samedi 3 avril 2010

Exercice d'écriture

Le sujet était : Un petit crime

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Coralie :

Minuit. La maison est calme, endormie. C’est le moment idéal pour Lara : elle sort de son lit et s’apprête à quitter sa chambre sur la pointe des pieds. Sa main fait doucement basculer la poignée de la porte. Pourvu qu’elle ne grince pas. Elle passe sa tête dans l’entrebâillement. Personne. La voie est libre. Elle rase le mur du couloir, ne s’attarde surtout pas devant la chambre de ses parents. Elle tend l’oreille : des ronflements, c’est bon signe. Elle doit rester vigilante, le moindre bruit pourrait tout gâcher. Il suffirait que quelqu’un se réveille pour qu’elle soit découverte… Mais si son plan se déroule comme prévu, qui devinera que c’est elle la coupable ? Il y a cinq enfants sous ce toit ! Maintenant, l’escalier. Ne pas faire craquer l’escalier. Jamais ces marches ne lui ont semblé aussi longues à descendre. Le plus difficile est passé, désormais il faut se méfier du chat. S’il l’entend, il va venir se frotter à elle, peut être risquer de la faire tomber, il va certainement miauler pour qu’elle le caresse et si elle l’ignore il ira crescendo. Maudit chat ! Il dort sur le canapé et elle doit traverser le salon, sans se cogner le tibia sur le coin de la table basse… Elle avance à tâtons. Le chat bouge, ouvre un œil, se met à ronronner et se tourne. Ouf ! Aïe ! Le rebord de la cheminée ! Elle réussit à réprimer un violent cri de douleur puis poursuit son expédition nocturne. Elle est tout près du but et se délecte déjà en pensant à son butin. Elle pénètre enfin dans la cuisine, ouvre lentement un tiroir, se saisit d’une petite cuillère et se glisse jusqu’au réfrigérateur. Il est là, dans sa jolie boite, cet énorme gâteau aux trois chocolats auquel les invités n’ont pas voulu toucher parce qu’ils avaient trop mangé. Lara n’y a donc pas eu droit non plus mais elle a su patienter… Elle enfonce son arme dans la mousse onctueuse et savoure son petit crime…

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Amélie :

30e Salon du Livre de Paris, Porte de Versailles. Matthieu s’y rend pour la première fois, avec deux ou trois amis, les seuls qui ont bien voulu l’accompagner. Finalement, il aurait préféré y aller seul, ça lui aurait évité de perdre deux heures de temps aux stands des mangas et d’entendre constamment que l’un avait mal aux pieds, que l’autre avait envie d’un café –et voulait donc sortir, étant donné le prix rédhibitoire de la restauration dans le pavillon– et que le troisième voulait bien être conciliant mais qu’il fallait pas pousser non plus, dans une heure ils s’en allaient, qu’ils aient fini de faire le tour ou pas. Il n’avait jamais compris pourquoi les hommes –ceux qu’il connaissait en tous les cas– s’intéressaient aussi peu aux livres et se lassaient aussi vite de leur présence. Pour lui, les livres apportaient bien-être et sérénité, permettaient de s’ouvrir au monde et de passer du bon temps, loin des matchs de foot et des émissions débiles de la télévision. Finalement, ils n’avaient qu’un seul défaut, et pas des moindres : leur prix. C’était parfois bien difficile d’attendre neuf mois qu’un livre sorte en format poche, d’autant plus que certains n’étaient jamais publiés sous ce format plus accessibles pour l’étudiant qu’il était.
Actes Sud, Plon, Stand Rhône-Alpes, Points, Les Allusifs, Les éditions du Congo…Seul à présent, Matthieu vagabondait à sa guise dans les nombreuses allées, se frayant un passage parmi la foule pour atteindre les différents stands. Il a du mal à comprendre ce pouvoir d’attraction que possèdent les livres : même celui qui lui semblait le moins intéressant au premier abord le force à s’arrêter, à l’ouvrir et à respirer l’odeur de ses pages.
Des ouvrages culinaires aux polars en passant par les albums jeunesse, Matthieu fait tranquillement le tour du salon. Au détour d’un couloir, il tombe sur un roman qu’il convoitait depuis quelques temps déjà. Plusieurs fois, en librairie, il était passé devant, sans jamais l’acheter. Un peu frustré par toutes les dépenses qu’il s’était déjà refusées dans la journée, il se dit que c’était l’occasion et saisit ledit roman, tout en se dirigeant vers la caisse. Personne. Il y a bien deux ou trois vendeurs qui discutent avec des visiteurs autour des tables, mais la caisse est vide. Une minute, puis deux. Personne ne s’intéresse à lui. Soudain, le jeune homme fait demi-tour et s’éloigne à pas lents, essayant de ne pas laisser transparaître son trouble. De l’autre côté de l’allée, il glisse subrepticement l’objet du crime dans son sac et feint de s’intéresser aux affiches. Il ne comprend pas ce qui lui a pris. Jamais cette idée ne l’avait effleuré, pas même pour quelques bonbons, quand il était gamin. Il a suffi d’une minute d’inattention, de relâchement.
En proie à une émotion particulière, mélange de honte, de culpabilité et de « légitimité » – ben oui, on ne s’était pas occupé de lui, après tout ! –, Matthieu reprit le métro. Ce soir, quand il poserait ce livre aux côtés des autres sur sa bibliothèque, il se demanderait s’il pourrait un jour le lire, sans le goût du vol dans la bouche.

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Laëtitia :

Francis Boraguer était un homme d’une soixantaine d’années. Ses petits yeux bleus devenus vitreux par une vie d’excès, laissaient imaginer les mésaventures auxquelles ils avaient dû assister. C’était le petit matin. Malgré une soirée à rallonge, Francis s’était levé tôt, il aimait savourer le calme et regarder le soleil se lever sur les toitures. Cette ville, qu’il avait si souvent maudite, il la subissait encore aujourd’hui. Seul ce moment privilégié le réconciliait un peu avec elle. Lui-même s’était assujetti à cette vie. Il était en colère mais son âge, maintenant avancé, lui avait apporté la résignation. Que pouvait-il faire à présent qu’il n’avait pu faire auparavant ? Il avait laissé passer sa chance. Chaque jour il avait dit : « Demain... ». Et toute sa vie il avait attendu ce demain qui n’était jamais venu. Le courage lui avait fait défaut, ou peut-être ne s’était-il jamais senti prêt à abandonner l’idée qu’elle reviendrait. Il devait l’attendre, l’attendre encore. Il vivait le souffle coupé depuis son départ. Alors, le matin, quand la ville était encore endormie, il se plaisait à imaginer son retour. Comme toujours, il alla s’asseoir sur le balcon avec son café fumant qui lui réchauffait les mains, et se plongea dans un songe doux amer. Un oiseau vint se poser sur le balcon d’en face et commença à chanter d’un cri strident ce qui ramena Francis à la réalité. Il prit un galet dans le pot de géraniums et voulut effrayer l’oiseau. Il visa et tira d’un coup net. L’oiseau vacilla et tomba sur le bitume. Il n’avait pas voulu le tuer, juste le faire fuir, mais, après tout, il ne pouvait tolérer qu’on interrompît sa rêverie.

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