vendredi 18 décembre 2009

Votre version de la semaine, Arenas

En photo : 0000237854-002, par cristee12

Mi madre acaba de salir corriendo de la casa. Y como una loca iba gritando que se tiraría al pozo. Veo a mi ma­dre en el fondo del pozo. La veo flotar sobre las aguas verdosas y llenas de hojarasca. Y salgo corriendo hacia el patio, donde se encuentra el pozo, con su brocal casi ca­yéndose, hecho de palos de almácigo.
Corriendo llego y me asomo. Pero, como siempre : so­lamente estoy yo allá abajo. Yo desde abajo, reflejándome arriba. Yo, que desaparezco con sólo tirarle un escupitajo a las aguas verduscas.
Madre mía, ésta no es la primera vez que me engañas : todos los días dices que te vas a tirar de cabeza al pozo, y nada. Nunca lo haces. Crees que me vas a tener como un loco, dando carreras de la casa al pozo y del pozo a la casa. No. Ya estoy cansado. No te tires si no quieres. Pero tampoco digas que lo vas a hacer si no lo harás.
Lloramos detrás del mayal viejo. Mi madre y yo, llo­ramos. Las lagartijas son muy grandes en este mayal. ¡Si tú las vieras! Las lagartijas tienen aquí distintas formas. Yo acabo de ver una con dos cabezas. Dos cabezas tiene esa lagartija que se arrastra.
La mayoría de estas lagartijas me conocen y me odian. Yo sé que me odian, y que esperan el día... «¡Cabronas!», les digo, y me seco los ojos. Entonces cojo un palo y las caigo atrás. Pero ellas saben más de la cuenta, y enseguida que me ven dejan de llorar, se meten entre las mayas, y desaparecen. La rabia que a mí me da es que yo sé que ellas me están mirando mientras yo no las puedo ver y las busco sin encontrarlas. A lo mejor se están riendo de mí.
Al fin doy con una. Le descargo el palo, y la trozo en dos. Pero se queda viva, y una mitad sale corriendo y la otra empieza a dar brincos delante de mí, como diciéndome: no creas, verraco, que a mí se me mata tan fácil.
«¡Animal!», me dice mi madre, y me tira una piedra en la cabeza. «¡Deja a las pobres lagartijas que vivan en paz!» Mi cabeza se ha abierto en dos mitades, y una ha salido corriendo. La otra se queda frente a mi madre. Bai­lando. Bailando. Bailando.
Bailando estamos todos ahora sobre el techo de la casa. ¡Qué de gente sobre el techo! A mí me encanta en­caramarme en las pencas de guano, y siempre encuentro algún que otro nido de totises acá arriba. Yo no me como los huevos de los totises, porque dicen que siempre están podridos, y entonces lo que hago es que se los tiro a la cabeza a mi abuelo, que siempre que me ve arriba de la casa, coge la vara larga de desmochar palmas y empieza a juzgarme como si yo fuera un racimo de palmiches. Uno de los huevos se le ha reventado a mi abuelo en un ojo, y yo no sé por qué, pero a mí me parece que se ha quedado tuerto. Pero no: a ese viejo hay que sacarle los ojos con una garrocha, porque lo que tiene ahí es más duro que el fondo de una caneca.

Reinaldo Arenas, Celestino antes del alba, 2000

***

Laëtitia Sw nous propose sa traduction :

Ma mère vient de sortir en courant de la maison. Et comme une folle elle criait qu’elle allait se jeter dans le puits. Je vois ma mère au fond du puits. Je la vois flotter sur les eaux verdâtres et pleines de feuilles mortes. Je sors en courant vers le patio, où se trouve le puits, avec sa margelle presque éboulée, faite de bouts de bois de lentisque.
J’arrive en courant et je me penche. Mais, comme toujours : il n’y a que moi là en bas. Moi d’en bas me reflétant en haut. Moi, qui disparais en lançant seulement un crachat dans les eaux verdâtres.
Ma mère, ce n’est pas la première fois que tu me trompes : tous les jours tu dis que tu vas te jeter la tête la première dans le puits, et rien. Tu ne le fais jamais. Tu crois que tu vas me rendre fou, à force de courir de la maison au puits et du puits à la maison. Non. Désormais, je suis fatigué. Ne t’y jettes pas si tu ne veux pas. Mais ne dis pas non plus que tu vas le faire si après tu ne le fais pas.
Nous pleurons derrière le vieux pressoir. Ma mère et moi, nous pleurons. Les lézards sont très gros dans ce pressoir. Si tu les voyais ! Les lézards ont différentes formes ici. Je viens d’en voir un à deux têtes. Ce lézard qui se traîne a deux têtes.
La plupart de ces lézards me connaissent et me détestent. Je sais qu’ils me détestent, et qu’ils attendent le jour... « Salauds ! », leur dis-je, et je sèche mes yeux. Alors je prends un bâton et je leur tombe dessus. Mais ils en savent long, et dès qu’ils me voient arrêter de pleurer, ils se faufilent entre les pâquerettes, et ils disparaissent. Ce qui me fait enrager, c’est que je sais qu’ils sont en train de me regarder alors que moi, je ne peux pas les voir et que je les cherche sans les trouver. Peut-être qu’ils se moquent de moi.
À la fin, j’en touche un. Je lui assène un coup de bâton et je le coupe en deux. Mais il est toujours vivant, une moitié part en courant et l’autre commence à sautiller devant moi, comme pour me dire : ne crois pas, gros bêta, qu’on me tue si facilement.
« Espèce de brute ! », me dit ma mère, et elle me jette une pierre à la tête. « Laisse ces pauvres lézards vivre en paix ! » Ma tête s’est ouverte en deux moitiés, l’une est partie en courant. L’autre reste face à ma mère. En train de danser. Danser. Danser.
Nous sommes tous en train de danser maintenant sur le toit de la maison. Que de monde sur le toit ! Moi, j’adore grimper dans les feuilles charnues de guano (1), je trouve toujours quelques nids de totises (2) là haut. Moi, je ne mange pas les œufs des totises, parce qu’on dit qu’ils sont toujours pourris, ce que je fais alors c’est que je les jette à la tête de mon grand-père, qui, chaque fois qu’il me voit en haut de la maison, prend la longue perche servant à écimer les palmiers et se met à me traiter comme si j’étais un régime de dattes. Un des œufs atteint mon grand-père à un œil, et je ne sais pas pourquoi, mais il me semble qu’il est borgne. Mais non : à ce vieux, il faut lui extirper les yeux avec une pique, parce que ce qu’il a là est plus dur que le fond d’un cruchon.

(1) guano : variété de palmier cubain
(2) totises : oiseaux cubains de couleur noire

***

Auréba nous propose sa traduction :

Ma mère vient de sortir en courant de la maison. Et comme une folle, elle criait à tout va qu’elle se jetterait dans le puits. Je vois ma mère au fond du puits. Je la vois flotter sur les eaux verdâtres et pleines de feuilles mortes. Et je sors en courant vers le patio, où se trouve le puits, avec sa margelle qui part presque en morceaux, faite en bois de lentisque.
En courant j’arrive et me penche. Mais comme toujours, il n’y a que moi là en- bas. Moi d’en haut, me reflétant en haut. Moi qui disparais quand je crache dans les eaux verdâtres.
Maman, ce n’est pas la première fois que tu me trompes : tous les jours tu dis que tu vas te jeter la tête la première dans le puits, puis rien. Tu ne le fais jamais. Tu penses que tu vas me rendre dingue, en faisant des va-et-vient de la maison au puits et du puits à la maison. Non. J’en ai assez. Ne te jette pas si tu ne veux pas. Mais ne dis pas non plus que tu vas le faire si tu ne le feras pas.
Nous pleurons derrière notre vieux fléau. Ma mère et moi, nous pleurons. Les lézards sont très gros sur ce fléau. Si tu les voyais! Les lézards ont ici différentes formes. Je viens d’en voir un à deux têtes. Il a deux têtes, ce lézard qui grimpe.
La plupart de ces lézards me connaissent et me détestent. Moi je sais qu’ils me détestent, et qu’ils attendent le jour … « Connards!», je leur dis, et je sèche mes larmes. Alors je prends un bâton et les fais tomber en arrière. Mais ils sont loin d’être bêtes, et dès qu’ils me voient ils arrêtent de pleurer, se mettent entre les pâquerettes, et disparaissent. Ce qui me met vraiment en colère c’est de savoir qu’ils sont en train de me regarder alors que moi, je ne peux pas les voir et que je les cherche sans les trouver. Ils sont peut-être en train de se moquer de moi. Enfin j’en déniche un. Je lui donne un gros coup de bâton, et le coupe en deux. Mais il demeure vivant, et une moitié part en courant et l’autre commence à faire des bonds devant moi, l’air de dire : ne crois pas, vieux putois, que moi on peut me tuer comme ça. « Sale brute ! », me dit ma mère, et elle me jette une pierre sur la tête. « Laisse donc ces pauvres lézards vivre en paix ! » Ma tête s’est ouverte en deux moitiés, et l’une d’elles est partie en courant. L’autre reste en face de ma mère. En train de danser. En train de danser. En train de danser.
Nous sommes tous en train de danser maintenant sur le toit de la maison. Qu’est-ce qu’il y a du monde sur le toit ! J’adore me jucher sur les feuilles charnues de guano, et je trouve toujours quelques nids de totis là-haut. Moi je ne mange pas les œufs des totis, parce qu’on dit qu’ils sont toujours pourris, alors ce que je fais, c’est que je les jette sur la tête de mon grand-père, qui me voit toujours en-haut de la maison, il prend la grande perche qui sert à écimer les palmiers et commence à me jauger comme si j’étais un régime de fruits de palmier. Un des œufs a éclaté dans l’œil de mon grand-père, et je ne sais pas pourquoi, mais moi, je crois qu’il est resté borgne. Mais non : à ce vieux, il faut lui arracher les yeux avec un croc, parce que ce qu’il a là, c’est plus dur que le fond d’un cruchon à liqueur.

***

Pascaline et Loïc nous proposent leur traduction commune :

Ma mère vient juste de sortir de la maison en courant. Comme une folle, elle criait qu’elle se jetterait dans le puits. J’imagine ma mère au fond du puits. Je la vois flotter sur les eaux verdâtres et pleines de feuilles mortes. Je me précipite dans la cours, à l’endroit où se trouve le puits, dont la margelle en bois de lentisque manque de tomber.
J’arrive en courrant et me penche. Mais, comme toujours : il n’y a que moi là, en bas. Moi en bas, mon reflet en haut. Moi, qui disparais en un crachat dans les eaux verdâtres.
Mon dieu, ce n’est pas la première fois que tu me fais ce coup-là : tous les jours tu me dis que tu vas te jeter la tête la première dans le puits, et en fait, rien. Tu ne le fais jamais. Tu crois que je vais être là comme un fou, à faire des aller-retour de la maison au puits et du puits à la maison ? Non. Je suis fatigué. Ne t’y jette pas si tu ne le veux pas. Mais ne dis pas non plus que tu vas le faire si tu ne compte pas le faire.
Nous pleurons derrière le vieux fléau. Ma mère et moi, nous pleurons. Les petits lézards sont très grands dans ce fléau. Si tu les voyais ! Ici, les petits lézards ont des formes différentes. Je viens d’en voir un avec deux têtes. Ce petit lézard qui se traîne a deux têtes.
La plupart de ces petits lézards me connaissent et me haïssent. Je sais qu’ils me détestent, et qu’ils attendent le jour où… « Espèce d’enfoirés ! », que je leur dis en séchant mes larmes. Alors je prends un bâton pour les faire tomber en arrière. Mais il en savent un peu trop, et dès qu’ils me voient, ils cessent de pleurer, se réfugient dans les pâquerettes et disparaissent. Ce qui m’énerve, c’est que je sais qu’ils sont en train de m’observer alors que moi, je ne peux pas les voir et donc, je les cherche sans les trouver. Si ça se trouve, ils sont en train de se moquer de moi.
Je finis enfin par en attraper un. Je lui donne un coup de bâton, et le coupe en deux. Mais il est encore en vie : une moitié part en courant, l’autre se met à sauter devant moi, comme pour me dire : n’imagine pas qu’on peut me tuer aussi facilement, pauvre crétin.
« Sale brute ! », me crie ma mère qui me lance une pierre à la tête. « Laisse ces pauvres lézards tranquille ! ». J’ai la tête coupée en deux : une partie s’est enfuie en courant, l’autre reste face à ma mère, en dansant, en dansant, en dansant.
Maintenant, on est tous en train de danser sur le toit de la maison. Il y a tant de monde sur le toit ! J’adore grimper aux feuilles de palmier, car j’y trouve toujours un ou deux nids de merles. Je ne mange pas les œufs de merles, parce qu’on dit qu’ils sont toujours pourris ; donc moi, ce que je fais, c’est que je les jette au visage de mon grand-père qui, chaque fois qu’il me voit en haut de la maison, prend un long bâton qui sert à étêter les palmiers et se met à me prendre pour une grappe de fruits. Un des œufs a éclaté dans l’œil de mon grand-père, et je ne sais pas pourquoi, mais j’ai l’impression que ça l’a rendu borgne. Mais non : c’est avec une pique qu’il faut lui arracher les yeux à ce vieux ; c’est qu’il est plus dur que le fond d’un bidon celui-là !

***

Laëtitia So nous propose sa traduction :

Ma mère vient de sortir de la maison en courant. Et elle hurle comme une folle qu’elle va se jeter dans le puits. Je vois ma mère dans le fond du puits. Je la vois flotter sur les eaux verdâtres et pleines de feuilles mortes. Je me précipite vers la cour, où se trouve le puits, avec sa margelle presque effondrée, faite en bois de gommier rouge.
J’arrive en courant et je me penche. Mais, comme toujours : il n’y a que moi en bas. Moi d’en bas, qui me reflète en haut. Moi, qui disparaît rien qu’en crachant dans les eaux verdâtres.
Sainte Mère de Dieu, ce n’est pas la première fois que tu réussis à m’avoir : tous les jours tu dis que tu vas te jeter la tête la première dans le puits, et rien. Tu ne le fais jamais. Tu crois que tu vas me rendre fou, à faire la course de la maison au puits et du puits à la maison. Non. J’en ai marre maintenant. Ne t’y jette pas si tu ne veux pas. Mais ne dis pas non plus que tu vas le faire si tu ne le fais pas. Nous pleurons derrière le vieux moulin. Ma mère et moi, nous pleurons. Les petits lézards paraissent très grands sur ce moulin. Si tu les voyais ! Les petits lézards ont des formes différentes ici. Je viens d’en voir un à deux têtes. Il a deux têtes ce petit lézard qui se traîne.
La plupart de ces petits lézards me connaissent et me détestent. Je sais qu’ils me détestent, et qu’ils attendent le jour... « Salauds ! », leur dis-je, et je sèche mes larmes. Alors je prends un bâton et je les fais tomber en arrière. Mais ils en savent plus que de raison, et dès qu’ils me voient arrêter de pleurer, ils se faufilent entre les pâquerettes, et disparaissent. Ce qui me fait enrager c’est de savoir qu’ils me regardent alors que moi je ne peux pas les voir et je les cherche sans les trouver. Si ça se trouve ils se moquent de moi. J’en attrape enfin un. Je lui flanque une dérouillée avec mon bâton qui le fend en deux. Mais il est encore vivant, et une moitié s’enfuit à toutes jambes et l’autre commence à faire des bonds devant moi, comme s’il me disait : ne crois pas gros malin, qu’on peut me tuer aussi facilement.
« Grosse brute! », me dit ma mère, et elle me jette un caillou à la tête. « Laisse les pauvres petits lézards vivre en paix ». Ma tête s’est ouverte en deux parties, et l’une des deux a détalé. L’autre reste devant ma mère. A danser. Danser. Danser.
Nous voilà tous à danser maintenant sur le toit de la maison. Que de monde sur le toit ! J’adore me hisser sur les feuilles de palmier, je trouve toujours un nid de passereaux là-haut. Je ne mange pas les œufs de passereaux, parce qu’il paraît qu’ils sont toujours pourris, alors je les jette à la tête de mon grand-père, qui lorsqu’il me voit en haut de la maison prend toujours la tige qui sert à écimer et commence à me traiter comme un régime de palmier royal. Un des œufs s’est éclaté dans l’œil de mon grand-père, et je ne sais pas pourquoi, mais il me semble qu’il en est ressorti borgne.
Mais non : ce vieux-là il faut lui extraire les globes oculaires avec une perche, parce ce que ce qu’il a à l’intérieur est plus dur que le fond d’une cruche.

***

Sonita nous propose sa traduction :

Ma mère vient de sortir en courant de la maison. Et, comme une folle elle criait qu’elle allait se jeter dans le puits. Je vois ma mère au fond du puits. Je la vois qui flotte dans les eaux verdâtres pleines de feuilles mortes. Et je sors en courant vers la terrasse, où se trouve le puits, avec sa gaine sur le point de tomber, faite de bâtons de mastic.
J’y arrive en courant et je me penche. Mais, comme toujours, il n’y a que moi en bas. Moi d’en bas qui se reflète en haut. Moi, qui disparais en jetant simplement un crachat dans les eaux vert foncé. Ma chère mère, celle-ci n’est pas la première fois que tu me leurres : tous les jours tu dis que tu vas te jeter la tête la première dans le puits, et rien. Tu ne le fais jamais. Tu crois que tu vas me faire courir comme un fou, de la maison au puits et du puits à la maison. Non. J’en ai assez maintenant. Ne t’y jette pas si tu ne veux pas. Mais, ne dis pas non plus que tu vas le faire si tu ne vas pas le faire.
On pleure derrière le vieux fléau. Ma mère et moi, on pleure. Les petits lézards sont trop grands dans ce fléau à grain. Si tu les voyais ! Ici, les petits lézards ont des formes bien différentes. Je viens d’en voir un avec deux têtes. Deux têtes à ce petit lézard qui se traîne.
La plupart des petits lézards me connaissent et me haïssent. Je sais qu’ils me haïssent, et qu’ils attendent le jour…
« Enfoirés ! », leur dis-je, et je sèche mes yeux. Alors, je prends un bâton et je leur tombe dessus. Mais, ils savent plus ce qu’il n’en faut, et dès qu’ils me voient ils arrêtent de pleurer, ils se fourrent dans les pâquerettes et ils disparaissent. Ce qui me fout la rage c’est qu’ils sont en train de me regarder alors que je ne peux pas les voir et je les cherche sans réussir à les trouver. Dans le meilleur des cas ils sont en train de se moquer de moi.
Finalement, j’en trouve un. Je lui fais tomber le bâton dessus, et je le coupe en deux. Mais il reste en vie, et une moitié part en courant, et l’autre moitié commence à sauter devant moi, comme s’il me disait : ne crois pas qu’on peut me tuer aussi facilement, verrat.
« Animal !», me dit ma mère, et elle me jette une pierre sur la tête. « Laisse les pauvres petits lézards vivre en paix ! ». Ma tête s’est ouverte en deux, une moitié est partie en courant. L’autre reste devant ma mère. En train de danser. En train de danser. En train de danser.
Nous sommes tous en train de danser maintenant sur le toit de la maison. Que du monde sur le toit ! Moi j’adore me jucher sur les feuilles du guano, et je trouve toujours un nid de totises (1) ici en haut. Moi, je ne mange pas les œufs de totises parce qu’on dit qu’ils sont pourris, et alors ce que je fais c’est que je les jette sur la tête de mon grand-père, qui, à chaque fois qu’il me voit sur le toit de la maison, prend le grand bâton pour écimer les palmiers et commence à me juger comme si j’étais une grappe de fruits de palmiers. L’un des œufs a explosé dans l’œil de mon grand-père, et je ne sais pas pourquoi, mais il me semble qu’il est borgne maintenant. Mais non : ce vieux, il faut lui arracher les yeux avec une perche, parce qu’il a là est plus dur que le fond d’une cruche.

(1)Oiseaux cubains.

***

Chloé nous propose sa traduction :

Ma mère vient de sortir en courant de la maison. Et elle court en criant comme une folle qu’elle va se jeter dans le puits. Je vois ma mère au fond du puits. Je la vois flotter sur les eaux verdâtres et pleines de feuilles mortes. Je me précipite vers le patio, où se trouve le puits, avec sa margelle en bois de lentisque sur le point de s’écrouler.
J’arrive en courant et je me penche. Mais, comme toujours, il n’y a que moi, là, en bas. Moi, d’en bas, qui me reflète en haut. Moi, qui disparais seulement en envoyant un crachat dans les eaux glauques.
Mon Dieu, ce n’est pas la première fois que tu me fais le coup : tous les jours tu jures que tu vas te jeter la tête la première dans le puits, et puis rien. Tu ne le fais jamais. Tu crois que tu vas me rendre fou, à faire la course de la maison au puits et du puits à la maison ? Non. Je suis fatigué maintenant. Ne t’y jette pas si tu ne veux pas. Mais ne dis pas non plus que tu vas le faire si après, tu ne le fais pas.
Nous pleurons derrière le vieux fléau. Ma mère et moi, nous pleurons. Les lézards sont très grands sur ce fléau. Si tu les voyais ! Ici, les lézards ont des formes différentes. Je viens d’en voir un avec deux têtes. Ce lézard qui rampe a deux têtes.
La plupart de ces lézards me connaissent et me détestent. Je sais qu’ils me détestent, et qu’ils attendent le jour où… « Salauds ! », leur dis-je, et je sèche mes larmes. Alors, je prends un bâton et je leur tombe dessus. Mais ils en savent plus qu’il n’y paraît, et dès qu’ils voient que j’arrête de pleurer, ils se faufilent entre les pâquerettes et disparaissent. Ce qui me fout la rage c’est que je sais qu’ils sont en train de m’observer alors que je ne peux pas les voir et que je les cherche sans les trouver. Ils doivent se moquer de moi.
Enfin, j’en vois un. Je lui assène un coup de bâton, et je le coupe en deux. Mais il reste vivant, une moitié part en courant et l’autre commence sautiller devant moi, comme pour me dire : ne crois pas, gros malin, qu’on peut me tuer aussi facilement.
« Espèce d’animal ! », me crie ma mère, en me lançant une pierre dans la tête. « Laisse ces pauvres lézards vivre en paix ! ». Ma tête s’est fendue en deux, et une moitié est partie en courant. L’autre reste face à ma mère. En train de danser. Danser. Danser.
Maintenant, nous dansons tous sur toit de la maison. Que de monde sur le toit ! Moi, j’adore me hisser sur les feuilles charnues du guano, car je trouve toujours quelques nids de totises là-haut. Moi, je ne mange pas les œufs des totises, parce qu’on dit qu’ils sont toujours pourris, et donc, ce que je fais, c’est que je les jette à la figure de mon grand-père qui, chaque fois qu’il m’aperçoit en haut de la maison, prend la longue perche pour étêter les palmiers et me traite comme si j’étais un régime de dattes. Un des œufs a éclaté sur l’œil de mon grand-père, et je ne sais pas pourquoi, mais je pense que ça l’a rendu borgne. Mais non : ce vieux-là, faut lui sortir les yeux avec un crochet car, ce qu’il a, c’est plus dur que le fond d’un cruchon à liqueur.

Aucun commentaire: