eux les fainéants, ceux qui disent qui travaillent et ne font s’étourdir et noyer la pensée. Parce que, voyons voir, ce pauvre type de chocolatier, qui se met là, derrière cette vitrine, qui fait l’idiot, pour qu’on le voie, cet exhibitionniste du travail. Qu’est-il sinon un fainéant ? Et nous ? Qu’est-ce qu’on à faire s’il travaille ou non ? Le travail ! Le travail ! Hypocrisie ! Ce pauvre paralytique qui va là et traîne à moitié par terre, lui oui, il travaille… Mais, que sais-je ? Pardon mon frère ! – il lui dit cela à voix haute – Frère ? Frère au nom de quoi ? Frère de paralysie ! On dit que nous sommes tous les fils d’Adam. Et celui-ci, Joaquinito, il est aussi le fils d’Adam ? Au revoir Joaquín ! Et bien, nous avons déjà l’inévitable voiture, du bruit et de la poussière ! Et, que gagne-t-on à supprimer ainsi les distances ? La manie de voyager vient de topophobie et non pas de topophilie ; celui qui voyage beaucoup fuit chaque endroit qu’il quitte, il ne cherche pas chaque endroit où il arrive. Voyager… Voyager… Quelle mauvaise blague le parapluie… Tais-toi, qu’est-ce que c’est que ça ? »
Et il s’arrêta devant la porte de la maison où l’élégante jeune femme qui l’avait mené aimanté derrière ses yeux était entrée. Et il se rendit compte alors qu’Augusto l’avait suivie. La concierge de la maison le regardait avec des petits yeux malicieux, et ce regard suggéra à Augusto ce qu’il devait faire. « Cette bonne femme attend – se dit-il – que je lui demande le nom et l’état civil de cette jeune femme que j’ai suivie, et ceci est, certainement, ce qui s’ensuit. L’autre option serait de laisser ma poursuite sans couronnement, et ça il n’en est pas question, on doit terminer ce que l’on commence ! Je haïs l’imperfection ! » Il mit la main dans poche et il n’y trouva qu’un sou. Alors, ce n’était pas nécessaire d’aller le changer, on perdrait du temps et l’occasion en allant le faire.

***

Laëtitia So nous propose sa traduction :

Lorsqu’Augusto apparut à la porte de sa maison il tendit le bras droit, la paume de la main ouverte face au sol, et dirigeant son regard vers le ciel il resta un moment arrêté dans cette position statuaire et auguste. Ce n’était pas qu’il prenait possession du monde extérieur, mais plutôt qu’il observait s’il pleuvait. Et en recevant sur le dos de la main la fraîcheur de la lente bruine il fronça les sourcils. Et ce n’était pas non plus que la pluie le dérangeait, mais plutôt le fait de devoir ouvrir son parapluie. Il était si élégant, si svelte, plié dans sa housse ! Un parapluie fermé est aussi élégant qu’un parapluie ouvert est laid.
« Quel malheur de devoir se servir des choses –pensa Augusto- ; de devoir les utiliser, l’utilisation endommage et détruit même toute beauté. La fonction la plus noble des objets est celle d’être contemplés. Comme une orange est belle avant d’être mangée ! Cela changera au ciel quand tout notre travail se réduira, ou plutôt s’élargira à contempler Dieu et toutes les choses en lui. Ici, dans cette pauvre vie, nous ne prenons soin que de nous servir de Dieu ; nous prétendons l’ouvrir, comme un parapluie, pour qu’il nous protège de toute sorte de maux. »
Se dit-il ainsi et il se baissa pour retrousser son pantalon. Il ouvrit enfin le parapluie et resta un moment en suspens à penser : « et maintenant, je vais vers où, je tourne à droite ou à gauche ? »
Parce qu’Augusto n’était pas un marcheur, mais plutôt un promeneur de la vie. « J’attendrai qu’un chien passe –se dit-il- et je prendrai la direction initiale qu’il aura prise. »
A ce moment-là ce n’est pas un chien qui passa dans la rue, mais plutôt une jeune fille charmante, et Augusto partit guidé par ses yeux, comme aimanté et sans s’en rendre compte.
Et il en fut ainsi rue après rue.
« Mais ce gamin –pensait Augusto, qui plus qu’il ne pensait, se parlait à lui-même-, que fait-il là, allongé à plat ventre sur le sol ? Il contemple une fourmi, sans doute ! La fourmi, pff, un des animaux les plus hypocrites ! C’est à peine si elle fait autre chose que se promener et nous faire croire qu’elle travaille. C’est comme l’autre paresseux, qui marche d’un pas lourd, poussant du coude toutes les personnes qu’il croise, je suis sûr qu’il n’a rien à faire. Qu’est-ce qu’il peut bien avoir à faire, enfin, qu’est-ce qu’il peut bien avoir à faire ! C’est un fainéant, un fainéant comme... Non, moi je ne suis pas un fainéant ! Mon imagination ne connaît pas le repos. Ce sont eux les fainéants, les gens qui disent qu’ils travaillent et qui ne font que s’étourdir et noyer leur pensée. Parce que, voyons, ce fantoche de chocolatier qui se met là, derrière cette vitrine, à manipuler son rouleau débile, pour qu’on puisse le voir, cet exhibitionniste du travail, qu’est-il sinon un fainéant ? Et nous, en quoi cela nous intéresse qu’il travaille ou pas ? Le travail ! Le travail ! Quelle hypocrisie ! Quel travail celui de ce pauvre paralytique qui marche presque en se traînant... Mais qu’est-ce que j’en sais ? Pardon, mon frère ! –lui dit-il à voix haute cette fois-ci-. Mon frère ? Frère de quoi ? De paralysie ! On dit que nous sommes tous les fils d’Adam. Et Joaquinito, lui aussi c’est le fils d’Adam ? Salut, Joaquin ! Eh bien, nous avons déjà l’inévitable automobile, du bruit et de la poussière ! Mais qui s’avance à supprimer ainsi les distances ? La manie de voyager vient de la topophobie et non de la philotopie ; celui qui voyage beaucoup fuit chaque lieu qu’il laisse derrière lui et n’accourt pas vers chaque lieu où il arrive. Voyager... Voyager... C’est vraiment gênant ce truc, le parapluie... Tais-toi, mais qu’est-ce que c’est ? »
Et il s’arrêta devant la porte de la maison où était entrée la jeune fille charmante qui avait guidé ses yeux aimantés. C’est alors qu’Augusto prit conscience qu’il l’avait suivie. La concierge de la maison le regardait avec de petits yeux malicieux, et ce regard suggéra à Augusto ce qu’il devait faire. « Cette Cerbère attend –pensa-t-il- que je lui demande le nom et la situation de cette demoiselle que j’ai suivie, c’est certainement ce qu’il convient de faire maintenant. Je pourrais sinon laisser ma filature sans couronnement, mais cela non, les œuvres doivent être achevées. Je déteste l’imperfection ! » Il mit la main dans sa poche et n’y trouva qu’une grosse pièce. Il ne pouvait pas se permettre de faire la monnaie, il y perdrait du temps ainsi que cette opportunité.

5 commentaires:

Sonita a dit…

Mon message va divisé en 2 car la rubrique commentaire n'accepte pas autant de "caractères"!!!

Ce que je vous délivre ici c’est un travail assez laborieux, certes, mais auquel je prends du plaisir. Décortiquer vos traductions en me basant sur ma perception du texte initial me permet de voir où j’ai péché - hihihi – et j’en ai repéré des choses aberrantes dans ma traduction après avoir lu les vôtres… Je pense notamment à ma traduction de «a paso de carga» par au pas lent ou encore « Cerbera » par Cette bonne femme , c’est à me taper sur les doigts car je n’ai simplement pas cherché « Cerbera » car je serai tout naturellement tombée sur Cerbère le chien de garde des enfers ! Enfin, comme quoi, c’est bien difficile d’échapper aux petites étourderies… mais pas impossible, je veux croire !
Aussi, vous remarquerez une question récurrente à chacune de vous dans mon « analyse » - et c’est là un bien grand mot – de vos traductions : Vous avez toutes traduit «a darle al rollo majadero » par une idée de rouleau… Bien qu’il me semble que c’est l’idée de travailler, et au fond je suis d’accord avec vous, j’aimerais savoir pourquoi vous en êtes toutes arrivées là ?
Et enfin, une question technique : y a-t-il un site ou quelque chose dans le genre où je peux chercher les équivalents des valeurs monétaires… Vous avez choisi de traduire « duro » par douro. Où est-ce que vous avez trouvé cette équivalence ?
Une dernière question d’ordre général, suis-je la seule à avoir trouvé qu’Augusto est un brin schizophrène ? Il y a un peu de schizophrénie dans ce personnage d’Unamuno ? Si c’est le cas, comment rendre cela dans le texte en français ?....
Voici maintenant mes impressions sur vos traductions…. ! Cela me ferait plaisir de lire vos réponses car cela aidera aussi à construire notre réflexion autour de la traduction de ce texte en particulier, et de l’exercice de traduction, en général.

Sonita a dit…

Coralie :
Pourquoi tu as choisi de traduire «orvallo» par crachin ?
Puis, tu as traduit «a darle al rollo majadero » par à donner du rouleau à pâtisserie , pourquoi ?
Tu as choisi de traduire «Para trabajo el de ese pobre paralítico que va ahí medio arrastrándose... » par Quel travail que celui de ce pauvre paralytique qui vient par là, presqu’en rampant…. Or, il me semble que ce n’est pas vraiment le sens de la phrase en espagnol. Je crois comprendre qu’Unamuno attribue à ce paralytique les caractéristiques du vrai travailleur, tu ne crois pas ?

Amélie :
Pourquoi tu as choisi de traduire «a darle al rollo majadero » par à jouer du rouleau ?
Il me semble que dans cette phrase celle dont le regard l’avait hypnotisé , l’utilisation de « celle » n’est pas nécessaire puisque c’est du regard de la jeune fille dont il s’agit et, juste avant ta phrase avec « celle » tu as écrit : la charmante jeune fille , qu’est-ce que tu en penses ?

Auréba :
Pourquoi tu as choisi de traduire «orvallo» par crachin ?
Tu as traduit la phrase «cuando todo nuestro oficio se reduzca, o más bien se ensanche a contemplar a Dios» ainsi : quand toute notre fonction se réduira ou s´étendra à contempler Dieu . Tu as volontairement choisi de ne pas traduire « o más bien » ou c’est un simple oubli ? Si c’est volontaire, pourquoi tu l’as fait ?
Aussi, tu as traduit « Augusto no era un caminante” par Augusto n´était pas un voyageur à pied , pourquoi ?
Pourquoi tu as choisi de traduire «a darle al rollo majadero » par à piler le chocolat ?
Pour du travail, ce pauvre paralytique qui va là presque en rampant? : Pourquoi tu en fais une phrase interrogative ?

Chloé :
au le ciel : certainement une petite erreur de frappe ?
Pourquoi tu as choisi de traduire «a darle al rollo majadero » par à donner du rouleau ?

Émeline :
et toutes les choses en lui : peut-être une erreur de frappe car le L de lui devrait être avec majuscule.
Il me semble que dans cette phrase nous ne prenons pas soin de nous tu as fait un contresens. Ceci dit, c’est vrai que dans le texte qui nous a été donné «no nos cuidamos sino de servimos de Dios » il y a comme une coquille, non ? Ce qui rend un peu plus difficile à l’heure de traduire…
A peine ne fait-il que se promener : Pourquoi il ? La fourmi ?
Pourquoi tu as choisi de traduire «a darle al rollo majadero » par à donner de ce rouleau idiot ?
jeune fille qui le traînait aimanté par ses yeux , pourquoi tu as choisi le verbe « traîner » ?
les œuvres doivent finir en beauté , pourquoi choisir cette expression « finir en beauté » ?

Laëtitia Sw:
Pourquoi tu as traduit «llovizna» par crachin ?
Aussi, tu as traduit « Augusto no era un caminante” par Augusto n’était pas un simple passant , pourquoi ?
Pourquoi tu as choisi de traduire «a darle al rollo majadero » par maniant son stupide rouleau à pâtisserie ?
Tu as choisi de traduire «Para trabajo el de ese pobre paralítico que va ahí medio arrastrándose... » par Que dire du travail de ce pauvre paralytique qui se traîne à moitié, là... .
Mais, tu en fais une question indirecte « Que dire ». Pour ma part, je crois comprendre qu’Unamuno attribue à ce paralytique les caractéristiques du vrai travailleur, tu ne crois pas ?
Déjà que nous nous coltinons les voitures , pourquoi tu choisis le verbe « coltiner » ?

Merci à toutes!

coralie a dit…

Sonita,
j'ai choisi de traduire "orvallo" par "crachin" puisque la definition donnée par la Real Academia est "llovizna", soit "lluvia menuda que cae blandamente". "Llovizna" et "orvallo" étant synonymes, "llovizna" apparaissant quelques lignes plus bas dans le texte, il m'a donc fallu utiliser deux mots différents et synonymes en français "crachin" (petite pluie fine et pénétrante) et "bruine" (petite pluie très fine).
Pour "donner du rouleau", il me semble que c'est une tournure courante en français, qui voudrait dire "utiliser" mais d'une façon plus imagée peut être.
En ce qui concerne ta dernière remarque, j'ai traduit cette phrase comme je l'ai comprise mais il se peut tout à fait que je me sois trompée...

Auréba a dit…

Buenas..
J´apprécie beaucoup ton initiative, Sonita, de nous inviter à échanger à propos de nos traductions.Je vais répondre à tes questions dans l´ordre
1) traduction de "orvallo" par crachin. Dans le dictionnaire bilingue de Maravall et Pompidou, j´ai trouvé pour "orvallo" bruine et crachin. Ce sont donc des synonymes. Comme il y a deux termes différents en espagnol dans le texte( orvallo et llovizna), j´ai tout simplement choisi d´utiliser les deux termes français, "crachin" pour l´un, et "bruine" pour l´autre.
2) Pour "o más bien", il est vrai que j´ai bien lu "más bien" et sans bien y réflechir, j´ai préféré ne pas traduire, ce qui n´est pas bien. J´aurais dû le traduire commes vous l´avez toutes fait.
3)Pour traduire "caminante", j´ai copié ce que j´ai trouvé dans le larousse bilingue "voyageur à pied"
4) Pour traduire, "darle al rollo majadero", je n´ai pas trouvé de traduction convenable parce que je ne savais pas ce que ça voulait dire. J´ai regardé dans le María Moliner "rollo",
dans la 2ème aception, il est écrit: "rodillo que se emplea para usos de cocina para fabricar el chocolate y cosas semejantes". J´ai regardé aussi "majadero"; comme première aception, je lis "mano del mortero". En même temps, c´est écrit ( de "majar"). En regardant le verbe "majar", je lis "Triturar una cosa que tiene algo de humedad machacándola, por ejemplo, en el mortero con la mano del almírez". C´est pour ça que j´ai "écrit à piler le chocolat". J´imaginais le chocolatier derrière la "porte vitrée" ( "vidriera") en train de piler le chocolat, le mortier à la main, tout en regardant ce qui se passe dehors. Il se peut que je me trompe complètement. Je pense qu´il fallait traduire l´idée qu´il faisait mine de travailler, il faudrait demander à plusieurs hispanophones si "dar al rollo majadero" est une expression idiomatique. J´en ai l´impression. Mais je ne sais pas.Si c´est une expression idiomatique, il y a un jeu idiomatique de la part du narrateur qui utilise une expression dans laquelle on retrouve des ustensils qu´utilise le chocolatier. Il y a une sorte d´humour cynique.
5) pour traduire "Para trabajo el de ese pobre que va ahí..", il est vrai que je n´aurais pas dû mettre de point d´interrogation. Je pense avoir fait un bon contresens. J´imaginais Augusto poser une question rhétorique pour dire en quelques sortes de façon ironique que ce n´est pas pour du travail que ce paralythique se traîne. Je ne sais pas. Peut être que ça signifie que pour ce paralythique, se déplacer "le cuesta trabajo", que lui, il peine pour simplement se déplacer alors que le travail du chocolatier, " c´est de la tarte".

Sonita a dit…

Je voudrais remercier Coralie et Auréba de "s'être laisser prendre au jeu"... quel dommage que les autres ne se laissent pas tenter!
Ceci dit, je respecte totalement vos raisons, quelles qu'elles soient, bien entendu!

un abrazo.