vendredi 26 février 2010

Exercice d'écriture

Le sujet du jour était le suivant : Sang

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Laëtitia Sw. :

Son sang n’avait fait qu’un tour. Ah, ah, Boris allait voir ce qu’il allait voir. Robin en avait assez de son petit air innocent d’enfant de chœur qui cachait un beau manipulateur de première. Mais attention, pas de coup de sang ! Il fallait avancer prudemment car il avait affaire à un genre de personnes particulier : celles qui sous couvert d’être animées de vie ont le sang froid. Pas d’affrontement direct. Surtout pas. Il n’attendait que ça. Il en profiterait pour retourner la situation à son avantage, comme toujours. Boris faisait partie de ces types super doués pour sucer le sang des autres à leur insu, pour s’immiscer dans leur vie au moment opportun avant de la laisser à feu et à sang. Il respirait le pur-sang de bons sentiments, mais il cachait en fait une âme vile. Charmeur, hâbleur, mais bien sûr point trop n’en faut, juste le nécessaire pour séduire ses proies tout en restant indétectable. Du coup, il sévissait en toute impunité. Et Robin venait justement élargir la liste de ceux qui s’apercevaient un peu tard de la supercherie. Sauf que lui, contrairement à tous les autres, avait décidé de ne pas en rester là. Ils seraient quittes. Cette mauviette des relations humaines, ce coucou au sang de poulet, allait se retrouver face à lui-même, ce qu’il redoutait le plus, en somme. C’est qu’il avait commis une grossière erreur, celle de croire que l’on peut fuir son passé. Or, un jour, il nous rattrape et nous explose à la figure, le masque tombe et on se retrouve nez à nez avec ce qu’on a cru pouvoir enterrer. Et ce jour-là était arrivé. Ça tombait sur Robin mais il aurait très bien pu s’agir de quelqu’un d’autre, ça n’avait pas d’importance. Pourtant Robin n’aimait pas cette idée de vengeance. Il avait compris qu’elle emprisonne le cœur et l’âme, qu’elle ronge les sangs à perpétuité, qu’elle est stérile. Un bain de sang psychologique, ô combien meurtrier. Aujourd’hui, il avait dépassé ce stade. Néanmoins, il avait la possibilité de remettre les choses à leur place, de dire voilà je n’ai plus le cœur en sang, j’ai guéri, j’ai repris ma route, j’ai avancé, mais là, je fais un petit détour, je ne viens pas réclamer le solde, je viens juste reprendre ce qui m’appartenait et m’appartient encore : la vérité des faits. Se réapproprier la vérité des faits et reprendre tranquillement le cours de sa vie.

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Laëtitia :

Il faisait bon ce jour-là, l’été approchait et je sentais une brise caresser délicatement mes joues comme m’invitant à fermer les yeux. Ma sœur et moi étions devant l’école, installées sur un banc, elle sur le dossier, moi sur l’assise, tranquillement. Ma sœur a toujours eu beaucoup d’amies, elle discutait avec elles pendant que moi, je savourais cette belle journée de juin. Sur mon banc j’assistais, envieuse, au balai des parents qui entraient et ressortaient avec leurs filles. Mais nous, on ne venait jamais nous chercher. Nous restions là, juste pour tenir compagnie aux autres et parce que vraiment, nous n’étions pas pressées de rentrer. Une fois nos camarades parties, deux garçons se sont approchés de nous. Dans leurs chemises bien repassées, leurs chaussures bien cirées et leurs pantalons à pinces, ils avaient l’air de deux petits hommes. C’était des 5ème au moins, c’est sûr. Ils étaient plus grands que nous et leurs parents à eux, ils étaient d’ici.
– Alors les conchitas, l’école est finie ? On traîne histoire de voir c’qu’on peut chiper ?
Ma sœur était verte de rage, ses yeux lançaient des flammes. Mais ni elle ni moi n’avons décroché un mot. Se faire discrètes, ne jamais faire de vagues.
– C’est pas vrai c’qu’on est envahi ! disait-il à son acolyte. Il est pas sympa Franco ? Ça vous manque pas le chorizo ?
– Ben alors, on a perdu sa langue ? No compro pan lé francès ? a renchéri l’autre.
Voyant que, tétanisées par l’humiliation, aucune de nous deux ne réagissait, le plus excité a posé son pied sur le mien et a pressé de toute la force qu’il a puisée dans sa langue qu’il mordait, dans ses sourcils qu’il fronçait, dans tout son corps qu’il contractait, dans sa haine. Je n’ai pas bronché, ma sœur non plus. Se faire discrètes, ne jamais faire de vagues. Il a retiré son pied. Sur mon visage une larme orpheline a perlé, sur mon bas : cette tache de sang honteuse.

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Amélie :

Un soir d’hiver, pluvieux et venté comme d’habitude, nous sortions tout juste de la garderie quand Arthur me demanda :
— Dis maman, c’est quoi le sang ?
Interloquée, je restai un moment silencieuse.
— Le sang ? Mais enfin Arthur, pourquoi tu me poses cette question ?
— Pour rien, pour savoir… Alors, c’est quoi ?
— Mets ta capuche, tu vas être trempé ! On verra ça dans la voiture. —lui répondis-je, ne comprenant vraiment pas où il voulait en venir.
À peine attaché, il revint à la charge :
— Bon, alors ! Tu me dis ?
— Le sang, tu sais ce que c’est voyons, tu n’es plus un bébé ! C’est le liquide rouge qui coule à l’intérieur de ton corps, qui te permet de respirer et de bouger en apportant à tes muscles les choses dont ils ont besoin. Le sang te permet de vivre, Arthur, tout le monde en a, et pour ceux qui n’en ont pas assez, on peut en donner. Tu te rappelles, tu étais venu avec moi une fois, j’étais restée sur un lit avec une infirmière pendant quelques temps, et après on avait mangé du pain et du jambon…
— Oui, oui, je me rappelle, même que je croyais que c’était mamie qui servait le café. Mais alors, le sang, c’est rouge ?
— Bien sûr, mon chéri... Que s’est-il passé à l’école pour que tu me parles de ça ?
— Ben c’est Théo, à la récré, il nous a dit que hier soir, son frère apprenait une leçon d’histoire, parce que c’est un grand son frère, il est en CM2, et même qu’il fait du judo et aussi du foot et que quand il sera grand, il veut être cosmonaute, et ben dans la leçon de son frère, hier soir, Théo a entendu que les rois, il avait du sang bleu. Mais alors, pourquoi moi, quand je tombe et que je saigne, mon sang, il est rouge ? C’est pas le même ? Comment on fait pour qu’il soit bleu, je trouve ça rigolo, moi ! On peut le peindre ?
— Ah, ce n’est que ça ! lui répondis-je en riant sous cape –il faut faire attention, ça se vexe vite ces petits bonhommes !–. Je vais t’expliquer : en fait, on dit ça parce que les rois ne voulaient avoir que des rois dans leur famille. Ils voulaient que leur père soit roi, leur grand-père soit roi, leur arrière grand-père soit roi, et ainsi de suite. On appelle ça, être noble. Enfin, ce n’est pas tout à fait ça, mais pour ton âge, c’est largement suffisant. Et du coup, on disait que les gens qui était dans une famille où il n’y avait que des rois, ils avaient la peau plus blanche que les autres, donc on voyait mieux leurs veines bleues. Tu sais, les petits traits bleu-verts que tu as partout, regarde sur ta main par exemple…
— Oui, j’en vois une…ah non deux en fait ! Trois, quatre ! Eh, mais j’en ai plein !!
— Évidemment ! C’est par là que ton sang circule. Et donc, pour en finir avec les rois, comme on voyait mieux leurs veines bleues, à une époque, on a cru que leur sang était bleu. Alors qu’en fait, leur sang était rouge, comme le tien ou le mien, c’était une erreur. Pas de question de peinture ou quoi que ce soit… Ne va pas t’amuser à avaler de l’encre par exemple ! Sinon, direction hôpital !
— Ok maman, merci ! Tu pourras m’écrire l’histoire sur un papier, comme ça demain, je montrerai à mes copains, sinon je me rappellerai jamais ! Et aussi, je voulais savoir, pourquoi papa a dit l’autre jour que le film qu’il avait été voir lui avait glacé le sang ? Il faisait froid dans le cinéma ?
— Écoute Arthur, si c’est ton père qui l’a dit, c’est à lui que tu dois poser la question. Ça tombe bien, on est arrivés. Tu attends que le moteur soit éteint pour te détacher, c’est pas possible, combien de fois je devrais te le répéter ?
— Oups, pardon maman… Je vais voir papa !
— Oui ,oui, vas-y ! Tiens, demande-lui de lui faire ton bain, comme ça il aura bien le temps de t’expliquer que le cinéma n’est pas un congélateur !

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Coralie :

La salle grouille de monde, des milliers de personnes se sont déplacés pour assister à la rencontre de la saison, le choc : Imed Mathlouthi contre Samir Mohamed. Le public est en ébullition, la tension à son comble. Qui de ces deux boxeurs décrochera le titre si convoité ? Qui s'envolera pour le championnat du monde ? La cloche retentit. Le dernier round commence. Les fulleurs vont au contact. Crochet gauche de Mohamed, belle esquive de Mathlouthi qui riposte avec un superbe retourné sauté, Mohamed encaisse et répond, direct du gauche, direct du droit, circulaire à la tête, croissant... Le protège-dents de Mathlouthi vole. Le boxeur tombe dans les cordes et s'effondre, inerte, sur le ring. Des perles de sueur recouvrent son visage. Un filet de salive s'échappe de sa bouche. Un ruisseau rouge coule de son arcade, passe sur son œil clos, se grossit sous son nez et une flaque baigne sa figure tuméfiée. L'arbitre compte, un, deux, trois, quatre, cinq... Imed ne bouge pas. Six, sept, huit, neuf, dix...la flaque devient mare. Une mare de sang dans laquelle se noie l'espoir du full-contact français.

1 commentaire:

Laetitia Sw. a dit…

Un grand merci à la muse Amélie dont la "petite fiche lexicale sur le sang" (post du 27 février) m'aura été bien utile à l'heure de me lancer dans cet exercice d'écriture !