samedi 11 juin 2011

Version à rendre pour le 10 juin

Dos CIRCUNSTANCIAS ME impulsan a escribir esta historia. La primera se produjo al regreso de mi viaje por la Unión Soviética, obsesionado con la sonrisa de gato oriental de Lenin: de dimensiones caseras o monumentales, desde estandartes, santuarios, frescos, carteles, banderines, placas recordatorias y volantes, me persiguió de lerevan a Leningrado al son del ronroneo informativo de mi intérprete, que no agregaba grandes luces a mi conocimiento de la hagiografía leniniana. Pero como sus jaculatorias tuvieron por lo menos la virtud de convencerme de mi ignorancia respecto a Lenin y Krupskaya, lo primero que hice a la vuelta fue escribirle a un buen amigo moscovita, allegado al régimen pero no ciego, pidiéndole que me recomendara un estudio que hiciera digerible a esta pareja.
—Lee la biografía de Gerard Walter —me contestó—. La edición en español es de Grijalbo. Es lo más completo y al mismo tiempo lo más equilibrado.
La leí con mucho placer aunque con inesperados frutos. Inesperados porque, si bien contiene mucha información necesaria para un lego interesado en ir más allá de las notorias simplificaciones de partido, encandiló mi perversa pasión de novelista, más atento a lo bizarro, a lo particular, a minucias fragmentadas e inservibles que a aquello que es central. Confieso que no fueron las grandes marejadas de la historia ni el desfile de personajes señeros los que atraparon mi fantasía, sino hechos triviales, personajes secundarios, a veces no más que una alusión al pasar, una sombra, una nota a pie de página relacionada sólo tenuemente con los acontecimientos fundamentales. Es el caso del párrafo con que se inicia el capítulo uno de la tercera parte. El autor, después de explicar los hechos sangrientos de 1905 y la rebelión del acorazado Potemkin, despacha en unas cuantas líneas —como lo hacen casi todos los historiadores, por lo demás— el asunto del legado Schmidt. Walter lo presenta así:
'...el sobrino del multimillonario Morozov, Nicolás Schmidt, uno de los fabricantes de muebles más importantes de Moscú, profesaba por la revolución sentimientos tan ardientes como los de su tío. Durante las jornadas de 1905 sus talleres sirvieron de cuartel para los insurgentes y lo encarcelaron. Pero su frágil complexión no le permitió soportar el régimen penitenciario y murió allí, haciendo saber a quien correspondiera que legaba su fortuna a los bolcheviques. Sus dos hermanas, que entraron legalmente en posesión de la herencia, debían, por lo tanto, entregar cada una su parte al centro bolchevique. La mayor estaba casada con un abogado, miembro del partido social-demócrata, pero perteneciente a otra tendencia. Se negó a dar la autorización necesaria a su mujer. Fue citado ante un tribunal de honor y obligado a pagar a los bolcheviques la mitad de la suma que había cobrado su mujer, o sea 85.000 rublos. En cuanto a la menor, la situación se presentaba más delicada. Esta muchacha era amante de un bolchevique activo, muy considerado en los círculos dirigentes de la organización, Víctor Lodzinski, ALIAS Taratuta. Como la muchacha era menor de edad no podía disponer de sus bienes. Era necesario que se casara. Desgraciadamente, su amante, que llevaba una existencia clandestina, no poseía los documentos civiles necesarios. Buscaron, pues, un militante que tenía sus papeles en regla y lo casaron formulariamente con la señorita Schmidt, quién al convertirse en la señora de Ignatiev pudo cumplir al pie de la letra la última voluntad de su hermano. Así entraron en la caja de los bolcheviques cerca de 200.000 rublos, cantidad muy suficiente para garantizar la marcha de la nueva publicación».

José Donoso, Taratuta, Naturaleza muerta con cachimba

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Vanessa nous propose sa traduction :

Il y a deux circonstances qui me poussent à écrire cette histoire. La première se produisit au retour de mon voyage en Union Soviétique, hanté par le sourire de chat oriental de Lenine : de dimensions familiales ou monumentales, que ce soit par les étendards, les sanctuaires, les fresques, les affiches, les fanions, les plaques commémoratives ou les lettres, elle me pousuivit de Yerevan à Leningrad au son du ronronnement de mon interprète – qui n'apportait pas de grandes lumières à ma connaissance de l'hagiographie léninienne. Mais, puisque ses oraisons jaculatoires eurent au moins le mérite de me convaincre de mon ignorance en ce qui concerne Lenine et Krupskaya, la première chose que je fis en rentrant fut d'écrire à un bon ami moscovite – proche du régime, mais pas aveugle – afin qu'il me recommande une étude rendant digestible ce couple-là.
― Lis la biographie de Gérard Walter ―, me conseilla-t-il. L'édition espagnole est de Grijalbo. C'est ce qu'il y a de plus complet et en même temps de plus équilibré. Je la lus avec beaucoup de plaisir, même si elle eut un effet inattendu. Inattendu car, s'il est vrai qu'elle contient de nombreuses informations nécessaires au profane qui désire dépasser les simplifications notoires des partis, elle éblouit mon penchant pervers de romancier, plus attentif à ce qui est bizarre, particulier, aux détails fragmentés et inutilisables, qu'à ce qui est central. Je dois avouer que ce ne sont pas les grandes houles de l'Histoire ni le défilé de personnages illustres qui embarquèrent mon imagination, mais plutôt des fait triviaux, des personnages secondaires, parfois rien d'autre qu'une allusion en passant, une ombre, une note de bas de page pourtant si faiblement reliée aux événements fondamentaux.
C'est le cas du premier paragraphe du chapitre un de la troisième partie. L'auteur, après explication des faits sanglants de 1905 et de la mutinerie du cuirassé Potemkine, traite en quelques lignes – comme le font en outre la plupart des historiens – de l'héritier Schmidt. Walter le présente ainsi :
« ...le neveu du multimillionaire Morozov, Nicolas Schmidt, un des fabricants de meubles les plus importants de Moscou, professait envers la révolution des sentiments aussi ardents que ceux de son oncle. Lors des journées révolutionnaires de 1905 ses ateliers servirent de quartier général aux insurgés, et on le jeta en prison. Mais sa complexion fragile ne lui permit pas de supporter le régime pénitentiaire, et il s'éteignit là-bas, faisant savoir à qui de droit qu'il léguait sa fortune aux bolchéviques. Ses deux soeurs, qui entrèrent légalement en possession de l'héritage, avaient pour obligation, de fait, de remettre leur partie respective au centre bolchévique.
L'aînée était mariée à un avocat membre du parti social-démocrate, mais appartenant à une autre tendance. Il refusa d'apporter l'autorisation nécessaire à sa femme. Il fut cité devant un tribunal d'honneur et obligé à verser aux bolchéviques la moitié de la somme qu'avait reçue sa femme, c'est-à-dire 85.000 roubles. Pour ce qui est de la cadette, les choses furent plus délicates.
Elle était la maîtresse d'un bolchévique actif, très bien considéré dans les cercles dirigeants de l'organisation, Victor Lodzinski, alias Taratuta. Comme la jeune femme était mineure, elle ne pouvait effectivement disposer de ses biens. Il fallait qu'elle se marie. Malheureusement, son amant, qui menait une existence clandestine, ne possédait pas les documents civils nécessaires. Ils recherchèrent donc un militant qui eût ses papiers en règles, et le marièrent protocolairement avec la demoiselle Schmidt, qui, en devenant la femme d'Ignatiev, put accomplir au pied de la lettre la dernière volonté de son frère. C'est ainsi qu'intégrèrent les caisses des bolchéviques près de 200.000 roubles, quantité largement suffisante pour garantir la mise en route de la nouvelle publication. »

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Auréba nous propose sa traduction :

Deux événements me poussent tout particulièrement à écrire cette histoire. Le premier s'est produit au retour de mon périple à travers l'Union Soviétique, obnubilé par le sourire de chat oriental de Lénine : aux dimensions tantôt réduites tantôt monumentales, que ce soit sur des étendards, des sanctuaires, des fresques, des affiches, des fanions, des plaques commémoratives ou des tracts, il m'a poursuivi depuis Erevan jusqu'à Leningrad, au son du ronronnement informatif de mon interprète, qui apportait très peu de lumière à ma connaissance de l'hagiographie léninienne.
En revanche, ses oraisons jaculatoires ayant eu le mérite de me convaincre de mon ignorance pour tout ce qui concerne Lénine et Kroupskaïa, mon premier reflexe a été d’écrire à un très bon ami moscovite, proche du régime mais pas aveugle, en lui demandant de m'orienter vers une étude qui pourrait rendre ce duo de personnalités moins indigeste.
― Lis la biographie de Gérard Walter – m'a-t-il conseillé –. En espagnol, elle est éditée chez Grijalbo. C'est ce qu'on peut trouver de plus complet et de plus nuancé.
Je l'ai parcourue sans me faire prier, mais en y trouvant des choses auxquelles je ne m'attendais pas du tout En effet, je ne m'y attendais pas, car, bien qu'elle continsse beaucoup d'informations utiles pour une personne non avertie désirant dépasser toutes simplifications notoires sur les partis, elle a fasciné ma passion dépravée de romancier, bien plus attentif à tout ce qui a trait à la vie privée, aux petits détails inutiles plutôt qu'à ce qui est fondamental.
Il en a été ainsi avec le paragraphe introduisant le chapitre I de la troisième partie. L'auteur, après avoir expliqué les épisodes sanglants de 1905 et de la révolte du cuirassé Potemkine, expédie en quelques lignes – à l'instar de la plupart des historiens, d'ailleurs – l'affaire de la donation de Schmidt. Voici comment Walter la présente :
« ... le cousin du milliardaire Morozov, Nikolaï Schmidt, l'un des plus grands fabricants de meubles de Moscou, se sentait aussi impliqué dans la révolution que son oncle. Au cours des journées de 1905, ses ateliers ont servi de caserne aux insurgés, et ils se sont tous faits emprisonner. Seulement, sa faible complexion ne l'aidant pas le moins du monde à supporter le régime pénitentiaire, il décéda sur place, faisant savoir à la personne appropriée qu'il léguait sa fortune aux bolchéviks, raison pour laquelle ses deux sœurs, légalement entrées en possession de l'héritage, durent chacune céder leur part au centre bolchévique. La plus âgée était mariée à un avocat, membre du parti social-démocrate, mais affilié à une autre branche du mouvement. Celui-ci refusa de donner l'autorisation requise pour sa femme. Il fut par conséquent convoqué devant un tribunal d'honneur et contraint de verser aux bolchéviks la moitié de la somme perçue par sa femme, à savoir : 85.000 roubles. Quant à la plus jeune, la situation s'avérait plus compliquée. Cette jeune fille aimait un bolchévique actif, très respecté parmi les cercles dirigeants de l'organisation, Victor Lodzinski, alias Taratouta. Étant mineure, la jeune fille ne pouvait pas disposer de ses biens. Pour cela, il fallait qu'elle se marie. Bien malencontreusement, son mari, qui menait une existence de clandestin, n'avait pas ses papiers en règles, et on le maria expressément avec Mademoiselle Schmidt, qui, devenant Madame de Ignatiev, put respecter au pied de la lettre la dernière volonté de son frère. Voilà comment près de 200.000 roubles se sont ajoutés au capital des bolchéviks, une quantité plus que suffisante pour garantir le bon déroulement de la publication. »

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Annabelle nous propose sa traduction :

Deux événements me poussent à écrire cette histoire. Le premier s'est produit au retour de mon voyage en Union Soviétique, hanté par le sourire de chat oriental de Lénine : de dimensions artisanales ou monumentales, depuis des étendards, sanctuaires, fresques, affiches, fanions, plaques commémoratives et tracts, il m'a poursuivi d'Erevan à Léningrad au son du ronronnement informatif de mon interprète, qui n'éclairait guère ma connaissance de l'hagiographie léninienne. Mais comme ses oraisons jaculatoires eurent au moins le mérite de me convaincre de mon ignorance au sujet de Lénine et Kroupskaïa, la première chose que je fis à mon retour fut d'écrire à un bon ami Moscovite, proche du régime sans en être aveuglé, pour lui demander de me recommander une étude qui rendrait ce couple digeste.
– Lis la biographie de Gérard Walter – me répondit-il. L'édition en espagnol est de Grijalbo. C'est ce qu'il y a de plus complet et en même temps de plus équilibré.
Je la lus avec beaucoup de plaisir malgré un résultat inattendu. Inattendu, car si elle contient en effet beaucoup d'informations indispensables à un profane désireux d'aller plus loin que les notoires simplifications du parti, elle fascina ma perverse passion de romancier, plus attentif au bizarre, au particulier, aux détails fragmentés et inutilisables, qu'à ce qui est central. J'avoue que ce ne furent pas les grands mouvements de l'histoire ni le défilé de personnages hors du commun qui captèrent mon imagination, mais des faits triviaux, des personnages secondaires, parfois pas plus qu'une allusion en passant, une ombre, une note de bas de page n'ayant qu'un lien ténu avec les événements fondamentaux. C'est le cas du paragraphe avec lequel commence le premier chapitre de la troisième partie. L'auteur, après avoir expliqué les faits sanglants de 1905 et la rébellion du cuirassé Potemkine, explique en quelques lignes – comme le font presque tous les historiens, d'ailleurs – l'histoire du legs Schmidt. Walter le présente ainsi :
« … le neveu du multimillionnaire Morozov, Nicolas Schmidt, qui était un des plus gros fabricants de meubles à Moscou, professait à l'égard de la Révolution des sentiments aussi ardents que ceux de son oncle. Pendant les journées de 1905, ses ateliers servirent de quartier général aux insurgés et il fut incarcéré. Mais sa fragile constitution ne lui permit pas de supporter le régime pénitentiaire et il en mourut, faisant savoir à qui de droit qu'il léguait sa fortune aux bolchéviques. Ses deux sœurs, qui se trouvèrent légalement en possession de l'héritage, devaient ainsi remettre chacune sa part au centre bolchévique. L'aînée était mariée à un avocat membre du parti social-démocrate, mais qui appartenait à une autre tendance. Il refusa de donner l'autorisation requise à sa femme. Il fut cité devant un tribunal d'honneur et obligé à payer aux bolchéviques la moitié de la somme que sa femme avait perçue, soit 85 000 roubles. Quant à la plus jeune, la situation semblait plus délicate. Cette jeune fille était la maîtresse d'un bolchévique en activité, très bien considéré dans les sphères dirigeantes de l'organisation : Victor Lodzinski, alias Taratuta. Comme la fille était mineure, elle ne pouvait pas disposer de ses biens. Il fallait qu'elle se marie. Malheureusement, son amant, qui menait une existence clandestine, ne possédait pas les documents civils nécessaires. Alors, ils cherchèrent un militant qui avait des papiers en règle et le marièrent officiellement à Mademoiselle Schmidt qui, se changeant en Madame Ignatiev, put respecter au pied de la lettre la dernière volonté de son frère. Ainsi entrèrent dans les caisses des bolchéviques environ 200 000 roubles, somme suffisant à garantir la bonne marche de la nouvelle publication ».

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Bruno nous propose sa traduction :

Deux circonstances me poussent à écrire cette histoire. La première se produisit au retour de mon voyage en Union Soviétique, obsédé comme je l’étais par le sourire de sphinx de Lénine : aux dimensions colossales ou monumentales, qui depuis les étendards, les sanctuaires, les fresques, les affiches, les fanions, les plaques commémoratives et autres affichettes, me poursuivit de Erevan à Leningrad au son du ronronnement informatif de mon interprète, qui n’apportait pas de grands éclaircissements à ma connaissance de l’hagiographie léninienne. Mais comme ses oraisons jaculatoires eurent tout au moins la vertu de me convaincre de mon ignorance à propos de Lénine et Krupskaya, la première chose que je fis à mon retour fut d’écrire à un bon ami moscovite, proche du régime mais pas aveugle pour autant, lui demandant de me recommander une étude qui rende ce couple digeste.
-Lis la biographie de Gérard Walter -me répondit-il- L’édition espagnole est de Grijalbo. C’est la plus complète et en même temps la plus équilibrée.
Je la lus avec grand plaisir quoique avec des fruits inespérés. Inespérés car, si en effet elle contient beaucoup d’informations nécessaires pour un profane intéressé d’aller plus loin que les notoires simplifications du parti, elle éclaira ma passion perverse de romancier, plus attentif à ce qui bizarre, à ce qui est particulier, aux petits détails fragmentés et inutilisables, qu’à ce qui est central. Je confesse que ce ne furent pas les grands mouvements de l’histoire, ni le défilé de figures de proue qui séduisirent ma fantaisie, mais des faits banals, des personnages secondaires, parfois rien de plus qu’une allusion en passant, une ombre, une note de bas de page reliée seulement par un fil ténu aux événements fondamentaux. C’est le cas du paragraphe par lequel commence le chapitre un de la troisième partie. L’auteur, après avoir expliqué les faits sanglants de 1905 et la rébellion du cuirassé Potemkine, résume en quelques lignes- comme le font presque tous les historiens, par ailleurs- l’affaire de l’héritage Schmidt. Walter la présente ainsi :
« … le neveu du multimillionnaire Morozov, Nicolas Schmidt, un des fabricants de meubles les plus importants de Moscou, vouait pour la révolution des sentiments aussi ardents que ceux de son oncle. Pendant les journées de 1905, ses ateliers servirent de cartel pour les insurgés et il fut mis en prison. Mais sa fragile composition ne lui permit pas de supporter le régime pénitentiaire et il y mourut, faisant savoir à la personne avec qui il correspondait par courrier qu’il léguait sa fortune aux bolcheviques. Ses deux sœurs, qui prirent légalement possession de l’héritage, devaient, par conséquent, donner chacune leur part au centre bolchevique. L’aînée était mariée à un avocat, membre du parti social-démocrate, mais appartenant à une autre tendance. Il refusa de donner l’autorisation nécessaire à sa femme. Il fut cité à comparaître devant un tribunal d’honneur et obligé de payer aux bolcheviques la moitié de la somme qu’avait touchée sa femme, soit 85000 roubles. Quant à la plus jeune, la situation se présentait plus délicate. Cette jeune fille était la maîtresse d’un bolchevique actif, très bien vu dans les cercles dirigeants de l’organisation, Victor Lodzinski, alias Taratuta. Comme la jeune fille était mineure, elle ne pouvait disposer de ses biens. Il était nécessaire qu’elle se marie. Malheureusement, son amant, qui menait une existence clandestine, ne possédait pas les documents civils nécessaires. Ils cherchèrent, donc, un militant dont l’identité était en règle et le marièrent sur le papier avec Mademoiselle Schmidt, qui en devenant Madame Ignatiev, put accomplir au pied de la lettre les dernières volontés de son frère. Ainsi, près de 200000 roubles entrèrent dans les caisses des bolcheviques, une quantité bien suffisante pour garantir la bonne marche de la nouvelle publication ».

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Mélissa nous propose sa traduction :

Deux circonstances me poussent à écrire cette histoire. La première fit son apparition lors de mon retour de voyage en Union Soviétique, obsédé par le sourire de chat persan de Lénine : de la taille d’une maison ou monumental, sur des étendards, des sanctuaires, des fresques, des affiches, des banderoles, des plaques commémoratives et volantes, il me poursuivit de Lerevan à Leningrad au rythme du ronronnement informatif de mon interprète, qui n’éclairait pas mon savoir sur l’hagiographie léninienne de ses grandes lumières. Mais comme ses propos eurent au moins la vertu de me convaincre de mon ignorance par rapport à Lénine et à Krupskaya, la première chose que je fis à mon retour fut d’écrire à un bon ami moscovite, proche du régime mais pas pour autant aveugle, en lui demandant de me recommander une étude qui rendrait ce couple digeste.

- Lis la biographie de Gérard Walter, me répondit-il -. L’édition espagnole est celle de Grijalbo. C’est la plus complète et en même temps la plus équilibrée.

Je la lus avec grand plaisir. Une lecture aux conséquences inespérées. Inespérées car, bien qu’elle contienne beaucoup d’informations nécessaires pour un laïc intéressé pour aller au-delà des simplifications notoires de parti, il éblouit ma passion perverse de romancier, plus attentif au singulier, au particulier, à des détails fragmentés et inutilisables qu’à celui qui est central. J’avoue que ce ne furent pas les grandes houles de l’histoire ni le défilé des personnages qui ont accroché mon imagination, mais des faits triviaux, des personnages secondaires, parfois rien moins qu’une allusion au passage, une ombre, une note de pied de page liée faiblement aux évènements fondamentaux. C’est le cas du paragraphe qui débute le chapitre un de la troisième partie. L’auteur, après avoir expliqué les faits sanglants de 1905 et la rébellion du cuirassé Potemkine, traite dans toutes ces lignes – comme le font presque tous les historiens, cela dit – du sujet de l’héritage Schmidt. Walter le présente ainsi :

« …le neveu du multimillionnaire Morozov, Nicolas Schmidt, un des plus importants fabricants de meubles de Moscou, professait pour la révolution des sentiments aussi ardents que ceux de son oncle. Pendant les journées de 1905 ses ateliers ont servi de caserne pour les insurgés et ils l’emprisonnèrent. Mais sa frêle constitution ne lui permit pas de supporter le régime pénitentiaire et il mourut ici, en faisant savoir aux personnes avec qui il correspondait qu’il léguait sa fortune aux bolchéviques. Ses deux sœurs, qui entrèrent légalement en possession de l’héritage, devaient, par conséquent, remettre chacune sa partie au centre bolchévique. L’aînée était mariée à un avocat, membre du parti social-démocrate, mais elle appartenait à une autre tendance. Il refusa de donner l’autorisation nécessaire à sa femme. Il fut cité à comparaitre devant un tribunal d’honneur et obligé à payer aux bolchéviques la moitié de la somme qu’avait couvert sa femme, à savoir 85000 roubles. Quant à la cadette, sa situation était plus délicate. Cette jeune fille était la maîtresse d’un bolchévique actif, très bien considéré dans les cercles dirigeants de l’organisation, Victor Lodzinski, alias Taratura. Comme la jeune fille était mineure, elle ne pouvait jouir de ses biens. Il fallait qu’elle se marie. Malheureusement, son amant, qui vivait clandestinement, ne possédait pas les documents civils nécessaires. Ils cherchèrent, donc, un militant qui avait ses papiers en règle et le marièrent sur le papier avec Mademoiselle Schmidt, qui, en se transformant en Madame de Ignatiev put accomplir au pied de la lettre les dernières volontés de son frère. C’est ainsi que près de 200000 roubles entrèrent dans la caisse des bolchéviques, quantité très suffisante pour garantir le fonctionnement de la nouvelle publication. »

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Florian nous propose sa traduction :

Deux événements me poussent à écrire cette histoire. Le premier s'est produit au retour de mon voyage en Union Soviétique, obsédé par le sourire de chat oriental de Lénine: aux dimensions artisanales ou monumentales, sur les étendards, les sanctuaires, les fresques, les affiches, les fanions, les plaques commémoratives, les prospectus, qui m'avait poursuivis de Lerevan à Léningrad au son du ronronnement informatif de mon interprète, qui n'apportait pas beaucoup plus à mes connaissances sur la hagiographie léninienne. Mais comme ses oraisons jaculatoires avaient au moins eut le mérite de me convaincre de mon ignorance par rapport à Lénine et Krupskaya, la première chose que j'ai faite à mon retour a été d'écrire à un bon ami moscovite, certes proche du régime mais pas aveugle pour autant, pour lui demander de me recommander un ouvrage qui pourrait rendre digeste ce duo.
_ Lis la biographie de Gerard Walter- me répondit-il. L'édition espagnole est de Grijalbo. C'est le plus complet et en même temps le plus équilibré.
Je l'ai lu avec grand plaisir mais avec, toutefois, des effets inattendus. Inattendus car, bien qu'il contienne nombre d'information utile pour un profane intéressé à aller au-delà des simplifications notoires de parti, il a ébloui ma passion perverse de romancier, plus attentif à l'étrangeté, au particulier, aux détails fragmentés et inutilisables qu'à tout ce qui est central. J'avoue que ce n'a pas été les grandes agitations de l'histoire ni le défilé d'éminents personnages qui ont conquis mes songes, mais plutôt les faits triviaux, les personnages secondaires, parfois rien de plus qu'une simple allusion au passage, une ombre, une note de bas de page à peine reliée aux événements fondamentaux. C'est le cas du paragraphe qui ouvre le premier chapitre de la troisième partie. L'auteur, après avoir expliqué les épisodes sanglants de 1905 et la rébellion du cuirassé Potemkine, traite en quelques lignes- comme le font presque tous les historiens, cela dit- l'affaire de légat Schmidt. Walter le présente ainsi:
...le neveu du multimillionnaire Morosov, Nicolas Schmidt, l'un des fabricants de meubles les plus importants de Moscou, éprouvait pour la révolution des sentiments aussi brûlants que ceux de son oncle. Mais sa constitution fragile ne lui a pas permis de supporter le régime pénitencier et il a fini par y succomber, sans manquer de faire savoir à la personne correspondante qu'il léguait sa fortune aux bolchéviques. Ses deux sœurs, qui ont pris légalement possession de l'héritage, devaient, par conséquent, remettre chacune leur part au centre bolchévique. La plus grande était mariée à un avocat, membre du parti social-démocrate, mais elle appartenait à une autre tendance. Il avait refusé de donner à sa femme l'autorisation nécessaire. Il a été cité à comparaître devant un tribunal d'honneur et contraint à verser aux bolchéviques la moitié de la somme qu'avait touché sa femme, soit 85.000 roubles. Pour ce qui est de la plus jeune, la situation s'annonçait plus délicate. Cette jeune femme était l'amante d'un bolchévique actif, très réputé au sein du noyau dirigeant de l'organisation, Victor Lodzinski, alias Taratuta. Comme la jeune femme était mineur, elle ne pouvait disposer de ses biens. Il était nécessaire qu'elle se mariât. Hélas, son amant, qui menait une existence clandestine, ne possédait pas les papiers d’identité appropriés. Ainsi, ils ont cherché un militant qui, lui, avait ses papiers en règle et l'ont marié selon les coutumes à la demoiselle Schmidt, qui, en devenant la femme d'Ignatiev, a put respecter au pied la lettre la dernière volonté de son frère. C'est de cette façon que sont entrés dans les caisses des bolchéviques près de 200.000 roubles, une quantité largement suffisante pour garantir le bon fonctionnement de la nouvelle publication.

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Olivier nous propose sa traduction :

Deux événements me poussent à écrire cette histoire. Le premier se produisit au retour de mon voyage à travers l'Union Soviétique, obsédé que j'étais alors par le sourire de chat oriental de Lénine : ce dernier – qu'il fût de dimensions humaines ou monumentales, qu'il s'affichât sur les étendards, les sanctuaires, les fresques, les affiches, les fanions, ou encore les plaques commémoratives et autres tracts – m'avait poursuivi de Yerevan à Léningrad, avec, toujours à ses côtés, le ronronnement informatif de mon interprète – lequel était loin d'éclairer mon entendement de l'hagiographie léniniste. Toutefois, ses propos jaculatoires eurent au moins la vertu de me convaincre de mon ignorance quant à Lénine et Krupskaïa, et la première chose que je fis à mon arrivée fut d'écrire à un bon ami moscovite, proche du régime, certes, mais pas aveugle pour autant, pour lui demander de me recommander une étude qui me permettrait d'assimiler ce couple.
—Lis la biographie écrite par Gerard Walter— me répondit-il—. L'édition espagnole est de Grijalbo. C'est la plus complète et, en même temps, la plus pondérée.
Je la dévorais avec plaisir, et sa lecture produisit des fruits inattendus. Inattendus car, bien que l'étude contienne nombre d'informations nécessaires au profane qui désire outrepasser les simplifications notoires de parti, elle éblouit surtout ma passion perverse de romancier, plus attentif au caractéristique, au particulier, aux minuties fragmentées et inutiles qu'à l'essence même du récit. Je confesse que ce ne furent ni les grands remous de l'histoire, ni le défilé de personnages uniques qui retinrent mon attention, sinon des faits triviaux, des personnages secondaires, parfois rien d'autre qu'une brève allusion, une ombre, une note de bas de page en vague relation avec les faits fondamentaux. C'est le cas, par exemple, du paragraphe qui sert de premier chapitre à la troisième partie. L'auteur, après avoir expliqué les faits sanguinaires de 1905 et la révolte du cuirassé Potemkine, traite sur quelques lignes seulement – comme le font presque tous les historiens, d'ailleurs – l'affaire de l'héritage Schmidt. Walter le présente de la sorte :
« …le neveu du multimillionnaire Morozov, Nicolas Schmidt, l'un des plus importants fabricants de meubles de Moscou, affichait, à l'égard de la révolution, des sentiments aussi ardents que ceux de son oncle. Lors des journées de 1905, ses ateliers servirent de cartel pour les bolchéviques, et pour cette raison, il fut incarcéré. Mais sa complexion fragile ne lui permit guère de supporter le régime pénitencier et il mourut là, en faisant savoir à qui de droit qu'il léguait sa fortune aux bolchéviques. Ses deux sœurs, qui entrèrent en toute légalité en possession de l'héritage, devaient, de ce fait, chacune remettre sa part au parti bolchévique. L'aînée était mariée à un avocat qui, bien qu'il fût membre du parti social-démocrate, était cependant affilié à une autre tendance. Se refusant à donner à sa femme l'autorisation nécessaire, il fut convoqué devant un tribunal d'honneur et se vit obligé à verser au bolchéviques la moitié de la somme que sa femme avait perçue, soit 85.000 roubles. Pour ce qui était de la benjamine, la situation était autrement plus délicate. La jeune femme en question était amoureuse d'un bolchévique actif, tout particulièrement apprécié par les cercles dirigeants de l'organisation, Victor Ldzinski, alias Taratuta. Ladite jeune femme étant mineur, elle ne pouvait jouir de ses biens, aussi était-il nécessaire qu'elle se mariât. Malheureusement, son amant, qui menait une vie clandestine, ne possédait pas les documents civils requis. C'est pourquoi ils recherchèrent un militant ayant des papiers en règle et le marièrent légalement à la demoiselle Schmidt qui, en devenant dès lors madame Ignatiev, put de la sorte accomplir la dernière volonté de son frère. Ainsi, près de 200.000 roubles entrèrent dans les caisses des bolchéviques, une quantité plus que suffisante pour garantir le bon déroulement de la nouvelle publication ».

***

Elena nous propose sa traduction :

Deux circonstances me poussent à écrire cette histoire. La première s’est produite au retour de mon voyage en Union Soviétique, j’étais pris d’une obsession du sourire de chat oriental de Lénine : de taille familiale ou monumentale, depuis les étendards, les sanctuaires, les fresques, les affiches, les fanions, les plaques commémoratives et les tracts, il m’avait poursuivi dès Erevan à Leningrad au son du ronronnement informatif de mon interprète, qui n’éclairait pas beaucoup mes connaissances sur l’hagiographie léninienne. Mais comme ses jaculatoires ont eu au moins la vertu de me convaincre de mon ignorance sur Lénine et Krupskaya, la première chose que j’ai fait à mon retour, ce fut d’écrire à un bon ami moscovite, proche du régime, mais pas aveuglé, pour lui demander de me conseiller un essai qui fasse ce couple digérable.

–Lis la biographie de Gérard Walter– me répondit-il–. L’édition espagnole est de Grijalbo. C’est ce qui a de plus complet et en même temps, de plus équilibré.

Je l’ai lu volontiers mais avec des résultats inattendus. Inattendus car, malgré le fait qu’il contienne beaucoup d’information nécessaire à un profane intéressé d’aller plus loin que les célèbres simplifications du parti, il a ébloui ma perverse passion de romancier, plus attentif au bizarre, au particulier, aux minuties fragmentées et inutilisables qu’à ce qui est au centre. J’avoue que ce ne sont pas les grandes houles de l’histoire, ni le défilé de personnages uniques, qui ont happé ma fantaisie, mais les faits banaux, les personnages secondaires, parfois juste une allusion au passage, une ombre, une note de bas de page en faible rapport avec les événements fondamentaux. C’est le cas du paragraphe par lequel commence le chapitre numéro un de la troisième partie. L’auteur, après avoir expliqué les faits sanglants de 1905 et la rébellion du cuirassé Potemkine, expédie en quelques lignes‑comme le font presque tous les historiens, d’ailleurs‑ l’affaire de l’héritage Schmidt. Walter le présente ainsi : « …le neveu du milliardaire Morozov, Nicolas Schmidt, l’un des fabricants de meubles le plus important de Moscou, professait des sentiments envers la révolution aussi ardents que ceux de son oncle. Durant les journées de 1905 ses ateliers ont servi de caserne aux insurgés et on l’a emprisonné. Sauf que sa fragile constitution physique ne lui a pas permis de résister au régime pénitentiaire et il en est mort, en faisant savoir à qui de droit, qu’il léguait sa fortune aux bolcheviques. Ses deux sœurs, qui avaient pris légalement possession de l’héritage, devaient alors rendre chacune sa part au centre bolchevique. L’ainée était mariée avec un avocat, membre du parti social-démocrate, mais appartenant à une autre tendance. Il a refusé de donner l’autorisation nécessaire à sa femme. Il a été convoqué devant un tribunal d’honneur et obligé à payer aux bolcheviques la moitié de la somme qu’avait touché sa femme, c’est-à-dire 85 000 roubles. Quant à la cadette, la situation était plus délicate. Cette fille était l’amante d’un bolchevique actif, très respecté dans les cercles dirigeants de l’organisation, Victor Lodzinski, alias Taratuta. Comme la jeune femme était mineure, elle ne pouvait pas disposer de ses biens. Il fallait qu’elle se marie. Malheureusement, son amant, qui menait une existence clandestine, n’avait pas les documents civils nécessaires. On a donc cherché un militant qui avait ses papiers en règle et on l’a marié légalement à Mademoiselle Schmidt, laquelle en devenant Madame Ignatiev, a pu accomplir au pied de la lettre la dernière volonté de son frère. Ainsi sont entrés dans les caisses des bolcheviques près de 200 000 roubles, une quantité largement suffisante pour garantir la progression de la nouvelle publication. »

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