jeudi 19 août 2010

« À la page 49 », par Alexis Poraszka

En photo : Livres et autres X, par ekwerkwe

La pluie n’avait pas donné de répit à Istanbul depuis plusieurs semaines maintenant. Les couleurs grises du ciel se mêlaient au Bosphore qui avait perdu sa belle teinte bleutée. Il y a cependant une chose qui ne changeait pas, qu’il pleuve ou qu’il fasse beau le vieux pont de Galata était toujours peuplé de pêcheurs en tout genre venus poser leurs cannes sur la balustrade. Décidée à se réfugier au plus vite dans un endroit à l’abri de la pluie, Suzanne pressa le pas et s’engouffra dans les petites rues du vieux quartier. Elle se précipita dans une petite librairie, s’assit sur la banquette au fond de la salle et demanda du thé. En ôtant ses affaires, elle remarqua le livre oublié sur la table à côté d’elle. Suzanne regarda furtivement à droite et à gauche et, personne ne l’observant, elle saisit le livre et plongea son regard dans la couverture rose. C’était un livre de Elif Shafak, une auteur qu’elle aimait beaucoup. Elle le feuilleta en lisant par moments des passages du romans et s’arrêta à la page 49 où une lettre avait été laissée ; un marque page sûrement. Machinalement elle prit la lettre et, sa curiosité piquée, elle se mit à lire le message. C’était court, deux lignes à peine. Suzanne, qui espérait lire une déclaration d’amour, un souvenir insolite de vacances ou un quelconque témoignage de l’intimité des 15 millions d’âmes peuplant Istanbul, fut gagnée par la déception. Elle remarqua cependant un numéro de téléphone inscrit en post scriptum. Elle mourait d’envie de composer le numéro mais n’osait pas, ne sachant que répondre : « j’ai retrouvé votre livre abandonné » ; ça sonne tellement stupide. Perdue dans ses pensées, elle n’avait même pas remarqué que le serveur lui avait apporté son thé. Il était tiède maintenant. Elle lui fit signe d’en apporter un autre et, quand celui-ci s’approcha, lui tendit le livre en lui disant qu’il avait été oublié. Le serveur montra du doigt un homme au comptoir. Suzanne s’approcha de lui et découvrit un homme d’une quarantaine d’années, les tempes grisonnantes et un petit accent grec. A peine avait-il commencé à parler qu’elle ne portait son attention que sur son élégante apparence. Elle le regarda de la tête aux pieds et lui tendit son livre avec un petit sourire gêné quand il lui proposa un verre. Quand la nuit finit par tomber le déluge n’avait toujours fait de trêve, mais Suzanne n’y prêtait pas attention, elle n’avait d’yeux que pour Giannis souhaitant que la conversation ne s’arrête jamais. Quand ils prirent congé l’un de l’autre, elle remarqua qu’il avait de nouveau oublié son livre. Elle se dit qu’elle pouvait l’appeler… après tout elle avait son numéro de téléphone.

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