lundi 30 août 2010

Version pour le 30 août

LOS DE MI BARRIO SE QUEJAN
Lo que te voy a contar en este capítulo de mi vida no se lo cuentes a nadie, porque en este capítulo lloro, y los capítulos en que lloro me dan un poco de vergüenza. Dice mi abuelo que cuando uno tiene tantos libros sobre su vida es normal que de vez en cuando el protagonista (yo, por ejemplo) llore por una terrible desgracia; dice mi abuelo que al lector eso le gusta muchísimo, que el lector se pone a llorar también como si la desgracia fuera suya. Qué lector más raro. Los lectores que yo conozco, que viven todos, por cierto, en Carabanchel Alto, cada vez que el protagonista las pasa canutas se parten el pecho de risa, sobre todo si ese protagonista soy yo. El chulo de mi barrio, Yihad, dice que cuando más le gustan los libros de mi vida es cuando me tropiezo, o cuando mi madre me da una colleja, o cuando él me rompe las gafas. Yihad, además de chulo, es un mentiroso, porque su propia madre me dijo un día:
—No le hagas caso, Manolito; si éste no abre un libro ni aunque salga él.
Al principio, en mi barrio, todos compraron el primer tomo de mi biografía por la novedad y para ver si salían, pero luego dejaron de comprarlos porque se enfadaron bastante, no sólo por cómo los sacaba yo, sino también por cómo los dibujaba Emilio Urberuaga. La sita Asunción vino a clase diciendo que a ella la había sacado como una foca, y a todos nos dio tanta risa que la sita dijo que no quería volver a ver a ningún niño con un libro de los míos entre las manos. Mi vecina la Luisa dijo que tal y como la había sacado ese individuo en los dibujos, parecía que ella tenía lo menos 50 años.
—Pero, Luisa —le dijo mi madre—, es que tú tienes 52.
—¡Sí, pero eso él no lo sabe, y estarás de acuerdo conmigo, Cata, en que yo aparento diez menos de los que tengo! Un artista no hace eso, un artista te saca favorecida, o no te saca, o que saque a su madre.
—Pero qué me vas a contar a mí, Luisa —le dijo mi madre—, si a mí me pinta siempre con una barbilla que parezco un pelícano.
El señor Ezequiel también protestó porque dice que en los dibujos nunca se aprecian las reformas que ha hecho en el bar:
—Y, verdaderamente, tengo El Tropezón en la actualidad que parece un bar de París, pero este señor parece que no se entera.
—¡O que no se quiere enterar! —dijo un cliente que también salió retratado en uno de los libros. Mi padre también se queja, se queja de que siempre lo saca muy gordo:
—¡Y yo nunca he tenido esa tripa, Cata, nunca la he tenido!
La verdad es que no conozco a nadie de mi barrio que esté contento con cómo ha salido en los libros. Miento, hay uno: el Imbécil, que le encanta vacilar con que el dibujante siempre lo saca en las portadas; pero a mi madre no le hace gracia que siempre lo dibujen con el chupete puesto, porque dice que eso es reírle la gracia.
—Estoy yo intentando quitarle al niño la manía del chupete, y el tío me lo tiene que pintar siempre con el chupete.
Digo que al principio la gente compraba los libros en mi barrio, pero dejaron de hacerlo porque decían que no se iban a gastar un dinero en verse gordos y feos y haciendo el ridículo. Asimismo se lo soltaban a mi madre por la calle, y luego ella me decía:
—Hay que ver, Manolito, que me vas a acabar enemistando con todo el mundo.
—Yo no, mamá; es la que escribe los libros, que siempre se queda con lo peor de lo que le cuento.

Elvira Lindo, Manolito Gafotas 6, Yo y el imbécil

***

Auréba nous propose sa traduction :

Ceux de mon quartier se plaignent.
Ce que je vais te raconter dans ce chapitre de ma vie, ne le raconte à personne, parce que dans ce chapitre, je pleure, et les chapitre dans lesquels je pleure me font un peu honte. Mon grand-père dit que quand on a autant de livres sur sa vie, il est normal que de temps en temps le personnage principal (moi, par exemple) pleure à cause d’un terrible malheur ; mon grand-père dit que le lecteur adore ça, que le lecteur se met à pleurer aussi comme si c’était son propre malheur. Le lecteur est vraiment bizarre. Les lecteurs que moi je connais, qui vivent tous, bien sûr, à Carabanchel Alto, chaque fois que le personnage principal en voit des vertes et des pas mûres, ils se marrent, surtout si ce personnage principal, c’est moi. Le caïd de mon quartier, Jihad, il dit que c’est quand je me ramasse qu’il aime le plus les livres de ma vie, ou quand ma mère me donne un coup sur la nuque, ou quand lui, il casse mes lunettes. Jihad, en plus d’être un caïd, c’est un menteur, parce que sa propre mère m’a dit un jour :
— Ne l’écoute pas, Manolito ; il n’ouvre jamais de livre, même s’il est dedans.
Au début, dans mon quartier, ils ont tous acheté le premier tome de ma biographie parce que c’était nouveau et pour voir s’ils étaient dedans, mais après, ils ont arrêté de les acheter parce qu’ils se sont beaucoup énervés, pas seulement à cause de la façon dont je les décrivais, mais aussi à cause de la façon dont Emilio Urberuaga les dessinait. Mamzelle Asunción est venue en cours en disant qu’il l’avait dessinée comme une grosse vache, et ça nous a tous fait tellement rire que la mamzelle a dit qu’elle ne voulait plus voir aucun enfant avec un de mes livres dans les mains. Ma voisine, la Luisa, elle a dit que telle que cet individu l’avait dessinée, elle avait l’air d’avoir bien cinquante ans au moins.
— Enfin, Luisa – lui a dit ma mère – tu as quand même 52 ans.
— Oui, mais ça, lui, il ne le sait pas, et tu es d’accord avec moi, Cata, je fais dix ans de moins que mon âge ! Un artiste ne fait pas ça, un artiste, il te met en valeur, ou il ne te dessine pas, ou il n’a qu’à dessiner sa mère.
— C’est à moi que tu dis ça ? – lui a dit ma mère – moi, il me dessine toujours avec un tel menton que j’ai l’air d’un pélican.
Monsieur Ezequiel a aussi protesté parce qu’il dit que sur les dessins on ne voit jamais les rénovations qu’il a faites dans le bar :
— Et vraiment, le Tropezón a l’air maintenant d’un bar de Paris, mais ce monsieur, on dirait qu’il ne s’en rend pas compte.
— Ou qu’il ne veut pas s’en rendre compte ! – a dit une cliente qui avait aussi été dessinée dans un de mes livres. Mon père aussi, il se plaint, il se plaint parce qu’il le dessine toujours gros :
— Et moi, je n’ai jamais eu ce ventre, Cata, je ne l’ai jamais eu !
La vérité, c’est que je ne connais personne de mon quartier qui soit content de la façon dont il est apparu dans mes livres. Ah si, il y en a un : l’Imbécile, il adore crâner parce que le dessinateur le fait toujours apparaître sur la première page de couverture ; mais ma mère n’apprécie pas qu’il le dessine toujours avec sa tétine, parce qu’elle dit que ça, oui, c’est se moquer de lui.
— Moi, je suis en train d’essayer d’enlever au petit la manie de la tétine, et le type, il faut qu’il me le dessine toujours avec la tétine
C’est qu’au début, les gens achetaient les livres dans mon quartier, mais ils ont arrêté de le faire parce qu’ils disaient qu’ils n’allaient pas dépenser de l’argent pour se voir gros, moches et faisant le ridicule. C’est ce qu’ils sortaient à ma mère dans la rue, et après, elle me disait :
— C’n’est pas croyable, Manolito, tu vas mettre tout le monde contre moi.
— Pas moi, maman ; c’est celle qui écrit les livres, elle garde ce qu’il y a de pire dans ce que je lui raconte.

***

Alexis nous propose sa traduction :

LES GENS DE MON QUARTIER SE PLAIGNENT.
Ce que je vais te raconter dans ce chapitre de ma vie ne le raconte à personne, car dans ce chapitre je pleure, et les chapitres dans lesquels je pleure me font un peu honte. Mon grand-père dit que quand on a autant de livres sur sa vie il est normal que de temps en temps le protagoniste (moi, en l'occurence) pleure à cause d'un terrible malheur; mon grand-père dit que le lecteur aime beaucoup cela, que le lecteur aussi se met à pleurer comme si le malheur était le sien. Quel lecteur étrange. Les lecteurs que je connais, qui vivent tous, à propos, à Carabanchel Alto, se tordent de rire chaque fois que le protagoniste en voit de toutes les couleurs, surtout si le protagoniste c'est moi. Le mauvais garçon de mon quartier, Yihad, dit que quand ils aiment le plus les livres sur ma vie c'est quand je trébuche, ou quand ma mère me donne une gifle, ou quand lui me casse les lunettes. Yihad, en plus d'être un mauvais garçon, est un menteur, car sa propre mère me dit un jour:
— Ne fais pas attention à lui, Manolito, s'il n'ouvre jamais de livre, quand bien même il y apparaîtrait.
Au début, dans mon quartier, tous achetèrent le premier tome de ma biographie pour la nouveauté et pour voir s'ils y apparaissaient, mais ils arrêtèrent ensuite de l'acheter car ils se fachèrent quelque peu, non seulement de la manière dont les dépeignais mais également de comment les dessinait Emilio Urberuaga. La prof Asunción arriva en classe en disant qu'il l'avait faite comme un phoque, et cela nous a fait tellement rire que la prof dit qu'elle ne voulait plus voir aucun enfant avec un de mes livres entre les mains. Ma voisine la Louise dit que de la manière dont l'avait fait ressortir cet individu dans les dessins, il semblait qu'elle avait au moins 50 ans.
— Mais, Louise —lui dit ma mère—, tu en as 52.
— Oui, mais lui ne le sait pas, et tu m'accorderas, Cata, que j'en fait dix de moins ! Un artiste ne fait pas ça, un artiste te fait sortir sous ton meilleur jour, ou alors il ne te fait pas, ou alors qu'il fasse sa mère.
— Et que me dirais-tu, Louise —lui dit ma mère— alors que moi il me dessine toujours avec un nez que j'en ressemble à un pelican.
Monsieur Ezequiel protesta également car il dit que dans les dessins ne sont jamais reconnues les changements qu'il a fait dans le bar :
— Et, franchement, j'ai refait El Tropezón à la mode qu'il ressemble à un bar de Paris, mais ce monsieur semble ne pas s'en rendre compte.
— Ou il ne veut pas s'en rendre compte ! —dit un client dont le portrait apparaissait également dans un des livres. Mon père aussi se plaint, il se plaint qu'on le représente toujours très gros :
— Et moi je n'ai jamais eu ce ventre, Cata, je ne l'ai jamais eu !
La vérité c'est que je ne connais personne dans mon quartier qui ait été content de la mnière dont il est apparu dans les livres. Je mens, il y en a un : l'Imbécile, qui se plait à charrier qu'il apparaît toujours en couverture; mais ma mère ça ne la fait pas rire qu'on le représente toujours avec un tetine, car elle dit que c'est se moquer.
— J'essaie d'enlever au gamin la manie de la tetine, et il faut que le type me le dessine toujours avec la tétine.
Je pense qu'au début les gens achetaient les livres dans mon quartier, mais ils ont arrêté de le faire car ils disaient qu'ils n'allaient pas gaspiller de l'argent pour se voir gros et laids et dans des situations ridicules. De même qu'ils se déchaînaient contre ma mère dans la rue, et ensuite elle me disait :
— Tu vas voir, Manolito, que tu vas finir par me faire des ennemis de tout le monde.
— Pas moi, maman; c'est celle qui écrit les livres, car elle ne garde que le pire de ce que le lui raconte.

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Vanessa nous propose sa traduction :

LES GENS DE MON QUARTIER SE PLAIGNENT

Ce que je vais te raconter dans ce chapitre de ma vie, surtout ne le raconte à personne, parce que dans ce chapitre, je pleure, et les chapitres dans lesquels je pleure me font un peu honte. Mon grand-père dit que quand on a autant de livres sur sa vie, c'est normal que de temps en temps le personnage principal (moi, par exemple) pleure à cause d'une terrible malchance. Mon grand-père dit que ça, ça plaît énormément au lecteur, que le lecteur se met à pleurer aussi, comme si la malchance était la sienne. Quel lecteur bizarre ! Les lecteurs que je connais, moi, qui soit dit en passant vivent tous dans le Haut Carabanchel, se tordent de rire chaque fois que le personnage principal en voit de toutes les couleurs, surtout si ce personnage, c'est moi. Le crâneur du quartier, Yihad, dit que le moment où il aime le plus mes livres de ma vie, c'est quand je me casse la figure, ou quand ma mère me met une torgnole, ou alors quand c'est lui qui casse mes lunettes. Yihad, en plus d'être frimeur, c'est un menteur, parce qu'un jour sa propre mère m'a dit :
— Ne fais pas attention à lui, Manolito, celui-là, il n'ouvrirait pas un livre même s'il était dedans.
Au début, dans mon quartier, tout le monde a acheté le premier tome de ma biographie, pour la nouveauté, et pour voir s'ils y apparaissaient. Mais ensuite ils ont arrêté de les acheter parce qu'ils étaient drôlement fâchés, non seulement à cause de la façon dont je parle d'eux, mais aussi à cause de la façon dont les dessine Emilio Urberuaga. Mademoiselle Asunción, en arrivant en classe, a dit qu'il l'avait dessiné comme une grosse vache, et nous ça nous a tellement fait rire que la maîtresse a dit qu'elle ne voulait plus voir aucun enfant avec un de mes livres entre les mains. Ma voisine la Luisa a dit que telle que cet individu l'avait représentée dans les dessins, on aurait dit qu'elle avait au moins cinquante ans.
— Mais, Luisa, — lui a dit ma mère —, il se trouve que tu en as cinquante-deux.
— Oui, mais ça, lui il ne le sait pas, et tu seras d'accord avec moi, Cata, j'en fais dix de moins ! Un artiste ne fait pas ça, un artiste te dessine à ton avantage, ou alors il ne te dessine pas, ou bien qu'il aille dessiner sa mère !
— Mais pourquoi tu me racontes ça à moi, Luisa — lui a dit ma mère —, moi il me peint toujours avec un menton si gros qu'on dirait un pélican.
Monsieur Ézéchiel aussi a protesté, parce qu'il dit que dans les dessins on ne prend jamais en compte les travaux qu'il a fait dans le bar :
— Et, véritablement, à l'heure actuelle mon bar « Le Faux Pas » est aussi beau qu'un bar de Paris, mais ce type-là on dirait qu'il ne comprend pas.
— Ou qu'il ne veut pas comprendre ! — dit un client qui a eu lui aussi son portrait dans un de mes livres. Mon père aussi il se plaint, il se plaint du fait qu'on le peint toujours très gros :
— Et moi, je n'ai jamais eu ce ventre-là, Cata, je ne l'ai jamais eu !
En vérité, je ne connais personne dans mon quartier qui soit content de sa représentation dans les livres. Je mens, il y en a un : l'Imbécile, qui adore délirer sur le fait que le dessinateur le dessine toujours sur les couvertures ; mais ma mère, ça ne la fait pas rire qu'on le dessine toujours avec la tétine à la bouche, parce qu'elle dit que ça, c'est rire de ses bêtises.
— Moi je suis en train d'essayer de lui enlever la manie de la tétine au petit, et il faut toujours que le bonhomme me le peigne avec.
Je dis qu'au début les gens achetaient les livres dans mon quartier, mais ils ont arrêté de le faire, parce qu'ils ont dit qu'ils n'allaient pas dépenser leur argent pour se voir gros et moches, et faisant le pitre. C'est aussi ce qu'ils lâchaient à ma mère dans la rue, et elle ensuite elle me disait :
— Voyons voir, Manolito, tu vas finir par me mettre tout le monde à dos.
— Moi non, maman ; c'est celle qui écrit les livres, qui retient toujours le pire de ce que je lui raconte.


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Olivier nous propose sa traduction :

LES GENS DE MON QUARTIER SE PLAIGNENT
Ce que je vais te raconter dans cet épisode de ma vie, tu ne dois le raconter à personne, parce que dans cet épisode je pleure, et j’ai un peu honte des chapitres où je pleure. Mon grand-père dit que c’est normal quand quelqu’un a autant de livres sur sa vie, que le protagoniste (moi par exemple) pleure quand il lui arrive un terrible malheur. Mon grand-père dit que le lecteur adore ça, qu’il se met lui aussi à pleurer comme si tout ça lui arrivait à lui. Il est quand même bizarre ce lecteur. Moi, les lecteurs que je connais, et qui, au fait, habitent tous à Carabanchel Alto, ils se fendent la poire à chaque fois que le héros en voit des vertes et des pas mûres, et surtout si le héros c’est moi. Yihad, la petite frappe du quartier, dit que ce qu’il préfère, c’est les épisodes où je me casse la figure, où ma mère me fout une raclée, ou quand lui, il me casse mes lunettes. En plus d’être une petite frappe, Yihad est un sacré menteur parce que sa propre mère m’a dit un jour :
- Fais pas attention à lui Manolito : il a jamais ouvert un livre, et il le ferait pas même s’il était dedans.
Au tout début, dans mon quartier, parce que c’était nouveau et pour voir s’ils étaient dedans, ils ont tous acheté le premier tome de ma biographie, mais après ils ont arrêté de l’acheter parce que ils se sont sacrément fâchés, non seulement à cause de la façon dont je les décrivais, mais aussi à cause des dessins d’Emilio Urberuaga. La maîtresse Asunción est arrivée un jour dans la classe et elle a dit que sur les dessins on dirait un phoque, et nous, on a tellement rigolé qu’elle a dit qu’elle ne voulait plus voir aucun enfant avec un de mes livres dans les mains. Ma voisine, La Luisa, a dit que tel que l’avait dessiné cet individu sur les illustrations, on dirait qu’elle avait 50 ans.
- Mais Luisa – lui dit ma mère – c’est que tu en as 52.
- Oui, mais lui, il ne le sait pas, et tu seras d’accord avec moi sur le fait que j’en fais dix de moins. Ce n’est pas un artiste ça, un artiste ou ça t’arrange, ou ça ne te dessine pas, sinon eh bien il a qu’à dessiner sa mère
- Mais qu’est ce que tu me racontes ça à moi Luisa – lui répondit ma mère – moi, il me dessine toujours avec un double menton, on dirait un pélican.
Monsieur Ezequiel s’est énervé lui aussi, parce que dans les dessins, on voit jamais les travaux qu’il a fait dans son bar.
- J’ai le journal El Tropezón qui a dit dernièrement que mon bar ressemblait à un bar de Paris, mais on dirait bien que ce monsieur ne comprend rien à rien.
- Ou ne veut rien comprendre ! – dit un client qui lui non plus n’était pas à son avantage dans un des livres.
Mon père se plaint lui aussi, dans les dessins, il a toujours l’air énorme.
- Et moi j’ai jamais eu cette bedaine, Cata, je l’ai jamais eu.
A vrai dire, je ne connais personne du quartier qui soit content de la façon dont il est dessiné. Ah, je me trompe, il y en a un : l’Idiot, qui est tout fier que le dessinateur le mette sur toutes les couvertures des livres. Mais ma mère, elle aime pas qu’il le dessine toujours avec la tétine dans la bouche, parce qu’elle dit que c’est trop facile de se moquer.
- J’essaye d’enlever la tétine au petit, et il faut que le gars me le dessine toujours avec.
Je sais qu’au début les gens du quartier achetaient mes livres, mais ils ont arrêté de le faire parce qu’ils disaient qu’ils n’allaient pas continuer à dépenser de l’argent pour se voir gros et moches et être ridiculisés de la sorte.
Les gens, c’est comme ça qu’ils le racontaient à me mère, et après elle, elle me disait :
- Tu vas voir Manolito que tu vas finir par me mettre tout le quartier à dos.
- Moi non, maman. C’est celle qui écrit les livres, elle ne garde que les pires choses de tout ce que je lui raconte.

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Julie nous propose sa traduction :

LES GENS DE MON QUARTIER SE PLAIGNENT.

Ne raconte à personne ce que je vais te dire dans ce chapitre de ma vie, parce que je pleure dans ce chapitre, et que les chapitres où je pleure, j’en ai un peu honte. Mon grand-père dit que quand quelqu’un a autant de livres sur sa vie, c’est normal que parfois le personnage (moi, par exemple) pleure à cause d’un terrible malheur ; il dit que le lecteur aime énormément ça, qu’il se met à pleurer lui aussi comme si le malheur était le sien. Il est bizarre ce lecteur. Les lecteurs que je connais, qui vivent tous, bien sûr, dans le Haut Carabanchel, se plient en quatre à chaque fois que le personnage en voit de toutes les couleurs. Surtout si ce personnage c’est moi. Le crâneur de mon quartier, Yihad, prétend que lorsque les livres de ma vie lui plaisent le plus c’est quand je me casse la figure, ou quand ma mère me met une calotte, ou encore quand il casse mes lunettes. Yihad, en plus d’être un crâneur, c’est un menteur, parce que sa propre mère m’a dit un jour :
Ne l’écoute pas, Manolito ; il n’ouvre jamais un livre même s’il y apparaît.
Au début, dans mon quartier, tout le monde a acheté le premier tome de ma biographie pour la nouveauté et pour voir s’ils étaient cités. Mais ensuite ils ont arrêté de les acheter parce qu’ils se sont beaucoup fâchés. Pas seulement à cause la manière dont je les décrivais, mais aussi à cause de la manière dont Emilio Urberuaga les dessinait. Madame Asunción est venue faire cours en disant qu’il l’avait faite comme un phoque, et ceci nous fit tous tellement rire que la professeure dit qu’elle ne voulait plus revoir aucun élève avec un de mes livres entre les mains. Ma voisine Luisa dit que de la façon dont ce type l’avait peinte dans ses dessins, on aurait dit qu’elle avait au moins 50 ans.
Mais, Luisa -lui dit ma mère-, tu en as 52.
Oui, mais ça lui il ne le sait pas, et tu seras d’accord avec moi, Cata, que j’en fais dix de moins que ceux que j’ai ! Un artiste ne fait pas ça. Un artiste te dessine à ton avantage, ou il ne te dessine pas, ou alors il n’a qu’à dessiner sa mère.
Mais pourquoi tu viens te plaindre à moi, Luisa -lui répondit ma mère-, s’il me reproduit toujours avec un menton qui me donne l’air d’être un pélican.
Monsieur Ezequiel rouspéta aussi parce qu’il dit que dans les dessins on ne remarque jamais les changements qu’il a faits dans le bar :
Ah, vraiment, le Tropezón a l’air d’un bar parisien maintenant, mais on dirait que cet homme ne s’en rend pas compte.
Ou qu’il ne veut pas s’en rendre compte ! -dit un client qui dont le portrait était également apparu dans un des livres. Mon père aussi se plaint, il se plaint qu’il le dessine toujours très gros :
Non mais j’ai jamais eu ce ventre, Cata, jamais je l’ai eu !
Le fait est que je ne connais personne dans mon quartier qui soit content de la façon dont il est représenté dans les livres. Je mens, il y’ en a un : l’Imbécile, qui adore frimer parce que le dessinateur le représente toujours sur les couvertures ; mais ça agace ma mère qu’on le dessine toujours avec sa sucette à la bouche, parce qu’elle dit que c’est se moquer de lui.
Alors moi j’essaye d’enlever cette manie de la sucette au petit, et il faut toujours que ce type me le dessine avec sa sucette.
Je dis qu’au début les gens achetaient mes livres dans mon quartier, mais ils ont cessé de le faire parce qu’ils disaient qu’ils n’allaient pas gaspiller leur argent pour se voir gros, laids et ridicules.
D’ailleurs, ils balançaient ça à ma mère dans la rue, et ensuite elle me disait :
Il faut faire quelque chose, Manolito, parce que tu vas finir par monter tout le monde contre moi.
Moi non, maman ; c’est celle qui écrit les livres, elle garde toujours le pire de ce que je raconte.

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Florian nous propose sa traduction :

LES GENS DE MON QUARTIER VOIENT ROUGE.

Ne rapporte à personne ce que je m'apprête à te raconter dans ce chapitre de ma vie, car dans cette partie-là, je pleure, et les parties où je pleure me font un peu honte. Mon grand-père dit que que lorsque quelqu'un possède autant de livres sur sa vie, il est normal que, de temps en temps, le personnage (moi, par exemple) pleure suite à un terrible malheur; mon grand-père dit que le lecteur adore ça, qu'il se met également à pleurer comme si l'infortune en question le concernait lui. Quel étrange lecteur. Moi, les lecteurs que je connais, et qui vivent évidemment tous dans le Haut-Carabanchel, se tordent de rire chaque fois que le personnage en bave, surtout si ce personnage, c'est moi. Le frimeur de mon quartier, Yihad, affirme qu'ils aiment par-dessus tout les livres sur ma vie quand je me casse la figure, ou quand ma mère me donne des coups derrière la tête, ou quand ce même Yihad brise mes lunettes. En plus d'être un crâneur, Yihad est un menteur puisqu'un jour sa mère m'a dit :
— Ne fais pas attention à lui, Manolito, il n'a jamais ouvert un bouquin de sa vie et en plus il est toujours enfermé.
Au début, dans mon quartier, ils avaient tous acheté le premier tome de ma biographie, pour la nouveauté, et pour voir s'ils y apparaissaient, mais ensuite ils ont arrêté de les acheter du fait de s'être pas mal fâchés, non seulement à cause de la manière dont je les décrivais, mais aussi à cause de la façon dont Emilio Urberuaga les dessinait. Un jour, la prof Asunción est arrivée en classe en prétendant qu'il l'avait faite ressembler à un phoque, et cela nous a tous fait tellement rire que la prof a exigé qu'elle ne voulait plus revoir un seul enfant avec un de mes livres dans les mains. Ma voisine Luisa a estimé que tel que cet individu l'avait représentait, on aurait dit qu'elle avait au moins 50 ans.
— Mais, Luisa, lui répondit ma mère, tu as 52 ans.
— Certes ! Mais ça, lui, il n'en sait rien, et tu seras d'accord avec moi quand je dis que je fais 10 ans de moins que mon âge! Un artiste ne travail pas de la sorte, un artiste de dépeint sous ton meilleur jour ou ne te dépeint pas, sinon qu'il dépeigne sa mère.
— Mais c'est pas auprès de moi que tu dois raconter tout ça Luisa, lui rétorqua ma mère, regarde, j'ai toujours l'air d'un pélican avec le menton qu'il me fait.
Monsieur Ezequiel aussi a protesté parce qu'il trouve que dans les dessins, on ne distingue jamais les rénovations qu'il a apportées dans son bar.
— Et actuellement, le Tropezón ressemble véritablement à un bar de Paris, mais apparemment ce monsieur ne s'en rend pas compte.
— Ou c'est qu'il ne veut pas s'en rendre compte plutôt ! s'exclama un client qui apparaît aussi dans le livre. Mon père également se plaint, il se plaint d'être toujours très gros sur les dessins.
— Et moi je n'ai jamais eu un ventre pareil ! Jamais !
En vérité, je ne connais personne de mon quartier qui soit satisfait de sa représentation dans mes livres. Je mens, il y'en à un, l'Imbécile, qui adore se vanter que le dessinateur le mette à chaque fois sur la couverture; mais cela n'amuse pas ma mère qu'on le dessine tout le temps avec sa tétine, car elle pense que c'est se moquer de lui.
— J'essaie d'enlever au gamin cette manie de la tétine, mais il faut toujours que ce gars le dessine avec.
Je dis donc qu'au début, les gens achetaient mes livres dans le quartier, mais ils ont arrêté car ils ne voulaient plus dépenser d'argent pour se voir gros, moche et tourné en ridicule. De ce fait, il les balançaient dans la rue au pied de ma mère, et elle me réprimandais ensuite :
— Voyons, Manolito, tu vas finir par te brouiller avec tout le monde.
— Moi non, maman, c'est celle qui écrit les livres qui se retrouve avec tout les mauvais côtés de ce que je lui raconte.

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Stéphanie nous propose sa traduction :

Les gens de mon quartier rouspètent

Ce que je vais te raconter dans ce chapitre de ma vie, ne le répète à personne, parce que dans ce chapitre je pleure, et j'ai un peu honte des chapitres où je pleure. Mon papy, il dit que quand on a autant de livres sur sa vie, c'est normal que, de temps en temps, le héros (moi, par exemple) pleure à cause d'un terrible malheur ; mon papy il me dit que ça plaît beaucoup au lecteur, que le lecteur il se met à pleurer, lui aussi, comme si c'était le sien de malheur. Il est drôlement bizarre ce lecteur. Les lecteurs que, moi, je connais, qui vivent tous, bien sûr, à Carabanchel Alto, chaque fois qu'il arrive un pépin au héros, ils sont pliés de rire, surtout si le héros en question, c'est moi. Le crâneur de mon quartier Yihad il dit que les moments où il aime le plus les livres sur ma vie c'est quand je me casse la figure, ou quand ma mère me colle une gifle, ou quand lui, il me casse mes lunettes. Yihad, en plus d'être un crâneur, c'est un menteur, parce que sa propre maman m'a dit un jour :
— Ne l'écoute pas, Manolito ; ce garnement n'ouvre jamais de livre, même s'il est dedans.
Au début, dans mon quartier, ils ont tous achetés le premier tome de ma biographie, parce que c'était nouveau et aussi, pour voir s'ils étaient dedans, mais ensuite ils ont arrêté de les acheter parce qu'ils se sont sacrément fâchés, pas seulement à cause de comment je les décrivais, mais aussi à cause de comment Emilio Urberuaga il les dessinait. Asunción, la maîtresse elle est venue dans la classe en nous disant qu'elle, on aurait dit un phoque sur le dessin, et ça nous a tous tellement fait rigoler que la maîtresse nous a dit qu'elle ne voulait plus revoir aucun enfant avec un livre à moi entre les mains. Ma voisine, la Luisa elle dit que vu comment ce type l'a dessinée, on lui aurait donné au moins 50 ans.
— Mais, Luisa – elle lui a dit ma maman –, tu en as 52.
— Oui, mais, ça lui, il ne le sait pas, et tu seras d'accord avec moi, Cata pour dire que j'en fais dix de moins ! Un artiste ne fait pas ça, un artiste, soit il te met en valeur, soit il ne te dessine pas, soit il s’en va tirer le portrait de sa mère.
— À qui le dis-tu Luisa – elle lui a dit ma maman –, moi, il me peint toujours avec un menton tellement gros qu'on dirait un pélican.
Monsieur Ezequiel aussi il a protesté parce qu'il dit que dans les dessins on ne voit jamais les travaux qu'il a faits dans le bar :
— Alors que, vraiment, aujourd'hui mon Tropezón on dirait un vrai bar de Paris, mais ce monsieur on dirait qu'il ne capte pas.
— Ou qu'il ne veut pas capter – a dit un client qui a aussi été dessiné dans un des livres.
Mon papa aussi il se plaint, il se plaint parce qu'il le fait toujours très gros :
— Et moi, je n'ai jamais eu de bedaine, Cata, jamais de la vie !
La vérité c'est que je ne connais personne de mon quartier qui soit content de comment il est dessiné dans les livres. Ce n'est pas vrai, il y en a un : l'Imbécile, il adore frimer parce que le dessinateur il le met toujours sur les couvertures ; mais ma maman, ça ne la fait pas rire, qu'on le dessine avec la tétine dans la bouche, parce qu'elle dit que ça ne fait qu’encourager ses âneries.
— J'essaie de lui faire perdre cette manie de la tétine au petit, et le type n'a rien d'autre à faire que de toujours me le dessiner avec la tétine.
Je disais donc qu'au début les gens achetaient les livres dans mon quartier, mais ils ont arrêté de le faire parce qu'ils disent qu'ils ne vont pas dépenser des sous pour se voir gros, moches et ridiculisés. C'est comme ça qu'ils le lançaient à ma maman dans la rue et ensuite elle me disait :
— Il faut voir, Manolito, par ta faute, je vais finir par me brouiller avec tout le monde.
— C'est pas moi, maman, c'est celle qui écrit les livres, elle garde toujours le pire de ce que je lui dis

***

Jessica nous propose sa traduction :

CEUX DE MON QUARTIER SE PLAIGNENT.
Tu ne dois parler à personne de ce que je vais te raconter dans ce chapitre de ma vie, parce que dans ce chapitre je pleure, et j’ai un peu honte des chapitres dans lesquels je pleure. Il dit, mon grand-père, que quand quelqu’un a autant de livres écrits sur sa vie, il est normal que quelque fois le protagoniste (moi, par exemple) pleure à cause d’un terrible malheur. Il dit, mon grand-père, que cela plaît beaucoup au lecteur, que le lecteur se met à pleurer aussi, comme si le malheur était le sien. Le lecteur est quelqu’un de très étrange. Les lecteurs que je connais, moi, qui vivent à coup sur tous à Carabanchel Alto, sont morts de rire à chaque fois que le protagoniste en voit de toutes les couleurs, et surtout si ce protagoniste c’est moi. Le frimeur de mon quartier, Yihad, il dit que les livres sur ma vie qu’il préfère sont ceux où je tombe, où quand ma mère me met des claques derrière la tête, où encore quand il me casse mes lunettes. Yihad, en plus d’être un frimeur, c’est un menteur, parce qu’un jour sa propre mère m’a dit :
—Ne t’occupes pas de lui, Manolito, il est incapable d’ouvrir un livre même s’il lui tombe dessus.
Au début, tous les gens de mon quartier ont acheté le premier tome de ma biographie, pour la nouveauté et pour voir s’ils étaient cités dedans. Mais ensuite, ils ont cessé de l’acheter car ils étaient assez fâchés, pas seulement à cause de la façon dont moi je les décrivais, mais aussi à cause de la manière dont les avait dessiné Emilio Urberuaga. La maitresse Asunción est arrivée dans la classe en criant qu’il l’avait dessiné ressemblant à un phoque, ce qui nous à tous fait éclaté de rire, à tel point que la maitresse s’est écriée qu’elle ne voulait plus voir un seul d’entre nous avec un de mes livres entre les mains. Luisa, ma voisine, elle, elle dit que la façon dont l’avait dessiné cet individu la faisait paraître avoir au moins 50 ans.
—Mais Luisa- lui a dit ma mère- tu as 52 ans !
—Oui, mais lui il ne le sait pas, et tu seras d’accord avec moi, Cata, pour dire que je parais au moins dix ans de moins que mon âge ! Un artiste ne fais pas cela, un artiste te dessine à ton avantage, ou ne te dessine pas, ou il n’a qu’à dessiner sa mère.
—Et tu viens me dire ça à moi Luisa- lui a répondu ma mère-, moi qu’il dessine toujours avec un menton qui me fait ressemblé à un pélican.
Monsieur Ezequiel a lui aussi protesté parce qu’il dit que les dessins ne représentent jamais à leur juste valeur les rénovations qu’il a fait dans son bar :
—Mon bar El Tropezón est tellement moderne qu’on dirait un bar de Paris, mais ce monsieur ne semble pas s’en rendre compte.
—Ou il n’a pas envie de s’en rendre compte !- a riposté un client, lui aussi dépeint dans un de mes livres. Mon père se plaint lui aussi, il se plaint d’être toujours représenté trop gros.
—Je n’ai jamais eu ce ventre, Cata, je ne l’ai jamais eu.
Pour dire la vérité, je ne connais personne de mon quartier qui soit contente de l’image qu’elle a dans mes livres. Ah je mens, il y en a un : l’Imbécile, à qui cela l’enchante de crâner car le dessinateur le représente toujours sur la couverture. Mais cela n’amuse pas ma mère car il est toujours dessiné la suce dans la bouche, elle dit que c’est se moquer d’elle.
—J’essaie de lui ôter cette manie de la tétine, et ce mec me le représente toujours avec la suce.
Je disais donc que les gens de mon quartier achetaient au début mes livres mais ils ont cessé de le faire parce qu’ils disent qu’ils ne veulent plus dépenser un centime pour se voir gros, moches et ridiculisés. Ils l’ont même jeté sur ma mère dans la rue, elle m’a ensuite dit :
—Réfléchis Manolito, tu vas finir par me mettre tout le monde à dos.
—Pas moi maman ; c’est celle qui écrit les livres et qui garde toujours le pire de ce que je lui raconte.

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Sonita nous propose sa traduction :

CEUX DE MON QUARTIER SE PLAIGNENT
Ce que je vais te raconter dans ce chapitre de ma vie, ne le raconte à personne, parce que dans ce chapitre je pleure, et les chapitres dans lesquels je pleure me font un peu honte. Mon grand-père dit que quand on a autant de livres sur sa vie il est normal que de temps en temps le héros (moi, par exemple) pleure à cause d’un terrible malheur ; mon grand-père dit que le lecteur aime beaucoup cela, que le lecteur se met à pleurer comme si c’était aussi son malheur. Qu’ils sont étranges ces lecteurs. Les lecteurs que moi je connais, qui vivent tous, bien sûr, à Carabanchel Alto, à chaque fois que le héros en voit de toutes les couleurs ils en sont morts de rire, surtout si c’est moi ce héros. Le crâneur de mon quartier, Yihad, dit que les livres qu’il aime le plus sur ma vie c’est quand je trébuche, ou quand ma mère me donne un coup sur la nuque ou alors quand il casse mes lunettes. Yihad, en plus d’être un crâneur est un menteur, je le sais parce que c’est sa propre mère qui m’a un jour dit :
—Ne fais pas attention à lui, Manolito, celui-là n’ouvre pas un bouquin même s’il est dedans.
Au début, dans mon quartier tout le monde a acheté le premier tome de ma biographie à cause de la nouveauté et pour savoir s’ils y figuraient, mais après ils ont arrêté de les acheter parce qu’ils se sont mis très en colère, pas seulement à cause de la manière dont je les y mettais mais aussi à cause de comment je leur peignais Emilio Urberuaga. Mademoiselle Asunción vint dans la classe pour dire qu’elle, je l’avais peinte comme un phoque et cela nous a fait tous tellement rire qu’elle ne voulait plus voir aucun enfant avec un livre à moi entre les mains. Ma voisine Luisa me dit que la façon dont j’avais dessiné ce personnage dans les dessins, on aurait dit qu’elle avait au moins 50 ans.
—Mais Luisa – lui dit ma mère — tu as 52 ans.
—Oui, mais ça il ne le sait pas, tu seras d’accord avec moi, Cata, que je fais dix ans de moins. Un artiste ne fait pas ça. Un artiste te peint sous ton meilleur jour, ou il ne peint pas, ou alors qu’il peigne sa mère.
—Mais, qu’est-ce que tu me dis là, Luisa — lui dit ma mère — si moi elle me dessine toujours avec menton qu’on aurait dit un pélican.
Monsieur Ezequiel, lui aussi protesta parce que, selon lui, dans les dessins on n’apprécie jamais les réformes qu’il a faites dans le bar.
—Et, sincèrement, j’ai El Tropezón actuellement qui ressemble à un bar parisien, mais ce monsieur ne semble pas s’en rendre compte.
—Ou alors il ne veut pas s’en rendre compte — dit un client dont le portrait était aussi dans l’un des livres. Mon père aussi,il se plaint, il se plaint qu’on le dessine toujours aussi gros :
—Et je n’ai jamais eu ce ventre-là, Cata, jamais !
La vérité est que je ne connais personne dans mon quartier qui soit content avec la manière dont il apparaît dans les livres.
Je mens. Il y en a un : l’Imbécile qui adore crâner sur le fait que le dessinateur le met toujours en couverture, mais ma mère ne trouve pas ça drôle qu’on le dessine toujours avec une tétine dans la bouche, parce qu’elle dit que ça c’est rire de ses pitreries.
—Moi j’essaie de lui enlever cette manie de la tétine, et ce gosse doit toujours le peindre avec la tétine.
Je dis qu’au début les gens achetaient les livres dans mon quartier, mais ils ont arrêté de le faire parce ils n’allaient pas dépenser de l’argent pour se voir gros et moches et en train de faire le ridicule, donc ils le lâchaient à ma mère dans la rue et puis elle me disait :
—Il faut voir, Manolito, que tu vas finir par me brouiller avec tout le monde.
Pas moi maman, c’est celle qui écrit les livres qui garde toujours le pire de ce que je lui raconte.

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