samedi 16 octobre 2010

Exercice d'écriture : « Dans la salle d'attente », par Olivier Marchand

En photo : salle d'attente
par tpv2009

Mais qu'est-ce qu'ils foutent tous là ? Ils se sont donnés rendez-vous ou quoi ? Ça fait deux jours que j'ai 40° de fièvre, je me décide enfin à sortir du lit, je me traîne jusqu'au cabinet pour une consultation, je rentre dans la salle d'attente, et là, il y en a pas un, pas, deux, pas trois, mais huit ! Et vas-y que je te fais des simagrées, que ça va pas du tout, que je suis à l'article de la mort, que j'ai oublié de prendre rendez-vous et vous allez bien me laissez passez devant vous mon bon monsieur… Tu t'es cru où, la vieille ? Pour les miracles, c'est pas ici, et tu sais très bien où c'est, parce que tu y vas tous les ans en pèlerinage avec tes copines. Quand tu vois le nombre qu'ils sont chez le médecin et chez le pharmacien, tu comprends assez rapidement l'origine du trou de la Sécu. Le médecin va leur dire que c'est rien, qu'avec un peu de repos ça passera, et tout le tralala pour leur faire comprendre que le seul problème, c'est qu'elles sont vieilles. Et alors elles, qu'est-ce qu'elles font à ce moment là ? Je te le donne en mille. Au lieu d'aller se reposer comme leur a conseillé le docteur, de rester enfermé chez elles, non, elles courent direct chez un second médecin pour confronter les avis, pour être bien sûr que c'est rien, pour vérifier que le premier s'est pas trompé dans le diagnostic. Mais grand-mère, il t'a dit que t'avais rien le généraliste. Il a fait dix ans d'études, alors bon, je dis pas que t'es stupide, mais le gars, il s'y connaît sûrement mieux que toi. Tu sais l'incontinence et les trous de mémoire chez les gens comme toi, c'est normal. Faut pas chercher midi à quatorze heures !
Et alors, n'allez pas croire qu'elles ne sortent que quand elles sont malades. Non, les personnes âgés, c'est un fardeau de tous les instants.
A la boulangerie, tu remarqueras qu'il y en a toujours au moins une devant toi, et ce à n'importe quelle heure de la journée. Toi quand tu y vas, t'en as pour deux secondes mais elles … Elles viennent jamais pour acheter une baguette ou deux pains au chocolat. Non, c'est : « et je vais vous prendre une petite tarte aux framboises pour mon petit-fils qui vient dimanche après-midi, et mettez-moi donc aussi 300 grammes de petit four pour le soir, au cas où ils restent à diner et, vous n'avez plus de tarte aux poireaux, parce que je vous en ai pris une mardi dernier et gnagnagna et gnagnagna... ». Mais on s'en fout la vieille ! Est-ce que je lui raconte moi, à la pauvre boulangère, ma vie privée ? Non. Et pourquoi ? Parce qu'elle en à rien à secouer ! Et tous ceux qui attendent derrière toi, c'est la même ! C'est pas parce qu'on est plus jeune que toi (et en même temps, le contraire serait difficile) qu'on est obligés de supporter tes histoires qui, en plus d'être inintéressantes au plus au point, n'ont, dans quatre-vingt dix pour cent des cas, ni queue ni tête.
Il y en a d'autres des exemples tout aussi énervants : les supermarchés, par exemple. Après avoir jeté un coup d'œil dans ton frigo (du jus de citron, deux yaourts nature et une aubergine en pleine décomposition : pas de quoi préparer quelque chose de consistant !), tu te décides, accompagné de tes deux gamins excités comme des puces, à aller faire des courses. Et là, le bon Dieu a décidé que t'en avais pas assez bavé, et il t'inflige le châtiment divin suprême. L'Égypte à connu les nuages de sauterelles, eh ben toi, t'auras droit à la colonie de vieilles. Dans les rayons, ça va encore, mais à la caisse … Celle qu'est devant toi,deux de tension, trois de pression, il lui faut une demi-heure pour sortir sa monnaie et le double pour ranger ses courses et celle qui est derrière … Alors elle, c'est la pire. Elle t'adresse ce petit sourire édenté que tu pourrais prendre comme une marque de bienveillance, comme un signe d'amabilité. Détrompe-toi ! Si elle te sourit, c'est uniquement par intérêt personnel, pour te faire culpabiliser, pour que tu te sentes mal et que tu lui lâches La phrase. Mais si, vous aussi vous la connaissez la phrase : « Allez-y, ma petite dame, je vois que vous n'avez pas grand chose, passez donc devant moi ». Avec moi, j'aime autant vous dire que ça ne marche pas. Tu peux me montrer tes gencives autant que tu veux, mamie, tu resteras derrière ! C'est le comble quand même ! Ça a toute la journée pour faire ses course, eh ben non, il faut que ça vienne à 18h, pour bien faire chier son monde. Et n'essaye même pas de me doubler par la gauche parce que je te balance un coup de coude et je t'envoie direct au fond du magasin dans le rayon charcuterie ! Non mais pour qui elle se prend l'ancienne …
Alors des solutions, vous me direz qu'il n'y en a pas mille. Eh ben moi je vous en propose au moins une. J'ai vu l'autre jour un reportage passionnant sur une ethnie d'Amérique du Sud. Lorsque les aînés se faisaient trop vieux, et que, pour parler franchement, ils devenaient inutiles (appelons un chat un chat), le chef du village prenait la décision de les abandonner dans la forêt ! Mamie, tu prends tes clics et tes clacs et tu vas te promener quelques jours dans la jungle ! Autant vous dire que le problème des retraites serait réglé en deux temps trois mouvement. Imaginez-vous un trekking pour le 3ème âge. On affrète des cars dans toute la France, on va les chercher aux quatre coins du pays, et hop, on les dépose en plein milieu de la forêt des Landes ! Vacances illimitées pour tous ! Et comme on n'est pas non plus des ingrats, on leur donne quelques tentes, des sacs de couchage, et deux ou trois réchauds !
Je devrais peut-être soumettre cette idée au gouvernement. Finies les grèves, les manifestations, les affrontements. Plus de vieux, plus de retraites et tout le monde est content. En plus, ça ferait un bon sujet pour une émission de télé-réalité : Koh-Landes, 9 millions de participants, un seul gagnant !

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