mardi 10 août 2010

« Un souvenir de Joe, l'éléphant de cirque », par Julie Sanchez

En photo : Walter Lockwood, Rear view of elephant exiting circus.

Ça y est, c’est le moment. Le présentateur annonce mon arrivée.
Le public enthousiaste applaudit à tout rompre et je fais mon entrée sur la piste.
Quel bonheur de sentir tous ces regards posés sur soi. Vous ne devez pas réaliser à quel point je me sens bien lorsque les gens scandent mon nom.
Mais vous savez, je n’ai pas toujours été aussi détendu et heureux en montant sur scène.
Il y a longtemps, vous n’étiez d’ailleurs sans doute pas nés, j’étais un jeune éléphant peureux et peu sûr de lui. Je me souviens de ma première entrée comme si c’était hier. Ce fut intense. J’étais paniqué et en sueur.
Comme aujourd’hui, le présentateur avait annoncé mon numéro mais à ce moment là, une peur incontrôlable s'est emparé de moi, me donnant l’envie de fuir.
J’étais stressé, mon dresseur me rassurait en me murmurant au creux de l’oreille que je savais quoi faire, que j’étais magnifique et que tout irait bien. Mais en pensant à la façon dont j’étais accoutré je me trouvai soudain ridicule. Je portais une coiffe faite de fils d’argent entremêlés
et de pampilles rouges. On m’avait posé un tapis minuscule sur le dos assorti à la coiffe. Il était rouge et brodé de fils d’argent.
Je me répétais sans cesse : « Si ma famille me voyait… » « Qui oserait sortir ainsi dans la savane ?? »
Et mon numéro ? Que devais-je faire ? J’avais tout oublié. La direction que je devais prendre pour commencer. Devais-je aller à droite ou bien a gauche ?
Et ensuite, devais-je lever la trompe ou bien l’incliner ? Me pencher en avant ou m’asseoir ? Peut-être devais-je tourner sur moi-même ?
Dans ma tête, c’était le vide complet, le noir total comme celui qui nous enserrait dans les coulisses. Et après, on parle de mémoire d’éléphant !
Me sortant de mes pensées affolées, mon dresseur me demanda calmement d’avancer vers le rideau. Il était trop tard, je ne pouvais plus reculer.
Le rideau se leva, s’en était fini de moi. Ou alors, me suis-je dit, tout ne faisait que commencer…

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