vendredi 19 février 2010

Exercice d'écriture

Le sujet du jour était : De la tête aux pieds

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Amélie :

« De la tête aux pieds »

Ils sont bouclés, lisses ou longs
Plutôt courts chez les garçons
Pour les filles bandeaux ou couettes
T’as des cheveux sur la tête.

Deux yeux de la même couleur
Pleins de larmes quand tu pleures
Deux oreilles sur les côtés
Prends garde au bout de ton nez.

Deux joues pour faire les bisous
Une langue pour parler beaucoup
Des dents qui croquent un bonbon
Plus un front et un menton.

Épaules et bras vont par deux
Car tout seul c’est ennuyeux
1,2,3,4 et 5 doigts
Voilà tes deux mains à toi.

Dos derrière, ventre devant
Des jambes pour courir tout l’temps
Ne t’écorche pas les genoux
Sur tes pieds reste debout.

***

Laëtitia Sw. :

Cette fois-ci, c’en était trop ! Molly en avait par-dessus la tête de subir les reproches humiliants de Milton devant ses secrétaires, collaborateurs, associés, subordonnés, bref, tout ce petit monde à l’air hagard et au teint cireux qui lui obéissait au doigt et à l’œil, se relayant dans son bureau en un défilé incessant de petites cohortes au garde-à-vous. Oui mais voilà, désormais, la coupe était pleine. Il était hors de question qu’elle supporte une minute de plus ce regard puant le mépris. Fini les renoncements ! Elle avait arrêté de travailler, trop cheap, arrêté de conduire, trop dangereux, renoncé à ses hobbies, trop hot, elle voyait ses amies en cachette, elle ne souriait plus, ne mangeait pratiquement plus, ne dormait plus, ou très mal. Et puis quoi encore ! Finalement, tout ce qu’elle faisait c’était de s’ennuyer ferme, cloîtrée dans son loft. Bientôt, il lui exigerait des comptes sur l’air qu’elle respirait... Certes, les locaux de la Herald Company n’étaient pas le cadre idéal pour ce qu’elle s’apprêtait à faire, mais il fallait toujours un début à tout... Alors hop, en piste ! Molly commença sans prévenir à exécuter une drôle de danse. D’un coup sec, elle envoya valser ses escarpins noirs vernis. Vlan ! Le soulier gauche atterrit dans la vitrine poussiéreuse de l’entrée, tandis que le droit s’écrasa sur la truffe de Rufus qui se mit aussitôt à pousser des cris de caniche étripé, avant de se réfugier, épouvanté, dans les pattes de son maître. Elle s’attaqua ensuite à sa robe twin-set en vichy beige. Elle défit un à un les boutons de la veste, se dégagea des emmanchures en deux coups d’épaule, la fit tournoyer un instant au-dessus de sa tête, puis la lança dans les feuilles du palmier artificiel en décoration au milieu de l’allée. Cinq cartes de crédit platine, qui avaient surgi au passage de la poche droite, vinrent s’éparpiller sur le tapis sans âge du hall. Sans attendre, elle tira sur la longue fermeture éclair qui retenait sur le côté sa robe ajustée, se tortilla pour la faire tomber, puis, du bout du pied, elle la fit décoller du sol, l’attrapa au vol et la roula en boule avant de l’expédier tout droit dans le nez effaré de Milton. Enfin, telle une sirène ondulante, elle entreprit d’enrouler ses bas, l’un après l’autre, jusqu’au bas de ses jambes, puis elle les expulsa d’une pichenette dans le pot de fleur voisin.
– Désolée, messieurs dames, mais le show s’arrête ici. Les dessous en soie que voici m’ont été offerts par Elroy, my lover. Ben oui, mon trésor, ce sont des choses qui arrivent !
En fait, il s’agissait là d’une sérieuse entorse à la réalité, puisque c’était un cadeau de sa mère pour son anniversaire. Mais que voulez-vous, la vie recelait parfois des cas de force majeure pour lesquels il apparaissait ô combien nécessaire d’enjoliver la réalité, car décidément, elle ne perdait jamais une occasion de manquer de chic, celle-là !
– Bon, maintenant que tu as récupéré tout ce qui t’appartenait, vraiment tout, eh bien, ciao !
Cela dit, Molly tourna les talons et se dirigea, la mine altière, vers l’ascenseur. Dénudée des pieds à la tête, ou presque, sous les portraits réprobateurs de six générations de Milton Gordon, la scène tenait du fantastique. Mais cette vision irréelle ne dura qu’un instant. En un lourd claquement de portes d’acier chromé, Molly disparut pour toujours, d’un seul coup d’un seul.
Milton, soufflé, restait coi, dans une confusion de vêtements épars, ses princess cards piteusement échouées à ses pieds, sous le regard courroucé de Rufus qui arborait plus que jamais son air de toutou capricieux.

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Auréba :

Depuis la fenêtre de mon appartement, ma vue plongeait sur ta chevelure de playmobil. Même si tu gardais un œil vigilant sur l’eau de la piscine, ne pouvant t’y refléter comme dans une psyché, tu ne lâchais pas ta plastique des yeux. Tu promenais tes yeux inquisiteurs sur toutes les parcelles accessibles de ton corps. Tes épaules, tes bras, tes pectoraux, tes abdominaux, tes cuisses, tes jambes, tes pieds. Comme si tu avais peur de fondre sous ce soleil d’Andalousie. Comme si tu vérifiais que ton corps chocolaté n’avait été croqué à aucun endroit par une de ces filles hystériques que l’on voit à la télévision dans cette pub de déodorant selon laquelle «plus t’en mets, plus t’en as». Mon petit bonhomme en chocolat!
En tête à tête tous les deux, moi aussi j’ai laissé mon regard parcourir ta plastique, et c’est bien là le mot à employer. Ta peau mâte était lisse. Tes sourcils n’étaient pas épilés, ils étaient dessinés, tes yeux étaient d’un bleu artificiel, tes dents, blanches comme le papier industriel. Pas un grain de barbe, pas un poil, ni sur tes bras, ni sur ton torse, ni sur tes jambes. On aurait dit que ton regard rappelait à toute pilosité l’interdiction de percer au grand jour. Tes petits muscles étaient légèrement sculptés et soigneusement surveillés.
Esthétisé de la tête aux pieds, tu aimais t’offrir à la vue du monde, au centre de toutes les fenêtres du bloc, et, comme tu me l’as confié, sur le podium des discothèques où tu t’adonnes au strip-tease. Mais attention ! Pas n’importe quel strip-tease!, m’as-tu dit. «Il faut que ce soit esthétique! Avec des petits mouvements bien faits.».
Ce corps travaillé et retravaillé de la tête aux pieds se remue donc toutes les semaines des pieds à la tête et de la tête aux pieds, et j’essaie d’imaginer ton corps s’épanouir et bouger de tout son long. J’imagine le flow de la musique s’emparer de tes pieds et faire balancer ta tête sur tes épaules pour redescendre vers tes pieds dans un va-et-vient enivrant.
Même si aujourd’hui je suis loin de toi, j’ai photographié mentalement toutes les parties accessibles de ton corps, de la tête aux pieds, mais mon regard n’a fait que glisser sur le toboggan de ta surface lisse. Des clichés, voilà tout ce que je garde de toi. Le reste, laisse moi l’imaginer.

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Coralie :

Quoi de plus merveilleux que tous les premiers pas d'un enfant dans la vie ? Papa et maman s'extasient devant le moindre progrès de bébé... Il émet des sons que l'on prend pour des mots, il se déplace à quatre pattes puis à deux seulement, il s'éveille et... il mange comme un grand ! Tout seul ! Quel bonheur ! À partir du moment où il a entre ses mimines son assiette et sa petite cuillère : pas touche ! Il est alors fortement conseillé de se munir d'un ciret et d'un parapluie, de protéger un minimum les alentours (des bâches sur le sol sont en général les bienvenues) avant d'installer le petit ange dans sa chaise haute. Là, les hostilités peuvent commencer. Le chérubin remplit sa catapulte de purée (de carottes, évidemment) pour la mener jusqu'à sa bouche mais, malencontreusement, une moitié de la cuillerée s'écrase sur sa joue et l'autre attrrit sur sa couche (oui, autant que possible, mieux vaut mettre bébé en couche lorsqu'il apprend à manger seul). Deuxième tentative : en plein dans le mille ! Ou presque... le projectile a atteint sa cible mais aussi le nez, voire l'intérieur des narines, quelques mèches de cheveux et le pauvre mur qui se trouvait derrière. La patience du petit chou a ses limites : il jette sa cuillère par terre et plonge ses mains dans sa bouillie... comme dix doigts ne lui suffisent pas, il pose délicatement ses petons sur la tablette, faisant basculer son assiette, dont le contenu se répand sur son ventre et ses jambes potelées. Bébé tout entier est recouvert de purée. Mais un parent digne de ce nom ne pouvant pas laisser sa progéniture le ventre vide, un petit pot de crème au chocolat s'impose. Imaginez les dégâts...

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Laëtitia :

En entrant dans le magasin de tissu, elle passa devant elle sans la reconnaître, après tout, ce n’était que la vendeuse. Il lui fallait confectionner pour le lendemain, une étole et une ceinture pour assister à un mariage. Le Roi du Tissu était le lieu tout désigné. Elle inspecta soigneusement tous les rouleaux du magasin, trouva enfin son bonheur puis, l’air décidé, elle se dirigea vers la caisse pour être servie. Comme elle approchait du comptoir ce visage lui sembla soudain familier, ressurgi d’ailleurs, d’un autre temps. Etait-ce vraiment elle ? Elle se la rappelait mesurant un mètre soixante-quinze au moins et aujourd’hui elle n’en faisait plus qu’un soixante. Etait-il possible qu’elle ait raccourci ? Ou bien l’idéal qu’elle s’était fait d’elle était à ce point éloigné de la réalité ?
- Bonjour, vous désirez ? Dit la vendeuse d’un ton mécanique.
- (T’arracher les yeux -pensa-t-elle.) Tu ne me reconnais pas ? Dit Anna froidement.
-Ah oui ! Fit-elle entre l’étonnement et la gêne.
C’était donc elle mais elle n’avait rien à voir avec son souvenir. Où était ce canon de beauté ? Où était cette fille qui l’avait fait se sentir si petite, si insignifiante et transparente ? La jeune femme qui se trouvait devant elle, affichait un manque de confiance en soi évident. Peut-être pour avoir été surprise dans ce magasin insipide, ce souk, alors qu’il y a trois ans elle se promettait à une brillante carrière. Ses cheveux ailes de corbeau descendaient broussailleux en cascade le long de son dos. Ils étaient abîmés et ne reflétaient aucune lumière, aucune vie pas plus que son visage blafard poinçonné d’innombrables taches de rousseur. Ce nez parfaitement taillé comme façonné au scalpel avait fait place à un petit groin. Et son regard, autrefois espiègle et coquin, était aujourd’hui empreint de mélancolie et témoignait de ses illusions perdues. L’abus de médicament pouvait-il opérer une telle transformation ? Ou bien avait-elle toujours eu cette apparence ? Et ce corps, qu’Anna croyait élancé, svelte, grand et harmonieux, il était mal proportionné : grassouillet et décharné selon l’endroit. Ses pieds étaient saucissonnés dans des chaussures bon marché qui avaient fait leur temps depuis belle lurette. Elle avait pourtant l’air d’être la meilleure version d’elle-même. Le visage détendu et reposé. Anna ressentit une pointe de pitié pour cette fille qui trois ans auparavant l’avait tant diminuée.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Laetitia, quel plaisir de lire que tu écris!

Laetitia Sw. a dit…

Je suis sensible à ton enthousiasme, cher admirateur secret (ou chère admiratrice secrète...) Voilà un petit vent de mystère... Hou hou !

Odile a dit…

Laetitia, mon intention n'était pas d'apparaître en anonyme, je pense que je dois cocher la mauvaise case... Effectivement, je suis très fan de ce que tu écris ! Odile