mardi 27 septembre 2011

Version de CAPES, 13 (à rendre pour le 26 septembre)

Ahora que sé que mi amiga Claudia ha enviudado de muerte natural del marido, no he podido evitar acordarme de una noche en París hace seis meses: había salido después de la cena de siete personas para acompañar hasta su casa a una de las invitadas, que no tenía coche pero vivía cerca, quince minutos andando a la ida y quince a la vuelta. Me había parecido una joven algo alocada y bastante simpática, una italiana amiga de mi anfitriona Claudia, también italiana, en cuyo piso de París me alojaba durante unos días, como en otras ocasiones. Era miúltima noche de aquel viaje. La joven, cuyo nombre ya no recuerdo, había sido invitada para complacerme y para diversifcar un poco la mesa, o mejor dicho, para que las dos lenguas habladas estuvieran más repartidas.
Todavía durante el paseo tuve que chapurrear italiano, como había hecho durante media cena. Durante la otra media era francés lo que había chapurreado aún peor, y a decir verdad estaba ya harto de no poder expresarme correctamente con nadie. Tenía ganas de resarcirme, pero esa noche ya no habría posibilidad, pensaba, pues para cuando regresara a la casa mi amiga Claudia que habla un español convincente, ya se habría acostado con su maduro y gigantesco marido y hasta la mañana siguiente no habría ocasión de cruzar unas palabras bien armadas y pronunciadas. Sentía impulsos verbales, pero debía reprimirlos. Desconecté durante el paseo: dejé que fuera la amiga italiana de mi amiga italiana quien hablara con propiedad en su lengua, y yo, contra mi voluntad y deseo, me limitaba a asentir y a comentar de vez en cuando:‘Certo, certo’, sin prestar atención, cansado como estaba por el vino y hastiado por el esfuerzo lingüístico. Mientras caminábamos echando vaho sólo me percataba de que decía cosas sobre nuestra común amiga, como era por lo demás natural, ya que fuera de la reunión de siete de la que procedíamos no teníamos nada de lo que ponernos al tanto. Al menos eso creía.‘Ma certo’, seguía comentando yo sin ningún sentido, mientras ella, que se daría cuenta de mis omisiones, continuaba un poco para sí sola o quizá por cortesía. Hasta que de pronto, siempre hablando de Claudia, hubo una frase que comprendí muy bien como frase y en absoluto como significado, ya que la comprendí sin querer y aislada de todo contexto.‘Claudia sarà ancora con il dottore’, fue lo que dijo su amiga a mi entendimiento. No hice mucho caso, porque estábamos llegando ya a su portal y yo tenía prisa por hablar mi lengua o al menos quedarme a solas pensando en ella.
En aquel portal había una figura esperando, y ella añadió:‘Ah no, ecco il dottore’, o algo por el estilo. Entendí que aquel doctor venía a visitar a su marido, quien por hallarse indispuesto no la había acompañado a la cena. El doctor era un hombre de mi edad o casi joven y que resultó ser español. Quizá fue sólo por eso por lo que fuimos presentados, aunque muy brevemente (ellos dos hablaron entre sí en francés, el de mi compatriota inconfundible acento), y aunque de buen grado me habría quedado un rato charlando conél para satisfacer mis ansias de verbalidad correcta, la amiga de mi amiga no me invitó a subir, sino que apresuró la despedida, dando a entender o diciendo que el doctor Noguera llevaba ya allí minutos, esperándola. Este médico compatriota portaba maletín negro, como los de otraépoca, y tenía un rostro anticuado, como salido de los años treinta: un hombre bien parecido pero huesudo y pálido, con pelo rubio de piloto de caza, peinado hacia atrás. Comoél, pensé un momento, debió haber muchos en París después de la guerra, médicos exiliados republicanos.

Javier Marías, « El médico nocturno »

***

Annabelle nous propose sa traduction :

Maintenant que je sais que mon amie Claudia est devenue veuve par mort naturelle de son mari, je n'ai pas pu éviter de me souvenir d'une soirée à Paris, il y a six mois : j'étais sorti après un dîner de sept personnes pour raccompagner chez elle l'une des invitées qui n'avait pas de voiture, mais qui habitait près, quinze minutes à pied à l'aller et quinze au retour. Elle m'avait paru être une jeune un peu écervelée et assez sympathique, une Italienne, amie de mon hôtesse Claudia, Italienne également, qui m'hébergeait dans son appartement parisien pendant quelques jours, comme en d'autres occasions. C'était ma dernière nuit de ce voyage. La jeune femme, dont je ne me rappelle plus le nom, avait été invitée pour me faire plaisir et pour diversifier un peu la table ou, plus exactement, pour que les deux langues parlées soient mieux réparties.
Au cours de la promenade, je dus encore baragouiner en italien, comme je l'avais fait durant la moitié du repas. Pendant l'autre moitié, c'était en français que j'avais baragouiné encore plus mal et, pour dire vrai, j'en avais bien assez de ne pouvoir m'exprimer correctement avec personne. J'avais envie de me rattraper, mais ce soir-là je n'en aurais plus la possibilité, pensais-je, car quand je rentrerais à la maison, mon amie Claudia qui parle un espagnol convaincant se serait déjà couchée avec son mari âgé et gigantesque et jusqu'au matin suivant je n'aurais pas l'occasion de croiser des mots bien assemblés et prononcés. Je ressentais des élans verbaux, mais je devais les réprimer. Je décrochai durant le trajet : je laissai l'amie italienne de mon amie italienne parler correctement dans sa langue, et moi, contre ma volonté et mon désir, je me limitais à acquiescer et à répondre de temps en temps : « Certo, certo », sans y prêter attention, fatigué que j'étais par le vin, et lassé de l'effort linguistique. Tandis que nous avancions en soufflant de la buée, je me rendais seulement compte qu'elle disait des choses sur notre amie commune, ce qui était du reste naturel, puisqu'en dehors de la réunion de sept personnes dont nous venions, nous n'avions aucune nouvelle à nous transmettre. Du moins, je le pensais. « Ma certo », continuais-je à approuver absurdement, pendant qu'elle, qui devait se rendre compte de mes inattentions, continuait un peu pour elle-même ou peut-être par politesse. Jusqu'à ce que, soudain, toujours en parlant de Claudia, il y eut une phrase que je compris très bien comme phrase et pas du tout comme signification, car je la compris sans le vouloir et isolée de tout contexte. « Claudia sarà ancora con il dottore », fut ce que porta son amie à ma connaissance. Je n'y fis pas trop attention, parce que nous étions en train d'arriver à sa porte et que j'étais pressé de parler ma langue ou au moins de me trouver seul pour y penser.
Devant cette porte, il y avait une silhouette qui attendait, et elle ajouta : « Ah no, ecco il dottore », ou quelque chose du même style. J'entendis que ce docteur venait visiter son mari qui, se trouvant indisposé, ne l'avait pas accompagnée au dîner. Le docteur était un homme de mon âge ou presque aussi jeune, qui s'avéra être espagnol. Peut-être que ce fut la seule raison pour laquelle nous avons été présentés, bien que brièvement (tous deux parlèrent entre eux en français, avec l'accent caractéristique de mon compatriote), et même si je serais volontiers resté parler un moment avec lui pour satisfaire ma soif de verbalité correcte, l'amie de mon amie ne m'invita pas à monter, elle écourta plutôt les adieux, laissant entendre ou disant que le docteur Noguera avait déjà passé du temps à l'attendre. Ce médecin compatriote portait une mallette noire, comme celles d'un autre temps, et avait un visage vieillot, semblant sorti des années trente : un homme au physique agréable mais osseux et pâle, avec des cheveux blonds de pilote de chasse, coiffés en arrière. Comme lui, pensais-je un instant, il avait dû y en avoir beaucoup à Paris après la guerre, des médecins républicains exilés.

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Justine nous propose sa traduction :

Maintenant que je sais que mon amie Claudia a perdu son mari de mort naturelle, je ne peux m’empêcher de penser à une nuit à Paris, six mois plus tôt : j’étais sorti après un dîner où nous étions sept personnes pour raccompagner chez elle une des invitées, qui n’avait pas de voiture mais n’habitait pas loin, quinze minutes de marche à l’aller, quinze au retour. Elle m’avait paru être une jeune femme quelque peu lunatique mais assez sympathique, une amie italienne de mon amphitryon de Claudia, italienne elle aussi, qui une fois encore m’hébergeait pour quelques jours dans son appartement parisien. C’était la dernière soirée de mon séjour. La jeune femme, dont j’ai déjà oublié le prénom, avait été invitée pour me plaire et pour diversifier un peu la table, où plutôt pour que les dans langues dans lesquelles on s’exprimerait au cours de ce dîner soient plus équitablement réparties. Pendant que je la raccompagnais, je fus encore obligé de baragouiner l’italien, comme je l’avais fait pendant la moitié du repas. Pendant l’autre moitié c’était le français, que j’avais baragouiné encore plus mal, et à dire vrai j’en avais vraiment marre de ne pouvoir m’exprimer correctement avec personne. J’avais envie de réparer cela, mais je pensais que ce soir je n’en aurais pas la possibilité, car quand je reviendrai chez mon amie Claudia qui parle très bien espagnol, elle serait déjà couchée aux côtés de son mari un géant d’âge mûr, et jusqu’au lendemain matin je n’aurais pas l’occasion d’échanger quelques mots appropriés et bien prononcés. J’avais des pulsions verbales, mais je devais les réprimer. Alors que je raccompagnais la jeune femme, je décrochai : je laissai l’amie italienne de mon amie italienne employer les mots à bon escient dans sa langue, et pour ma part, contre ma volonté et mon désir, je me limitais à acquiescer, et à commenter de temps en temps : « Certo, certo », sans prêter attention à ce qu’elle disait, j’étais fatigué à cause du vin que j’avais bu et las de mes efforts linguistiques. Tandis que nous marchions en produisant de la buée, je me rendais seulement compte qu’elle parlait de notre amie commune, ce qui en outre était normal, parce qu’en dehors du rassemblement de sept personnes dont nous provenions, nous n’avions aucune information à partager. Du moins, c’est ce que je croyais. « Ma certo », continuais-je à commenter sans aucun sens, tandis qu’elle, qui se rendait compte de mon inattention, continuait un peu pour elle-même, ou peut-être par politesse. Jusqu’à ce que soudain, toujours au sujet de Claudia, elle prononça une phrase que je compris très bien en tant que telle, et dont je saisis complètement le sens, bien que je la compris sans le vouloir et sortie de tout contexte. « Claudia sarà ancora con il dottore », telles furent les paroles de son amie d’après ce que j’ai compris. Je n’y fis pas très attention, car nous arrivions déjà devant son portail et j’étais pressé de parler ma langue ou au moins, même si je ne la parlais pas, de rester seul pour penser dans ma langue. Devant ce portail une silhouette attendait, et elle ajouta : « Ah no, ecco il dottore », ou quelque chose du genre. Je compris que ce médecin venait voir son mari, qui étant souffrant, ne l’avait pas accompagnée au dîner. Le médecin était un homme de mon âge ou presque, assez jeune, et qui se trouva être Espagnol. C’est peut-être la seule raison pour laquelle nous fûmes présentés, très brièvement,( eux deux se parlèrent en français, mon compatriote avec un accent qui ne trompait pas), et même si je serai volontiers resté un moment pour discuter avec lui et satisfaire mon ardent désir de volubilité correcte, l’amie de mon amie ne m’invita pas à monter, mais hâta les adieux, en me faisant comprendre ou en me disant que le docteur Noguera l’attendait depuis déjà quelques minutes. Ce médecin compatriote tenait à la main une mallette noire, comme ses pairs jadis, et il avait un visage vieillot, comme sorti des années trente : il était plutôt pas mal mais osseux et pâle, avec les cheveux blonds d’un pilote de chasse, coiffés en arrière. Des comme lui, pensai-je un moment, il devait y en avoir beaucoup à Paris après la guerre, des médecins républicains exilés.

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Elena nous propose sa traduction :

Depuis que je sais que mon amie Claudia est veuve de son mari qui est décédé de mort naturelle, je n’ai pu éviter de me souvenir d’une à nuit à Paris, il y a six mois : j’étais sorti après un dîner, où nous étions sept personnes, pour raccompagner chez-elle l’une des convives, qui n’avait pas de voiture, mais qui habitait près de là, à quinze minutes à pied à l’aller et quinze minutes au retour. Elle m’avait semblé une jeune fille un peu frivole et assez sympathique, une italienne amie de mon hôtesse Claudia, italienne elle aussi, qui avait un appartement sur Paris où j’y séjournais quelques jours, comme dans d’autres occasions. C’était la dernière nuit de mon voyage. La jeune fille, dont je ne me souviens plus de son prénom, avait été invitée pour me faire plaisir et pour varier un peu la tablée, ou plutôt pour que les deux langues parlées soient bien à égalité.
Durant la promenade, j’ai dû encore une fois baragouiner l’italien, tel que je l’avais fait pendant plus de la moitié du dîner. Durant l’autre moitié, c’était le français que j’avais baragouiné pire encore, et, à vrai dire, j’en avais déjà assez de ne pas pouvoir m’exprimer correctement avec personne. J’avais envie de compenser ceci, mais cette nuit, il n’y aurait plus de possibilité, car quand je serais de retour chez mon amie Claudia qui parle un espagnol convenable, elle serait déjà couchée avec son mari, qui est d’âge mur et gigantesque, et jusqu’au lendemain, il n’y aurait point l’occasion d’échanger quelques mots bien assemblés et bien prononcés. Je ressentais des impulsions verbales, mais je devais les réprimer. J’ai décroché pendant la promenade : j’ai permis que ce soit l’amie italienne de mon amie italienne qui parlât correctement dans sa langue, et moi, contre ma volonté et mon désir, je me limitais à acquiescer et à commenter de temps à autre : « Certo, certo », sans faire vraiment attention, car j’étais fatigué à cause du vin et blasé par l’effort linguistique. Pendant que nous marchions en exhalant de la buée, je saisissais juste qu’elle disait des choses sur notre amie en commun, ce qui était d’ailleurs normal, car en dehors de la réunion de sept d’où nous venions, nous n’avions rien en commun. Du moins, je croyais. « Ma certo », disais-je, sans aucun sens, pendant qu’elle, qui devait se rendre compte de mes omissions, continuait de parler un peu pour elle toute seule ou peut-être par courtoisie. Jusqu’à ce que, tout à coup, en parlant toujours de Claudia, il eut une phrase que j’avais très bien comprise en tant que phrase, mais pas du tout son sens, car je l’ai comprise sans le vouloir et isolée de tout contexte. « Claudia sarà encora con il dottore », ce fut ce qu’a dit son amie à mon entendement. Je n’y ai pas prêté beaucoup d’attention, parce que nous étions déjà sur le point d’arriver au portail, et que j’étais pressé de parler dans ma langue ou au moins de rester tout seul à penser dans celle-ci.
Dans le hall d’entrée il y avait une silhouette qui attendait, et elle ajouta : « Ah no, ecco il dottore », ou quelque chose comme ça. J’ai compris que ce docteur venait rendre visite à son mari, lequel étant souffrant, ne l’avait pas accompagné au dîner. Le docteur était un homme de mon âge ou presque jeune et s’est révélé être espagnol. Peut-être est-ce l’unique raison pour laquelle nous avions été présentés, quoique très brièvement (ils ont parlé en français entre eux, mon compatriote avait un accent indiscutable), et malgré le fait que je serais resté de bon gré un moment à discuter avec lui pour satisfaire ma soif de verbalité correcte, l’amie de mon amie ne m’a pas invité à monter, mais elle a précipité les au revoir, en me faisant comprendre ou en disant que le docteur Noguera était là depuis déjà plusieurs minutes, à l’attendre. Ce médecin compatriote portait une serviette noire, comme celles d’une autre époque, et avait un visage démodé, comme sorti des années trente : un bel homme, mais osseux et pâle, avec des cheveux blonds de pilote de chasse, coiffés en arrière. Des comme lui, pensais-je un instant, il a dû y en avoir beaucoup à Paris après la guerre, des médecins républicains exilés.

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Laëtitia Sw nous propose sa traduction :

Depuis que je sais que mon amie Claudia a perdu son mari, décédé de mort naturelle, je n’ai pu occulter le souvenir d’une nuit à Paris il y a six mois : j’étais sorti, après un dîner qui avait réuni sept convives, pour raccompagner chez elle l’une d’entre eux qui ne possédait pas de voiture mais habitait tout près, à quinze minutes de marche. La jeune femme, qui m’avait paru un peu fantasque et assez sympathique, était une amie italienne de mon hôte Claudia, italienne elle aussi, dans l’appartement parisien de laquelle je logeais quelques jours, à l’occasion. C’était la dernière nuit de mon voyage. Cette jeune femme, dont je ne me rappelle plus le prénom, avait été invitée pour m’être agréable et pour diversifier un peu la tablée, c’est-à-dire pour que les deux langues parlées soient un peu mieux réparties.
Je dus, durant la promenade, baragouiner de nouveau l’italien, comme je l’avais fait pendant la moitié du repas. Pendant l’autre moitié, c’était le français que j’avais baragouiné encore plus mal et, à vrai dire, j’en avais plus qu’assez de ne pouvoir m’exprimer correctement avec personne. J’avais envie de m’amender, mais je n’en aurais plus la possibilité cette nuit-là, pensais-je, car, lorsque je rentrerais chez mon amie Claudia qui parle un espagnol convaincant, celle-ci se serait déjà couchée au côté de son mari, un géant d’âge mûr, et jusqu’au lendemain, je n’aurais pas l’occasion d’échanger avec quiconque des mots bien agencés et prononcés. J’éprouvais des élans verbaux, mais devais les réprimer. Je me déconnectai de la discussion au cours de la promenade : je laissai l’amie italienne de mon amie italienne parler avec justesse dans sa langue, quant à moi, contre ma volonté et mon désir, je me contentais d’acquiescer et de faire un commentaire de temps à autre : ‘Certo, certo’, sans y prêter plus attention, fatigué que j’étais par le vin et las de l’effort linguistique. En chemin, alors que nos souffles produisaient de la buée, je m’apercevais qu’elle n’abordait que des sujets concernant notre amie commune, ce qui était par ailleurs naturel puisque, hormis le dîner à sept dont nous sortions, nous n’avions rien d’autre à évoquer entre nous. Du moins, le croyais-je. ‘Ma certo’, poursuivais-je sans aucun fondement, tandis qu’elle, qui devait se rendre compte de mes omissions, continuait de parler un peu pour elle-même ou par politesse peut-être. Jusqu’à ce que, soudain, toujours à propos de Claudia, surgisse une phrase dont je compris fort bien la structure mais pas du tout la signification, étant donné que je la saisis sans le vouloir et hors de tout contexte. ‘Claudia sarà ancora con il dottore’, voilà ce que communiqua son amie à mon entendement. Je n’y fis pas très attention, parce que nous arrivions déjà devant chez elle et j’avais hâte de parler ma langue ou, au moins, de rester seul à penser à elle.
Il y avait, devant chez elle, quelqu’un qui l’attendait et elle ajouta : ‘Ah no, ecco il dottore’, ou quelque chose dans le genre. Je compris que le docteur en question venait rendre visite à son mari, lequel, indisposé, ne l’avait pas accompagné au dîner. Or il se trouvait que le docteur, un homme de mon âge ou d’un peu plus jeune, était espagnol. D’ailleurs, c’est peut-être uniquement pour cela que nous fûmes présentés, quoique très rapidement (tous deux parlèrent français entre eux, mon compatriote, avec un accent caractéristique), et, alors que je serais resté de bonne grâce à discuter un moment avec lui pour étancher ma soif de verbalisation correcte, l’amie de mon amie ne m’invita pas à monter, au contraire, elle abrégea les adieux, laissant entendre ou arguant que le docteur Noguera l’attendait déjà là depuis plusieurs minutes. Ce médecin compatriote portait une mallette noire, semblable à celles d’une autre époque, et avait un visage à l’ancienne, comme sorti des années trente : un homme pas mal fait de sa personne, mais osseux et pâle, avec les cheveux blonds d’un pilote de chasse, coiffés en arrière. À un moment, je pensai qu’il devait y avoir, comme lui, dans le Paris de l’après-guerre, de nombreux médecins républicains exilés.

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Jean-Nicolas nous propose sa traduction :

Maintenant que je sais que mon amie Claudie est devenue veuve à la mort naturelle de son mari, je n’ai pu m’empêcher de me souvenir d’une soirée à Paris il y a six mois : j’étais sortie après le dîner de sept personnes pour raccompagner chez elle l’une des invitées qui n’avait pas de voiture mais habitait très près, quinze minutes à pied à l’aller et quinze au retour. Elle m’avait donné l’impression d’être une jeune femme quelque peu affolée et assez sympathique, une amie italienne de mon hôte Claudie, également italienne et dans l’appartement parisien de laquelle je logeais pour quelques jours comme à d’autres reprises. C’était mon dernier soir de ce voyage. La jeune femme, dont je ne me souviens plus du prénom, avait été invitée pour me faire plaisir et pour diversifier un peu la table ou plutôt pour que les deux langues parlées soient plus équilibrées. Même durant la promenade, je dus baragouiner en italien comme cela avait été le cas durant la moitié du repas. En seconde partie de repas, le français que j’avais baragouiné était encore pire et, pour dire vrai, j’en avais vraiment marre de ne pouvoir m’exprimer correctement avec personne. J’avais soif de vengeance mais ce soir là, il ne devait plus y avoir d’opportunité, pensais-je, car quand je serais rentrée à l’appartement, mon amie Claudie qui parle avec un espagnol ferme serait déjà couchée aux côtés de son vieux et gigantesque mari et jusqu’au lendemain matin, je n’aurais pas l’occasion de croiser des paroles bien armées et prononcées. Je sentais des élans verbaux mais je devais les réprimer. Je décrochai pendant la promenade : je laissai l’amie italienne de mon amie italienne parler sa langue avec maîtrise et moi, contre ma volonté et mon désir, je me contentais d’acquiescer et de commenter de temps à autre : « Certo, certo » sans prêter attention, fatiguée par l’alcool et épuisée par l’effort linguistique. Pendant que nous marchions en crachant de la buée, je me rendais compte qu’elle ne disait rien d’autre que des choses concernant notre amie commune, ce qui était d’ailleurs logique puisqu’ hormis la réunion des sept d’où nous venions, nous n’avions rien à nous raconter. Du moins, c’est ce dont je croyais : « Ma certo » continuais-je à commenter sans aucun sens pendant qu’elle, qui devait se rendre compte de mes omissions, continuait un peu pour elle seule ou peut être par politesse jusqu’à ce que, rapidement, parlant encore de Claudie, il y eut une phrase que je compris très bien en tant que phrase et complètement pour ce qui est du sens car je la compris sans vouloir et dépourvue de tout contexte: « Claudia sara ancora con il dottere » fut ce que dit mon amie à ma connaissance. Je n’en fis guère de cas car nous étions en train d’arriver à son portail et j’avais hâte de parler ma langue ou du moins de rester seule à penser à elle.
Sur ce portail, il y avait une silhouette qui attendait et elle ajouta : « Ah no, ecco il dittore » ou quelque chose du style. Je compris que ce docteur venait rendre visite à son mari qui, indisposé, ne l’avait pas accompagnée au dîner. Le docteur était un homme dans mes âges ou presque un jeune homme qui fut espagnol. Ce fut peut être juste pour cela que nous fûmes présentés quoique brièvement (eux deux parlaient entre eux en français, l’accent de ma compatriote qu’il m’était impossible de confondre) et, même si je serais restée volontiers à discuter avec lui pour assouvir mes envies de verbalité correcte, l’amie de mon amie ne m’invita pas à monter mais elle pressa les au revoirs, faisant comprendre ou disant que cela faisait déjà quelques minutes que le docteur Noruega l’attendait là-bas. Ce médecin compatriote portait une une mallette noire appartenant à une autre époque et avait un vieux visage comme sorti des années trente, il n’était pas mal mais maigre et pale, les cheveux blonds de pilote de chasse, peignés en arrière. Comme lui, je pensai un instant qu’il dut y avoir beaucoup de médecins républicains exilés dans le Paris de l’après-guerre.

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