samedi 28 août 2010

« Soucoupe », par Stéphanie Maze

En photo : Embroidery for badge, par Audrey Jeanne

Trimballée de part et d'autre, je vais là où on veut bien m'emmener. On ne peut pas dire que j'ai vu du pays, mais je rencontre de sacrés personnages. Je les classe en deux catégories : les habitués et les autres... Les autres, ils n'ont pas de profil précis, ça peut être un touriste, un homme qui se rend au travail, qui attend un rendez-vous d'affaires ou encore un rendez-vous galant. Dans le dernier cas, je suis rarement demandée, les amants optent généralement pour une bouteille de vin ou un bon champagne. On fait plutôt appel à moi à l'ouverture, lors du premier café. José, le patron du bar, me plaque sur le comptoir, m'affuble de la décoration de rigueur : cuillère, sucre et dépose la tasse à l'endroit indiqué, et en un clin d'œil, le café est avalé. En général, il n'est pas propice à la discussion, les clients ingurgitent leur dose de caféine et décampent, parés pour le boulot. Mon préféré, c'est celui du milieu d'après-midi, celui des gens qui ont le temps ou qui le prennent. Ils s'attablent un moment, s'attachent à un sujet comme la politique, dans ce cas-là, le ton risque de monter rapidement, les esprits s'échauffent, j'aime cette agitation, ces débats d'idées où l'on entend tout et son contraire. Parfois je me fais secouer, les clients me claquent la tasse dessus et les vibrations de la table me sortent de ma torpeur. Dans ces moments, j'ai l'impression d'être au cœur du conflit, de vivre la conversation. D'autres clients préfèrent évoquer les problèmes qui les assaillent, trouver une issue, alors les conseils vont bon train. Souvent ils s'accrochent à la tasse comme à un point d'ancrage, mais parfois c'est moi qu'ils sollicitent, l'angoisse de ne pas trouver d'échappatoire les pousse à me faire tournoyer dans tous les sens. Je prends vie au gré des humeurs des clients, rien ne dépend de moi, c'est ça que j'aime, me laisser porter...

2 commentaires:

Auréba a dit…

Je trouve que tu as eu une bonne idée, Stéphanie, de donner vie et de prêter une voix à une soucoupe. J'ai aimé ton texte et la façon dont il se termine.

Steph a dit…

Merci beaucoup...