mardi 23 novembre 2010

Exercice d'écriture : « Mystère », par Vanessa Canavesi

En photo : Cheval de bois
par gnik_b76620

À l'intérieur de la bâtisse centenaire, derrière la vitre ruisselante, dans l'atmosphère douce et chaude d'un bureau bourgeois, je me rappelle. Je me rappelle... Le regard sibyllin de la jeune fille sur la balançoire, les chênes, la forêt du domaine, la bonne, imperturbable, qui pose sur la photo de famille. La demande, dans le parc, à genoux sous la statue, du jeune homme, bouquet à la main, à sa fiancée qui trépigne ; ses grands yeux noirs, leur lueur trouble souvent, et moi qui grandit. Je revois les sourcils froncés, la drôle de moustache du père, ému aux larmes, la petite musique de l'orchestre musette, la grand-mère qui rit aux éclats et qu'on fait valser, les costumes blancs, les masques de la noce ; le vent, les cravates qui dansent, la gaieté des repas de juillet pris sur la terrasse. Et moi, de plus en plus gros. La jeune femme devenue mère, je me souviens bien de ses enfants, de leurs jeux devant la maison, du petit cheval de bois qu'on a placé dans le jardin, des jappements du jeune chien noir ; du sourire du cousin germain, où de pauvres quenottes sont absentes, des pleurs de la petite dernière qui gambade et tombe dans l'herbe, des frères jumeaux réunis dans un grand baquet rempli d'eau, qui s'éclaboussent et éclaboussent leur père, paisible dormeur sous l'ombrage d'un tilleul. Je me remémore à peine les instants de deuil, et les feuilles couleur terre de Sienne qui choient, à l'arrière-saison ; il faut croire que je ne suis là que pour les petits et les grands bonheurs. Muet, je revois défiler leurs souvenirs, ce sont mes souvenirs, c'est la grande maison de campagne où l'on vient en villégiature, le parc, la forêt, les enfants et le temps qui change mais finit par revenir.
Je suis solitaire désormais, comme la barque dont je me souviens encore, abandonnée sur la berge, avec les rames à l'intérieur ; c'est un tirage Sépia : les tons pastel de la lune au-dessus du lac, les nuages bruns dans un ciel ambre foncé, où l'on peut toujours prévoir l'orage qui éclata ce soir-là. À l'abri des intempéries, je demeure, tous les jours, toutes les nuits, dans le petit bureau de la maison familiale. Qui voudra m'interroger à nouveau ? Relique figée de leur histoire, j'accompagne les portraits à l'huile suspendus sur les murs, le tic-tac du coucou défraîchi, la tapisserie fleurie d'un autre âge ; anthologie parmi les autres, reléguée aux boiseries de la bibliothèque, j'ai perdu ma place privilégiée d'œuvre en train de se faire. Entre mes pages, je recueille précieusement ces arrêts sur images, clichés jaunis qui ne révèleront jamais plus, même à qui pensera le deviner, le pâle mystère de ces vies passées.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour ,

Je viens de m'apercevoir que vous utiliser une de mes photo de flikR sur votre blogue , cela ne me dérange nullement , mais vous auriez pu au moins demander a l'auteur et propriétaire , l'autorisation d'utilisation .

Bandit76

Si vous voulez me connaitre , vous pouvez me trouver là ou vous l'avez prise , et si vous voulez d'autre photo de sujets , je suis prêt a vous rendre ce service .

PC

Tradabordo a dit…

Bonjour, Bandit76…
Je vous précise que nous n'utilisons pas les photos que nous prenons sur Flickr à des fins commerciales… Il s'agit, comme vous l'aurez remarqué, d'illustrer gentiment d'innocents travaux d'étudiants. Si l'on ajoute à cela que nous notons scrupuleusement les noms et coordonnées des auteurs et propriétaires des photos en questions… (ce qui vous a d'ailleurs permis de nous retrouver – ce qui n'aurait pas été le cas si nous n'avions rien indiqué du tout), il nous semble que cela est un moyen direct et clair de rendre à César ce qui est à César. Si vous souhaitez que nous retirions votre cliché, nous le ferons évidemment…