samedi 16 octobre 2010

Exercice d'écriture : « Dans la salle d'attente », par Benoît Lafficher

En photo : déphasé
par josselin

Et voilà, c'est reparti pour un tour !
J'ignore pourquoi, mais au réveil, je sens que cette journée va être particulièrement longue. On a vraiment fait fort hier soir, je ne sais pas comment on a pu dérapé à ce point, mais une chose est sûre, on a réussi. Tout a pourtant commencé tranquillement, la règle était simple : petit apéritif entre amis, suivi d'un petit resto, tout ce qu'il y a de plus normal quand on s'apprête à célébrer le demi-siècle de son ami d'enfance. Après tout, nous ne sommes pas des machines, on commence à avoir de la bouteille, et puis surtout on a passé l'age de faire la bringue toute la nuit , en particulier quand on bosse le lendemain.
Je dois reconnaître cependant que je n'ai pas été très malin sur ce coup-là. Connaissant les lascars avec qui je m'embarquais, j'aurai dû prévoir que ça dégénèrerait, ça dégénère toujours, et moi, à chaque fois, comme un mouton, je suis bêtement le troupeau. L'apéritif aurait été assez calme, un ou deux verres plus ou moins, si le taxi ne nous avait pas rappelés pour nous dire qu'il ne pourrait pas nous prendre avant neuf heures. Et là, forcement, on n'allait pas rester à discuter, ingurgitant cacahuètes sur cacahuètes, sans se réhydrater un minimum. Déjà, je sentais que la soirée ne se passerait pas comme je l'avais prévu. Les verres se vidaient puis se remplissaient, la bouteille de scotch se vidait, l'aiguille des minutes avançait, et enfin l'heure de partir arriva. La course en taxi me parut interminable, entre la cacophonie dans la voiture, c'était à se demander s'ils avaient fait un pari pour voir qui parlerait le plus fort, et la faim qui me nouait l'estomac, je n'avais qu'une hâte : poser mon arrière-train sur une chaise, me mettre les pieds sous la nappe et attendre qu'on me serve… vite. Un bon quart d'heure après être arrivés dans le restaurant, nous étions enfin assis, il faut dire que ça prend du temps de vérifier si la réservation avait bien été faite et ensuite placer les clients à leur table. Mon visage s'illumina quand je vis le serveur s'avancer vers nous. Plaisir écourté par la formule d'approche du garçon de salle :
— Prendrez vous un apéritif ?
L'erreur.
Je n'ai malgré tout pas un si mauvais souvenir du restaurant, vague certes mais pas si mauvais. Au moment de l'addition, le serveur aux cheveux gras fut remplacé par une très charmante hôtesse, choix très judicieux de la direction, car oui, on crache plus facilement des billets à une jolie fille. L'heure vint de lever le camp, le cœur aussi léger que le portefeuille. « Allez, un dernier pour la route ! » Voilà les derniers mots dont je me souviens.
Sept heures et demie, le réveil sonne, une douche, un café et en piste. J'ai un tas de rendez-vous ce matin, mais, contre toute attente, je me sens assez frais, du moins pendant les vingt minutes qui suivent la douche. J'arrive au boulot, je salue les quelques confrères que je croise et m'installe.
À me voir, on dirait un vieux camé de quarante cinq balais qui n'a pas eu sa dose. Je me remue d'une manière incontrôlée et incontrôlable, je croise et décroise mes jambes, même gymnastique pour mes bras, jusqu'à se que ma tête vienne se blottir dans mes mains, les coudes sur les genoux. J'observe la pendule, envouté par un tic tac obsédant. Huit heures cinquante cinq, toujours personne, cela fait maintenant trente minutes que je poirote, le cul vissé à ma chaise. La porte s'ouvre avec un grincement digne des plus grands films d'horreur, pour laisser finalement apparaître une paire de talons. Je m'efforce à redresser la tête pour voir à qui j'ai affaire, de jolies jambes, des hanches bien dessinées, la taille fine, un buste parfait, en somme une femme physiquement très intelligente, ses cheveux lui retombent légèrement sur les épaules, et le son de sa voix me pousse alors à la dévisager, me rendant compte qu'elle n'est autre que Delphine, ma secrétaire. Sa phrase me fit tressaillir et me replongea aussitôt dans la dure réalité de la vie :
« Docteur, que faites-vous dans la salle d'attente ? Votre premier patient va arriver d'un instant à l'autre. »
Oui, ça va effectivement être une très longue journée.

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