mercredi 12 décembre 2012

Entretien avec le traducteur (Anglais/Français ; Italien/Français) Laurent Laget – par Nancy Benazeth

Laurent Laget est un traducteur indépendant de l'italien et de l'anglais vers le français, installé à Paris.

1. Nancy Benazeth. Vous traduisez l'anglais et l'italien, pourquoi avez-vous choisi ces langues et comment les avez-vous apprises ?
Laurent Laget. J'ai eu la chance de grandir au sein d'une famille ouverte sur le monde : ma mère est italienne et a grandi en France. Mon père, lui, est français mais a grandi aux États-Unis, où se trouve encore une partie de la famille. J'ai grandi dans un environnement majoritairement français,  mais ce sont des langues que j'entends depuis tout petit. Il m'était donc tout naturel de les apprendre et de les connaître du mieux possible dès que j'en ai eu la possibilité.

2. N. B. Selon vous,  quelle est la langue la plus difficile à « transformer » en français et quelle est celle que vous traduisez le plus souvent ?
L. L. On croit généralement que l'italien ou l'espagnol sont des langues « faciles », mais c'est tout le contraire. D'une part, parce que ce sont des langues très exigeantes si l'on cherche à les maîtriser entièrement. D'autre part, parce que les tournures et la construction des phrases sont parfois si proches du français qu'elles « polluent » notre langue d'arrivée. Il est donc nécessaire de réussir à s'en détacher et à reformuler les idées pour obtenir un texte français correct, et non un ersatz d'italien francisé. Plus par nécessité que par choix, je traduis principalement depuis l'anglais. Le marché italien de la traduction souffre de la situation économique actuelle ; la demande est moindre, de même que les tarifs.

3. N. B. Comment voyez-vous ce métier ? Quels en sont les principaux avantages et inconvénients ?
L. L. La traduction est un métier formidable, que l'on peut moduler selon notre caractère et nos intérêts. Il est possible, dans certaines limites, de choisir les textes et les domaines dans lesquels on veut travailler. On peut ainsi passer d'articles de journaux sur l'actualité à des documents de fond concernant l'orientation de grandes organisations internationales. Selon moi, l'avantage principal de la traduction réside dans la pluralité des sujets que nous abordons, et qui oblige par conséquent le traducteur à être à la fois polyvalent et spécialisé. Il y a bien d'autres avantages encore,  dont certains sont inhérents au mode d'exercice (indépendant/salarié) plutôt qu'au métier lui-même. Les inconvénients que je perçois sont liés au fait qu'en tant qu'indépendants, nous faisons parfois face à des creux d'activité suivis de périodes très intenses. Il faut donc s'y attendre et s'organiser en conséquence. Il y a aussi la solitude et l'enfermement qui peuvent peser,  mais il existe bien des solutions pour y remédier.

4. N. B. Exercez-vous cette activité à plein temps ? Parvenez-vous à en vivre ?
L. L. Après un contrat de neuf mois comme salarié dans un ministère à l'obtention de mon diplôme, je me suis installé comme indépendant à plein temps. Cela fait maintenant quatre ans, et si la première année a été mouvementée, je dispose aujourd'hui d'une clientèle variée et régulière qui me permet de subvenir à mes besoins.

5. N. B. Comment êtes-vous devenu traducteur ? Comment vous êtes-vous fait connaître ?
L. L. J'étais en Erasmus à Rome, lors de ma troisième année de LEA, quand j'ai rencontré une enseignante qui traduisait pour le Parlement européen. C'est elle qui m'a convaincu de passer les concours de l'ESIT, en m'aidant à réaliser que j'avais des affinités très fortes avec ce métier. Pour me faire connaître, j'ai tout d'abord cherché à entretenir mon réseau,  c'est-à-dire mes liens avec mes camarades de promotion, mes professeurs et l'association des anciens élèves. J'ai même pris des responsabilités au sein de l'association, et j'ai adhéré en parallèle à d'autres organismes comme l'ATLF et la SFT,  dont je suis aujourd'hui un membre élu du Comité directeur. Enfin, j'ai ouvert un blog sur la traduction (www.anothertranslator.eu) comme vitrine de mon activité et du métier.

6. N. B. Pourquoi et comment s'établir en indépendant ?
L. L. Le comment est une vaste question à laquelle il est impossible de répondre en quelques lignes. Cela dépend du lieu de résidence, des objectifs,  du type de clients… Il est tout à fait possible d'ouvrir une auto-entreprise en quelques clics ou de créer une SARL, ou encore de travailler uniquement en droits d'auteur, en portage salarial, etc. Il faut ensuite savoir démarcher pour se constituer une clientèle et entretenir ses donneurs d'ordres. C'est une activité très exigeante et gratifiante. Le pourquoi demanderait aussi une réponse très longue : ce peut être par obligation (en l'absence de travail salarié), par choix de vie (horaires plus souples, absence de hiérarchie) ou pour d'autres raisons encore.

7. N. B. Quelle a été votre première traduction ?
L. L. Je serais bien incapable de citer ma toute première traduction ; était-ce au lycée, à la fac ? Je peux en revanche citer le premier livre que j'ai traduit : il s'agit d'un récit pour enfants, Robin et les Pirates, sur lequel j'ai travaillé en 2009.

8. N. B. Quels sont les outils que vous utilisez pour cette tâche ?
L. L. Il s'agit des outils habituels : une suite bureautique (Office), un explorateur internet et des dictionnaires en ligne. Je n'utilise pratiquement plus de dictionnaire imprimés, bien que mes étagères en soient remplies. Un logiciel que je juge désormais indispensable pour notre activité est Antidote, qui regroupe un puissant correcteur, un ensemble très complet de dictionnaires (définitions, synonymes, cooccurrences, conjugaisons, expressions…) et des guides grammaticaux. Impossible de s'en passer. Il m'arrive, à l'occasion, d'utiliser un logiciel de reconnaissance vocale (Dragon), mais je ne suis pas encore très confortable avec. Il y a aussi toute une myriade de petits logiciels fort pratiques servant à convertir les fichiers en différents formats, compter les mots, communiquer, travailler de manière collaborative sur des textes, etc. J'évite autant que faire se peut les outils d'aide à la traduction, car cela impliquerait de travailler sur des textes relativement répétitifs, or je préfère la nouveauté ! Mais il m'arrive parfois d'utiliser Wordfast.

9. N. B. A quel type de texte avez-vous été essentiellement confronté et quel est celui que vous préférez traduire ?
L. L. Mon travail porte essentiellement sur des textes rédactionnels pour la presse (papier ou web) et l'édition, même si je travaille aussi beaucoup sur des documents internes pour les entreprises (procès-verbaux, etc). Là où je prends le plus de plaisir,  ce sont peut-être les textes d'actualité pour la presse qui autorisent une certaine liberté stylistique et, dans certains cas, l'adaptation des références culturelles. J'apprécie également beaucoup travailler sur des livres de vulgarisation pour le jeune public.

10. N. B. Enfin, quel(s) conseil(s) donneriez-vous à un(e) apprenti(e) traducteur(trice) ?
L. L. J'insiste sur le fait qu'il est essentiel d'entretenir son réseau,  notamment pour des traducteurs indépendants : garder des liens avec les anciens élèves, participer aux grandes rencontres littéraires et professionnelles, adhérer aux associations professionnelles, lire et participer aux blogs… C'est essentiel tant pour développer son activité que pour garder un contact avec l'extérieur et éviter de s'enfermer. J'ajoute que les formations dispensées par des organismes tels que la SFT sont un excellent moyen de renforcer ses connaissances et de répondre aux exigences du marché.

Aucun commentaire: