samedi 18 septembre 2010

Exercice d'écriture : « Palissade », par Vanessa Canavesi

En photo : la palissade
par ilgigrad

Blotti dans son repaire, Ylan a encore réussi à se faire oublier. Il s'est faufilé dans le hangar, petite musaraigne échappant à la surveillance insouciante des ouvriers, et est sorti par la grande porte métallique, sans que personne ne s'en aperçoive. Il lui est bien sûr interdit de flâner de ce côté-ci du chantier, mais l'enfant est curieux de nature, c'est comme ça. Une fois à l'air libre, il s'élance vers l'immense béance, sur un chemin qu'il invente au fur et à mesure, les bottes ensevelies dans un mélange de boue et de gravas. Tout en bas de ce cratère infâme gît la dalle de béton, recouverte de ferraille ; Ylan pâlit tout-à-coup à l'idée de se retrouver bloqué dans le fond du gouffre, et s'éloigne du précipice. Mise à part la grande grue mécanique qu'il trouve fort amusante, il se dit que ces hommes qui travaillent là en bas ont de drôles d'occupations. Lui est curieux, mais surtout rêveur, et dans le haut pays de ces rêves ce monde-là n'existe pas. Ou pas tout à fait. De l'autre côté du miroir, le chantier est un parc d'attractions, le cratère immonde une piscine avec toboggan ; et surtout, il n'y a pas de clôture. Ylan court désormais vers son poste de prédilection : celui de l'observateur en chef. Il est hors de question de rester cloîtré toute la matinée dans le bureau de son père, alors que le monde dehors vit intensément. Quel dommage d'avoir encerclé cet endroit d'une palissade si géante qu'elle paraît blesser le ciel ! Ce sera un palace en bord de mer avec une vue imprenable d'après l'affiche publicitaire, mais pour l'instant aucune vue sur l'extérieur n'est autorisée. Par un interstice rond comme une bille qu'il a déniché quelques jours auparavant, Ylan colle son œil droit du plus fort qu'il peut sur la palissade, et contemple l'univers parallèle. Les palmiers frémissent sous le vent, leurs feuilles en éventail, d'un vert éclatant, virevoltent, parfois vivement ballottées de droite à gauche, d'autre fois seulement bercées, comme accompagnées par la brise. Plus de béton, ni de fer, les galets polis soufflent l'air chaud qu'ils ont amassé, la mer infinie délivre son présage éternel de liberté. Terré derrière la froide palissade, Ylan imagine déjà un plan d'évasion.

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