jeudi 24 février 2011

Entretien avec Frédérique Laurent (traductrice), réalisé par Vanessa Canavesi

Frédérique Laurent est traductrice littéraire et auteur (nouvelles et récits). Elle traduit notamment du polonais et de l'allemand vers le français, essentiellement des romans et de la poésie ; elle intervient dans de nombreuses conférences sur la traduction et sur le métier de traducteur.
Elle a très gentiment accepté de répondre à mes questions. Je tiens particulièrement à l'en remercier.

1. Comment en êtes-vous venue à la traduction ?
J’ai toujours écrit, et j’ai toujours aimé écrire. Après avoir étudié l’allemand et l’italien, j’ai vécu plusieurs années à l’étranger où je traduisais chaque fois que j’étais sollicitée, et que les textes proposés entraient dans le domaine de mes compétences : la littérature, les arts et le sport. Puis un tout jeune auteur m’a confié son premier livret destiné à de jeunes lecteurs. Dès lors, je n’ai pas cessé de travailler pour la presse spécialisée, dans le domaine des beaux-arts. J’ai compris que je devrais choisir un jour entre l’enseignement et le métier de traducteur. Je suis rentrée en France quelques années après et j’ai entrepris des études de polonais ; j’étais attachée de presse dans un théâtre et je continuais de lire beaucoup, d’écrire et de traduire des essais notamment ; un écrivain et ami m’a demandé un jour si j’accepterais de traduire son livre, il recherchait alors un éditeur français… J’ai accepté sans hésiter, et l’audace a dû provoquer la chance…
Je dois aussi vous préciser que je suis auteur de nouvelles et de récits.

2. Votre première traduction, qu’en pensez-vous aujourd’hui ?
Je ne l’ai pas relue, car certains détails de son édition évoqueraient des souvenirs douloureux. Les conditions de cette publication n’étaient pas optimales, l’éditeur débutait dans la profession et certaines « précautions » m’ont échappé. Erreurs de jeunesse ! En ce qui concerne mon texte, je l’écrirais sans doute autrement aujourd’hui, car une œuvre est toujours « perfectible ». Néanmoins, je suis heureuse de son existence, telle qu’elle est.

3. Quel type de littérature traduisez-vous le plus ?
Je traduis surtout des romans et de la poésie. Il m’arrive parfois de travailler pour l’audiovisuel, en collaboration. J’aime traduire pour le cinéma, même si les contraintes qu’il impose et les qualités qu’il requiert sont très différentes de celles d’une œuvre littéraire.

4. Choisissez-vous les textes que vous traduisez ?
Il m’est arrivé de refuser de traduire un livre que je ne pouvais pas défendre, ou qui me déplaisait vraiment. J’ai la chance de rencontrer des éditeurs qui me proposent des livres à mon goût, et des auteurs pour lesquels j’ai envie de m’exprimer. Parfois, je propose un roman ou un choix de textes à une maison d’édition. C’est une démarche qui demande beaucoup d’énergie, mais qui peut porter ses fruits.

5. Entretenez-vous de bons rapports avec les éditeurs ?
Dans l’ensemble, oui. Mieux vaut travailler dans les meilleures conditions qui soient. Car notre profession exige une grande sérénité d’esprit. Comme dans tous les domaines, et dans tous les métiers, des différends peuvent survenir ; il est nécessaire de les régler au plus vite et en bonne intelligence.

6. Quels rapports éventuels entretenez-vous avec les auteurs que vous traduisez ?
Certains auteurs deviennent des amis, d’autres sont très distants, et nous nous contentons d’échanger quelques courriels. Cela peut dépendre aussi du lien qui s’est créé entre l’éditeur et l’auteur. Il est toujours agréable de pouvoir compter sur un auteur pour répondre à nos questions. Nous sommes en « amitié » avec son texte, et c’est toujours réjouissant de l’être aussi
avec lui.

7. Que pensez-vous du métier de traducteur aujourd'hui ?
C’est une profession qui devient un métier et qui, espérons-le, bénéficiera de toujours plus de reconnaissance. Il est encore difficile de vivre exclusivement de ce métier, et il ne faut pas ignorer que beaucoup de traducteurs exercent une autre activité pour subsister, afin de continuer d’écrire.

8. Traduire a-t-il fait de vous une lectrice différente ?
Non, je crois plutôt que c’est le théâtre qui a fait de moi un lecteur différent, plus attentif, plus exigeant. Peut-être parce qu’il m’a appris à lire un texte à haute voix. Et parce que la vie d’une œuvre dépend de sa résonance. Mais c’est un vaste sujet que j’aborde souvent à l’occasion de conférences.

9. Quel est votre meilleur souvenir en tant que traductrice ?
Tout simplement quand un écrivain m’a remerciée un jour d’avoir traduit ses textes.

10. Auriez-vous un conseil à donner aux apprentis traducteurs ?
Un seul conseil ? Ils seraient très nombreux, et ils font aussi l’objet de conférences que je donne parfois, ou de conseils personnalisés quand je suis sollicitée. Je vous dirais : soyez patients, suivez votre chemin. Ce métier ne sera pas accessible à tous ceux qui désirent l’exercer. C’est une banalité. Les étudiants d’une même promotion réussissent-ils à devenir médecins, ingénieurs, journalistes, enseignants, restaurateurs d’œuvres d’art, professeurs de tennis, comédiens, instituteurs, coiffeurs, juristes dans une entreprise, toiletteurs pour chiens, etc. ? Si vous voulez vraiment faire ce métier, mettez toutes les chances de votre côté pour y parvenir. Et comptez aussi sur la chance qui peut vous sourire. Ne vous laissez pas décourager par les « spécialistes de la traduction » qui n’ont jamais traduit une œuvre de leur vie. Lisez beaucoup, perfectionnez-vous chaque jour dans votre spécialité, soyez curieux du monde qui vous entoure, et élargissez vos connaissances. Un conseil plus théorique ? Vous êtes votre premier lecteur. Relisez l’œuvre que vous avez traduite à voix haute avant de la remettre à votre autre lecteur. Vous mesurerez, à sa « résonance », le travail qu’il vous reste encore à fournir.

Frédérique Laurent
http://mapage.noos.fr/frederique.laurent/index.htm

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