vendredi 12 novembre 2010

Exercice d'écriture (imaginez la suite…), par Alexis Poraszka

Crac… Badaboum.
— Bon sang ! s'exclama l'inspecteur principal Dover.
L’explosion avait fait voler en éclats le mur de l’entrepôt. L’inspecteur, tombé à genoux, toussa et tenta de discerner la silhouette qui s’avançait devant lui, cachée derrière un écran de fumée. Il tenta de saisir son revolver mais à peine eut-il le temps de s’apercevoir que celui-ci ne se trouvait pas dans son étui que l’ombre sortit de l’obscurité. Dover sentit alors sur son front la froideur du canon et dans son cœur les battements s’accélérer. Cette fois, le jeu s’arrêtait là. Il se sentait désormais vaincu par l’ennemi… On dit que, au moment de passer l’arme à gauche, on voit notre vie défiler devant nos yeux ; pour Jimmy Dover, c’était toute l’enquête qui défilait. Il le savait, jamais, au grand jamais il n’aurait dû accepter cette mission. Le voilà le résultat, un beau gâchis et ce n’était pas censé se passer comme cela : dès le départ cette affaire avait pris une tournure inverse à tout ce qu’il avait pu imaginer et était devenu un vrai capharnaüm…
En fait, tout avait commencé à Athènes, l’année précédente. On l’avait envoyé en Grèce pour mener l’enquête sur une octogénaire portugaise dénommée Elvira Abreu faisant l’objet d’un mandat international pour une affaire de meurtre sur un ressortissant italien répondant au nom de Michele Buonino. Il s’agissait d’ailleurs du seul homicide portant clairement la signature de La Cabrona, comme elle se faisait appeler dans le milieu de la Pègre. Une octogénaire aux tendances meurtrières, psychotiques et schizophrènes, « facile » s’était dit Dover. Il avait pensé, à tort, qu’en une semaine la mamie flingueuse serait derrière les verrous. Ou dans un asile. Ou en maison de retraite. Bref, partout sauf en liberté, à courir les rues en tabassant du bout de sa canne les pauvres seniors de sexe masculin ! Quelle ne fut pas sa surprise quand elle lui échappa, à maintes reprises, et déjoua les services secrets les plus aguerris de la planète : depuis les années soixante, elle avait semé les polices chinoise, tadjik, moldave, gabonaise, indienne, polonaise et bien d’autres… Jimmy s’était alors dit que sa renommée de grand inspecteur n’avait d’égale que celle de la senior killeuse et qu’il s’était enfin trouvé un ennemi digne de ce nom. Elle avait assassiné le pauvre rital d’une horrible manière. Un crime sanglant, dénué de la moindre sensibilité envers sa victime. En fait, d’après les témoignages, elle n’avait pas supporté que son Michelino ne la trompe avec Miss Paxton, une anglaise sénile, excentrique, bruxomane de surcroît et souffrant d’incontinence verbale. Le pauvre Buonino avait fini la tête dans la machine à laver, le dentier coincé au fond de la gorge, les yeux ouverts avec du scotch chatterton et vidangé au Dash deux en un ‘fraîcheur d’agrumes’. Ce crime ayant été commis sur le territoire français, l’inspecteur Dover avait mis un point d’honneur à la poursuivre jusqu’au bout du monde afin de lui passer les menottes. Lui qui avait une véritable conscience du métier de policier, il s’était refusé à laisser cet odieux personnage, collectionnant les cadavres comme un enfant collectionne les billes, narguer la fière police française. Son enquête l’avait donc mené à Athènes. Il avait passé des jours et des jours à la suivre dans les petites rues et l’avait même perdue au milieu d’un groupe de touristes allemands du troisième âge venus visiter l’Acropole. Ensuite, silence radio. Puis le miracle s’était produit, cela faisait plusieurs jours qu’il n’avait pas eu de nouvelles de son indic, et celui ci lui envoya un texto qui lui redonna l’espoir : en quittant la piste de l’aéroport Eleftherios Venizelos ce matin là, la compagnie Lufthansa avait prévenu les autorités italiennes après avoir compté, parmi ses passagers en partance pour Rome, la vieille femme trucidaire recherchée par Interpol. Il avait donc saisit d’un coup de main son pardessus et son chapeau, quitté sa chambre à la hâte, dévalé les escaliers et traversé le grand hall de l’hôtel avant de s’engouffrer dans un taxi. Il s’était rendu à Rome aussi vite que possible et, en arpentant les rues jouxtant la Fontaine de Trevi, il s’était trouvé nez à dentier – la portugaise, contrairement aux lois de la nature, ne s’était pas tassé avec l’âge, loin de là, à chaque crime elle gagnait un centimètre douze, selon les rapports – avec la mamie excitée de la gachette. Malheureusement, il était encombré, de sa main gauche avec une glace à la fior di latte achetée à San Crispino, et de sa main droite avec son exemplaire du Routard. Aussi vive qu’un panda dans une plantation de bambou, la petite vieille avait quand même laissé sur place notre grand inspecteur au milieu de la foule nippone occupée à faire des photos des pièces au fond de la fontaine, de la louve sur les bouches d’égout, et des chewing-gums collé sous leurs chaussures. La poursuite fut semée de nouvelles embuches : notre bon Jimmy avait été devancé par les Carabinieri qui faisaient de cette enquête une affaire personnelle, après tout, le macchabée n’était autre qu’un pauvre septuagénaire italien ayant eu l’imprudence de devenir l’amant d’une criminelle jalouse. Il avait donc dû user de bon nombre de stratagèmes pour devancer les policiers italiens qui semblaient avoir plus d’intérêt à l’arrêter lui plutôt qu’à la poursuivre elle. Finalement, en fin de course, il avait aperçu la vieille femme à l’entrée d’un chantier. Une pancarte annonçait que les lieux étaient interdits au public. « Forcément » s’était-il dit. Il avait passé non sans peine la palissade de bois et avait suivi les traces. Première bonne nouvelle, la meurtrière avait abandonné sa canne en cours de route… Elle se trouvait donc à moitié désarmée. Il avait pénétré dans un vieil entrepôt miteux menaçant de s’effondrer au moindre éternuement. Tout était si sombre. Lui aussi avait décidé d’abandonner un objet : il avait posé le guide du Routard sur le sol et s’était avancé péniblement, un peu barbouillé par la glace qui lui restait sur l’estomac. Et l’explosion s’était produite…
Voilà toute l’histoire. Et voilà comment, pour la première fois de sa vie, il se trouvait du mauvais côté du revolver.

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