samedi 30 octobre 2010

Exercice d'écriture : « Rebondissement », par Olivier Marchand

En photo : coquecigruechimerecrayon essai 02
par COQUE6GRUE

Il n'était pas de ces sybarites qui, faisant fi des préceptes religieux, coqueliquaient à tout-va, s'adonnaient à la paillardise et jouaient allègrement avec leur vit. Sans toutefois ressentir de l'aversion ou quelconque forme de dégoût pour ces hommes à l'esprit primesautier et aux mœurs légers, il ne savait, quant à lui, succomber aux formes, si généreuses soient-elles, de la première caillette venue.
Vivre à la cour en appliquant à la lettre la morale qui était la sienne et que certains hommes d'Église, baignant dans l'ignorance, auraient jugé exemplaire, n'était pourtant pas simple. Cette conduite, qu'on tiendrait bien volontiers pour honorable, engendrait quantité de caquetades et de clabauderies : des pelotes de mensonges, roulées par les dames de la Cour, rebondissaient jusque dans les faubourgs de Paris où le rouet des soubrettes, des alberguières et autres drolettes les grossissaient tant et tant. On trouvait, entremêlées dans les fibres de ces mensonges, nombre de coquecigrues et de billes vezées qui ébaudissaient aussi bien les grands nobles que les petites gens.
Il est vrai que l'homme était une source intarissable de commérages, tant pour les chattemites du Louvre que pour le peuple de la belle Paris. Son physique, que bien des muguets de cour lui enviaient, déclenchait dans les cœurs du gentil sesso d'ardentes passions que son indifférence n'était pas à même d'éteindre. Ses yeux vifs, d'un vert profond, sa bouche enfantine aux lèvres vermeil, son nez bourbonien et ses cheveux blonds bouclés, quotidiennement testonnés avec soin par sa fidèle chambrière, faisaient chavirer le cœur des garces. Mais peu chalaient au jeune homme les regards féminins qui se posaient sur lui.
En ses vertes années, il n'avait pourtant pas été sans baisser la garde une ou deux fois devant les œillades que les demoiselles du Louvre, assurées de leurs charmes, lancent à la dérobée. Toutefois, il se ramentevait que le temps avait amati l'éclat de ces yeux et avait recouvert du voile de la banalité ces doux visages. Aussi vivement que sûrement, il avait alors délaissé la mignotte et s'en était retourné en ses appartements.
Il s'apprêtait aujourd'hui à effectuer le voyage que tout homme se voit contraint, un jour, d'accomplir. La date de son département avait été avancé : les déguisements sous lesquels il se dissimulait, de la pique du jour à la tombée de la nuit, avaient fini par choir et le monde l'avait alors découvert tel qu'il était. Princes et ribaudes, harenguiers et pastourelles, tous l'avaient alors conspué et voué aux gémonies. Le lendemain de cette découverte, une demi douzaine d'archers avaient forcé l'entrée de ses appartements, l'avaient violemment extirpé des bras de Morphée et après l'avoir traîné, non sans un malin plaisir, dans les rues de la capitale, l'avaient embastillé. Sa condition de noble avait quelque peu assoupli le châtiment qui devait lui être infligé : certes, il échapperait à la hart, mais il ne pouvait point cependant se soustraire au sort que l'Église catholique réservait aux bougres.
Et alors que les flammes rougeoyantes dévoraient avidement le bûcher de bois sur lequel on l'avait placé, il enfouit dans la gibecière de sa mémoire l'image de ce jeune fol qu'il avait passionément aimé.

Aucun commentaire: