vendredi 15 janvier 2010

Exercice d'écriture

Le sujet de la semaine : Défaite

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Laëtitia Sw :

Le parfum doux de l’été accompagne Magali dans la lente montée vers le château. Sa main dans celle de Pierre, la tête au creux de son épaule, elle chemine, confiante, le cœur léger mais le souffle court et le rouge aux joues à cause du manque d’exercice et de la chaleur. Il n’est que dix heures du matin et pourtant, il flotte déjà dans l’air cette pesanteur languide, annonciatrice des après-midi étouffants de la vallée.
Devant eux, s’ouvre un chemin caillouteux qui serpente jusqu’aux abords du château. Elle s’accroche un peu plus à la main amie. Ses jambes lui semblent être de plomb. Cette poussée lui rappelle en souriant le gravissement pénible du versant vers Montségur, il y a longtemps, quand elle n’était qu’une toute petite fille, six ou sept ans à peine. Elle avait dû faire des pas de géant alors. Elle se souvient d’avoir enjambé, escaladé chaque pierre, rampé telle une misérable bestiole, le dos courbé, les mains et les pieds toujours joints et tendus vers le même effort, arc-boutée au flanc de la montagne. Mais elle avait pu compter sur l’aide de ses petits camarades, et sur leur allégresse, à tous. C’est qu’ils allaient à l’assaut d’une forteresse tout de même ! Un bond de quelques siècles en arrière. Madame Azéma, la doyenne de leur village, leur avait raconté l’histoire, avant leur ascension, au pied de la montagne où elle était restée à les attendre ; une vieille dame lumineuse toujours prête à partager ses souvenirs avec les plus jeunes qui l’écoutaient esbaudis.
Magali repensait à tout cela en grimpant vers le château, au bras de l’homme qu’elle aimait. La montagne ne lui inspirait plus cette peur d’autrefois, indéfinissable, mouvante ; elle ne lui paraissait plus si menaçante, toute hérissée de rocs et de broussailles, si inhospitalière. Et puis, se profilait une de ces journées rares, où le temps semble suspendu. Elle se sentait à l’abri et respirait à loisir l’odeur des vieilles pierres, de l’enfance, de l’Ariège. C’était le temps de l’amour partagé...
Comment aurait-elle pu se douter ce jour-là, un jour si léger, si savoureux, si gonflé de vie, que le drame pointait déjà, qu’il était tapi, là, prêt à bondir, à se saisir de sa proie pour la déchiqueter. La trahison amoureuse, cette pitoyable défaite des sentiments... Tel un poison terrible, elle s’était bel et bien insinuée au fil des jours. Insidieusement, elle avait fait son chemin et, sans crier gare, elle s’apprêtait à tout ravager sur son passage, à tout engloutir, pour un long moment. Espoirs déçus, illusions perdues. Anéantie, Magali ressemblerait à ces êtres sans repos qui, cabossés par la vie, traînent leur tristesse souffreteuse, intacte, à travers le temps.

***

Il ne reste que cinq minutes avant la fin du match. Le score est à égalité. Le buteur de notre équipe favorite s'apprête à transformer l'essai qui pourrait être celui de la victoire. Il se concentre, visualise la trajectoire et tape... Quel dommage ! Le ballon passe à droite des perches ! Les membres de l'équipe adverse deviennent euphoriques, sautent de joie, s'embrassent, courent vers le public, tandis que nos pauvres petits rouges se décomposent, rejoignent l'entraineur en silence, têtes baissées, tristes, pour former la traditionnelle haie d'honneur qui ornera la sortie des vainqueurs. Tous sont rassemblés. Tous sauf un : le buteur, isolé au coin du terrain, à genoux, la tête entre les mains, il est effondré. Il pleure. C'est de sa faute, s'il avait passé cette fichue transformation... les copains vont lui en vouloir, ils auraient pu remporter le championnat, il a tout raté ! Le jeune homme se lamente, ses coéquipiers l'entourent, le rassurent, ce n'est pas de sa faute... Rien n'y fait, il reste recroquevillé, refuse de bouger...
Après quelques minutes de réflexion, il se lève enfin et se dirige vers le vestiaire. Sa famille l'attend pour le réconforter, il l'évite. Tous ses camarades ressortent des douches, sauf lui... il restera presque une heure seul, à se morfondre.
La défaite sera difficile à digérer, le joueur se sentira coupable pendant quelques temps, songeant même à abandonner sa passion...

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Amélie :

Dimanche après-midi, 16h10. Les finales ont débuté, la fin de cette dernière manche du championnat approche à grands pas ; son dénouement également. Massés tout autour de la piste, derrière les barrières, les spectateurs observent la bataille à laquelle se livrent les pilotes les moins expérimentés ou les plus malchanceux. Un peu à l’écart, le bonnet enfoncé presque jusqu’aux yeux, le casque sur les oreilles, il se plonge dans une bulle de concentration que rien ni personne ne peut faire éclater. Bientôt ce sera à son tour de s’élancer, il le sait. En grand sportif qu’il est, il ne se laisse aucun droit à l’erreur, conscient que la moindre faute anéantirait ce rêve pour lequel il s’est entraîné si dur toute l’année. Téméraire, un de ses copains tente d’aller lui prodiguer quelques conseils : il se fait envoyer promener sans ménagement.
Je me suis souvent demandé ce à quoi il pensait durant ces moments-là : se remémorait-il les gestes techniques maintes et maintes fois effectués à l’entraînement, élaborait-il des stratégies ou essayait-il au contraire de se détacher de toute cette pression qu’il se mettait lui-même ? A‑t-il mal au ventre, la gorge nouée, une envie pressante – quand il était plus jeune, je me souviens qu’il devait aller dans les fourrés avant chaque épreuve ?
Ça y est, il retire ses écouteurs, baisse le volume, range son mp3 dans son blouson qu’il enlève également et qu’il dépose sous la tonnelle. L’air de rien, il suivait le fil des évènements et avait vu s’afficher la race 211, ce qui signifiait qu’il était temps pour lui d’aller se ranger en pré-grilles avec les autres. Il enfile son casque, ses gants, enfourche son vélo et le voilà parti, son maillot jaune flottant au vent. Une dizaine de minutes plus tard, nous le voyons en haut de la butte de départ, toujours autant fermé, ne souriant même pas à la vue de la banderole que nous déployons en son honneur.
« Riders ready. Watch the gate ». La sonnerie retentit, la grille tombe, les vélos fusent. La foule est en liesse, des encouragements jaillissent de toutes parts, le speaker s’enflamme. Sous la tonnelle du club, tout le monde s’est levé pour le soutenir, les plus férus s’égosillant, au risque de percer les tympans de leurs voisins. Je ne suis pas en reste, je dirai même que je dois être une de celle qui crie le plus fort, comme d’habitude. A la sortie du premier virage, il est au coude à coude avec son rival, celui qui convoite la même place que lui, la première. Leurs gestes et attitudes sont tellement similaires qu’on les croirait séparés par un miroir ; à la fin de la deuxième ligne droite, celui-ci se brise, et d’un habile coup de pédale, son adversaire prend la tête. Mais il ne baisse jamais les bras –les jambes en l’occurrence– : une double et un saut plus tard, il est à nouveau devant, en route vers la victoire. Tout le monde y croit, le speaker l’annonce presque gagnant, il est vrai qu’il ne reste plus que six whoops avant la ligne d’arrivée.
Oui mais voilà, rien n’est jamais fini, il faut toujours rester vigilant ; dans le dernier virage, son rival revient en trombe et leurs roues frottent jusqu’à faire chuter notre héros du jour, qui reste à terre, sonné. Les secouristes accourent, il décline leur aide, il va bien. C’est la déception qui le cloue au sol. En une seconde, ses efforts ont été réduits à néant, son titre s’est envolé. À présent, il a beau avoir bien roulé, plus rien n’a d’importance, il s’était lancé un défi, il a échoué. En bon joueur, il remonte sur son vélo et donne les derniers coups de pédale pour aller se placer à la huitième place, près de ses concurrents. Quand il revient près des supporters, il est félicité malgré tout, mais le cœur n’y est plus. Il ira tout de même se placer sur la deuxième marche du podium, les yeux rivés sur ce maillot de champion qu’il a touché du doigt et qu’il ne pourra revêtir encore cette année. Le retour se fera en silence. Il lui faudra quelques jours, sinon plus, pour digérer cette défaite, et penser à l’avenir.

***

Émeline :

—C’te raclée qu’on s’est pris !
—C’est carrément une branlée à ce stade là !
—Oh ça va, c’est pas la première fois qu’on dérouille comme ça…
—Ouais, mais bon, là c’est quand même une jolie déculottée…
—C’est notre faute. C’était la débandade, ça nous a désavantagés dès le départ. On avait pas d’échappatoire de toute façon.
—Et un échec de plus ! Faut qu’on arrête de se chercher des excuses…
—Oui, on est mauvais.
—On s’est pris une raclée, c’est tout.
—Un beau fiasco…
—On a bien perdu…
—Ça va, c’est pas la première rouste qu’on nous inflige…
—Bon, ben la prochaine fois on essaiera d’éviter une volée pareille.

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