dimanche 27 mars 2011

Version pour le 26 mars

CONCILIAR EL SUEÑO

Lo que ocurre, doctor, es que en mi caso los sueños vienen por ciclos temáticos. Hubo una época en que soñaba con inundaciones. De pronto los ríos se desbordaban y anegaban los campos, las calles, las casas y hasta mi propia cama. Fíjense que en sueños aprendí a nadar y gracias a eso sobreviví a las catástrofes naturales. Lamentablemente, esa habilidad tuvo una vigencia sólo onírica, ya que un tiempo después pretendí ejercerla, totalmente despierto, en la piscina de un hotel y estuve a punto de ahogarme.
Luego vino un período en que soñé con aviones. Más bien, con un solo avión, porque siempre era el mismo. La azafata era feúcha y me trataba mal. A todos les deba champán, menos a mí. Le pregunté por qué y ella me miró con un rencor largamente programado y me contestó: «Vos bien sabes por qué». Me sorprendió tanto aquel tuteo que casi me despierto. Además, no imaginaba a qué podía referirse. En esa duda estaba cuando el avión cayó en un pozo de aire y la azafata feúcha se desparramó en el pasillo, de tal manera que la minifalda se le subió y pude comprobar que abajo no llevaba nada. Fue precisamente ahí que me desperté, y, para mi sorpresa, no estaba en mi cama de siempre sino en un avión, fila 7 asiento D, y una azafata con rostro de Gioconda me ofrecía en inglés básico una copa de champán. Como ve, doctor, a veces los sueños son mejores que la realidad y también viceversa. ¿Recuerda lo que dijo Kant? El sueño es un arte poético involuntario.
En otra etapa soñé reiteradamente con hijos. Hijos que eran míos. Yo, que soy soltero y no los tengo ni siquiera naturales. Con el mundo como está, me parece un acto irresponsable concebir nuevos seres. ¿Usted tiene hijos? ¿Cinco? Excuse me. A veces digo cada pavada.
Los niños de mi sueño eran bastante pequeños. Algunos gateaban y otros se pasaban la vida en el baño. Al parecer, eran huérfanos de madre, ya que ella jamás aparecía y los niños no habían aprendido a decir mamá. En realidad, tampoco me decían papá, sino que en su media lengua me llamaban «turco». Tan luego a mí, que vengo de abuelos coruñeses y bisabuelos lucenses. «Turco, vení», «Turco, quero la papa», «Turco, me hice pipí». En uno de esos sueños, bajaba yo por una escalera medio rota, y zás, me caí. Entonces el mayorcito de mis nenes me miró sin piedad y dijo: .Turco, jodete.. Ya era demasiado, así que desperté de apuro a mi realidad sin angelitos.
En un ciclo posterior de fútbol soñado, siempre jugué de guardameta o gotero o portero o goalkeeper o arquero. Cuántos nombres para una sola calamidad. Siempre había llovido antes del partido, así que las canchas estaban húmedas y era inevitable que frente a la portería se formara un laguito. Entonces aparecía algún delantero que me fusilaba con ganas, y en primera instancia yo atajaba, pero en segunda instancia la pelota mojada se escabullía de mis guantes y pasaba muy oronda la línea del gol. A esa altura del partido (nunca mejor dicho), yo anhelaba con fervor despertarme, pero todavía me faltaba escuchar cómo la tribuna a mis espaldas me gritaba unánimemente: traidor, vendido, cuánto te pagaron y otras menudencias.
En los últimos tiempos mis aventuras nocturnas han sido invadidas por el cine. No por el cine de ahora, tan venido a menos, sino por el de antes, aquel que nos conmovía y se afincaba en nuestras vidas con rostros y actitudes que eran paradigmas. Yo me dedico a soñar con actrices. Y qué actrices: digamos Marilyn Monroe, Claudia Cardinale, Harriet Andersson, Sonia Braga, Catherine Deneuve, Anouk Aimée, Liv Ullmann, Glenda Jackson y otras maravillas. (A los actores, mi Morfeo no les otorga visa.) Como ve, doctor, la mayoría son veteranas o ya no están, pero yo las sueño tal como aparecían en las películas de entonces. Verbigracia, cuando le digo Claudia Cardinale, Harriet Andersson, Sonia Braga, Catherine Deneuve, Anouk Aimée, Liv Ullmann, Glenda Jackson y otras maravillas. (A los actores, mi Morfeo no les otorga visa.) Como ve, doctor, la mayoría son veteranas o ya no están, pero yo las sueño tal como aparecían en las películas de entonces. Verbigracia, cuando le digo Claudia Cardinale, no se trata de la de ahora (que no está mal) sino la de La ragazza con la valiglia, cuando tenía 21.
Marilyn, por ejemplo, se me acerca y me dice en un tono tiernamente confidencial: «I don’t love Kennedy. I love you. Only you. Sepa usted que en mis sueños las actrices hablan a veces en versión subtitulada y otras veces dobladas al castellano. Yo prefiero los subtítulos, ya que una voz como la de Glenda Jackson o la de Catherine Deneuve son insustituibles.
Bueno, en realidad vine a consultarle porque anoche soñé con Anouk Aimée, no la de ahora (que tampoco está mal) sino la de Montparnasse 19, cuando tenía unos fabulosos 26 años. No piense mal. No la toqué ni me tocó. Simplemente se asomó por una ventana de mi estudio y sólo dijo (versión doblada): «Mañana de noche vendré a verte, pero no a tu estudio sino a tu cama. No lo olvides».
Cómo voy a olvidarlo. Lo que yo quisiera saber, doctor, es si los preservativos que compro en la farmacia me servirán en sueños?.Porque ¿sabe? no quisiera dejarla embarazada.

Mario Benedetti, Buzón de tiempo

***

Annabelle nous propose sa traduction :

Faire de beaux rêves

Ce qui se passe, Docteur, c'est que dans mon cas les rêves arrivent par cycles thématiques. Il y a eu une époque où je rêvais d'inondations. Tout à coup les fleuves débordaient et submergeaient les champs, les rues, les maisons et jusqu'à mon propre lit. Rendez-vous compte que j'ai appris à nager en rêve et que grâce à cela j'ai survécu aux catastrophes naturelles. Malheureusement, cette habileté n'a eu qu'une validité onirique, puisque j'ai essayé plus tard de l'exercer, complètement éveillé, dans la piscine d'un hôtel et que j'ai failli me noyer. Ensuite est arrivée une période où j'ai rêvé d'avions. Plutôt d'un seul avion, car c'était toujours le même. L'hôtesse était moche et me traitait mal. Elle donnait du champagne à tout le monde sauf à moi. Je lui ai demandé pourquoi et elle m'a regardé avec une rancœur longuement mûrie et m'a répondu: « Tu sais bien pourquoi. » Ce tutoiement m'a tellement surpris que je me suis presque réveillé. En plus, je ne voyais pas à quoi elle pouvait faire allusion. J'étais dans cette incertitude quand l'avion est tombé dans un trou d'air et que l'hôtesse moche s'est étalée dans l'allée, de sorte que sa minijupe s'est levée et que j'ai pu constater qu'elle ne portait rien dessous. C'est exactement là que je me suis réveillé et, à ma grande surprise, je n'étais pas dans mon lit habituel mais dans un avion, rangée 7, siège D, et une hôtesse de l'air avec un visage de Joconde me proposait dans un anglais rudimentaire une coupe de champagne. Comme vous voyez, Docteur, les rêves sont parfois mieux que la réalité et vice-versa aussi. Vous vous rappelez ce que Kant a dit? Le rêve est un art poétique involontaire.
Pendant une autre phase, j'ai rêvé à plusieurs reprises d'enfants. Enfants qui étaient les miens. Moi, qui suis célibataire et n'en ai pas même de naturels. Avec le monde tel qu'il est, concevoir de nouveaux êtres me semble un acte irresponsable. Vous avez des enfants? Cinq? Excusez-moi. Des fois je dis de ces âneries.
Les enfants de mon rêve étaient assez petits. Certains marchaient à quatre pattes et d'autres passaient leur vie aux toilettes. Apparemment, ils étaient orphelins de mère, car elle n'apparaissait jamais et que les enfants n'avaient pas appris à dire maman. En réalité, ils ne me disaient pas non plus papa, mais dans leur balbutiement ils m'appelaient « turc ». Surtout moi, qui suis de grands-parents de La Corogne et d'arrière-grands-parents de Lugo. « Turc, viens, », « Turc, veux la pomme de terre », « Turc, j'ai fait pipi ». Dans l'un de ces rêves je descendais un escalier à moitié cassé, et paf, je suis tombé. Alors, le plus grand de mes bébés m'a regardé sans pitié et m'a dit : Turc, putain... Là c'en était trop, alors j'ai été réveillé par la gêne à ma réalité sans petits anges.
Dans un cycle postérieur de football rêvé, j'ai toujours joué comme gardien de buts, ou rempart, ou portier, ou goal, ou mur. Autant de noms pour une seule calamité. Il avait toujours plu avant la partie, ainsi les terrains étaient humides et il était inévitable qu'une mare se forme devant les cages. Apparaissait alors quelque avant-centre qui me fusillait avec plaisir, et au premier coup je l'arrêtais, mais au deuxième coup le ballon mouillé glissait de mes gants et passait très fièrement la ligne de but. À ce niveau de la partie (on ne peut pas mieux dire), je souhaitais avec ferveur me réveiller, mais il me fallait encore écouter la tribune qui criait unanimement dans mon dos : traitre, vaincu, combien ils t'ont payé et autres mesquineries.
Ces derniers temps, mes aventures nocturnes ont été envahies par le cinéma. Pas par le cinéma d'aujourd'hui, descendu si bas, mais par celui d'avant, celui qui nous émouvait et s'installait dans nos vies avec des visages et des attitudes qui étaient des paradigmes. Je me consacre à rêver d'actrices. Et quelles actrices : disons Marilyn Monroe, Claudia Cardinale, Harriet Andersson, Sonia Braga, Catherine Deneuve, Anouk Aimée, Liv Ullmann, Glenda Jackson et autres merveilles. (Mon Morphée n'accorde pas de visa aux acteurs). Comme vous voyez, Docteur, la majorité sont mûres ou ne sont plus, mais je rêve d'elles telles qu'elles apparaissaient dans les films de l'époque. Par exemple, quand je vous dis Claudia Cardinale, il ne s'agit pas de celle d'aujourd'hui (qui n'est pas mal), mais de celle de La ragazza con la valiglia, quand elle avait 21 ans.
Marilyn, par exemple, s'approche de moi et me dit d'un ton tendrement confidentiel : « I don't love Kennedy. I love you. Only you. » Sachez que dans mes rêves les actrices parlent parfois en version sous-titrée et d'autres fois sont doublées en espagnol. Je préfère les sous-titres, car des voix comme celle de Glenda Jackson ou celle de Catherine Deneuve sont irremplaçables.
Bon, en réalité je suis venu vous consulter parce que cette nuit j'ai rêvé d'Anouk Aimée, pas celle d'aujourd'hui (qui n'est pas mal non plus) mais celle de Montparnasse 19, quand elle avait 26 fabuleuses années. Ne pensez pas à mal. Nous ne nous sommes pas touchés. Elle s'est simplement penchée à une fenêtre de mon bureau et a seulement dit (version doublée) : « Demain soir je viendrai te voir, pas dans ton bureau mais dans ton lit. Ne l'oublie pas ».
Comment je pourrais l'oublier. Ce que je voudrais savoir, Docteur, c'est si les préservatifs que j'achète à la pharmacie me serviront dans mon rêve? Car, vous savez? Je ne voudrais pas la mettre enceinte.

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Julie nous propose sa traduction :

TROUVER LE SOMMEIL

En fait, docteur, dans mon cas les rêves surgissent par cycles thématiques. À une époque, je rêvais d’inondations. Tout à coup les rivières débordaient et inondaient les champs, les rues, les maisons et même mon propre lit. Figurez-vous qu’en rêve j’ai appris à nager et que grâce à cela, j’ai survécu à des catastrophes naturelles. Malheureusement, cette habileté n’eut qu’une application onirique ; parce qu’un moment plus tard, j’ai tenté de la mettre en pratique, totalement éveillé, dans la piscine d’un hôtel et j’ai été sur le point de me noyer.

Ensuite, il y eut une période durant laquelle j’ai rêvé d’avions. Du moins, d’un seul avion, parce que c’était toujours le même. L’hôtesse était très laide et elle me maltraitait. Elle donnait du champagne à tout le monde, sauf à moi. Je lui ai demandé pourquoi et elle m’a regardé avec une rancœur programmée depuis longtemps avant de me répondre : « Tu sais bien pourquoi ». Ce tutoiement m’a tellement surpris qu’il a failli me réveiller. En plus, je ne savais pas à quoi elle pouvait faire allusion. J’étais en train de me le demander quand l’avion chuta dans un trou d’air et que l’hôtesse très laide s’étala dans le couloir, de telle façon que sa minijupe est remontée et que j’ai pu constater qu’en dessous, elle ne portait rien. C’est à cet instant précis que je me suis réveillé, et, à ma surprise, je n’étais pas dans mon lit habituel mais dans un avion, rangée 7 siège D, et une hôtesse au visage de Joconde m’offrait une coupe de champagne dans un anglais approximatif. Comme vous le voyez docteur, quelquefois les rêves sont mieux que la réalité et vice-versa. Vous vous souvenez de ce qu’a dit Kant ? Le rêve est un art poétique involontaire.

Lors d’une autre étape, j’ai rêvé à plusieurs reprises d’enfants. Des enfants qui étaient à moi. Moi, qui suis célibataire et qui n’en ai même pas de naturels. Avec le monde tel qu’il est, cela me semble être un acte irresponsable que de concevoir de nouveaux êtres. Vous avez des enfants ? Cinq ? Excuse me. Parfois je dis de belles sottises. Les enfants de mon rêve étaient assez petits. Certains marchaient à quatre pattes tandis que d’autres passaient leur vie aux toilettes. Apparemment, ils étaient orphelins de mère, vu qu’elle n’apparaissait jamais et que les enfants n’avaient pas appris à dire « maman ». En réalité, ils ne me disaient pas non plus « papa », mais, dans leurs balbutiements ils m’appelaient « turc ». À moi, dont les grands-parents viennent de La Corogne et les arrières grands-parents de Lugo. « Turc, viens », « Turc, je veux à manger », « Turc, j’ai fait pipi ». Dans un de ces rêves, je descendais par un escalier à moitié cassé, et vlan, je suis tombé. C’est alors que le plus grand de mes petits m’a regardé sans pitié et a dit : Turc, bien fait pour ta gueule… C’en était trop, et par conséquent je me suis réveillé en vitesse pour rejoindre ma réalité vide de petits anges.

Dans un cycle ultérieur de football rêvé, j’ai toujours joué comme gardien de but ou goal ou portier. Tant de noms pour une seule calamité. Il avait toujours plu avant la partie, de sorte que le terrain était humide et qu’il était inévitable qu’un petit lac se forme devant les cages. Alors, apparaissait un avant qui me fusillait avec verve. Dans un premier temps, je maîtrisais mais ensuite, la balle mouillée filait de mes gants et passait fièrement la ligne des buts. À ce niveau de la partie (jamais à vrai dire), je désirais vivement me réveiller mais je devais encore écouter de quelle manière la tribune criait unanimement dans mon dos : traître, vendu, combien ils t’ont payé et autres bricoles.

Ces derniers temps, mes aventures nocturnes ont été envahies par le cinéma. Pas par le cinéma d’aujourd’hui, qui a tant fait faillite, mais par celui d’avant, celui qui nous émouvait et qui s’appropriait nos vies avec des visages et des attitudes qui étaient des paradigmes. Je me consacre à rêver d’actrices. Et quelles actrices : Marylin Monroe, Claudia Cardinale, Harriet Andersson, Sonia Braga, Catherine Deneuve, Anouk Aimée, Liv Ullmann, Glenda Jackson et autres merveilles. (Mon Morphée n’octroie pas de visa aux acteurs). Comme vous pouvez le voir, docteur, la plupart sont âgées ou ne sont plus de ce monde, mais je les rêve telles qu’elles apparaissaient dans les films d’alors.

Par exemple, quand je vous dis Claudia Cardinale, il ne s’agit pas de celle de maintenant (qui n’est pas mal) mais de celle de La ragazza con la valiglia, lorsqu’elle avait 21 ans.

Marylin, notamment, s’approche de moi et me dit, sur un ton tendrement confidentiel : « I don’t love Kennedy. I love you. Only you ». Sachez que dans mes rêves, les actrices parlent parfois en version sous-titrée et d’autres fois doublées en espagnol. Je préfère les sous-titres, parce qu’une voix comme celle de Glenda Jackson ou celle de Catherine Deneuve sont irremplaçables.

Bon, en vérité, je suis venu vous consulter parce qu’hier soir j’ai rêvé d’Anouk Aimée, pas celle de maintenant (qui n’est pas mal non plus) mais celle de Montparnasse 1, quand elle avait environ 26 ans fabuleux. Ne pensez pas à mal. Je ne l’ai pas touchée et elle non plus. Elle a uniquement passé sa tête par la fenêtre de mon atelier et dit (version doublée) : « Demain soir je viendrai te voir. Pas à ton atelier mais dans ton lit. Ne l’oublie pas ».

Comment vais-je l’oublier. Ce que j’aimerais savoir, docteur, c’est si les préservatifs que j’achète en pharmacie me seront utiles dans les rêves ? Parce que, vous savez, je ne voudrais pas la mettre enceinte.


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Perrine nous propose sa traduction :

TROUVER LE SOMMEIL

Ce qui se passe, docteur, c’est que dans mon cas, les rêves arrivent par cycles thématiques. Pendant une époque, je rêvais d’inondations. Les rivières étaient soudain en crue et submergeaient les champs, les rues, les maisons, et même mon propre lit. Figurez-vous que j’ai appris à nager dans mes rêves et grâce à ça, j’ai survécu aux catastrophes naturelles. Malheureusement, cette habileté a eu une durée de validité uniquement onirique, puisque quelques temps plus tard, j’ai essayé de l’exercer, totalement éveillé, dans la piscine d’un hôtel, et j’ai failli me noyer.

Ensuite, durant une autre période, j’ai rêvé d’avions. Ou plutôt, d’un seul avion, car c’était toujours le même. L’hôtesse de l’air était laide et me traitait mal. Elle offrait du champagne à tous les passagers, sauf à moi. Je lui ai demandé pourquoi, elle m’a regardé avec une rancœur amplement anticipée et m’a répondu : « Tu sais très bien pourquoi ». Ce tutoiement m’a tellement étonné que j’étais à eux doigts de me réveiller. Par ailleurs, je ne voyais pas à quoi elle faisait référence. J’étais plongé dans ce doute lorsque l’avion est tombé dans un trou d’air et l’hôtesse s’est effondrée dans le couloir, de sorte que sa mini-jupe s’est soulevée et que j’ai pu apercevoir qu’elle ne portait rien dessous. C’est à ce moment précis que je suis sorti de mon sommeil, et à ma grande surprise, je ne me trouvais pas dans mon lit de tous les jours, mais dans un avion, rangée 7, siège D, et une hôtesse de l’air au visage de Joconde me proposait une coupe de champagne dans un anglais sommaire. Comme vous voyez, docteur, les rêves sont parfois mieux que la réalité, et vice versa. Est-ce que vous vous rappelez ce que Kant a dit ? Le rêve est un art poétique involontaire.

Au cours d’une autre phase, j’ai rêvé d’enfants à plusieurs reprises. Des enfants qui étaient les miens, moi qui suis célibataire et qui n’en ai même pas de naturels. Dans un monde comme celui-ci, ça me semble un acte irresponsable de concevoir de nouveaux êtres. Est-ce que vous avez des enfants ? Cinq ? Excuse me. Je dis de ces bêtises, parfois ! Les petits de mon rêve étaient assez jeunes. Certains marchaient à quatre pattes et d’autres passaient leur temps dans le bain. Ils avaient l’air orphelins de mère, étant donné qu’elle n’apparaissait jamais et que les petits n’avaient pas appris à dire maman. En fait, ils ne m’appelaient pas non plus papa, mais « Turc », dans leur semi-langage. Très étrange vu que mes grands-parents viennent de La Coruña et mes arrière-grands-parents de Lugo. « Turc, viens », « Turc, je veux manger », « Turc, j’ai fait pipi ». Dans un de ces rêves, je descendais des escaliers à moitié cassés et vlan, je suis tombé. Alors, le plus grand de mes bouts de chou m’a regardé sans pitié et m’a dit : « Turc, va te faire voir ». C’en était trop, je me suis donc vite réveillé pour revenir à ma réalité sans petits anges.

Plus tard, pendant un cycle où je rêvais de football, j’ai joué continuellement aux cages, ou en tant que goal ou gardien de but ou portier ou goalkeeper. Tant de noms pour une seule calamité. Il pleuvait toujours avant le match, par conséquent, les terrains étaient humides et on ne pouvait éviter la formation d’un petit lac devant les cages. À ce instant-là, un attaquant apparaissait et me fusillait du regard avec détermination ; en premier lieu, j’arrêtais la balle, mais en second lieu, le ballon mouillé glissait sur mes gants et passait très fièrement la ligne du goal. À ce niveau de la partie (l’expression était bien trouvée), je désirais me réveiller de toutes mes forces, mais il me fallait encore subir les cris unanimes de la tribune derrière moi : traitre, vendu, combien on t’a payé, et d’autres broutilles.

Ces derniers temps, mes aventures nocturnes ont été envahies par le cinéma. Non pas par le cinéma actuel, de si mauvais goût, mais par celui d’autrefois, qui nous émouvait et s’installait dans nos vies avec des visages et des attitudes qui représentaient des modèles. Je me suis appliqué à rêver d’actrices. Et quelles actrices ! Disons Marilyn Monroe, Claudia Cardinale, Harriet Andersson, Sonia Braga, Catherine Deneuve, Anouk Aimée, Liv Ullmann, Glenda Jackson, et d’autres merveilles. (Ma Morphée n’accorde pas de visa aux acteurs.) Comme vous pouvez le constater, docteur, la plupart sont des vétérans ou ne sont plus de ce monde, mais moi j’en rêve exactement comme elles apparaissaient dans les films d’antan. Regardez, quand je vous parle de Claudia Cardinale, il ne s’agit pas de celle d’aujourd’hui (qui n’est pas si mal), mais de celle de La ragazza con la valiglia, lorsqu’elle avait vingt-et-un an.

Marilyn, par exemple, s’approche de moi et m’avoue sur un ton tendrement confidentiel : « I don’t love Kennedy. I love you. Only you. » Sachez que dans mes rêves, les actrices s’expriment parfois en version sous-titrée, et parfois doublée en castillan. Moi je préfère les sous-titres, parce qu’une voix comme celle de Glenda Jackson ou celle de Catherine Deneuve, c’est irremplaçable.

Bon, en réalité, je suis venu vous consulter car la nuit dernière, j’ai rêvé d’Anouk Aimée, pas celle d’aujourd’hui (qui n’est pas mal non plus), mais celle de Montparnasse 19, lorsqu’elle avait ces quelques merveilleux vingt-six ans. Ne vous faites pas de fausses idées. Je ne l’ai pas touché, elle ne m’a pas touché. Elle s’est simplement penchée par une fenêtre de mon bureau et m’a juste dit (version doublée) : « Demain, je viendrai te voir pendant la nuit, mais pas à ton bureau, plutôt dans ton lit. N’oublies pas ».

Comment pourrai-je l’oublier ? Ce que j’aimerais savoir, docteur, c’est si les préservatifs que j’achète à la pharmacie pourront me servir dans mes rêves. Parce que, vous savez, je ne voudrais pas la mettre enceinte.


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Auréba nous propose sa traduction :

TROUVER LE SOMMEIL

Ce qu'il y a, docteur, c'est que mes rêves à moi fonctionnent par cycles thématiques. J'ai eu une période où je rêvais d’inondations. Sans crier gare, les fleuves débordaient et inondaient les champs, les rues, les maisons, et même mon lit. C'est qu'en rêves, docteur, j'ai carrément appris à nager, et grâce à cela, j'ai survécu aux catastrophes naturelles. Lamentablement, cette habilité n'existait que dans mes rêves, car quelques temps plus tard, j'ai voulu la mettre en pratique, totalement éveillé, dans la piscine d'un hôtel, et j'ai failli me noyer.
Ensuite, j'ai eu une période où je rêvais d'avions. Plutôt un avion. Un seul. Car c'était toujours le même. L'hôtesse de l'air était moche et me traitait mal. Elle servait du champagne à tout le monde, sauf à moi. Je lui ai demandé pourquoi, ce après quoi elle m'a regardé avec une ranc½ur longuement programmée, et m'a répondu : « Tu sais très bien pourquoi ». Ce tutoiement m'a tellement surpris que j'ai été à deux doigts de me réveiller. Par ailleurs, je ne voyais pas du tout à quoi elle pouvait bien faire allusion. J'étais en train de me poser la question quand l'avion est tombé dans un trou d'air et que l'hôtesse moche s'est dispersée dans l'allée centrale, de telle façon que sa jupe a remonté et que j'ai pu constater qu'elle ne portait rien en-dessous, et à ma grande surprise, je n'étais pas dans mon lit de toujours, mais dans un avion, rang 7 siège D, et une hôtesse qui ressemblait comme deux gouttes d'eau à la Joconde me proposait, dans un anglais de base, une coupe de champagne.
Vous voyez, docteur, des fois, les rêves sont mieux que la réalité, et réciproquement. Est-ce que vous vous souvenez de ce que Kant a dit ? Le rêve est un art poétique involontaire.
J'ai aussi eu une période où je rêvais constamment d'enfants. Des enfants qui n'étaient pas de moi, alors que je suis célibataire et que je n'ai même pas de fils biologiques. Le monde allant comme il va, ça me semble être un acte irresponsable d'y faire voir le jour de nouveaux êtres. Vous avez des enfants ? Cinq ? Excuse me. Parfois, je dis de ces inepties ! Les enfants de mon rêve étaient assez petits. Certains marchaient à quatre pattes, d'autres passaient leur temps dans la salle d'eau. Ils étaient sans doute orphelins de mère, étant donné qu'elle ne montrait jamais le bout de son nez, et que les enfants n'avaient pas appris à dire maman. En réalité, ils ne disaient pas non plus papa, mais dans cette langue à eux qu'ils mâchouillaient à peine, ils m'appelaient « turc ». Ça me va comme un gant, moi qui compte parmi mes aïeux des grands-parents originaires de la Corogne et des arrières-grands-parents de Lugo ! «Eh Turc ! Viens ! » « Eh Turc ! Je veux la patate ! » « Eh Turc ! J'ai fait pipi dans mon pantalon ! ». Dans un de ces rêves, moi, je descendais les marches d'un escalier à moitié détruit, et vlan, je me suis cassé la figure. C'est alors que le plus âgé de mes gosses m'a regardé, sans pitié, et m'a lancé « Bien fait pour ta gueule !»... C'en était trop. Je suis donc revenu à ma réalité dépourvue de bambins.
Dans un cycle suivant où je rêvais de football, je jouais toujours en tant que gardien de but, passoire, goal, portier ou dernier rempart. Que de noms pour une seule calamité ! Il avait toujours plu avant le match, raison pour laquelle les terrains étaient humides et qu'il était inévitable qu'un mini-lac se forme en face de la cage. C'est à ce moment-là qu'arrivait un attaquant qui me fusillait littéralement, et dans un premier temps, j'arrêtais le ballon, mais dans un second temps, le ballon mouillé glissait entre mes gants et dépassait glorieusement la ligne du but. À ce stade du match, (on ne peut pas mieux dire), moi, je désirais plus que tout me réveiller, mais il me restait encore à entendre la tribune dans mon dos me crier à l'unisson : traître, vendu, combien on t'a payé ainsi que d'autres choses de moindre importance.
Dernièrement, mes aventures nocturnes ont été envahies par le cinéma. Pas le cinéma d'aujourd'hui – qui soit dit en passant s'est pas mal dégradé – mais celui d'avant, celui-là qui nous prenait aux tripes et qui s'installait dans nos vies, avec des visages et des manières qui constituaient de véritables modèles. Moi, je passe mon temps à rêver d'actrices. Et pas n'importe quelles actrices ! Disons... Marilyne Monroe, Claudia Cardinale, Harriet Andersson, Sonia Braga, Catherine Deneuve, Anouk Aimée, Liv Ullman, Glenda Jackson, et j'en passe. (Pour ce qui est des acteurs, mon Morphée à moi ne leur accorde pas de visa.) Vous voyez, docteur, la plupart sont assez âgées ou ont trépassé, mais moi, je rêve d'elles telles qu'on les voyait dans les films de l'époque. Par exemple, quand je vous dis Claudia Cardinale, je ne parle pas de celle de maintenant (qui n'est pas mal) mais de la ragazza avec sa valise, au moment où elle avait 21 ans. Marilyn, par exemple, m'aborde et me dit sur un ton tendrement confidentiel : « I don't love Kennedy. I love you. Only you ». Sachez que dans mes rêves, quelques fois, les actrices parlent en version sous-titrée et que d'autres fois, leur voix est doublée en espagnol. Moi, je préfère les sous-titres, parce qu'une voix comme celle de Genda Jackson ou de Catherine Deneuve, c'est irremplaçable.
Bon, concrètement, je suis venu vous consulter parce que la nuit dernière, j'ai rêvé d'Anouk Aimée, non pas celle de maintenant (qui n'est pas mal non plus) mais de celle de Montparnasse 19, à l'époque glorieuse où elle trônait sur ses 26 ans. Ne pensez pas du mal. Je ne l'ai pas touchée, et elle ne m'a pas touché non plus. Elle s'est juste penchée à une fenêtre de mon studio et a dit, tout simplement( en version doublée) : « Demain dans la nuit, je viendrai te voir, mais pas dans ton studio, dans ton lit. N'oublie pas. » Comment veut-elle que j'oublie ? Ce que je souhaiterais savoir, docteur, c'est si les préservatifs que j'achète en pharmacie vont me servir dans mes rêves. Parce que, vous savez, je ne voudrais pas la mettre enceinte.

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Vanessa nous propose sa traduction :

Trouver le sommeil

Ce qui se passe, docteur, c'est que chez moi, les rêves, ça vient par cycles thématiques. À une époque, je rêvais d'inondations. Les fleuves se mettaient subitement à déborder, ils submergeaient les champs, les rues, les maisons, et même, jusqu'à mon propre lit. Figurez-vous que c'est dans les rêves que j'ai appris à nager, et que, grâce à ça, j'ai survécu aux catastrophes naturelles. Malheureusement, cette faculté ne s'est guère avérée utile que dans le monde onirique ; un peu plus tard, j'ai voulu l'exercer, totalement éveillé, dans la piscine d'un hôtel, et j'ai failli me noyer. Est arrivée la période où je me suis mis à rêver d'avions. Ou plutôt, d'un seul avion, parce qu'il s'agissait toujours du même. L'hôtesse de l'air était laide, et elle me maltraitait. Elle servait du champagne à tout le monde, sauf à moi. Je lui ai demandé pourquoi, elle m'a regardé avec une rancœur longuement programmée, et m'a répondu : « Tu sais très bien pourquoi. » J'ai été tellement surpris par ce tutoiement soudain que ça m'a presque réveillé. Surtout que je ne voyais pas à quoi elle faisait allusion. J'étais plongé dans ce doute quand l'avion est tombé dans un trou d'air ; l'hôtesse moche s'est étalée dans le couloir, sa mini-jupe est remontée, et j'ai bien pu voir qu'elle ne portait rien en-dessous. C'est précisément à ce moment-là que je me suis réveillé ; à ma grande surprise, je n'étais pas dans mon lit habituel, mais dans un avion, rangée 7, siège D, face à une hôtesse de l'air avec le visage de la Joconde qui m'offrait, dans un anglais élémentaire, une coupe de champagne. Vous voyez, docteur, les rêves sont parfois mieux que la réalité, et aussi vice versa. Vous vous rappelez ce qu'a dit Kant ? Le rêve, c'est un art poétique involontaire. Dans une autre phase, j'ai rêvé à plusieurs reprises d'enfants. Des enfants qui étaient à moi. Moi, un célibataire qui n'en ai absolument pas, même hors mariage. Vu l'état actuel du monde, je pense que c'est irresponsable de concevoir de nouveaux êtres. Ah, vous avez des enfants ? Cinq ? Excuse me. Parfois je dis vraiment n'importe quoi. Les enfants de mon rêve étaient plutôt petits. Certains marchaient à quatre pattes, d'autres passaient leur vie dans la salle de bains. On aurait dit que leur mère était morte, puisqu'on ne la voyait jamais, et ils n'avaient pas appris à dire maman. En réalité, ils ne savaient pas non plus dire papa ; c'est pire : dans leur semi-langage, ils m'appelaient « le Turc ». C'est tellement éloigné de moi, moi, dont les grands-parents sont de La Corogne, et les arrière-grands-parents de Lugo. « Le Turc, viens ! », « le Turc, ze veux la tétine », « le Turc, j'ai fait pipi ». Dans un de ces rêves, je descendais un escalier à moitié cassé, et là, paf, je tombe. Alors, le plus grand de mes marmots me regarde sans pitié et me lance : eh, le Turc, c'est bien fait pour toi. C'en était trop, et d'effroi je me suis réveillé, retournant à ma réalité sans angelots. Dans un épisode postérieur de rêve de football, je jouais toujours comme gardien de but, ou garde, ou portier, ou goalkeeper, ou goal. Tous ces noms, pour une seule calamité. Il avait toujours plu avant le match : le terrain était humide, et une grosse flaque se formait immanquablement devant la cage. Sans crier gare surgissait un des attaquants qui me fusillait avec force ; dans un premier temps, je commençais par arrêter le tir, mais ensuite le ballon – qui était mouillé – me filait entre les doigts, glissant sur mes gants, et franchissait, passablement fier, la ligne du but. À ce stade du combat (on ne peut pas mieux dire), j'aspirais de tout mon être à me réveiller. Mais non, il me fallait encore écouter la tribune derrière moi crier, d'une seule voix : traître, vendu, ils t'ont payé combien, et autres mesquineries de ce genre. Ces derniers temps, mes aventures nocturnes se sont vues envahies par le cinéma. Pas le cinéma actuel, ça c'est révolu, mais le cinéma d'avant, ce cinéma qui nous ébranlait, qui s'installait dans nos vies avec ces visages, ces attitudes, qui étaient des paradigmes pour nous. Moi, mon truc, c'est de rêver des actrices. Et quelles actrices ! Je vous parle de Marilyn Monroe, Claudia Cardinale, Harriet Andersson, Sonia Braga, Catherine
Deneuve, Anouk Aimée, Liv Ullmann, Glenda Jackson, et autres merveilles. Aux acteurs, mon Morphée ne délivre pas le droit de séjour. Vous voyez, docteur, la plupart sont âgées, voire, pour certaines, ne sont plus là, mais, moi, je rêve d'elles exactement comme elles étaient dans les films de l'époque. Tenez, par exemple, quand je vous dis Claudia Cardinale, il ne s'agit pas de celle de maintenant (qui n'est pas si mal) mais de celle de La Ragazza con la valiglia, quand elle avait vingt-et-un ans. Marilyn, par exemple, s'approche de moi et me dit sur le ton de la tendre confidence : « I don't love Kennedy. I love you. Only you. » Sachez que, dans mes rêves, les actrices s'expriment parfois en version originale sous-titrée, et d'autres fois elles sont doublées en castillan. Je préfère les sous-titres, puisque des voix comme celles de Glenda Jackson ou Catherine Deneuve sont irremplaçables. Bon, en vérité, je suis venu consulter parce qu'hier soir j'ai rêvé d'Anouk Aimée, pas de celle de maintenant (qui n'est pas si mal), mais de celle de Montpanarsse 19, quand elle avait encore ses fabuleux vingt-six ans. Ne vous méprenez pas. Je ne l'ai pas touchée, elle ne m'a pas touché. Elle n'a fait que se pencher à une fenêtre de mon studio, et a simplement dit (version doublée) : « Demain soir, je viendrai te voir, pas dans ton studio, mais dans ton lit. N'oublie pas. » Comment pourrais-je l'oublier ? Ce que je voulais savoir, docteur, c'est si les préservatifs que j'achète à la pharmacie peuvent me servir dans les rêves ? Parce que, vous savez, je ne voudrais pas qu'elle tombe enceinte par ma faute.

***

Benoît nous propose sa traduction :

Faire de beaux rêves.

Ce qu'il se passe, docteur, c'est que dans mon cas les rêves arrivent par cycles thématiques. Il fut un temps où je rêvait d'inondations. Les fleuves se mettaient à déborder et submergeaient les champs, les rues, les maisons et même mon propre lit. Rendez vous compte qu'en rêve, j'ai appris à nager et grâce à cela j'ai survécu aux catastrophes naturelles. Malheureusement, cette capacité n'eut uniquement une véracité onirique, car quelques temps plus tard, je prétendis en faire usage, complètement réveillé, dans la piscine d'un hôtel et je fus sur le point de me noyer.
Ensuite, vint l'époque où je rêvait d'avions. Plus précisément d'un seul avion, car c'était toujours le même. L'hôtesse de l'air était bien laide et me traitait mal. À tous, elle donnait du champagne, sauf à moi. Je lui demandai pourquoi, elle me regarda avec une rancœur bien marquée et me répondit : « Toi, tu sais très bien pourquoi ». Je fus si surpris par ce tutoiement que je faillis me réveillé. En plus, je ne voyais pas à quoi elle pouvait faire référence. C'est par ce doute que j'étais habité lorsque l'avion tomba dans un trou d'air. La bien vilaine hôtesse de l'air tomba dans l'allée, de telle sorte que sa mini-jupe se retroussa et je pus donc constater qu'elle ne portait rien en dessous. Ce fut précisément là que je me suis réveillé, et quelle surprise pour moi, je n'était pas dans mon lit habituel mais dans un avion, rang 7, siège D et une hôtesse de l'air avec un visage de Joconde m'offrit dans un anglais basique, une coupe de champagne. Comme vous le voyez, docteur, parfois les rêves sont mieux que la réalité et l'inverse vaut tout autant. Vous rappelez-vous ce que dit Kant ? Le rêve est un art poétique involontaire.
À un autre stade, je rêvais à plusieurs reprises d'enfants. Des enfants qui étaient les miens. Moi qui suis célibataire et qui n'ait même pas le désir d'en avoir. Dans l'état qu'est le monde, ça me semble un acte irresponsable que de concevoir que de concevoir de nouveaux êtres. Vous avez des enfants ? Cinq ? Désolé. Des fois, je dis tout ce qui me passe par la tête.
Les enfants de mon rêve étaient assez petits. Certains marchaient à quatre-pattes et d'autres passaient leur temps dans le bain. À ce qu'il semblait, ils étaient orphelins de mère, vu que celle-ci n'apparaissait jamais et que les enfants n'avaient pas appris à dire maman. En fait, il ne disaient pas papa non plus, mais dans leur langue moyenne, il m'appelaient « le turc ». Rien à voir avec moi, dont les grands-parents viennent de la Corogne et les arrières-grands-parents de Lugo. « Viens le turc », « le turc, j'veux des patates », « j'ai fais pipi le turc ». Dans un de ces rêves, je descendais par un escalier à demi-cassé et vlan, je suis tombé. Alors, le plus vieux de mes petits me regarda sans pitié et dit : Bien fait pour toi le turc.. C'en était trop, je me suis ainsi réveillé dans ma réalité sans chérubins.
Dans un cycle postérieur de football imaginaire, je jouai toujours gardien de but ou goal ou portier ou goalkeeper ou dernier rempart. Tant de noms pour une seule calamité. Il pleuvait à chaque fois avant le match, les terrains étaient donc humides et il était inévitable que se formât, devant le but, une vraie mare. Apparaissait alors un certain attaquant qui me fusillait allègrement, dans un premier temps, je stoppai le tir, mais dans un second temps, le ballon mouillé s'échappait de mes gants et passait fièrement la ligne de but. À ce niveau du match (on ne peut pas dire mieux), je suppliais avec ferveur pour me réveiller, mais il me restait encore à entendre comment la tribune dans mon dos me criait unanimement : traitre, vendu, combien il t'ont payé, et d'autres bagatelles.
Ces derniers temps, mes aventures nocturnes ont été envahies par le ciné. Pas le cinéma actuel, si essoufflé, mais par celui d'antan, celui qui savait nous émouvoir et qui s'installait dans nos vies avec des visages et des attitudes qui formaient un tout.
Je m'attache à rêver d'actrices. Et quelles actrices : disons, Marylin Monroe, Claudia Cardinale, Harriet Andersson, Sonia Braga, Catherine Deneuve, Anouk Aimée, Liv Ulmann, Glenda Jackson, et d'autres meveilles. (Pour ce qui est des acteurs, chez moi, Morphée ne leur accordait pas de visa.) Comme vous le voyez, docteur, en majorité ce sont des femmes mûres ou qui n'existent déjà plus, mais moi je les rêve telles qu'elles apparaissaient dans les films de l'époque. Par exemple, quand je vous dis Claudia Cardinale, il ne s'agit pas de celle d'aujourd'hui ( qui n'est pas mal ) mais de celle de La Ragazza con la valiglia, quand elle avait 21 ans.
Marylin, en ce qui la concerne, s'approche de moi et me dit sur un ton tendrement confidentiel : « I don't love Kennedy. I love you. Only you ». Sachez que dans mes rêves, les actrices parlent parfois en version sous-titrée et d'autres fois elles sont doublées en espagnol. Moi, je préfère les sous-titres car une voix comme celle de Glenda Jackson ou celle de Catherine Deneuve sont irremplaçable.
Bref, en réalité, je suis venu vous consulter parce que, hier, j'ai rêvé d'Anouk Aimée, pas celle d'aujourd'hui ( qui n'est pas mal non plus ) mais celle de Montparnasse 19, à ses 26 fabuleux printemps. Je n'ai pas pensé à mal. Je ne l'ai pas touché pas plus qu'elle ne me toucha. Elle est simplement apparue à une fenêtre de mon studio et a juste dit (version doublée) : « Demain dans la nuit, je viendrai te voir, et pas dans ton studio mais ton lit. Ne l'oublie pas ».
Comme si j'allais l'oublier. Ce que je voulais savoir, docteur, c'est si les préservatifs que j'achète à la pharmacie me seront utiles en rêves ? Car, vous savez, je ne voudrais pas qu'elle tombe enceinte.

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Alexis nous propose sa traduction :

Trouver le sommeil.

Ce qui se passe, docteur, c’est que, dans mon cas, les rêves se produisent par cycles thématiques. Il y a eu une époque où je rêvais d’inondations. Aussitôt les rivières débordaient et noyaient les champs, les rues, les maisons et jusqu’à mon propre lit. Vous noterez que, dans mes rêves, j’ai appris à nager et que, grâce à cela, j’ai survécu aux catastrophes naturelles. Malheureusement, cette habilité n’a été effective qu’en rêve, car quelques temps après j’ai prétendu l’exercer, totalement éveillé, dans la piscine de l’hôtel et j’ai bien failli y laisser ma vie.
Ensuite, il y a eu une période où j’ai rêvé d’avions. Ou plutôt, d’un avion, car il s’agissait toujours du même. L’hôtesse de l’air était moche et me traitait mal. Elle donnait à tout le monde du champagne, tous sauf moi. Je lui ai demandé pourquoi, elle m’a alors regardé avec une rancœur amplement calculée et m’a répondu : « Tu sais très bien pourquoi ». J’ai été tellement surpris par ce tutoiement que je me suis presque réveillé. En outre, je ne voyais pas à quoi elle pouvait faire référence. J’en étais à ces interrogations quand l’avion a chuté dans un trou d’air et que l’hôtesse moche s’est étendue dans l’allée, de telle façon que sa mini-jupe a un peu remonté et j’ai pu remarquer qu’elle ne portait rien en dessous. C’est à cet instant précis que je me suis réveillé, et, à ma grande surprise, je ne me trouvais pas dans mon éternel lit mais dans un avion, file 7, siège D, et une hôtesse de l’air au visage de Joconde me proposait, dans un anglais de base, une coupe de champagne. Comme vous le voyez, docteur, les rêves sont parfois mieux que la réalité et vice-versa. Vous vous souvenez de ce qu’a dit Kant ? Le rêve est un art poétique involontaire.
Une autre fois, j’ai rêvé d’enfants à plusieurs reprises. Des enfants qui étaient les miens. Moi qui suis célibataire et qui n’en ai même pas. Et avec le monde d’aujourd’hui, cela me paraît un acte irresponsable que de concevoir de nouveaux êtres. Vous avez des enfants ? Cinq ? Excuse me. Quelques fois je ne dis que des bêtises.
Les enfants de mon rêve étaient assez petits. Certains marchaient à quatre pattes et d’autres passaient leur temps dans le bain. Apparemment, ils étaient orphelins de mère, étant donné qu’elle n’apparaissait jamais et que les enfants n’avaient pas appris à dire « maman ». En réalité, ils ne m’appelaient pas « papa » non plus, mais « l’arabe », dans leur demi-connaissance de la langue. Ça alors, moi qui ai des aïeuls de La Corogne et des bisaïeuls de Lugo. « Arabe, viens », « Arabe, veux la papa », « Arabe, ai fait pipi ». Dans un de ces rêves, je descendais les marches d’un escalier à moitié effondré, et bam, je suis tombé. C’est alors que le plus grand de mes bébés m’a regardé sans la moindre pitié et à dit : Arabe, va te faire… Là, c’était trop, alors je suis sorti de mon embarras en revenant à la réalité sans beaux rêves.
Plus tard, dans un cycle sur le football, j’ai toujours occupé le poste de goal ou de gardien de but ou de portier. Tellement de noms pour une seule et unique calamité. Mais voilà, avant le match, il pleuvait toujours de sorte que le terrain était humide et il était inévitable que se forme un petit lac devant les cages. Ensuite arrivait un attaquant qui me fusillait de bon cœur, et moi, dans un premier temps, je lui barrais le chemin, sauf que, dans un deuxième temps, le ballon mouillé filait entre les gants et franchissait, gonflé d’orgueil, la ligne de but. À ce moment-là de la partie (c’est le cas de le dire), je désirais ardemment me réveiller, mais encore il me restait à écouter comment la tribune derrière moi me huait unanimement : traître, vendu, i’t’ont payé combien et autres broutilles.
Ces derniers temps, mes aventures nocturnes ont été envahies par le cinéma. Pas par le cinéma de maintenant, tellement dégradé, mais par celui d’avant, celui qui nous émouvait et se fixait dans nos vie avec des visages et des attitudes qui étaient des paradigmes. Je passe mon temps à rêver à des actrices. Et quelles actrices : citons Marylin Monroe, Claudia Cardinale, Harriet Andersson, Sonia Braga, Catherine Deneuve, Anouk Aimée, Liv Ullmann, Glanda Jackson et autres merveilles. (Aux acteurs, mon Morphée à moi ne leur délivre aucun visa). Comme vous le voyer, docteur, la plupart sont des vétérantes ou sont déjà décédées, mais je les rêve exactement comme elles apparaissaient dans les films d’alors. Par exemple, quand je vous dis Claudia Cardinale, il ne s’agit pas de celle d’aujourd’hui (qui n’est pas mal) mais celle de La ragazza con la valigia, quand elle avait 21 ans.
Marylin, par exemple, elle s’approche de moi et me dit, sur un ton tendrement confidentiel : « I don’t live Kennedy. I love you. Only you ». Sachez que dans mes rêves, les actrices parlent parfois en version sous-titrée et parfois en version espagnole. Je préfère les sous-titres étant donné qu’une voix comme celle de Glenda Jackson ou de Catherine Deneuve sont irremplaçables.
Bon, en réalité, je suis venu vous consulter car hier soir, j’ai rêvé d’Anouk Aimée, pas celle de maintenant (qui n’est pas mal non plus) mais celle de Montparnasse 19, quand elle avait 26 fabuleuses années. Ne vous méprenez pas. Je ne l’ai pas touché et elle non plus. Elle s’est simplement penché à la fenêtre de mon studio et m’a juste dit (version doublée) : « Demain soir, je viendrai te voir, pas dans ton studio mais dans ton lit. N’oublie pas ».
Comment pourrais-je l’oublier. Ce que je voudrais savoir, docteur, c’est si les préservatifs que j’achète à la pharmacie me serviront dans mes rêves. Car, vous savez, je ne voudrais pas la mettre enceinte.

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Olivier nous propose sa traduction :

Ce qui m'arrive, docteur, c'est que chez moi, les rêves arrivent par cycles thématiques. Fut un temps où je rêvais d'inondations. D'un seul coup, les fleuves entraient en crue et inondaient les champs, les rues, les maisons et même mon propre lit. Rendez-vous compte, docteur, que dans mes rêves, j'ai quand même appris à nager et que c'est grâce à ça que j'ai survécu aux catastrophes naturelles. Bien malheureusement, cette aptitude n'avait une validité qu'onirique, parce qu'un beau jour, j'ai eu la prétention de la mettre en pratique, totalement éveillé, dans la piscine d'un hôtel et sur le coup, j'ai bien failli me noyer.

Après ça, il y a eu une période où je rêvais d'avions. Enfin, plus exactement d'un seul avion, parce que c'était toujours le même. L'hôtesse de l'air était vilaine et elle me traitait mal. À tous les autres, elle offrait du champagne, mais pas à moi. Alors, je lui demande pourquoi et là, elle me regarde avec une rancœur sans gène et elle me répond : « Tu sais très bien pourquoi ». J'ai été tellement sidéré par ce tutoiement que j'ai été à deux doigts de me réveiller. En plus, j'avais aucune idée de ce qu'elle voulait dire. Donc, je suis en plein questionnement quand l'avion tombe dans un trou d'air et la vilaine hôtesse se ramasse, dans le couloir, de telle façon que sa minijupe remonte et je peux voir qu'elle ne porte rien dessous. C'est précisément ça qui me fait me réveiller et là, à ma grande surprise, je suis pas dans mon lit, mais dans un avion, rangée numéro sept, place D, et une hôtesse avec un visage de Joconde m'offre, dans un anglais de base, une coupe de champagne. Docteur, comme vous pouvez le constater, il arrive que les rêves soient mieux que la réalité, mais l'inverse arrive aussi. Vous vous rappelez ce qu'a dit Kant ? Le rêve est un art poétique involontaire.

Un peu plus tard, pendant un temps, j'ai pas arrêté de rêver d'enfants. Des enfants qui étaient de moi. De moi, alors que moi, je suis célibataire et que j'en ai pas moi des enfants, pas même des enfants illégitimes. Et alors, vu l'état actuel du monde, donner naissance à des enfants, ça me paraît tout simplement être un acte irresponsable. Vous avez des enfants, vous ? Cinq ? Excuse me. Il m'arrive parfois de faire de ces bourdes. Bon alors, les enfants de mes rêves, ils étaient assez jeunes. Il y en a qui marchaient à quatre pattes et d'autres qui passaient leur vie dans la salle de bains. Il faut croire qu'ils n'avaient pas de mère, parce que celle-ci n'était jamais là et les enfants n'avaient même pas appris à dire maman. Enfin, moi, ils m'appelaient pas papa non plus, non !, dans leur langage limité, ils m'appelaient «le turc». Rien à voir avec moi, qui suis de grands-parents de La Corogne et d'arrières-grands-parents de Lugo. « Hé, le turc, viens », « Hé, le turc, je veux mon miam-miam », « Hé, le turc, je me suis fait pipi dessus ». Dans l'un de ces rêves, je descends un escalier à moitié cassé, et bam, je tombe. Et c'est là que l'aîné de mes enfants me regarde sans aucune pitié et me balance : « Hé le turc, va bien te faire foutre ». C'en est trop, alors je me réveille d'un coup, dans ma réalité orpheline de ces petits anges. Un peu plus tard, j'ai rêvé de football, je jouais toujours au poste de gardien, de goal, de portier, de garde-but, de goalkeeper. Tant de noms pour une seule calamité. Il pleut toujours avant le match, du coup, le terrain est détrempé et, bien sûr, inévitablement, devant les cages, un petit lac s'est formé. Et là, surgit un attaquant qui, littéralement, me fusille avec plaisir. Dans un premier temps, j'arrête sa frappe, mais juste après, le ballon mouillé me glisse des mains et franchit, tout gonflé d'orgueil, la ligne de but. À ce moment crucial (et moi , de la croix, j'en étais pas loin), je souhaite de tout cœur me réveiller, mais non ! il faut encore que j'écoute comment, d'une seule et même voix, la tribune, derrière moi, m'insulte : traître !, vendu !, combien ils t'ont payé ?, et autres injures du même genre.

Et, ces derniers temps, mes aventures nocturnes ont été envahis par le ciné. Pas par le ciné d'aujourd'hui qui, lui, est tombé bien bas, mais par celui de l'époque, celui qui nous émouvait et qui s'infiltrait dans nos vies avec ces visages et ces expressions qui devenaient des modèles. Je me consacrais à rêver d'actrices. Et il faut voir quelles actrices : genre Marylin Monroe, Claudia Cardinale, Harriet Andersson, Sonia Braga, Catherine Deneuve, Anouk Aimée, Liv Ullmann, Glenda Jackson, et autres beautés. (Par contre, Mon Morphée, lui, n'accordait pas de Visa aux acteurs). Comme vous le voyez, docteur, la plupart sont plutôt âgées ou, d'ailleurs, ne sont plus, mais moi, dans mes rêves, elles étaient telles qu'elles apparaissaient dans leurs films d'alors. Par exemple, quand je vous dis Claudia Cardinale, je ne vous parle pas de celle d'aujourd'hui (qui n'est pas mal non plus), mais de celle de La ragazza con la valiglia, quand elle avait 21 ans.

Tenez, Maryline, par exemple, s'approche de moi et me dit sur un ton de tendre confidence : « I don't love Kennedy, I love you. Only you ». Il faut que vous sachiez que, dans mes rêves, les actrices parlent parfois en version sous-titrée, et parfois elles sont doublées en castillan. Moi, je préfère les sous-titres, parce qu'une voix comme celle de Glenda Jackson ou comme celle de Catherine Deneuve, c'est tout bonnement irremplaçable.

Mais bon, à vrai dire, si je suis venu vous consulter, c'est parce qu'hier soir, j'ai rêvé d'Anouk Aimée, pas celle d'aujourd'hui (qui, elle non plus, n'est pas mal), celle de Montparnasse 19, du haut de ses fabuleux 26 printemps. Mais, détrompez-vous. Je l'ai pas touchée et elle m'a pas touché non plus. Elle s'est juste penchée à la fenêtre de mon studio et m'a simplement annoncé (en version doublée) : « Demain soir, je viendrai te voir, mais pas à ton studio… dans ta chambre. Ne l'oublies pas. »

Comment je pourrais l'oublier. En fait, ce que je voudrais savoir, docteur, c'est si les préservatifs que j'achète à la pharmacie peuvent me servir dans mes rêves. Parce que, vous savez, je voudrais pas qu'elle tombe enceinte.

***

Stéphanie nous propose sa traduction :

TROUVER LE SOMMEIL

Eh bien, ce qu'il se passe, docteur, c'est que dans mon cas les rêves viennent par cycles thématiques. Il y a eu une époque où je rêvais d'inondations. D'un seul coup, les fleuves débordaient et inondaient les champs, les rues, les maisons, y compris mon propre lit. Rendez-vous compte, c'est en rêve que j'ai appris à nager et c'est grâce à cela que j'ai survécu aux catastrophes naturelles. Malheureusement, cette habileté n'a eu qu'une existence purement onirique, car un peu plus tard j'ai essayé de la mettre en pratique, totalement éveillé, dans la piscine d'un hôtel et j'ai failli me noyer.

A suivi une période où j'ai rêvé d'avions. Plus exactement d'un seul avion, car il s'agissait toujours du même. L'hôtesse de l'air était un laideron et elle me traitait mal. Elle servait du champagne à tout le monde, sauf à moi. Je lui ai demandé pourquoi et elle m'a regardé avec une rancoeur longuement programmée avant de me répondre : « Tu sais très bien pourquoi ». J'ai tellement été surpris par ce tutoiement que je m'en suis presque réveillé. De plus, je ne voyais pas à quoi elle pouvait faire allusion. Je baignais dans ces interrogations lorsque l'avion est tombé dans un trou d'air et l'hôtesse de l'air – le laideron – s'est étalée de tout son long dans le couloir, de sorte que sa minijupe est remontée, c'est comme ça que j'ai pu constater qu'en bas, elle ne portait rien. À ce moment précis, je me suis réveillé, et, à ma surprise, je ne me trouvais pas dans mon lit de toujours mais dans un avion, rangée 7 siège D, et une hôtesse de l'air avec un visage de Joconde me proposait dans un anglais basique une coupe de champagne. Comme vous le voyez, docteur, parfois les rêves sont meilleurs que la réalité et vice-versa. Vous vous souvenez ce qu'a dit Kant ? Le rêve est un art poétique involontaire.

Au cours d'une autre période, j'ai rêvé à plusieurs reprises d'enfants. D'enfants qui n'étaient pas les miens. Je suis célibataire et je n'en ai même pas hors mariage. Vu l'état du monde, il me semble que c'est un acte irresponsable que de concevoir de nouveaux êtres. Vous avez des enfants ? Cinq ? Excusez-moi. Il m'arrive de dire de ces stupidités.

Les enfants de mon rêve sont assez petits. Certains marchaient à quatre pattes et d'autres passaient leur temps dans la salle de bain. Apparemment, ils étaient orphelins de mère, puisqu'elle n'apparaissait jamais et que les enfants n'avaient pas appris à dire maman. En réalité, ils ne me disaient pas papa non plus, mais dans leurs balbutiements, ils m'appelaient « l'Arabe ». Me dire ça à moi, qui descend de grands-parents originaires de la Corogne et d'arrières-grands-parents de Lugo. « L'Arabe, viens voir », « L'Arabe, j'ai faim ! », « L'Arabe, j'ai fait pipi dans ma culotte ». Dans un de ces rêves, je descendais un escalier à moitié déglingué, et hop, je suis tombé. Alors le plus grand de mes enfants m'a regardé sans pitié et dit : L'Arabe, va te faire foutre... C'en était trop, alors je me suis réveillé, angoissé par ma réalité dépourvue de petits anges.

Lors d'un cycle postérieur de football rêvé, je jouais toujours gardien ou garde-but ou portier ou goal ou golkeeper. Combien de noms pour une seule calamité ! Il pleuvait toujours avant le match, de sorte que les terrains étaient toujours humides et il était inévitable qu'en face de la cage se forme une petite mare. Soudain surgissait un avant-centre qui me torpillait avec détermination. D'abord, je l'arrêtais, mais ensuite, le ballon mouillé me glissait des mains et franchissait, gonflé d'orgueil, la ligne de but. À ce stade de la rencontre (c'est le cas de le dire), je désirais avec ferveur me réveiller, mais il me fallait encore écouter comment la tribune dans mon dos hurlaient unanimement : traître, vendu, ils t'ont payé combien et d'autres insultes.

Ces derniers temps, mes aventures nocturnes ont été envahies par le ciné. Pas par le cinéma d'aujourd'hui, tombé bien bas, mais par celui d'antan, celui qui nous émouvait et qui s'inspirait de nos vies avec des visages et des attitudes qui étaient des paradigmes. Je me prends à rêver d'actrices. Et quelles actrices : disons Marilyn Monroe, Claudia Cardinale, Harriet Andersson, Sonia Braga, Catherine Deneuve, Anouk Aimée, Lic Ullmann, Glenda Jackson et d'autres merveilles. (Aux acteurs, mon Morphée ne leur accorde pas de visa). Comme vous le voyez, docteur, la plupart sont des doyennes ou ne sont plus, mais, moi, je rêve d'elles telles qu'elles apparaissaient dans leurs films d'alors. Tenez, quand je vous parle de Claudia Cardinale, il ne s'agit pas de celle d'aujourd'hui (qui n'est pas mal) mais de celle de La ragazza con la valiglia, quand elle avait vingt-et-un an.

Marilyn, par exemple, s'approche de moi et me dit sur un ton tendrement confidentiel : « I don't love Kennedy. I love you. Only you. » Sachez que dans mes rêves les actrices parlent soit en version sous-titrée soit doublées en espagnol. Moi, je préfère les sous-titres, car une voix comme celle de Glenda Jackson ou celle de Catherine Deneuve est irremplaçable.

Bon, à vrai dire je suis venu vous consulter car hier soir j'ai rêvé d'Anouk Aimée, pas celle d'aujourd'hui (qui n'est pas mal non plus) mais celle de Montparnasse 19, quand elle avait ses fabuleux 26 ans. Ne vous méprenez pas. Je ne l'ai pas touché, elle ne m'a touché non plus. Elle a simplement passé la tête par la fenêtre de mon studio et a juste dit (version doublée) : « Demain pendant la nuit, je viendrai te voir, mais pas dans ton studio sinon dans ton lit. N'oublie pas. »

Comment pourrais-je l'oublier ? Ce que je voudrais savoir, docteur, c'est si les préservatifs que j'achète dans la pharmacie me serviront dans mes rêves. Car, vous savez, je n'aimerais pas la mettre enceinte.

***

Justine nous propose sa traduction :

Trouver le sommeil

Ce qui se passe, docteur, c’est qu’en ce qui me concerne, mes rêves reviennent par cycles thématiques.

A une époque, je rêvais d’inondations. Aussitôt les fleuves débordaient, réduisant à néant les champs, les rues, et même jusqu’à mon propre lit.

Figurez-vous que j’appris à nager en rêvant et grâce à cela, je survécus aux catastrophes naturelles. Malheureusement je ne possédais cette aptitude que dans mes rêves, car peu de temps plus tard, alors que j’étais bien réveillé, je tentai d’en faire usage dans la piscine d’un hôtel et je faillis me noyer.

Ensuite vint une période durant laquelle je rêvai d’avions. Plus précisément d’un avion, puisqu’il s’agissait toujours du même. L’hôtesse de l’air n’était pas très jolie et me traitait mal. Elle donnait du champagne à tout le monde, sauf à moi. Je lui demandai pourquoi, et me regardant avec une rancœur longuement calculée, elle me répondit : « Tu sais bien pourquoi ». Je fus tellement surpris par ce tutoiement, que cela me réveilla presque. De plus, je n’imaginais pas à quoi elle pouvait bien faire allusion. J’en étais là de mes doutes lorsqu’un trou d’air déséquilibra l’avion ; l’hôtesse de l’air pas très jolie s’étala alors de tout son long dans l’allée, de telle sorte que sa mini jupe remonta, je pus donc vérifier qu’elle ne portait rien en-dessous. Ce fut à ce moment précis que je me réveillai, et à ma grande surprise, je n’étais pas dans mon lit habituel mais dans un avion sur le siège D au septième rang, et une hôtesse de l’air qui ressemblait à la Joconde , m’offrait dans un anglais basique une coupe de champagne. Comme vous pouvez le constater docteur, parfois les rêves sont plus beaux que la réalité, et vice versa. Vous vous souvenez de ce que dit Kant ? Le rêve est un art poétique involontaire.

Lors d’une autre étape, je rêvai à chaque fois d’enfants. D’enfants qui étaient les miens .Alors que je suis célibataire, et que je n’en ai même pas dans la vie. Vu le monde actuel, je pense que concevoir de nouveaux êtres est un acte irresponsable. Vous avez des enfants ? Cinq ? Excusez-moi. Parfois je n’en loupe pas une.

Les enfants de mon rêve étaient relativement petits. Certains marchaient à quatre pattes et d’autres passaient leur vie dans le bain. Apparemment, ils avaient perdu leur mère, en effet elle n’apparaissait jamais et les enfants n’avaient pas appris à dire maman. En réalité, ils ne me disaient pas papa non plus, mais dans leur babillage ils m’appelaient « turc ».Moi qui pourtant aie des grands-parents originaires de la Corogne, et des arrière-grands-parents originaires de Lugo. « Turc, viens », « Turc, j’ai faim », « Turc, j’ai fait pipi ».Dans un de ces rêves, je descendais un escalier à moitié cassé, et vlan, je suis tombé. Le plus grand de mes bébés me regarda alors sans pitié, et dit : « Turc, fous-toi en l’air… ». C’en était trop, je me réveillai alors pressé de retourner dans ma réalité sans petits anges.

Dans un cycle postérieur, j’ai rêvé de football, j’occupais toujours le poste de gardien de buts, ou goal, ou portier. Autant de noms pour une seule calamité. Il avait toujours plu avant le match, si bien que les terrains étaient toujours humides, et inévitablement un petit lac se formait devant les buts. Apparaissait alors un avant-centre envieux qui me fusillait du regard, et au début je lui barrais la route, mais ensuite le ballon mouillé s’échappait de mes gants, et passait fièrement la ligne de but. A ce niveau du match (autant dire jamais), je désirais ardemment me réveiller, mais il me fallait toujours écouter les insultes que vociféraient les occupants de la tribune à mon encontre : traître, vendu, combien ils t’ont payé ? et d’autres mesquineries.

Ces derniers temps mes aventures nocturnes ont été envahies par le cinéma. Pas le cinéma actuel qui a plutôt mauvaise presse, mais celui d’avant, celui qui nous émouvait et qui prenait place dans nos vies grâce à des visages et des attitudes qui étaient des modèles. Je consacrais mes rêves à des actrices. Et quelles actrices ! Pour ne citer qu’elles, Marylin Monroe, Claudia Cardinale, Harriet Andersson, Sonia Braga, Catherine Deneuve, Anouk Aimée, Liv Ullman, Glenda Jackson, et d’autres joyaux. Le dieu de mon sommeil, interdisait le passage aux acteurs). Comme vous pouvez le constater docteur, la majorité d’entre elles sont des vétérantes ou ne sont plus de ce monde, mais j’en rêve telles qu’elles apparaissent dans les films de l’époque. Par exemple, quand je vous parle de Claudia Cardinale, il ne s’agit pas de celle qu’elle est devenue ( qui n’est pas mal), mais de celle qu’elle était quand elle incarnait la fille à la valise à l’âge de vingt-et un ans.

Marylin, par exemple, et me dit sur le ton d’une tendre confidence : « Je n’aime pas Kennedy. Je vous aime. Je n’aime que vous. » Sachez que dans mes rêves les actrices parlent parfois en version sous-titrée, et d’autres fois doublées en Castillan. Je préfère les sous-titres, car des voix comme celles de Glenda Jackson ou Catherine Deneuve sont irremplaçables.

Bon, en réalité, je viens vous voir, parce que hier soir j’ai rêvé d’Anouk Aimée, pas celle qu’elle est devenue ( qui n’est pas mal non plus), mais celle qui jouait dans Montparnasse, 19, fabuleuse, du haut de ses vingt-six ans. Ne pensez pas à mal, je ne l’ai pas touchée, elle ne m’a pas touché non plus. Elle est simplement apparue à une fenêtre de mon bureau, et elle juste dit (en version doublée) : « Demain dans la nuit, je viendrai te voir, mais pas à ton bureau, dans ton lit. N’oublie pas ». Comment oublierai-je cela ? Ce que je voudrais savoir docteur, c’est si les préservatifs que j’ai acheté à la pharmacie me serviront dans mes rêves, vous savez pourquoi ? Je ne voudrais pas qu’elle tombe enceinte.

1 commentaire:

Auréba a dit…

Je trouve que le titre "faire de beaux rêves" proposé par Anabelle colle bien mieux au texte que "trouver le sommeil".