samedi 23 avril 2011

La traduction en 3 dimensions

Une fois de plus sous le charme de l'excellente émission de Guillaume Gallienne, « Ça peut pas faire de mal » sur France Inter, je me disais qu'il serait nécessaire et extrêmement stimulant d'ajouter aux enseignements de notre formation un atelier de lecture à voix haute, pour apprendre à entendre, avec sa voix et avec celle des autres, le texte… là où on l'a manifestement amputé d'une part de lui-même en nous imposant de le parcourir seul et en silence. Souvenez-vous de la consigne à l'école primaire, alors même que nous commencions à peine à percer le mystère des mots écrits et que nous étions frappés par la boulimie de tout lire, tout le temps, à tout le monde et bien fort (nous étions fiers de notre voix à ce moment-là) : « Lisez dans votre tête ». Or seul et en silence, l'histoire est à plat, à l'horizontal jusqu'à la dernière page, en une seule dimension… ; si ce n'est stérile, du moins bien terme au regard de ce qu'elle pourrait et devrait devenir avec le son et, grâce au son, avec l'image, bien sûr. C'est à tel point que je me suis rendu compte qu'enfant, j'avais conçu une espèce de complexe à lire à voix haute… craignant de butter sur les mots, certes, mais aussi, de ne pas savoir poser ma voix, d'être ridicule et déplacée dans l'œuvre d'un autre – un autre sacralisé de surcroît. Qu'en est-il de vous ? Faisiez-vous partie de ces rares volontaires qui se plaisaient à éblouir la classe avec leur diction flamboyante ? M'étonnerait. D'ailleurs, ça n'est pas un hasard si aujourd'hui, en cours de version, les étudiants à qui je demande de lire à voix haute le texte en V.O. pour s'en imprégner s'efforcent d'avoir une voix la plus neutre possible, un peu honteux à l'idée de se prendre au jeu et de mettre vaguement le ton. Je sais leur peur puisque je ressentais la même… mais je ne peux m'empêcher de me dire que c'est idiot, que nous sommes des idiots – des idiots qui se sont bien faits avoir. On se demande par qui et pourquoi ! Mais enfin, quelle importance cela a-t-il ? Aurions-nous honte d'éventuellement éprouver une pointe de plaisir textuel ? Bizarre. Chaque fois ma réaction est la même : « Allons, mettez-y un peu de cœur ; vous nous lisez cela sans amour… sans énergie… Vous enterrez le texte alors que nous le découvrons à peine ». Et il est bien difficile d'obtenir un semblant de fougue. Souvenez-vous (cf vidéo postée sur le blog) qu'il y a quelque temps, la vaillante Perrine s'était essayée à ce difficile exercice de la lecture à voix haute… Je l'avoue, à sa place, j'aurais été mortifiée. Bravo à elle ! Quant à Julie, que j'avais également filmée ce jour-là, elle m'avait presque suppliée de ne pas la mettre en ligne (alors qu'elle était très bien). Comment ne pas déduire que cette sorte d'inhibition à mettre son et image dans le texte n'a pas une incidence directe sur notre façon d'aborder un texte et de placer la littérature dans notre univers imaginaire et onirique. Nous devrions briser ces chaînes-là car je ne doute pas qu'elle nous condamne à une privation de taille. Un excès d'intellectualisation au détriment de la perception sensorielle ? Je ne sais pas… Toujours est-il qu'un apprenti traducteur ne saurait se passer d'une reconquête de sa voix sur, dans et avec le texte, bientôt sur, dans et avec son texte à lui. Alors que vous avancez à grands pas dans votre traduction longue, chers Vanessa, Stéphanie, Auréba, Julie, Perrine, Olivier et Alexis… je vous invite à faire ce cheminement, à mener cette croisade. Comment ? Mon idée est simple : enregistrez-vous sur 5 ou 10 pages (de la V.O.) et écoutez-vous ensuite (avec un casque, pour tout entendre, tout sentir et tout voir). Si ça n'est pas satisfaisant, recommencez jusqu'à ce que chaque chose soit bien à sa place. Je pense que ce sera le meilleur moyen de percevoir le souffle et globalement les rythmes de votre texte et donc, d'éviter de passer à côté en vous en tenant à simplement transmettre l'information, comme un spectateur passif. J'exagère à peine en disant que vous traduirez bien votre roman quand vous le direz bien. Et l'opération est évidemment à répéter ensuite, quand votre traduction sera terminée… : enregistrez-la, écoutez-la et, encore plus périlleux, faites-la écouter à d'autres.
Un atelier de lecture à voix haute ? On peut toujours rêver… et en attendant écouter le maître en la matière, Guillaume Gallienne.

3 commentaires:

Julie Sanchez a dit…

Très bel article Caroline :)
Je lis parfois des passages de ma V.O à voix haute quand je bute sur quelque chose ou que je n'arrive pas à tout saisir en silence.
Je n'avais pas pensé à faire cet exercice sur 5 ou 10 pages! Merci pour ton conseil!

Pour ce qui est de la honte de lire en classe, je me reconnais bien là! En cours de thème et version, j'avais l'impression de ne même plus savoir parler espagnol. Ce n'est que seule que je me laisse aller et que je prends un réel plaisir à faire vivre le texte (et que je parle mieux, je crois, car je ne suis pas gênée par le regard des autres). C'est malheureux...

Elena a dit…

Voici ce que j’ai trouvé récemment au hasard de mes lectures…
Comment entretenir et améliorer la qualité de sa langue maternelle
[…]
« Laissez-vous porter par la mélodie du texte, laissez la période hugolienne enfler en vous comme une vague, goûtez à la prose ciselée et précise comme un bistouri de Colette, ne dédaignez pas de relire Balzac, promenez-vous dans notre belle littérature de Châteaubriant à Yourcenar, de Voltaire à Anatole France et à Aragon sans oublier de vous retremper parfois dans la truculence rabelaisienne. Ces musiques différentes, que vous apprécierez mieux si vous vous accordez de temps à autre le plaisir d’une lecture à haute voix, contribueront à élargir votre propre registre. Vous découvrirez ainsi que tout bon texte a son rythme propre, sa petite musique cachée qui porte les mots comme ces petits bateaux que des enfants ont lâchés sur une eau courante et qui courent, dansent et jubilent dans la lumière de l’été… Vous apprendrez, du même coup, à repérer la traduction littéraire imparfaite : c’est celle où la phrase se traîne, où le lecteur, sans cesse, perd le fil et ne peut qu’avec effort, au travers d’une forêt d’obstacles, ramener son attention au texte. »
Colette Laplace
In : Comment perfectionner ses connaissances linguistiques, E.S.I.T., Sorbonne Nouvelle-PARIS 3

Tradabordo a dit…

@ Elena : merci… C'est exactement ce que je souhaite que devienne notre blog pendant cette année de transition : un lieu de dialogue autour de la traduction et de pratique de la version, comme avant, mais aussi, plus encore qu'avant, une base de données où nous rassemblerions un maximum de choses sur le sujet qui nous occupe. Des outils, des textes… bref tout ce qui touche de près ou de loin à la traduction.