mercredi 22 décembre 2010

Entretien avec Nathalie Lacroix, libraire (Le Comptoir des mots, Paris 20e), réalisé par Stéphanie Maze

Plus qu'une librairie, Le Comptoir des mots est un lieu de vie culturelle. Nathalie Lacroix, à l'origine de ce projet, a gentiment accepté de répondre à mes questions.

1) Comment est né Le comptoir des mots ?
J'ai créé Le comptoir des mots avec Renny Aupetit le 4 décembre 2004. Nous allons avoir 6 ans dans quelques jours. Notre idée était de créer la librairie dont nous rêvions en tant que lecteurs, une librairie exigeante mais pas élitiste, où il fait bon traîner, s'asseoir dans un fauteuil pour choisir un livre, venir avec ses enfants, demander des conseils aux libraires...
Le comptoir des mots est une librairie généraliste, plus de la moitié de la librairie est consacrée à la littérature avec une attention marquée pour la poésie et le théâtre. On peut y venir en famille, une grande place est consacrée aux enfants et bien sûr, on y trouve aussi des sciences humaines, de la BD, des beaux arts, des livres de cuisine...
Ce que vous n'y trouverez pas : du parascolaire et paraprofessionnel (droit, marketing, informatique...), des loisirs créatifs.

2) Selon vous, comment Le comptoir a-t-il réussi à se faire une place de choix malgré le foisonnement des librairies parisiennes ?
Nous avons créé la librairie dans notre quartier, le XXe arrondissement, non loin de notre domicile, quartier que nous affectionnons. Or, il y a pas mal de belles et bonnes librairies dans cet arrondissement mais il n'y en avait pas près de la Place Gambetta, lieu central du XXe près de la Mairie, du théâtre de la Colline, du cinéma MK2 Gambetta et de l'hôpital Tenon. Nous avons tout de suite travaillé en partenariat avec les autres acteurs culturels et associatifs du quartier. La librairie doit être un lieu de vie à part entière et refléter la vie de la Cité. De plus, nous avons dès le début organisé des rencontres avec des auteurs : lectures, débats, signatures, projections,... Et nous nous sommes attachés à accorder une place primordiale au conseil en constituant une équipe de libraires spécialisés, passionnés et à l'écoute des questions des lecteurs.

3) Des critères particuliers quant au choix des livres que vous vendez ?
Tous les livres qui sont proposés au Comptoir des mots ont été choisi par un libraire. Aucun livre ne nous est envoyé d'office par les éditeurs et c'est pour nous très important. Chaque libraire, spécialisé dans un domaine, choisit les livres correspondants avec les représentants. Bien sûr, nous privilégions les livres que nous aimons et que nous avons envie de défendre. Nos choix se font en fonction des auteurs, des maisons d'éditions. Nous lisons et essayons d'être attentifs à la découverte de nouveaux talents. Bien sûr, nous sommes aussi attentifs aux attentes de nos lecteurs et c’est aussi grâce à eux, leurs choix, leurs lectures, leur curiosité, la confiance qu’ils nous font, que nous pouvons avoir un fonds et des nouveautés de qualité.

4) Quelle place accordez-vous à la littérature étrangère ? Et les clients ?
La littérature étrangère occupe une place de plus en plus importante dans la librairie. Nous avons même créé depuis cet été un rayon en V.O. en langue anglaise. De plus en plus de lecteurs nous demandaient des livres en langue originale. En terme chiffrés, la littérature étrangère représente le même poids que la littérature française (plus de 3 000 volumes) avec environ la moitié pour la littérature anglo-saxonne.

5) Outre l'anglais, quelles sont les nationalités les plus représentées et/ou vendues ?
Effectivement, les anglo-saxons sont les mieux représentés, les plus traduits et certainement les plus demandés et donc vendus mais la France traduit beaucoup et dans différentes langues. Il est difficile pour moi de parler en terme de nationalités. En effet, à la librairie, les livres sont classés par langue de traduction ou par zone géographique. Le classement de la littérature étrangère est toujours un peu un casse-tête et nous n'avons pas trouvé de solution parfaite. Il tient compte de deux contraintes : la taille de la librairie (il serait ridicule de créer un rayon pour y mettre seulement quelques livres) et l'attention que nous avons à ce que les lecteurs s'y retrouvent le plus facilement possible (et dans certains cas, ce n'est ni la langue, ni la zone géographique d'ailleurs qui est un critère déterminant pour eux). Les anglais sont donc mélangés avec les américains. Vous trouverez un domaine lusophone qui réunit, comme son nom l'indique, les auteurs de langue portugaise et donc par exemple des portugais, des brésiliens et des angolais. Nous avons un domaine asiatique qui réunit toutes les littératures de ce continent quelque soit la langue, un domaine Allemand, un domaine Europe de l'Est, un domaine nordique, un domaine italien, un domaine russe, Europe de l'est, moyen orient et bien sûr un domaine espagnol... Nous avons créé un domaine Indien et Africain afin que ces littératures souvent traduites de l’anglais pour les premiers et écrites en français pour les seconds ne soient pas perdues dans le domaine anglo-saxon et français et soient mieux mises en avant et plus facilement identifiables par les lecteurs qui ne cherchent pas un auteur en particulier mais souhaitent découvrir un univers.
Les plus représentées sont les littératures de langue allemande et espagnole mais de peu et tous les domaines (hors anglo-saxons) sont à peu prêt équivalents. Certains peuvent à des moments particuliers "grossir" un peu pour des raisons diverses souvent liées à des événements organisés autour d’un pays (Belles étrangères, Invité d'honneur du Salon du Livre, phénomènes de mode comme les auteurs nordiques depuis le succès de Millenium...) qui incitent les éditeurs à traduire plus une nationalité qu'une autre à un moment mais dans l'ensemble l'équilibre revient vite. Ces particularités permettent d'ailleurs de découvrir un certain nombre d'auteurs et d'enrichir le fonds. Nous pouvons aussi prendre l’initiative de mettre en avant et de travailler particulièrement un domaine littéraire. Nous avons créé, par exemple, il y a 2 ans, un domaine Yiddish. En effet, nous avons rencontré Rachel Ertel, spécialiste et traductrice du Yiddish et nous avons organisé une rencontre à la librairie autour de cette littérature extrêmement riche mais largement oubliée.

6) Vous avez fait le choix de soutenir de "petits" éditeurs, pourquoi ? Les clients y sont-ils sensibles ?
Nous sommes très attentifs aux "petites" maisons d'éditions indépendantes, non pas parce que c'est un gage certain de qualité mais parce que dans certains cas, elles font un travail précieux et exigeant que l'on ne retrouve pas ailleurs et qu'il est important de mettre en avant. Nous souhaitons que nos lecteurs ne trouvent pas exactement les mêmes livres au Comptoir des mots qu'ailleurs. Nous pensons même que c'est pour cette raison qu'il est important de préserver les librairies indépendantes, parce que de l'une à l'autre, vous ne trouverez pas les mêmes libraires, donc pas les mêmes livres et que c'est ainsi que l'on peut lutter contre l'uniformisation et contribuer à assurer la diversité du paysage éditorial.

7) Votre librairie est un véritable lieu d'échange, l'interaction entre les auteurs ou autres acteurs de la chaîne du livre vous semble-t-elle importante ?
Oui, bien sûr, c'est fondamental. La librairie ne peut plus se contenter d'être un lieu "mort" seulement faite de papiers qui prennent la poussière. Elle doit refléter l'énergie, la passion de tous ceux qui font ce métier. Et bien évidemment, en premier lieu des auteurs, qui pour beaucoup sont bien vivants. Nous cherchons le juste équilibre entre ce que l'on appelle le fonds en grande majorité constitué par des auteurs des siècles passés et la place consacrée à la création des auteurs contemporains qui prennent des risques, travaillent la langue, tentent d'inventer de nouvelles formes. Les portes de la librairie leur sont grandes ouvertes pour venir parler de leur travail et partager leur passion. Nous organisons aussi des rencontres avec des éditeurs. Beaucoup ont des choses passionnantes à dire sur leur métier, comment ils construisent leur catalogue, les auteurs qu'ils éditent. De septembre 09 à juin 10, nous avons même organisé, dans le cadre du programme résidence d'écrivains en Ile-de-France et de la résidence que nous menions au sein de la librairie avec le poète Frédéric Forte, une rencontre par mois entre un éditeur et un auteur sur le thème : " comment nait un livre de poésie ?". Nous sommes aussi très attentifs aux traducteurs. Pour ma part, je ne lis aucune langue étrangère et donc depuis toujours de la littérature traduite. Les traducteurs sont donc fondamentaux dans mon rapport à la littérature étrangère. Nous avons organisé une grande soirée il y a 3 ans pour feu "Lire en fête" qui s'intitulait "La nuit des traducteurs fous ou comment lire et traduire des livres dit intraduisibles et illisibles" (titre un peu pied de nez) pour laquelle nous avions invité Claro et Bernard Hoepffner à venir nous parler de leur métier et des auteurs qu'ils traduisaient. Nous continuerons bien sûr à organiser des rencontres autour de la traduction dès que l'occasion s'en présentera et nous avons d’ailleurs pour projet de refaire une soirée cette année autour de la traduction de l’allemand.

8) Quelques titres à recommander pour cette fin d'année ?
Pour la fin d'année, notre particularité est de constituer une sélection assez longue. Le principe : chaque libraire du comptoir des mots choisit un livre dans tous les domaines de la librairie. Nous avons défini un certain nombre de rubriques : littérature française, littérature étrangère, polars/SF, essais, albums jeunesse, romans jeunesse, BD jeunesse, voyage/cuisine, beaux arts/photo, "très gros" cadeaux (plus de 100 euros), "très petits" cadeaux (moins de 10 euros), cadeaux sexy soit 11 catégories assez subjectives (que nous rallongerions bien si nous nous écoutions). Notre idée, là aussi, est de montrer qu'il n'y a pas un seul livre pour tout le monde (comme tente parfois d'essayer de nous le faire croire la presse) mais bien une multitude de choix et un cadeau sur-mesure pour chacun d'entre nous. Nous sommes justement en train de finaliser cette longue liste et elle sera disponible à la librairie et envoyée par mail à nos lecteurs dans les jours qui viennent :
Permière partie : .
http://web.lecomptoirdesmots.fr/email.php?id=212&cv=tFgxmc0EiNbaQH6DtAgx&xid=j97Cnib9Vk7pC1jCLgL8&ji
Deuxième partie :
http://web.lecomptoirdesmots.fr/email.php?id=213&cv=mNF9EtJfUh5w1FetPIC8&xid=j97Cnib9Vk7pC1jCLgL8&ji
Il m'est donc difficile (et une entorse à la règle) de ne citer ici que quelques titres. Mais comme nous parlons de littérature étrangère, je vais faire cette entorse et vous livrer un titre, parce que c'est un auteur que je viens de découvrir et qui m'a époustouflée, tant sur la forme que sur le fond. Il invente une langue et aborde des sujets qui vont de l'intime au Politique. Il s'agit de "Renégat, roman des temps nerveux" de Reinhard Jirgl, traduit de l'allemand par Martine Rémon aux éditions Quidam. C'est le deuxième livre de cet auteur que publie Pascal Arnaud des éditions Quidam. J'étais complètement passée à côté du premier mais je vais m'empresser de pallier à cette erreur et je vous invite vivement à vous précipiter chez votre libraire pour le découvrir.

1 commentaire:

Stéphanie a dit…

Merci !