samedi 30 octobre 2010

Exercice d'écriture : « Rebondissement », par Auréba Sadouni

« Pour rebondir sur vos propos, et pour ma défense, je vous dirai que mon problème, c’est que j’ai eu une vie pleine de rebondissements…
Tiens, j’ai un exemple. L’autre fois, j’étais tranquillement assis sur mon arrière train, dans un parc de la ville où mon maître avait pour habitude de m’emmener afin que je puisse me défouler et renifler les effluves chocolatées de mes congénères – pendant que lui profitait d’un moment de tranquillité, loin de sa casse-pied de femme, qui ne lui servait vraiment à rien, à part lui briser les bu… Écoutez-moi bien, mes frères, parce que c’est là que ça devient intéressant. Wouf ! Comme je vous disais, j’étais pépère. Il faisait un temps tout à fait agréable, les oiseaux chantaient. Il y avait des jolis p’tits culs qui s’baladaient. C’était le cadre idéal pour vivre de belles amourettes sur la pelouse. Sauf qu’en voyant l’abominable scène d’un pauvre ballon se faisant éclater la face contre le bitume par une bande de gars sans pitié, j’en ai eu l’estomac tout retourné. Et pas la peine de vous dire que c’est là que mes emmerdes ont commencé, car, comme vous avez pu le constater, quand il faut foncer dans le tas, moi, j’y vais la tête la première !
« Aaaah ! » s’est écrié longuement le gros naze » ; car il faut dire que je les lui avais planté bien profond, à c’connard ! Tandis que je me cramponnais à sa jambe, il me secouait dans tous les sens. Ça me donnait la nausée ! «Casse toi, sale clebs !, m’a-t-il balancé ; ce après quoi, une fois remis sur pattes, je lui ai rétorqué « Rrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrr ! ». Un Rrrrrr méchant ! Vous savez ! Celui pour lequel on prend soin de remonter assez haut les lèvres supérieures pour montrer à l’ennemi qu’on en a, des jolis crocs bien implantés ! Ouai ouai ! Comme ça ! Tout à fait, mon gros! Ben dis donc, mon vieux, t’as d’sacrés chicots ! Attends, toi, fais voir! Nan, nan ! Pas si près ! Pas la peine de te demander si t’es passé par les poubelles ! Mais dis donc, tu ne souffrirais pas d’halitose, par hasard ! J’ai un conseil infaillible pour ça. Ah bon ! Tu n’sais pas c’que c’est ! Ben c’est d’ fermer ta gueule ! Ouaf ouaf ouaf ! Oh ! Ça va ! J’te taquine ! En même temps, vaut mieux rire que pleurer ! Faut rigoler ! Faut rigoler ! Avant qu’le ciel nous tombe sur la tête !
Bon, trêve de plaisanteries. Ça s’est mal terminé, tout ça. L’union faisant la force, en considérant qu’ils étaient bien plus de dix, je me suis retrouvé à jouer le rôle du souffre-douleur ; et vas-y que j’t’éclate la gueule par terre et que j’te fais rebondir, encore et encore ! J’en garde de lourdes séquelles.
À la suite de cette cascade de coups et morsures, j’étais complètement sonné. Je me suis même retrouvé devant Chien Pierre, qui ne voulait pas me laisser entrer, sous prétexte que je n’ai jamais voulu partagé mon os et que j’ai trop un caractère de chien pour être accepté parmi les bons toutous à sa môman. Et eux, ce ne sont pas des chiens, peut-être ! Non ! Ce sont des toutous ! Nuance ! Des toutous à sa mémère ! La crème de la lèche ! J’ai dû me justifier, faire appel à des témoins, qu’il ne m’a pas été facile de trouver. En fait, je crois que j’ai été victime de discrimination raciale, parce qu’on m’a dit que Chien Pierre, si ta gueule ne lui revient pas, il te refuse. Alors j’ai joué des pieds et des mains pour obtenir la permission de pénétrer ce paradis canin. J’ai donc pu arriver à mes fins, quand soudain, mon cœur a fait un bond, et je me suis retrouvé dans un lieu moche et sale. J’ai été ramené à la vie, ouai ! À cette chienne de vie !
Allongé par terre, paralysé, je voyais mon maitre qui dormait. Il ne s’était rendu compte de rien car, comme toujours, vu qu’il était narcoleptique, il avait rejoint les bras de Morphée, une personne qu’il appréciait particulièrement car il lui rendait visite très souvent. Quand il s’est réveillé, moi, je n’étais plus là. On m’avait embarqué et emprisonné. Lui aussi, il s’est retrouvé dans une cage, à c’que j’ai pu comprendre, mais pas pour la raison que vous croyez. Pas pour avoir laissé en liberté un chien enragé, non. Pendant que lui dormait paisiblement sur le banc, on lui avait glissé dans la poche des petites pilules roses que les chiens qui bossaient pour la police ont repérées. Mais quels batards, j’te jure ! Ils n’auraient pas pu la fermer ! Mais non ! Ceux-là, j’les connais bien ! En plus de fourrer leur pif partout, Il faut toujours qu’ils fassent de la lèche ! Vous êtes bien d’accord avec moi !?
Eh ben à cause d’eux, maintenant, chuis bien dans la merde ! Suite à la décision du juge de me faire piquer, mon maitre a eu une attaque de crise cardiaque. Il est tombé dans les pommes, l’audience a été reportée à plus tard, mais seulement, quand il a appris que la décision avait changé, que j’allais rester en vie, et qu’on avait arrêté les gars des pilules roses parce qu’ils avaient été repérés grâce aux caméras (parce qu’aujourd’hui, il y a des caméras partout), son cœur a bondi de joie, et il a eu une autre crise cardiaque. Il est mort sur le coup, dans les bras de son avocat. Si ce n’est pas une affaire à rebondissement, ça !
En tout cas, moi, chuis bien dans la mouise ! Sa femme m’a viré et aujourd’hui, comme vous tous, j’erre, affamé, dans ces rues malfamées. J’espère pouvoir rebondir et retomber sur mes pattes, mais je n’y crois plus trop. Qui voudrait d’un pauvre déchet d’la société comme moi ! Hein !?
J’vais vous dire! Franchement ! Moi, cette vie de merde ! Je m’en serais bien passé ! Et attendez d’voir ! Là, ici, on joue au trampoline ! Attendez d’voir, là haut, comment ça s’passe ! Faut pas croire ! Comme ici-bas, là haut, il y a des bas et des hauts, mais surtout des hauts et des bas ! Une fois que t’es arrivé au sommet, il y a toujours une main invisible qui te ramène à l’endroit d’où tu viens !
Bon, c’est bien joli d’pleurer sur mon sort, mais là, j’ai les crocs! Pas vous ? Ça ne vous dirait pas, d’faire un p’tit tour à la benne ? »

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