vendredi 22 octobre 2010

Exercice d'écriture : « Rose », par Vanessa Canavesi

En photo : Deuil
par Giulia_

Et puis un jour, presque quatre mois après son accident, j'ai enfin eu le courage de retourner dans sa chambre. Ma mère avait fait place nette, juste après être rentrée de la cérémonie, comme s'il s'agissait d'une tâche ménagère ordinaire, comme s'il suffisait de déplacer et de ranger pour passer à autre chose. Je l'ai détestée pour ça. Stoïque, elle multipliait les aller-retours au grenier, elle vidait minutieusement les tiroirs de la commode, les étagères, et moi, le visage morne, je la regardais être son propre automate, défaire, refaire, emballer, classer. Parce que c'était une affaire classée : on ne devait en aucun cas revenir sur ce qui s'était passé avant, surtout pas sur ce qui s'était passé entre elles. Je lui en ai vraiment voulu, à ma mère, surtout pour ça. Elles ne s'adressaient plus la parole depuis des semaines, l'ambiance familiale était pitoyable. Bien sûr, – je l'ai gardé pour moi – ma grande sœur projetait de quitter la maison, pour toujours. D'une certaine manière, elle a réussi. Rosie était trop différente, au goût de ma mère, trop inaccessible. Aussi loin que remonte ma mémoire, elles n'ont jamais rien partagé, ni conversations, ni confidences, ni même leurs vêtements. En fin de compte, sa disparition n'a rien changé dans la vie de ma mère.
Mais ma sœur me manquait, à moi. Ça devait me trotter dans la tête depuis un bout de temps, même si je ne savais pas vraiment ce que ça signifiait. Un jour, j'ai eu envie de la revoir, de me replonger dans son univers, simplement, d'affronter son absence, aussi. En passant dans le couloir, presque sans m'arrêter, ma main a enfoncé la poignée de la porte de sa chambre, pour la première fois depuis des mois, et, sans trop savoir comment, je me suis retrouvée assise sur son lit, que ma mère avait refait avec des draps qui n'étaient pas les siens. J'ai observé, longuement, la chambre, la fenêtre, le plafond. J'ai imaginé ce qu'elle percevait quand elle se trouvait là, les images qui se formaient dans son esprit. Je savais que l'armoire était vide, qu'il restait des étagères sur les murs, mais plus aucun bibelot, plus aucune photo, juste une petite lampe sur le chiffonnier. Pourtant, j'ai fait glissé le premier tiroir de la table de nuit à côté du lit, certaine de ne rien trouver. Évidemment, c'était le cas. Et j'ai ouvert le deuxième, machinalement. Dans le fond, une petite enveloppe qu'on n'avait pas refermée. Je l'ai récupérée, sans réfléchir, et j'ai dévoilé son contenu avec stupeur : une épaisse liasse de feuillets, arrachés à un petit carnet à spirales, couverts d'écritures, griffonnés parfois. Ça commençait comme ça : « Ma Rose, » – c'était l'écriture de Maman. Mon corps entier a frissonné. Alors, tout s'est bousculé, le désir irrépressible de savoir, la peur des révélations, et mes yeux ne pouvaient plus se détacher du texte, ils le dévoraient, relisant la première phrase, encore et encore. Je n'ai pu m'empêcher de voler les derniers mots, à la hâte, avant d'entreprendre la lecture de l'ensemble. J'espère que tu sais que je t'ai toujours aimée, Rose. Maman avait jeté là-dedans toutes ses armes, tout ce qu'elle pouvait produire en matière de sentiments, elle l'avait livré à ces bouts de papiers raturés, et ses mots, troublants, profonds, Rose les avait reçus, les avait compris, j'en étais convaincue.

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